jeudi 28 mars 2013

Manger et être mangé

MAJ de la page : Jean Tauler


Vitrail, Wissembourg, XIe


(...) Qu'est-ce donc que cette mastication ? Saint Bernard le dit : "Quand nous mangeons Dieu, c'est nous qui sommes mangés par Lui, Il nous mange."

4. Quand est-ce que Dieu nous mange ? Il le fait, quand il nous punit, en nous, nos fautes, quand il ouvre nos yeux intérieurs et nous fait reconnaître nos défauts, car Dieu nous mange, nous broie, nous mâche, quand la conscience nous châtie de même qu'on tourne et retourne la nourriture dans la bouche, de même l'homme, sous le châtiment de Dieu, est jeté, de-ci de-là, dans l'angoisse et la crainte, dans la tristesse et en grande amertume, et il ne sait ce qui va lui arriver.
Cher enfant, abandonne-toi dans cet état, laisse-toi bien manger et mâcher par Dieu, ne t'y dérobe pas, ne t'avise pas de te mâcher toi-même, de façon à chasser ainsi le châtiment en courant tout de suite chez un confesseur. Il te semble alors que tout soit fait en toi, pour te défendre contre le châtiment de  ta conscience. Non, confesse-toi d'abord à Dieu, ah ! ne viens pas commencer quelqu'un de tes pratiques ou de tes petites prières habituelles, mais du profond de ton coeur, dis avec un soupir intérieur : "Ah ! Seigneur, ayez pitié de moi, pauvre pêcheur", et demeure en toi. Tiens, cela t'est mille fois meilleur que des lectures ou des actes extraordinaires qui te feraient échapper au châtiment. Seulement prends bien garde qu'à ce moment l'ennemi n'intervienne par une tristesse désordonnée. Voilà une amère et mauvaise moutarde qu'il nous sert volontiers. La moutarde de Notre-Seigneur, au contraire, est douce et bonne. Après la punition, vient un doux apaisement du vouloir foncier, une aimable confiance, une bonne assurance, une sainte espérance.
C'est alors que Dieu t'avale. Quand la nourriture est bien mâchée elle entre tout doucement et descend ainsi dans l'estomac. De même aussi, si tu es bien broyé dans ta conscience, tout en conservant une amoureuse et divine espérance et si tu t'abandonnes à Notre Seigneur, tu descends alors doucement en lui. C'est ainsi que nous nous éprouvons bien nous-mêmes selon ces paroles de saint Paul : "Quand on veut prendre cette nourriture, il faut s'éprouver soi-même." La nourriture descend alors dans l’estomac qui la macère, la digère, et elle circule, par les artères, dans tous les membres. Ainsi donc quand nous nous sommes bien éprouvés en vue de prendre cette divine nourriture, et quand nous l'avons mangée respectueusement et dignement, Jésus nous mange, et nous sommes, par lui, avalés, macérés, digérés. Cela se réalise quand nous nous dépouillons de tout ce qui est notre et nous nous anéantissons complètement. Car plus la nourriture est digérée, plus elle perd sa nature, plus elle devient étrangère et dissemblable à elle-même.

5. Ainsi, cher enfant, tu reconnaîtras que Dieu t'a mangé et avalé, si tu te trouves en lui et lui en toi, si tu ne te trouves nulle part ailleurs, et que tu ne trouves rien autre chose en toi. Car il a dit : "Celui qui mange ma chair demeure en moi, et moi en lui." Si donc tu veux être macéré et digéré par Dieu, tu dois mourir à toi-même et te dépouiller du vieil homme. Car pour que la nourriture soit changée en la nature de l'homme, elle doit nécessairement perdre sa propre nature. Toute chose, pour devenir ce qu'elle n'est pas, doit cesser complètement d'être ce qu'elle est. Le bois doit-il devenir feu ? Il faut, auparavant, qu'il se dépouille de ce qui le fait bois. Veux-tu être transformé en Dieu ? Il faut te dépouiller de toi-même. Notre Seigneur dit : "Celui qui mange vit par moi". Cher enfant, pour en arriver là, rien n'est plus utile, pour toi, que de t'approcher de l'adorable Sacrement. Car il te dépouille complètement de toi-même, à tel point que le vieil homme disparaît complètement, intérieurement et extérieurement. De même que toute la nature convertit, digère et fait passer dans les veines la force de la nourriture, de sorte que celle-ci devient une même vie et un même être avec l'homme, ainsi la nourriture divine te dépouille complètement de toi-même. (...)



Extrait de : Premier sermon pour le Saint-Sacrement dans Jean Tauler, Sermons, Ed. Cerf, 1991. 
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