vendredi 25 février 2011

Ryokan Taigu ou Eizō Yamamoto



Ryōkan Taigu (1758-1831) était un moine et ermite, poète et calligraphe japonais. Né Eizō Yamamoto, il est plus connu sous son seul prénom de moine Ryōkan (signifiant « Grand-Cœur »). Ryōkan est l'une des grandes figures du bouddhisme zen de la fin de la période Edo. Au Japon, sa douceur et sa simplicité ont fait de lui un personnage légendaire.

Sa vie d'ermite est souvent la matière de ses poèmes. Un soir que sa cabane a été dépouillée de ses maigres biens, il compose ce qui deviendra son haïku le plus connu et dont il existe de nombreuses traductions en diverses langues ; en voici deux en français :

Le voleur parti
n'a oublié qu'une chose
la lune à la fenêtre.
(trad. Titus-Carmel, 1986)

Le voleur
a tout pris sauf
la lune à la fenêtre.
(trad. Cheng et Collet, 1994)

Ryōkan est né à une date incertaine, en 1758, à Izumozaki, petit village sur la côte ouest du Japon, dans l'actuelle préfecture de Nīgata, le pays des neiges. Son nom de naissance est Eizō Yamamoto. Son père est chef du village et prêtre shinto. Enfant, il étudie les classiques japonais et chinois. Vers l'âge de 20 ans, Ryōkan se rend dans un temple zen Sōtō du voisinage et devient novice. Il y rencontre un maître de passage, Kokusen, et part avec lui pour le sud du pays. Pendant douze ans, il se forme à la pratique du zen. En 1790, Kokusen le nomme à la tête de ses disciples et lui confère le nom de Ryōkan Taigu (« esprit simple au grand cœur », ou litt. « grand benêt bien gentil »). À la mort du maître un an plus tard, Ryōkan abandonne ses fonctions et entame une longue période d'errance solitaire à travers le Japon. Il finit par s'installer, à l'âge de 40 ans, sur les pentes du mont Kugami, non loin de son village natal, et prend pour domicile une petite cabane au toit de chaume, Gogōan.





Dans la forêt verdoyante,
mon ermitage.
Seuls le trouvent
Qui ont perdu leur chemin.
Aucune rumeur du monde,
le chant d'un bûcheron, parfois.
Mille pics, dix mille ruisseaux,
pas une âme qui vive.



Gogōan, l'hermitage où Ryōkan a passé presque toute la seconde moitié de sa vie.
Mendiant chaque jour sa nourriture selon la stricte règle monacale et pratiquant assidûment la méditation assise ou zazen, Ryōkan cependant ne célèbre aucun rituel ni ne dispense aucun enseignement. Jamais non plus il n'évoque un point de doctrine ou ne fait état d'un quelconque éveil, petit ou grand. En été, il se promène ; en hiver, il souffre, trop souvent, du froid, de la faim et la solitude. Parti pour mendier, il s'attarde pour jouer à cache-cache avec les enfants de ses voisins, cueillir un brin de persil au bord d'un sentier, soigner un malade au village ou partager un flacon de saké avec les fermiers du pays.

Demain ?
Le jour suivant ?
Qui sait ?
Nous sommes ivres
de ce jour même !

Les calligraphies de Ryōkan, aujourd'hui très prisées par les musées, suscitaient déjà bien des convoitises autour de lui. Aussi, chaque fois qu'il va en ville, c'est à qui, petit boutiquier ou fin lettré, se montrera le plus rusé pour lui soutirer quelque trésor issu de son pinceau. Ryōkan, qui a pour émule Hanshan, le grand ermite chinois de la dynastie Tang, calligraphe et poète comme lui, n'en a cure.

Moine benêt l'an passé,
cette année tout pareil.

Au bout de vingt ans passés dans la forêt, affaibli par l'âge, Ryōkan doit quitter Gogōan. Il trouve alors refuge dans un petit temple un peu à l'écart d'un village. Il soupire après la montagne, compare sa vie à celle d'un oiseau en cage. À l'âge de 70 ans, il s'éprend d'une nonne appelée Teishin, elle-même âgée de 28 ans. Ils échangent de tendres poèmes. À Ryōkan qui se lamente de ne pas l'avoir vue de tout l'hiver, Teishin répond que la montagne est voilée de sombres nuages. Ryōkan lui réplique qu'elle n'a qu'à s'élever au-dessus des nues pour voir la lumière. Il meurt entre ses bras le 6 janvier 1831, âgé de 72/73 ans.
Son mode de vie non conformiste, sa totale absence de religiosité, ont suscité bien des querelles d'érudits. Son bouddhisme était-il authentique ? Était-il oui ou non un homme éveillé ? À ces questions, Ryōkan, pour qui le zen ne pouvait être que profonde liberté, avait livré sa réponse :

Que laisserai-je derrière moi ?
Les fleurs du printemps,
le coucou dans les collines,
et les feuilles de l'automne.
Source du texte : wikipedia



Bibliographie :
 - Les 99 haiku de Ryōkan (trad. Joan Titus-Carmel de Ryōkan no haiku, 1977 ; bilingue), éd. Verdier.
- Le Moine fou est de retour (trad. CHENG Wing-Fun et Hervé Collet ; bilingue), éd. Moundarren.
- Recueil de l'ermitage au toit de chaume (trad. CHENG Wing-Fun et Hervé Collet ; bilingue), éd. Moundarren.
- Pays natal (trad. CHENG Wing-Fun et Hervé Collet ; bilingue), éd. Moundarren, 82 pages.
- Contes zen : Ryôkan, le moine au cœur d'enfant (trad. Claire S. Fontaine et Kasono Mitsutane), éd. Courrier du livre.
- La Rosée d'un lotus (trad. Alain-Louis Colas de Hachisu no tsuyu, 1835 ; bilingue), éd. Gallimard, coll. « Connaissance de l'Orient ".
- Le Chemin vide : vie et poèmes d'un moine Zen (trad. Catherine Yuan et Erik Sablé ; texte français seulement), éd. Dervy, coll. « Chemins de sagesse ».
Anthologies :
Haïku (retrad. depuis l'anglais par Roger Munier d'après R. H. Blyth (en), Haiku, 1950-1952 ; texte français seulement), éd. Fayard, coll. « Documents spirituels », 210 pages ; rééd. 2006, Haïkus, coll. « Points poésie » no 1450, 231 pages - 116 auteurs, 568 haïkus (dont 3 de Ryōkan).
Haiku : anthologie du poème court japonais (trad. Corinne Atlan et Zéno Bianu ; texte français seulement), éd. Gallimard, coll. « Poésie » no 369, 239 pages - 133 auteurs, 504 haïkus (dont 10 de Ryōkan)
Etudes :
Blain, Dominique (2007). Ryōkan, l'oublié du monde, éd. Les deux océan
En ligne : 76 Haikus (Nekojita)


Toute ma vie trop paresseux pour me conformer aux règles
Joyeux, toujours joyeux, suivant librement ma nature
Dans ma besace trois mesures de riz
Près du foyer un fagot de bois
Pourquoi se préoccuper de l'éveil ou de l'illusion ?
Pour ce qui est de rechercher les honneurs ou la fortune, je n'en parle même pas.
La pluie nocturne tombe sur ma cabane au toit de paille
Détendu, j'allonge les deux jambes.
Mille sommets figés par le froid
Dix mille sentiers sans trace d'homme
Chaque jours je ne fais que méditer face au mur
Parfois j'entends la neige qui frappe la fenêtre.
Quand on abandonne le désir tout est bien
Quand le désir est là dix milles choses ne peuvent le satisfaire
Quelques légumes nourrissent
Une robe de moine est suffisante pour vêtir le corps
Je me promène seul au milieu des cerfs
Je chante avec les enfants du village
Je lave mes oreilles dans l'eau qui coule au pied des rochers,
Je contemple la beauté des pins au sommet de la montagne.
Une lampe à la main, nuit de neige en montagne
Dans le silence nocturne les flocons s'envolent librement
Le vrai, le faux, quelle importance ?
Une nuit paisible derrière ma cabane au toit de paille
Je joue du luth sans corde
Sa musique, portée par le vent disparait dans les nuages
Elle devient celle du ruisseau
S'étend toujours plus loin et remplit la vallée,
Traverse montagne et forêts
Seul un être fermé aux bruits du dehors
Peut entendre cette musique merveilleuse.
Les quatre saisons et les oiseaux vivent en harmonie
Continuellement s'entend le bruit de la source froide
Je dis à ceux qui peuvent oublier leur fardeau
Venez errer librement au sommet des montagnes émeraudes.

C'est la fin de l'automne, le neuvième mois, le ciel est bleu
Seul avec mon bol, sans prévenir, je frappe à ta porte
Moi, un moine libre des désirs du monde
Toi, un homme oisif vivant dans une époque de paix
Toute la journée sans rien faire
A boire du saké en riant face aux montagnes.

La grande voie n'a pas de chemin
Je ne sais où se trouve la paix du coeur
On considère la vacuité ou l'existence comme des buts
Quelle différence entre un homme ordinaire et un éveillé
Si l'on s'attache au monde, poursuivant son ombre
L'ombre s'éloigne toujours plus
Si l'on chasse le faux et recherche le vrai
Le vrai devient cicatrice
Comprend cela par expérience et profondément
Si tu tombes même d'un cheveu dans le mental,
Tu t'éloigneras de la vérité d'une distance de mille univers
J'ai appris autrefois la quiétude de la concentration et je sais contrôler mon souffle
Traversant les étoiles et le givre blanc
J'en oubliais presque le sommeil et la nourriture
Si je connais la paix
C'est peut-être grâce à ma pratique
Mais si je n'agis pas
Qui me prouve qu'elle demeurera toujours ?

Depuis l'origine la grande voie n'a pas de chemin
Je ne sais quel est son accomplissement
Si on on la poursuit, elle s'éloigne de plus en plus.
Si on la recherche, on ne peut la trouver
Même si on prêche aux hommes l'identité du vide et des phénomènes,
Et qu'on suit la voie du milieu, on se retrouve dans une impasse
Cela est indicible
Si on veut l'exprimer par la parole, il perd son sens.
L'éveil et l'illusion dépendent l'un de l'autre
Le dharma et les phénomènes sont liés
La journée je récite des sutras sans paroles
La nuit je médite sans pratiquer la méditation
Le coucou chante près de la rivière, là où baigne le saule
Un chien aboie dans la nuit à la clarté de la lune
La loi du Bouddha n'est pas contraire à l'harmonie de la nature
Qu'ai-je à transmettre ?
Il y a un joyau qui existe depuis toujours
Jour et nuit, il illumine l'obscurité du monde
Quant du le possèdes, tu ne peux le confier à un autre
Contemple le sans douter et sans hésiter
Quand l'ami de la Voie le montre, l'homme obscure titube
Si la fille du dragon le donne, les vieux moines sont embarrassés
Ah ! Ah ! Ah ü Un tel joyau existe dans le ciel ou sur la terre, mais qui le sait ?

Ne demande pas s'il vient du Mont Kunlun ou de Gepu
Le joyau est en toi
Sa lumière efface celle du soleil et de la lune
et rayonne au-delà des quatre limites de l'univers
Ses couleurs sont si intenses qu'on ne peut le fixer
S'il est perdu on plonges dans l'océan de la souffrance
Si on le possède on travers immédiatement sur l'autre rive
Je le montre et l'offre
Mais je ne peux rien faire si les hommes n'en veulent pas.
Extrait de : Ryokan, le Chemin vide.
 

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