vendredi 30 mars 2012

Novalis ou Friedrich von Hardenberg


Novalis l’admirable (1772-1801).

Tout est admirable dans la vie de Novalis. Son nom, tout d’abord, Novalis, pseudonyme de Friedrich von Hardenberg, « nom quasi-parfait », selon l’expression de son principal traducteur en France, Armel Guerne, « nom merveilleux qui devient à lui seul, déjà, rien qu’à l’entendre, comme le signe clair et presque, dirons nous, la clef du grand mystère de cette âme latine dans son corps allemand et son verbe germain. » Mais aussi son visage, d’une beauté singulière, certes « de cette espèce qui ne plaît pas à la foule », mais dont Tieck dira qu’elle faisait de Novalis « la plus pure et la plus séduisante incarnation d'un esprit hautement immortel. » Admirables furent ses amours - Sophie, Julie -, ou mieux encore sa vocation à l’Amour qu’il réalisera de la manière qu’il avait pressentie, en 1797 : « L’amour peut, par le vouloir absolu, se muer en religion. C’est par la mort seulement que l’on devient digne de l’Être suprême ». Et sa mort, justement, est admirable, comme en témoignera Friedrich Schlegel : « Il est certain qu’il n’a eu aucun pressentiment de sa mort, et il est à vrai dire à peine croyable de mourir d’une manière si douce et si belle. Pendant tout le temps que je l’ai vu, il a été d’une sérénité qui passe toute description, et quoique sa grande faiblesse l’empêchât beaucoup de parler lui-même, le dernier jour, il prit part à toutes choses de la manière la plus aimable, et il m’est précieux par dessus tout d’avoir encore pu le voir ».

Tout comme son œuvre est admirable, que ce soit ses essais, dont il faut retenir les incomparables Disciples à Saïs, ou encore Foi et Amour, que ce soit ses fragments philosophiques, inaugurés très tôt, par cette déclaration qui est tout un programme : « Le véritable acte philosophique est le meurtre de soi », ainsi que ses Fragments mathématiques – « La vie suprême est mathématique » - que ce soit son unique roman, inachevé, Henri d’Ofterdingen, et surtout ses Hymnes à la Nuit qui constituent l’un des sommets de la poésie occidentale. (...)
Source (et suite) du texte : novalis.moncelon
Autre biographie : wikipedia


Bibliographie (et source des citations) :
- Oeuvres complètes, deux tomes, trad. Armel Guerne, Ed. Gallimard, 1975.
Autres éditions voir sous : novalis.moncelon / wikipedia
Site dédié : novalis.moncelon


POLLENS (Extraits) 


16. La fantaisie imagine le monde futur en le situant, par rapport à nous, dans la hauteur, aux profondeurs, ou bien dans la métempsychose. Nous rêvons de voyages à travers l'univers - l'univers n'est-il donc pas en nous ? Nous ne connaissons point les profondeurs de notre esprit. Le chemin secret va vers l'intérieur : en nous, sinon nulle part, est l'éternité avec ses mondes, le passé et l'avenir. Le monde extérieur est un monde d'ombres : il jette son ombre sur le royaume de lumière. A présent, certes, tout paraît n'être, à l'intérieur de nous, qu'obscurité, chaos informe, solitude, mais quel changement du tout au tout, et comme nous verrons les choses autrement, une fois laissées ces ténèbres et rejeté ce corps d'ombre ! La jouissance sera pour nous telle que jamais, d'autant plus grande, en effet, que notre esprit aura plus souffert de privation. 

18. Comment un homme peut-il avoir le sens d'une chose s'il n'en porte point le germe en soi ? Ce que je vais comprendre doit se développer organiquement en moi, et ce que j'ai l'air d'apprendre est seulement une nourriture, un appétit de l'organisme, une incitation. 

* * *

ASTRALIS (Extrait de HENRI D'OFTERDINGEN)

(...) Et le monde nouveau subitement paraît,
Qui éclipse l'éclat du plus brillant soleil
A présent qu'on voit poindre hors des ruines moussues
Un avenir d'une splendeur prodigieuse,
Et que tout le banal avec l'habituel
Dorénavant se montre étrange et merveilleux.
   En toutes chose l'Un, et dans l'Un toutes choses,
   Voir l'image de Dieu sur une herbe, un caillou
   L'esprit de Dieu chez l'homme et dans les animaux,
   Là est ce qu'on se doit d'avoir au fond du cœur
   Rien n'est plus commandé par le temps ni l'espace,
   Le futur est ici présent dans le passé.
Le voici donc ouvert, le règne de l'Amour,
Et Fable qui commence d'en filer les jours.
Le jeu initial inaugure tout être,
Chacun songe et se tend aux puissances du verbe ;
Ainsi est-il que la grande âme universelle
Immensément partout vit et s'épanouit. (...)


* * *
HYMNE A LA NUIT (Hymne 4)

Par-delà je m'avance,
Et c'est chaque souffrance
Qui me sera un jour
Un aiguillon de volupté.
Quelques moments encore je serai délivré -
Ivre, je m'étendrai
Dans le sein de l'Amour.
D'une vie infinie
La vague forte monte en moi
Tandis que je demeure
Du regard attaché à toi
Là-bas dans tes profondeurs.

Car sur ce tertre, ici,
Tout ton lustre s’efface :
C’est une ombre qui ceint
D’une couronne de fraîcheur
Mon front.
Ma Bien-Aimée, que ton aspiration
Oh ! puissante m’attire
Que j’aille m’endormir
Et que je puisse aimer !
Cette jouvence de la Mort
Je la ressens déjà,
Tout mon sang se métamorphose
Baume et souffle éthéré.

Vivant au long des jours je vais
Plein de foi et d’ardeur ;
Avec les nuits je meurs
En un embrasement sacré.

* * *
FRAGMENTS (extraits)
Cahier d'étude philosophique (1795-96) :

16. Le point n'est pas pensable autrement que mobile.
32. Où il y a un être, il faut aussi qu'il y ait un connaitre.
54. Théorie du signe, de l'image. La philosophie doit seulement amender les fautes de notre éducation - autrement nous n'aurions pas besoin d'elle.
57. Quel que soit son point de départ et quelle que soit sa démarche, l'homme qui pense finit toujours par trouver la vérité.
59. L'inattendu, le soudain est-il un fait qui repose hors de nous, ou en nous ?
60. (...) Le système vraiment philosophique doit être libre et infini, ou pour mieux dire il doit être l'absence de système employée en système. (...)

Etudes philosophique (1797) :
109. C'est seulement par défaut de génie et d'esprit que les sciences sont séparées : trop compliquées et trop lointaines sont leurs rapports pour la sagacité et la stupidité. (...)
110. (...) N'aurait-on jusqu'ici jamais encore philosophé ? - mais seulement tenté de le faire ? l'histoire de la philosophie ne serait donc jusqu'à présent ni plus, ni moins qu'une histoire des essais et des recherches du philosophique. (...)
134. N'y aurait-il pas un ciel en philosophie, c'est-à-dire un infini de systèmes en puissance ? étant entendu et supposé constamment qu'il existe un corps central infini - qui n'est autre que le ciel même, en lequel tout notre être repose. (...)
138. Le véritable acte philosophique est le meurtre de soi, c'est là le commencement réel de toute philosophie, ce qui comble tous les besoins du disciple en philosophie, et seul cet acte est conforme à tout ce que requiert et à ce qui caractérise une action transcendantale.
140. Ce que j'ai pour Sophie, c'est de la religion, - pas de l'amour. L'amour absolu, indépendant du cœur, fondé sur la foi, est religion.
Note de travail 26 pour Henri d'Ofterdingen : 
Sophie est le Saint, l'Inconnu. 
Henri d'Ofterdingen, chap. 9 : 
Le Sphinx fit ses questions : (...)
- Quel est l'éternel mystère ?
- L'Amour
- Qui en a le dépôt ? 
- Sophie
143. Toute sensation absolue est religieuse.

Grand répertoire général (1798-99) :
373. La philosophie est un art d'auto-séparation et d'auto-réunion, un art d'auto-spécification et d'auto-génération. (...)
658. (...) Dans Spinoza également la divine étincelle de l'intelligence de la nature est déjà vivante. Plotin, inspiré peut-être par Platon, est entré d'abord dans le sanctuaire avec le véritable et pur esprit - et personne encore après lui ne s'y est avancé aussi profondément. (...)
662. La dialectique est une rhétorique de l'intellect : tout vise à l'émotion intellectuelle.

Fragments des dernières années (1799-1800) :
71. Il n'y a qu'un seul temple au monde, et c'est le corps humain. (...)
97. Les maladies sont à considérer comme des démences corporelles, et certes pour une bonne part comme des idées fixes.
122. Les couleurs sont de la lumière oxygénée.
133. Sur le mécanisme de la pensée : faire et considérer en même temps, en un acte indivisible.
134. Se réveiller, être éveillé, avoir conscience doublement ou triplement, voilà tout ce que c'est que philosopher.
135. La nature de devrait-elle pas, ne serait-elle pas intelligible en elle-même, sans qu'il soit besoin d'aucun commentaire : une simple description, un pur récit suffisant ?
136. Le langage est pour la philosophie ce qu'il est pour la peinture et la musique : inadéquat. Il n'est pas le juste et vrai moyen de représentation.
141. L'homme est un soleil, les sens sont ses planètes.
162. La nature possède un instinct artistique - c'est pourquoi il n'y a que du bavardage à vouloir distinguer entre la nature et l'art. (...)
171. Pour chaque forme, un son, pour chaque son, une forme.
180. Anéantir le principe de contradiction est peut-être la plus haute tâche de la logique supérieure.
296. Dans la vertu s'évanouit la personnalité locale et temporelle. L'homme de vertu n'est, comme tel, pas un individu historique : c'est Dieu soi-même.
304. Le sens de la poésie a beaucoup en commun avec le sens mystique. Le sens et le sentiment de ce qui est propre, personnel, inconnu, mystérieux, de ce qui doit être révélé, l'accidentel nécessaire. Il représente l'irreprésentable. Il voit l'invisible, sent l'imperceptible, etc. La critique de la poésie est un non-sens. (...)

Dernier recueil :
6. Nos sens sont des animaux supérieurs. Et un animalisme encore supérieur prend naissance d'eux.
7. Les nerfs sont les racines supérieures des sens.
9. Tout ce qui est sens intérieur est un sens pour les sens.
14. On est seul avec tout ce qu'on aime.


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