lundi 12 mars 2012

Junayd ou Abû l’Qasim al-Junayd al-Baghdadi


Haute figure de la spiritualité musulmane de la période classique VIIe siècle au Xe siècle, unanimement célébré comme un très grand maître soufi (Le seigneur de la Tribu spirituelle est l'un de ses surnoms), Abû l’Qasim al-Junayd al-Baghdadi (mort en 911) représente avec Harith al-Muhasibi (en) une orientation spirituelle où la lucidité l’emporte sur l’ivresse. En cela, il prône une certaine prudence pour ce qui est des témoignages d’expériences mystiques qui pourraient égarer les croyants de la loi révélée.
Néanmoins, il puise dans le Coran et la Sunna les explications des déclarations de certains soufis comme Bistami ou Al Hallaj qu’il eut d’ailleurs un temps pour disciple. Selon lui le ravissement spirituel prend sa source dans le pacte ontologique (Mithaq) que Dieu conclut avec Ses créatures en leur demandant – « Ne suis-Je point Votre Seigneur ? ».
Cet engagement primordial de l’humanité rejailli chez les soufis sous la forme de l’ivresse, du ravissement, voire de l’extinction en Dieu ou la créature se confond avec son Créateur comme la goutte d’eau avec l’océan.
Ainsi les propos extatiques de certains soufis sont-ils éclairés : « Celui qui s’abîme dans les manifestations de la Gloire s’exprime selon ce qui l’anéantit; quand Dieu le soustrait à la perception de son moi et qu’il ne constate plus en lui que Dieu, il Le décrit. » Ceci n’est pas sans rappeler les paroles d’al-Hallaj sur la Vérité (al-Haqq). Aussi Junayd considère-t-il que l’état d’extinction (Fana) doit être impérativement dépassé pour parvenir à la sobriété extérieure et donc à un soufisme socialement possible. Un proverbe soufi exprime cette réalité comme suit : « Il faut avoir le corps dans la boutique et le cœur dans la Présence divine. »
L’enseignement de Junayd, compilé dans des épîtres où il traite aussi bien de la métaphysique de l'Être que des règles de la Voie, permirent à l’Islam de s’appuyer sur des bases solides avant de déployer les grands systèmes de sa théologie mystique. Son énorme influence lui valut le surnom de « Prince de l’Ordre » et la grande majorité des futures confréries soufies remonteront de fait à la « Voie de Junayd. »
Source du texte : wikipedia


Bibliographie (en français) :
- Enseignement spirituel : traités, lettres, oraisons et sentences, Ed. Sindbad, 1983.


J'ai entendu Junayd dire ensuite : "Il m'avait fait ce don, puis Il se cacha à moi à cause de moi, de sorte que je suis pour moi-même la plus néfaste des choses et que je suis la source de mon propre malheur, victime d'un piège et d'une trahison à Son égard dont je suis moi-même la cause ! C'est ma présence à moi-même (dans la connaissance) qui est la raison de ma perte de la connaissance ! C'est le plaisir personnel que je prenais dans la contemplation qui a entraîné pour moi le comble de la détresse ! Maintenant mes facultés sont annihilées à cause de ce souci de ma personne, et je en sens plus la saveur de l'expérience intérieure, ne jouissant pas de l'affermissement de la vision spirituelle. Ce que je devrais ressentir comme une félicité, je ne l'éprouve plus comme tel, et il en est de même pour le tourment ! Mes expériences intimes m'ont fui, et les mots pour les expliquer me font défaut. Je ne saurais les exprimer par aucun qualificatif, ni les suggérer par aucun nom. (Tout ce que je puis dire c'est que) ce qui s'était manifesté était tel qu'il n'a jamais cessé d'être dans son principe".
Je demandais alors à Junayd : "Que signifie tes paroles : il n'y a aucun qualificatif pour exprimer cela, ni aucun nom pour le suggérer ?" Il me répondit : 'Je parle de la perte de conscience de mon état, puis de la révélation d'une présence irrésistible, d'une manifestation grandiose, qui m'a éteint (à mon existence individuelle) en me faisant naître (à la connaissance), comme elle m'avait fait naître (à l'existence) en étant "éteint" (par rapport à la connaissance). Je ne pouvais rien induire à son sujet, car cette présence est exempte de toute trace, ni communiquer aucune information, car c'est Dieu qui est maître d'informer. N'avait-Il pas effacé la forme de mon individualité par Son Attribut, et ainsi, dans Sa proximité, mon effacement ne me laissait la possibilité de rien savoir, Il est Celui qui donne un commencement à toute chose, comme Il est Celui qui fait retourner à Lui toute chose. ' (...)

" Il y a une félicité qui sort de l'entendement, et des libéralités de la part de l'Etre divin qui n'ont rien de commun avec ce que l'on connaît, car Il échappe à tout contact, à toute perception des sens, et à toute modification de Sa nature. Personne ne sait comment Il déploie Ses bontés sur Ses créatures. C'est là une réalité seigneuriale, inintelligible et inaccessible pour tout autre que Lui. C'est pourquoi nous disons qu'Il fait disparaître ce à quoi Il se manifeste, et quand il exerce Sa domination, Son emprise et Sa puissance irrésistible, il convient de l'entendre au sens le plus conforme et le plus vrai. "
Je demandai alors à Junayd : "Que peuvent donc réaliser ceux qui sont ainsi, puisqu'il n'est plus question pour eux d'existence et de connaissance, celles-ci ayant été effacées ?" "Leur réalisation intérieure, me répondit-il, est opérée par l'Etre divin et non par eux, et elle se manifeste à eux sous l'effet de Sa Parole (créatrice) et de Son pouvoir victorieux. Ce n'est nullement ce qu'ils recherchaient, ce qu'ils évoquaient dans leur esprit et pouvaient imaginer. Après l'emprise divine sur eux, tout cela est annihilé et disparaît, car la réalisation intérieure de l'Etre divin est sans lien et sans relation avec eux. Comment pourraient-ils alors décrire ou définir ce qui échappait à leurs possibilités d’appréciation et d'interprétation, ou dont ils n'avaient pu avoir la moindre connaissance, même approchée ? Il y a une tradition qui sert de preuve à ce sujet, on rapporte en effet cette parole du Prophète : "Dieu a dit : '... Mon serviteur continue à se rapprocher de Moi par les oeuvres surérogatoires, de telle sorte que Je l'aime, et quand Je l'aime, Je suis l’ouïe par laquelle il entend, la vue par laquelle il voit...'. (...)

Je lui posais cette autre question : "Comment la présence (ou conscience) peut-elle être la cause de la perte (ou privation), et comment jouir de la contemplation peut-il être le comble de la détresse, alors que les hommes de spiritualité enseignent dans ce cas que la présence (ou conscience) leur procure le plaisir et l'extase, et que ce n'est pas pour eux un état pénible ni une privation ?"  "C'est, me dit-il, la thèse qui est en effet reconnue par la plupart, et c'est ainsi qu'ils décrivent leur réalisation intérieure, mais pour l'élite des spirituels et pour ceux qui ont une vocation privilégiée, qui sont à considérer à part en raison du caractère inhabituel de leurs états, la présence (ou conscience) est une privation, et jouir de la contemplation est effectivement le comble de la détresse. Il y a en effet effacement en eux de toute forme individuelle et de toute réalité intérieure dont ils faisaient l'expérience par eux-mêmes, ou dont ils avaient conscience en tant qu'individus. Cela se produit en vertu de ce qui opère sa domination sur eux, les efface et les soustrait à leurs attributs propres, en prenant alors leur place et chassant ce qui était leur pour s'installer, et en s'établissant impérieusement sur eux et en eux, en raison de la perfection et de la plénitude de qui prend possession d'eux. Ils découvrent une félicité qui appartient au monde du Mystère divin, bien que la pleine jouissance de cette réalisation intérieure ne soit pas véritablement une prise de conscience (individuelle), sous l'effet de la prise de possession totale opérée par l'Etre divin et de la domination de Sa puissance irrésistible. (...)
Extrait du Traité de l'extinction dans : Enseignement spirituel : traités, lettres, oraisons et sentences, Ed. Sindbad, 1983.
(Ouvrage épuisé).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...