Emmanuel Todd : "Le 11 janvier a été une imposture"
Par Aude Lancelin, le 29-04-2015
Quatre mois après les manifestations post-attentats, l’historien et démographe Emmanuel Todd publie un livre réquisitoire contre une France pétrie de bonne conscience, qui a fait sécession de son monde populaire. Entretien coup de poing.
Le 7 mai prochain, l’historien et démographe Emmanuel Todd publiera «Qui est Charlie ?» (Seuil), charge terrible contre la France de François Hollande. Un texte écrit dans la fièvre, au sujet duquel il a accordé à "L’Obs" un entretien exclusif. Son angle d’attaque, particulièrement original, consiste à observer l’origine régionale et socio-politique des manifestants du 11 janvier.
Sous les bons sentiments brandis, Todd fait parler les cartes et les statistiques pour comprendre la signification profonde de ce qui restera comme le plus important rassemblement de l’histoire moderne du pays. Et ce qu’il voit n’est pas destiné à plaire. Ce qu’il voit c’est un épisode de «fausse conscience» (Marx) d’une ampleur inouïe. Ce qu’il voit ce sont des millions de somnambules se précipiter derrière un Président escorté par tous les représentants de l’oligarchie mondiale, pour la défense du droit inconditionnel à piétiner Mahomet, «personnage central d’un groupe faible et discriminé». Ce qu’il voit c’est un mensonge d’unanimisme aussi, car ce jour-là, les milieux populaires n’étaient pas Charlie, les jeunes de banlieue, qu’ils fussent musulmans ou non, n’étaient pas Charlie, les ouvriers de province n’étaient pas Charlie.
Le grand entretien avec Emmanuel Todd est à retrouver en son intégralité dans "L'Obs" du 30 avril, ou dès aujourd'hui dans la zone abonnés.
En voici des extraits.
«Lorsqu’on se réunit à 4 millions pour dire que caricaturer la religion des autres est un droit absolu - et même un devoir ! -, et lorsque ces autres sont les gens les plus faibles de la société, on est parfaitement libre de penser qu’on est dans le bien, dans le droit, qu’on est un grand pays formidable. Mais ce n’est pas le cas. (…) Un simple coup d’œil à de tels niveaux de mobilisation évoque une pure et simple imposture.»
«Ce sont les régions les moins républicaines par le passé qui ont le plus manifesté pour la laïcité, avouez qu’il y a là quelque chose d’étrange.»
«La "néo-République" est cet objet sociopolitique étrange qui continue à agiter les hochets grandioses de la liberté, de l’égalité, de la fraternité qui ont rendu la France célèbre dans le monde, alors qu’en fait notre pays est devenu inégalitaire, ultraconservateur et fermé.»
«Il y a eu une subversion de ce qu’était la gauche française. Cette dernière, aujourd’hui dominée par le PS, est en vérité tout à fait autre chose que ce qu’elle prétend être. C’est une gauche qui n’adhère pas aux valeurs égalitaires. (…) L’agent le plus actif et le plus stable des politiques économiques qui nous ont mené au chômage de masse actuel, c’est tout de même le PS. Le franc fort, la marche forcée à l’euro, toute cette création idéologique extrêmement originale s’est faite sous Mitterrand, traînant Giscard derrière lui comme un bateleur.»
«Hollande aura eu un rôle historique : celui de révéler que la gauche pouvait se concilier avec les structures les plus inégalitaires, prouvant par là même que le système politique français est totalement détraqué.»
«Ce qui m’inquiète n’est pas tant la poignée de déséquilibrés mentaux qui se réclament de l’Islam pour commettre des crimes, que les raisons pour lesquelles, en janvier dernier, une société est devenue totalement hystérique jusqu’à aller convoquer des gamins de 8 ans dans des commissariats de police.»
«Je ne fais pas dans l’angélisme : l’antisémitisme des banlieues doit être accepté comme un fait nouveau et indiscutable. Ce que je ne peux pas accepter cependant, c’est l’idée qui est en train de s’installer selon laquelle l’islam, par nature, serait particulièrement dangereux pour les juifs. Il n’existe qu’un continent où les juifs aient été massacrés en masse : c’est l’Europe.»
«Qu’on les laisse tranquilles, les musulmans de France. Qu’on ne leur fasse pas le coup qu’on a fait aux juifs dans les années 30 en les mettant tous dans le même sac, quel que soit leur degré d’assimilation, quel que soit ce qu’ils étaient vraiment en tant qu’êtres humains. Qu’on arrête de forcer les musulmans à se penser musulmans.»
Source : L'Obs
Qui sommes-nous vraiment, nous qui avons affiché une telle détermination dans le refus de la violence aveugle et notre foi dans la République le 11 janvier dernier ?
La cartographie et la sociologie des trois à quatre millions de marcheurs parisiens et provinciaux réservent bien des surprises. Car si Charlie revendique des valeurs libérales et républicaines, les classes moyennes réelles qui marchèrent en ce jour d’indignation avaient aussi en tête un tout autre programme, bien éloigné de l’idéal proclamé. Leurs valeurs profondes évoquaient plutôt les moments tristes de notre histoire nationale : conservatisme, égoïsme, domination, inégalité.
La France doit-elle vraiment continuer de maltraiter sa jeunesse, rejeter à la périphérie de ses villes les enfants d’immigrés, reléguer au fond de ses départements ses classes populaires, diaboliser l’islam, nourrir un antisémitisme de plus en plus menaçant ?
Identifier les forces anthropologiques, religieuses, économiques et politiques qui nous ont menés au bord du gouffre, indiquer les voies difficiles, incertaines, mais possibles d’un retour à la véritable République, telle est l’ambition qui anime ce livre.
Emmanuel Todd, Qui est Charlie ? Sociologie d'une crise religieuse, Ed. du Seuil, 2015
Quatrième de couverture
Source : Seuil
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MAJ :
Emmanuel Todd à propos de son dernier livre (France Inter, 4 mai 2015)
Emmanuel Todd à propos de son dernier livre (BFMTV, le 8 mai 2015)
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