mercredi 25 janvier 2012

Anonyme de Francfort


Voici le livre d'un chevalier, d'un allemand inconnu, porteparole plutôt que porte-glaive, le livre d'un «ami de Dieu», « sage, raisonnable, juste et sincère», qui est à la mystique spéculative ce que l'Imitation de Jésus-Christ est à la dévotion. Un livre du XIVe siècle, qui eut Martin Luther pour premier «éditeur» et qui, depuis 1516, n'a jamais quitté la lumière.
     De son auteur, on ne sait rien sinon ce qu'en dit l'épigraphe du texte :
«Le Dieu tout-puissant et éternel
a écrit ce petit livre
par un homme sage, raisonnable, juste et sincère,
son ami,
qui fut un temps chevalier teutonique,
prêtre et custode,
au monastère des chevaliers teutoniques
de Francfort.»
     «Bis ritter» : sois chevalier ! Tel était le vœu formé par Suso dans une sorte d'anticipation allègre des épreuves et des manques, des tourments et des échecs d'une vie douloureusement empêchée. L'époque était à la guerre. Et au combat chrétien. La rencontre d'un aventûrer (terme classique des romans de chevalerie d'Hartmann von der Aue ou de Wolfram von Eschenbach), «qui lui explique ce que sont joutes et tournois, et les durs combats que doit subir sans montrer peur ou défaillance celui qui aspire à l'honneur et à l'anneau» (Vita, chap. XLIV); une méditation sur Job 7, 1, culminant dans la vision d'un ange qui passe au «Serviteur» les vêtements de chevalier, tout cela semblait trahir un vrai désir de bataille : tout cela, cependant, était déjà préfiguré dans le Dit n° 24 attribué à Maître Eckhart.
     Tel est le ton de l'Anonyme de Francfort, celui tout à la fois d 'un chevalier et d'un moine, marqué par une rigueur morale et une élévation spitituelle qui font de son écrit l'un des sommets de la mystique rhénane.
Source du texte : Arfuyen

    Le petit livre de l’Anonyme de Francfort a suscité à travers les siècles l’enthousiasme des plus grands mystiques, de Silesius à saint Jean de la Croix, comme aussi des plus grands philosophes, de Hegel à Schopenhauer, qui y voyait une «œuvre immortelle», seulement comparable par son génie à celles du Bouddha et de Platon. Écrit dans un style abrupt et lumineux par un mystérieux Anonyme ayant vécu à Francfort peu après la mort de Maître Eckhart (soit la seconde moitié du XIV° siècle), il constitue une extraordinaire synthèse de la pensée mystique rhénane.
Source (et suite) du texte : Arfuyen


Bibliographie :
- Le petit livre de la vie parfaite, Theologia Deutsch, trad. Gérard Pfister, préface Alain de Libera, Ed. Arfuyen, 2000.
Commande : Ed. du Cerf 




LE PARFAIT

Quand viendra le Parfait, dit saint Paul, ce qui est imparfait et partiel sera aboli (1 Co 13,10).
Observe bien cela : qu'est-ce que le "Parfait" ? Et qu'est-ce que le "partiel" ?
Le "Parfait" est un être qui comprend et renferme tout en Lui-même et en son essence.
Il n'y a pas d'être véritable en dehors de Lui, pas d'être véritable sans Lui.
En Lui toutes choses ont leur être. Car il est l'être de toutes choses : immuable et immobile en Lui-même, Il est ce qui meut et modifie toutes choses.
Le "partiel" - ou imparfait - est ce qui surgit, ou a surgi, du Parfait. Tout comme une clarté ou une lueur émane du soleil ou d'une source lumineuse : elle semble être quelque chose - ceci ou cela - et on l'appelle "créature".
De toutes ces choses partielles, aucune n'est le Parfait, et le Parfait n'est aucune d'entre elles.
Le "partiel" est saisissable, connaissable et exprimable.
Le "Parfait" est insaisissable, inconnaissable et inexprimable à toutes les créatures en tant que telles.
C'est pourquoi le Parfait est appelé "néant". Car Il n'est aucune des créatures. La créature en tant que telle  ne peut Le connaître ni Le saisir, Le nommer ni Le penser.


CE QU'EST L'UNION

(...) Mais qu'est-ce que l'union ? demandera-t-on.
Etre purement, entièrement, simplement un, avec la simple et éternelle volonté de Dieu. Rien d'autre.
Etre tout à fait sans volonté : que la volonté créé s'écoule, se fonde et s'anéantisse dans la volonté éternelle, de sorte que la volonté éternelle soit seule à vouloir, à faire ou ne pas faire. (...)


NI CECI NI CELA

Dieu, en tant qu'Il est bon, est bon en soi. Il n'est ni ce bien-ci ni ce bien-là. Faisons ici une observation.
Ce qui est "quelque part", ici ou là, n'est pas en tout lieu et au delà de tout lieu et place.
Ce qui est "quelque temps", aujourd'hui ou demain, n'est pas à tout instant, en tout temps et au delà de tout temps.
Ce qui est "quelque chose" - ceci ou celà -, Il ne serait pas, comme Il est, Tout et au delà de tout. Il ne serait pas la véritable perfection.
C'est pourquoi Dieu "est", et cependant ni ceci ni cela que les créatures, en tant que telles, puissent connaître et nommer, penser ou dire.
Si Dieu, en tant qu'il est bon, était ce bien-ci ou ce bien-là, Il ne serait pas tout le Bien et au delà de tout bien.
Il ne serait pas ce parfait et simple Bien qu'Il est.


L'AMOUR DE L'UN POUR L'UN

  (...) Quand la vraie lumière et le vrai amour sont dans un homme, le vrai Bien est connu et aimé par lui-même.
Il ne s'y aime pourtant pas pour soi-même, par soi-même ou comme soi-même, mais comme le vrai et simple Bien. (...)
En cette vraie lumière, en ce vrai amour, il ne demeure ni "je", ni "mien", "me", ni "tu", "ton", etc.
Cette lumière connait et indique un Bien qui est tout bien et au delà de tout bien : tous les biens sont essentiellement un en cet Un et, sans cet Un, il n'est aucun Bien.
C'est pourquoi on n'y aime ni ceci ni cela, ni "je" ni "tu", etc. Mais seulement l'Un qui n'est ni "je" ni "tu", ni ceci ni cela, mais au-delà de tout ""je" et "tu", de tout ceci et cela : en Lui tout bien est aimé comme un Bien unique. (...)


AIMER TOUTE CHOSES DANS L'UN

Celui qui veut ou doit aimer Dieu aime toutes choses dans l'Un en tant qu'il est Un.
Il aime l'Un et le Tout dans toutes choses en tant qu'elles sont toutes dans l'Un.
Celui qui aime quelque chose - ceci ou cela - autrement que dans l'Un et pour l'amour de l'Un, celui-là n'aime pas Dieu.
Car il aime quelque chose qui n'est pas Dieu. Il aime les choses plus que Dieu.
Celui qui aime une chose plus que Dieu ou autant que Dieu, celui-là n'aime pas Dieu. Car Dieu veut et doit être le seul aimé.
En vérité, il ne faut rien aimer que Dieu seul.
Lorsque demeure en un homme la vraie lumière et le véritable Amour, rien n'est aimé que Dieu seul.
Il aime Dieu en tant que Bien et parce qu'Il est le Bien.
Il aime tout bien en tant que l'Un, il aime l'Un en tant que tout bien. Car, en vérité, toutes choses sont l'Un et l'Un est toutes choses en Dieu.


LE PASSAGE VERS L'INDICIBLE

(...) Mais ce qui advient ensuite - ce qui est alors révélé et éprouvé -, personne ne sait le chanter ni le dire. Il n'est pas de bouche qui l'ait jamais exprimé, pas de coeur qui l'ait jamais pensé ni connu tel que c'est en vérité.

Extraits de : Le petit livre de la vie parfaite
Autres extraits (La contemplation du mystère / Ce que veut dire l'enfer / Le Paradis) : Arfuyen (fin de page)
Commande : Ed. du Cerf



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