mardi 9 juin 2015

Informer n'est pas un délit



Informer n'est pas un délit (2015)


Ne laissons pas les entreprises dicter l’info - Stop à la Directive Secret des Affaires !
Par Elise LUCET

Bientôt, les journalistes et leurs sources pourraient être attaqués en justice par les entreprises s’ils révèlent ce que ces mêmes entreprises veulent garder secret. A moins que nous ne réagissions pour défendre le travail d’enquête des journalistes et, par ricochet, l’information éclairée du citoyen.

Sous couvert de lutte contre l’espionnage industriel, le législateur européen prépare une nouvelle arme de dissuasion massive contre le journalisme, le "secret des affaires", dont la définition autorise ni plus ni moins une censure inédite en Europe.

Avec la directive qui sera bientôt discutée au Parlement, toute entreprise pourra arbitrairement décider si une information ayant pour elle une valeur économique pourra ou non être divulguée. Autrement dit, avec la directive "Secret des Affaires", vous n’auriez jamais entendu parler du scandale financier de Luxleaks, des pesticides de Monsanto, du scandale du vaccin Gardasil... Et j’en passe.

Notre métier consistant à révéler des informations d’intérêt public, il nous sera désormais impossible de vous informer sur des pans entiers de la vie économique, sociale et politique de nos pays. Les reportages de "Cash Investigation", mais aussi d’autres émissions d’enquête, ne pourraient certainement plus être diffusés.

Avec ce texte, un juge saisi par l’entreprise sera appelé à devenir le rédacteur en chef de la Nation qui décide de l’intérêt ou non d’une information. Au prétexte de protéger les intérêts économiques des entreprises, c’est une véritable légitimation de l’opacité qui s’organise.

Si une source ou un journaliste "viole" ce "secret des affaires", des sommes colossales pourraient lui être réclamées, pouvant atteindre des millions voire des milliards d’euros, puisqu’il faudra que les "dommages-intérêts correspond(ent) au préjudice que celui-ci a réellement subi". On pourrait même assister à des peines de prison dans certains pays.

Face à une telle menace financière et judiciaire, qui acceptera de prendre de tels risques ? Quel employé - comme Antoine Deltour à  l’origine des révélations sur le  le scandale Luxleaks - osera dénoncer les malversations d’une entreprise ? Les sources seront les premières victimes d’un tel système, mais  pas un mot ne figure dans le texte pour assurer leur protection.

Les défenseurs du texte nous affirment vouloir défendre les intérêts économiques des entreprises européennes, principalement des "PME". Étonnamment, parmi  celles qui ont été en contact très tôt avec la Commission, on ne relève pas beaucoup de petites PME, mais plutôt des multinationales rôdées au lobbying : Air Liquide, Alstom, DuPont, General Electric, Intel, Michelin, Nestlé et Safran, entre autres.

Ces entreprises vont utiliser ce nouveau moyen offert sur un plateau pour faire pression et nous empêcher de sortir des affaires …

Vu l’actualité Luxleaks, nous ne tolérons pas que nos élus se prononcent sur un texte aussi grave pour la liberté d'expression sans la moindre concertation avec les représentants de la presse, les lanceurs d'alertes et les ONG.  Seuls les lobbies industriels ont été consultés.

Nous, journalistes, refusons de nous contenter de recopier des communiqués de presse pour que vous, citoyens, restiez informés. Et comme disait George Orwell : "Le journalisme consiste à publier ce que d’autres ne voudraient pas voir publié : tout le reste n’est que relations publiques".

C’est pourquoi je demande, avec l’ensemble des signataires ci-dessous, la suppression de cette directive liberticide.

Le 16 juin prochain, une commission de députés européens, la commission JURI, se réunira pour valider ou non ce texte. C'est le moment de nous mobiliser pour dire non à la censure en Europe.

Signez la pétition et partagez la vidéo.
Source : Change 

* * *

Bruxelles et le secret des affaires
Par Fanny Lépine, le 29 janvier 2015 - Arte

Alors que les journalistes français se sont presqu’unanimement insurgés contre l’amendement de la loi Macron relatif au secret des affaires, un texte similaire est actuellement en discussion à Bruxelles. C’est une directive européenne qui vise, comme en France, à faire entrer dans le champ législatif la notion de "secret d’affaire".
Pour ses défenseurs, ce projet de loi vise à protéger les entreprises européennes pour les rendre plus compétitives. Mais pour ses détracteurs, elle est dangereuse car le secret d’affaire englobe trop d’éléments, ce qui, à terme, risque de porter atteinte à plusieurs droits fondamentaux - comme le droit des consommateurs, le droit social ou le droit d’informer. 
Cette directive est en débat dans trois commissions différentes. L’eurodéputé EELV  Pascal Durand siège dans deux d'entre elles, celle relative au marché intérieur et à la protection des consommateurs et celle sur les affaires juridiques. A ce titre, il s’est clairement positionné contre ce texte.

ARTE Info : En quoi ce texte vous paraît-il dangereux ?

Pascal Durand : Le principe n’est pas dangereux en soit. Quand on a un procédé ou une expertise particulière, on doit pouvoir les protéger, il n’y a pas de souci. Par exemple : l’artisan-boulanger qui a une technicité particulière pour faire son pain et qui n’a pas envie qu’elle soit piquée par des concurrents, ça ne peut pas se breveter et normalement, les législations essaient de protéger cet aspect-là. Si on avait un texte dans lequel on dit très précisément que les procédés de fabrication doivent être protégés, il n’y aurait pas de souci, mais ce n’est pas ça qui est écrit.
Ce qui est extrêmement  dangereux, c’est que le texte dit : tout ce qui est non public, tout ce qui pourrait être considéré comme un secret d’affaire, peut être protégé. Aussi bien le process de fabrication, que la recherche, que les éléments commerciaux et financiers. On n’a donc pas le droit de les divulguer. Là, on commence à toucher des éléments extrêmement graves. Le droit social est en cause, mais aussi la manière dont on produit, les éléments qui sont à l’intérieur de l’élément de fabrication.
Par exemple, sur la facturation hydraulique, quel produit chimique met-on dans l’eau pour pouvoir percer la roche. Les produits chimiques qu’on met dans l’eau deviennent des éléments protégés. On commence ainsi à toucher des éléments dangereux pour ce qui est des normes européennes, sur la protection des consommateurs, mais pas seulement. Sont aussi concernés la protection des lanceurs d’alerte, du droit social, de la mobilité des salariés, les clauses de non-concurrence, etc. Tout cela sera complètement balayé.

Vous demandez donc que le droit au secret d’affaire soit plus restrictif ?

Déjà, je demande à ce qu’on protège un intérêt légitime, c’est-à-dire qu’il soit clairement indiqué qu’on ne peut protéger que ce qui est légitime. Tout ce qui serait dénoncé comme ayant un caractère illégitime ne pourrait pas tomber sous le coup de la directive. La deuxième chose, c’est que j’aimerais qu’on limite le champ d’application de cette directive. Là, il est bien trop général, il concerne tout. Il faudrait la limiter, si possible à tout ce qui est processus de recherche, de fabrication, de créativité intellectuelle, pas tous les éléments financiers ou économiques qui relèvent normalement de l’information parfaitement normale des salariés, des journalistes et des lanceurs d’alerte.
Et enfin, il faut absolument que dans le cadre des dérogations au principe du secret d’affaire, on réaffirme clairement que ça ne peut en aucun cas être attentatoire aux règles de droit social applicables dans les pays. Le droit social, qui est un droit majeur, doit primer. Pareil sur le droit des consommateurs ou le droit à l’information. Bien sûr, cette directive ne protège pas les PME, elle protège avant tout les grands groupes et les grandes entreprises.

Tout le monde est donc concerné ?

Absolument. Et je suis très inquiet, parce qu’en ce moment, il y a une accélération autour de cette directive, au moment où on négocie le traité transatlantique. Cette directive sur le secret des affaires, elle est imposée dans les négociations du traité transatlantique. Cette notion existe aux Etats-Unis, alors que là-bas, ils ne connaissent pas le principe de précaution, ils ne connaissent pas le principe d’interdire dans le cas où ça pourrait être dangereux. Tout ce qui n’est pas interdit est légal. Il appartient aux journalistes ou aux lanceurs d’alerte de démontrer que tel ou tel produit serait mortel. Ce qui est impossible à faire - on le voit bien avec l’industrie du tabac.
On est donc en train d’aligner la jurisprudence européenne sur la jurisprudence américaine, sans mettre les gardes-fous que connaissent les Etats-Unis, car eux sont très stricts dans la définition du secret d’affaire. L’Europe s’est construite sur le respect des normes, sur la protection des consommateurs, sur le droit à la santé, sur un certain nombre de sujets où on voit bien qu’on est bien plus avancé que les Etats-Unis. Et avec cette directive, on va se retrouver dans une situation où les grandes entreprises nous opposeront systématiquement le secret d’affaire. Ce sera donc aux personnes qui apporteront des informations d’apporter la preuve que ce n’est pas protégé. C’est un véritable renversement de la charge de la preuve. C’est un bouleversement de notre logique juridique.
Source : Arte


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