Août 1961 (Gstaad, Suisse)
Le 4.
Eveil très matinal, il faisait encore sombre mais bientôt ce serait l'aurore, une pâle lumière apparaissait au loin, à l'est. Le ciel était très clair et le profil des montagnes et des collines à peine visible. Tout était très tranquille.
Assis dans le lit, la pensée calme et lointaine, sans même un murmure de sentiment et, tout à coup, de ce vaste silence, survint ce qui étai devenu l'être solide, inépuisable. Solide, sans poids, sans dimension, il était là et plus rien d'autre n'existait. Il était là, seul. Les mots "solide, immuable, impérissable", ne transmettent aucunement cette qualité de stabilité intemporelle. Ces mots là, ni aucun autre, ne pourraient communiquer cette présence. Elle était elle-même, totalement, et rien d'autre, la somme de toute chose, l'essence.
Sa pureté s'est maintenue, laissant sans pensée, passif. Il est impossible d'être un avec elle, pas plus qu'avec une rivière au cours rapide. On ne peut être un avec ce qui est sans forme, sans dimension, sans qualité. Elle est, c'est tout.
Tout a mûri si profondément, est devenu si tendre, contenant étrangement tout ce qui vit, complètement sans défense, comme une feuille nouvelle.
Le 5.
Ce matin, par un réveil matinal, l'éclair d'une "vision", d'un regard qui semblait devoir durer éternellement. Il ne commencait nulle part et n'allait nulle part, mais il embrassait toute vue, toute choses. Il allait au-delà des rivières, des collines, des montagnes, au-delà de la terre, de l'horizon et des hommes. Regard d'une incroyable célérité, d'une lumière pénétrante. Le cerveau ne pouvait le suivre, ni l'esprit le contenir. Il était pure lumière, d'une rapidité qui ne connaissait pas de résistance.
Hier pendant la promenade, la beauté de la lumière était si intense sur l'herbe, dans les arbres, qu'elle nous laissa sans souffle, le corps fragilisé.
Ce matin, juste avant le petit déjeuner, telle un couteau lancé sur une terre molle, cette bénédiction, avec sa puissance, sa force. Venue comme l'éclair, elle est repartie aussi vite.
Le processus était assez intense hier après-midi, un peu moins fort ce matin. Fragilité du corps.
Feuilles de tremble
Le 6
Au réveil, malgré peu de sommeil, conscience de la prolongation nocturne du processus, et plus encore de l'épanouissement de cette bénédiction. Elle donnait l'impression d'agir sur l'être.
Cette puissance, cette force, sortait, se déversait au-dehors, comme un torrent surgissant des rochers, de la terre. Il y avait dans tout cela un étrange, un indicible bonheur, une extase sans lien avec la pensée et le sentiment.
Il y a ici un tremble, ses feuilles frémissent dans la brise, et sans cette danse, la vie n'est pas.
Extrait de : Carnets de J. Krisnamurti, Ed. du Rocher, 2010
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