"Je vous enseigne le Surhumain. L'homme n'existe que pour être dépassé. Qu'avez-vous fait pour le dépasser ?" (Ainsi parlait Zarathoustra, Prologue, § 3).
La langue allemande comporte un premier terme "mensch" pour désigner l'homme en tant que genre humain et un second "mann", en tant qu'individu de sexe masculin. Nietzsche utilise Übermensch (et non Übermann), il est donc préférable de le traduire par Surhumain que par Surhomme, pour ne pas risquer la faute.
Le Surhumain n'est pas un homme augmenté de quelque façon que ce soit. Ce n'est pas un individu doté par la nature (un génie ou/et un héros), ou la technologie (robotique, dopage...), de capacités ou de pouvoirs supérieurs. Ce n'est pas plus un Super-héros américain que cela n'a été le représentant de la race aryenne. Et ce ne sera pas le résultat d'une évolution biologique.
Le Surhumain n'est pas non plus un homme ordinaire ni un homme diminué : ce n'est tout simplement pas un homme ! Pour la simple et bonne raison que pour le philosophe de Sils-Maria ou de Gênes, l'homme n'a pas plus d'existence que Dieu. "(...) tous ces hommes qui ne se connaissent pas eux-mêmes croient à cette abstraction exsangue, « l'homme », c'est-à-dire à une fiction." (Aurore, II, § 105). Autrement dit "l'homme est mort !" tout comme "Dieu est mort !" et les deux vont de pair. On ne peut pas entendre la mort de Dieu sans celle de l'homme. Le moi lui-même est une fiction grammaticale (Par delà le bien et le mal, I, §17 / La volonté de puissance, I,1,§ 147), une simple apparence (La volonté de puissance, II, 3, § 606).
Pour les citations voir les pages : Friedrich Nietzsche (concernant la mort de l'homme) et Dieu est mort !
En effet à quoi bon échanger une servitude, supposée ou réelle, (la croyance en Dieu) contre une autre (la croyance en l'homme, ou au moi), ce que propose Zarathoustra c'est de se libérer de toute forme d'idoles pour accepter la vie simplement et sans restriction.
Zarathoustra parle aussi du Surhumain comme d'un Créateur ou d'un Enfant - voir la fable ci-dessous du chameau, du lion et de l'enfant (Ainsi parlait Zarathoustra, Les trois métamorphoses).
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Je vais vous dire trois métamorphoses de l’esprit : comment l’esprit devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment enfin le lion devient enfant.
Il est maint fardeau pesant pour l’esprit, pour l’esprit patient et vigoureux en qui domine le respect : sa vigueur réclame le fardeau pesant, le plus pesant. Qu’y a-t-il de pesant ? ainsi interroge l’esprit robuste ; et il s'agenouille comme le chameau et veut un bon chargement. Qu’y a-t-il de plus pesant ! ainsi interroge l’esprit robuste, dites-le, ô héros, afin que je le charge sur moi et que ma force se réjouisse. N’est-ce pas cela : s’humilier pour faire souffrir son orgueil ? Faire luire sa folie pour tourner en dérision sa sagesse ? Ou bien est-ce cela : déserter une cause, au moment où elle célèbre sa victoire ? Monter sur de hautes montagnes pour tenter le tentateur ? Ou bien est-ce cela : se nourrir des glands et de l’herbe de la connaissance, et souffrir la faim dans son âme, pour l’amour de la vérité ? Ou bien est-ce cela : être malade et renvoyer les consolateurs, se lier d’amitié avec des sourds qui n’entendent jamais ce que tu veux ? Ou bien est-ce cela : descendre dans l’eau sale si c’est l’eau de la vérité et ne point repousser les grenouilles visqueuses et les purulents crapauds ? Ou bien est-ce cela : aimer qui nous méprise et tendre la main au fantôme lorsqu’il veut nous effrayer ? L’esprit robuste charge sur lui tous ces fardeaux pesants : tel le chameau qui sitôt chargé se hâte vers le désert, ainsi lui se hâte vers son désert.
Quel est le grand dragon que l’esprit ne veut plus appeler ni dieu ni maître ? « Tu dois », s’appelle le grand dragon. Mais l’esprit du lion dit : « Je veux. » « Tu dois » le guette au bord du chemin, étincelant d’or sous sa carapace aux mille écailles, et sur chaque écaille brille en lettres dorées : « Tu dois ! » Des valeurs de mille années brillent sur ces écailles et ainsi parle le plus puissant de tous les dragons : « Tout ce qui est valeur — brille sur moi. » Tout ce qui est valeur a déjà été créé, et c’est moi qui représente toutes les valeurs créées. En vérité il ne doit plus y avoir de « Je veux » ! Ainsi parle le dragon. Mes frères, pourquoi est-il besoin du lion de l’esprit ? La bête robuste qui s’abstient et qui est respectueuse ne suffit-elle pas ? Créer des valeurs nouvelles — le lion même ne le peut pas encore : mais se rendre libre pour la création nouvelle — c’est ce que peut la puissance du lion. Se faire libre, opposer une divine négation, même au devoir : telle, mes frères, est la tâche où il est besoin du lion. Conquérir le droit de créer des valeurs nouvelles — c’est la plus terrible conquête pour un esprit patient et respectueux. En vérité, c’est là un acte féroce, pour lui, et le fait d’une bête de proie. Il aimait jadis le « Tu dois » comme son bien le plus sacré : maintenant il lui faut trouver l’illusion et l’arbitraire, même dans ce bien le plus sacré, pour qu’il fasse, aux dépens de son amour, la conquête de la liberté : il faut un lion pour un pareil rapt.
Mais, dites-moi, mes frères, que peut faire l’enfant que le lion ne pouvait faire ? Pourquoi faut-il que le lion ravisseur devienne enfant ? L’enfant est innocence et oubli, un renouveau et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, une sainte affirmation. Oui, pour le jeu divin de la création, ô mes frères, il faut une sainte affirmation : l’esprit veut maintenant sa propre volonté, celui qui a perdu le monde veut gagner son propre monde. Je vous ai nommé trois métamorphoses de l’esprit : comment l’esprit devient chameau, comment l’esprit devient lion, et comment enfin le lion devient enfant.
Ainsi parlait Zarathoustra. Et en ce temps-là il séjournait dans la ville qu’on appelle : la Vache multicolore.Extrait de : Ainsi parlait Zarathoustra, Les trois métamorphoses, trad. Henri Albert, 1903.
Source : wikisource
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Pour finir quelques images du film de Stanley Kubrick, 2001 L'Odyssée de l'espace (1968), avec l'introduction musicale du poème symphonique de Richard Strauss intitulé "Ainsi parlait Zarathoustra" (1896).
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