lundi 27 juin 2011

Aryadeva


Aryadeva vécut apparemment dans la première moitié du IIIe siècle de notre ère, et fut un redoutable polémiste et un virulent contradicteur. C'est certainement, parmi les disciples de Nagarjuna, celui qui poussera le plus loin les conséquences de la doctrine de la vacuité. Il n'hésitera d'ailleurs pas à choquer de nombreux moines ou religieux, qui s'effraieront de le voir nier le Nirvana et la transmigration.
Ne respectant aucune réserve de prudence, aucune retenue vis-à-vis du monde religieux, il étend sa fureur dialectique à l'ensemble des formes qui incarnaient, à son époque, la transmission de la Loi du Bouddha. Il excelle visiblement dans son art de pousser la logique nagarjunienne du vide dans ses ultimes conséquences.
Peu enclin à ménager les susceptibilités et les convictions établies, il n'hésitera pas à nier les croyances traditionnelles, ce qu'il paiera d'ailleurs du prix de sa vie, puisque la tradition rapporte qu'il périt assassiné par un brahmane excédé par ses provocantes et incessantes négations dialectiques.
Aryadeva est toutefois connu, principalement, pour nous avoir laissé l'un des ouvrages les plus importants de la seconde génération Madhyamika: le Shata-Shastra (Traité des cent vers). Il déploie dans ce texte, outre l'essence de sa critique négative avec une vigueur et une force exceptionnelles, un réel talent argumentaire.
Source du texte : sangharime


Bibliographie (en français) :
- Etudes sur Aryadeva et son Catuhsataka (traité en 400 vers), chap. VIII-XVI, par P.L. Vadya, Ed. Geuthner, 1923.
- Jnanasarasamuccaya ou Le compendium de l'essence de la connaissance dans : Réfutation bouddhique de la permanence des choses de K. Mimaki, Ed, Institut de civilisation indienne, 1976.


Tout est vide de nature propre, tout est vide de substance réelle. Aryadeva pousse dans ses plus extrêmes limites la dialectique négative nagarjunienne. Si ses contradicteurs, épuisés par l'usage permanent de sa critique, lui rétorqueront que certes rien n'existe si l'on accepte son discours, mais que du moins il existe la négation, Aryadeva expose alors que sa critique est une critique universelle auto-abolitive, qu'en elle-même elle n'existe pas, qu'elle n'a pas pour but de proposer une thèse particulière, mais bien plutôt de détruire toute thèse positive, sans rien proposer à la place.

"En effet, qui n'admet de vérité que la pure vacuité peut critiquer autrui sans se rendre jamais vulnérable, puisque, se gardant de toute affirmation, il ne donne prise à aucune critique. La vacuité ne comporte d'autre démonstration que celle, toute négative, que constitue la réfutation des opinions positives, l'une après l'autre et l'une par l'autre."
Les adversaires d'Aryadeva déclarent que n'affirmer aucune thèse positive c'est encore soutenir une position sans s'en rendre compte, c'est peut-être être victime d'une illusion théorique supérieure en importance à l'ensemble des positions fixes. 
"Nullement, nous avons commencé par poser que toutes les choses qui naissent de production en relativité (pratitya-samutpada) ont pour caractéristique la non-existence. Dès lors nous n'avons avancé aucune affirmation et, partant, proposé aucune thèse. Prouver par voie négative qu'aucune thèse n'est valable, ce n'est pas poser une thèse, pas plus qu'établir la non-existence des choses, ce n'est doter la non-existence de je ne sais quelle existence."
Citations extraites du Shata-Shastra (dont il n'existe malheureusement pas de traduction).
Source du texte : sangharime


Chapitre IX. Négation de la permanence
202.
Il n'y a pas d'existence, en aucun temps et en aucun lieu, qui ne soit dépendante des conditions de sa production, par conséquent, il n'y a rien, en aucun temps et en aucun lieu, qui s'appelle permanent.
(...)
Chapitre X. Négation du moi.
228.
Ce qui est le moi pour vous, est non-moi pour moi; il n'est donc pas certain que ceci est (vraiment) un moi. On a des notions (incertaines) des choses qui sont impermanentes, n'est-il pas vrai ?
(...)
Chapitre XIV. Négation des extrêmes.
326.
On peut prouver l'existence d'une chose quelconque si cette chose ne dépend pas d'une autre quelconque, mais celle-ci (une chose indépendante) n'existe nulle part.
(...)
Chapitre XV. Négation de la production
351.
Si l'existence (une chose existante) est née de la non-existence de quoi donc, la non-existence est née ? Si l'on admet qu'une existence naisse d'une autre existence, de quoi donc l'existence elle-même est née ?
352.
Comme par suite d'une production la cause est détruite, la non-existence n'est pas née (de la non-existence), il n'existe pas de production d'une chose déjà produite, et, par conséquent, l'existence n'est pas née de l'existence.
353.
Une chose n'est pas née de la même (chose), elle ne peut pas être produite d'une autre, et, quand il n'y a pas de production ni de ceci ni de cela, de quoi donc la production provient-elle ?
354. De même que la chose n'est pas née de la même chose, de même une autre chose n'est pas née de la même chose.
355. Avant la naissance (d'un objet) le commencement, le milieu et la fin n'existent pas, les deux étant non-existants, comment chacun d'eux existe-t-il ?
356.
Comme sans existence d'une autre chose, la chose en soi n'existe pas, il n'y a certainement pas de naissance des deux, à savoir : soi-même et l'autre.
357.
Il n'est pas possible de maintenir (de dire) l'existence de l'antérieur et du postérieur. C'est pour cette raison que l'existence simultanée d'un vase et sa naissance n'est pas admissible.
358.
Pour un antérieur il n'y a aucun avantage (à renaitre de nouveau) étant déjà né antérieurement, et celui qui est en cours de naissance plus tard n'existe pas comme un objet né plus tard.
359.
La chose ne vient pas de l'à venir, elle n'est pas née même du passé, la chose du présent n'est pas née d'elle-même.
360. Rien n'est arrivé à ce qui est déjà né, rien ne sort non plus de ce qui est déjà détruit, ceci admis, pour quelle raison la création ne serait-elle pas comparable à une illusion ?
(...)
Chapitre XVI. Conversation entre le maître et le disciple.
400.
Pour celui à qui aucune des thèses : existence, non-existence, existence et non existence, et ni existence ni non existence n'est (admissible), aucune censure ne saurait être appliquée jamais.

Extrait de : Catuhsataka (ouvrage épuisé)



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