dimanche 14 juin 2015

L'Occident terroriste

MAJ de la page : Noam Chomsky / Noam Chomsky (tag)

Avec une nouvelle trad. française :
Noam Chomsky, André Vltchek, l'Occident terroriste, D’Hiroshima à la guerre des drones, Ed. Ecosociété, 2015 (publication anglaise 2013).
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Noam Chomsky raconte «l’Occident terroriste»
Le 13 juin 2015 - Le Temps

«George Orwell disait des humains vivant hors d’Europe, de l’Amérique du Nord et de quelques pays privilégiés d’Asie qu’ils étaient des non-personnes », écrit André Vltchek dans l’avant-propos. Tel est le fil conducteur de ce livre, où l’on évoque des millions de morts par lesquels la conscience occidentale n’a pas été marquée: «non-personnes» des colonies, puis du tiers-monde, victimes de la poursuite occidentale du pouvoir, des ressources et du profit, tuées et rendues insignifiantes.

Après quinze ans d’échanges épistolaires sur ce sujet, deux hommes décident de se rencontrer pour dialoguer, pendant deux jours, en enregistrant leur conversation en vue d’un film (actuellement en production) et d’un livre, publié en anglais en 2013 et aujourd’hui en français. L’un des deux est Noam Chomsky, figure majeure de la linguistique et intellectuel militant, attelé au dévoilement du système de propagande qui forge l’opinion dans les pays démocratiques et à la déconstruction de l’impérialisme américain. Son interlocuteur, André Vltchek, est Soviétique de naissance, New-Yorkais d’adoption, philosophe, romancier, cinéaste, reporter, poète, dramaturge et photographe, selon l’ordre qu’il retient lui-même pour énumérer ses activités.

«Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le colonialisme et le néocolonialisme occidentaux ont causé la mort de 50 à 55 millions de personnes», attaque Vltchek. A celles-ci, «mortes en conséquence directe de guerres déclenchées par l’Occident, de coups d’Etat militaires pro-occidentaux et d’autres conflits du même acabit», s’ajoutent «des centaines de millions de victimes indirectes qui ont péri de la misère, en silence».

Colonialisme, d’abord : histoires oubliées. «Les premiers camps de concentration n’ont pas été construits par l’Allemagne nazie, mais par l’Empire britannique, en Afrique du Sud»: c’était pendant la seconde guerre des Boers, à l’aube du XXe siècle. Quant à l’Allemagne, avant l’extermination des Juifs (et des Roms), elle avait été «impliquée dans de terribles massacres en Amérique du Sud et, en fait, un peu partout dans le monde» – mais qui connaît la décimation, par ses soins, des Héréros de Namibie, des Mapuches de Valdivia, d’Osorno et de Llanquihue (Chili), des natifs des Samoa allemandes? «A propos des connaissances des Européens sur le colonialisme, je répondrais qu’ils n’en savent presque rien.»

Néocolonialisme, ensuite. «Des atrocités parmi les plus abominables ont été commises ces dernières années dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). De trois à cinq millions de personnes y auraient perdu la vie. Qui doit-on montrer du doigt? Les milices. Mais derrière les milices se trouvent les multinationales et les gouvernements», affirme Chomsky. L’enjeu? «Avoir accès au coltan (utilisé par les Occidentaux dans leurs téléphones portables) et à d’autres minéraux précieux.»

Impérialisme, enfin. De l’histoire du Cambodge, on connaît essentiellement les atrocités commises entre 1975 et 1979 par le régime communiste des Khmers rouges. «En ce qui concerne les quelques années qui l’ont précédé, on nage dans l’ignorance.» Mais au début des années 1970, avant le règne de Pol Pot, la terreur venait du bombardement des zones rurales ordonné par le secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger: un «véritable appel au génocide». Comme au Laos, où «des millions de personnes ont ainsi été impitoyablement assassinées», l’objectif de l’opération était de «dissuader ces pays de se joindre au Vietnam dans sa lutte de libération». Massacre préventif, donc. Guerre secrète, en principe. «Eh bien, il a fallu une seule phrase du New York Times relatant la nouvelle pour que la campagne prenne fin.»

On s’étonnera peut-être, plus loin, dans le chapitre consacré au «bloc soviétique», de l’indulgence relative avec laquelle Vltchek considère les anciens pays de l’Est de l’après-Staline. L’existence d’un double standard de jugement en la matière semble pourtant peu contestable. La répression du Printemps de Prague par Moscou, en 1968, a marqué durablement les esprits de l’Occident comme une tragédie terrible: elle a fait 70 à 90 morts. Trois ans plus tôt, le «coup d’Etat commandé par Washington» contre l’Indonésie de Soekarno, pays coupable d’avoir attrapé «le virus du développement autonome», a été suivi de massacres faisant, selon les estimations, entre un demi-million et trois millions de victimes. On s’en souvient moins.

Et ce n’est pas tout. «L’URSS subventionnait ses satellites européens à un point tel que ceux-ci ont fini par devenir plus riches que leur puissance tutélaire. Dans l’histoire, le bloc soviétique représente le seul cas d’un empire dont la métropole était plus pauvre que ses colonies», ajoute Chomsky. Les Soviétiques «n’ont pas siphonné toutes les ressources du pays comme le font les Etats-Unis ailleurs».

L’étonnement continue lorsque les deux hommes parlent de la Chine: «La télévision et les journaux chinois sont beaucoup plus critiques du système économique et politique de leur pays que nos chaînes le sont du nôtre», relève Vltchek. «Pour avoir vécu sur tous les continents, je peux affirmer que les «Occidentaux» forment le groupe le plus endoctriné, le moins bien informé et le moins critique de la Terre, à quelques exceptions près, bien sûr, comme l’Arabie saoudite» – financière de l’islamisme radical et alliée de l’Occident.

Chomsky et Vltchek s’accordent sur le principal pôle d’espoir: «Presque toute l’Amérique est désormais libre. Même certains pays d’Amérique centrale sont enfin en train de conquérir leur indépendance», par rapport à la domination états-unienne. Les deux hommes divergent çà et là (c’est d’une conversation qu’il s’agit, avec ses flottements et ses quelques approximations), notamment sur l’avenir: le premier est plus optimiste que le second quant à la possibilité de «mettre fin au règne de la terreur» instauré par l’Occident pour faire régner, au mépris des vies humaines, le «fondamentalisme du marché».
Source : Le Temps


Extraits (Sur le wahhabisme) :

Noam Chomsky 
Les Saoudiens financent généreusement les variantes les plus extrémistes de l’islamisme radical – le wahhabisme –, des madrasas du Pakistan aux groupes salafistes d’Égypte. Les États-Unis n’y voient aucun problème et ne font rien pour les en empêcher.
La thèse voulant que les États-Unis s’opposent à l’islamisme radical est ridicule. L’État islamiste le plus fondamentaliste du monde est l’Arabie saoudite, un favori de Washington. Le Royaume-Uni a lui aussi soutenu l’islamisme de manière assidue. Cet appui découle de la nécessité de combattre le nationalisme séculier. La relation de proximité qui existe aujourd’hui entre les États-Unis et Israël s’est établie en 1967, quand l’État hébreu a généreusement écrasé le nationalisme séculier tout en défendant l’islam radical.
Il y a quelques années, l’historien de la diplomatie britannique Mark Curtis a publié un très bon livre intitulé Secret Affairs : British Collusion with Radical Islam, où il épluche les archives britanniques sur l’islamisme. On y apprend que le Royaume-Uni a systématiquement appuyé des éléments islamistes radicaux, selon des méthodes très similaires à celles employées par les États-Unis. Les Britanniques n’aimaient sans doute pas beaucoup ces militants, mais ils les préféraient nettement aux nationalistes séculiers, qui menaçaient de s’approprier les ressources en vue de les mettre au service du développement de leur propre pays. C’était là un péché mortel, alors on n’avait d’autre choix que d’appuyer les islamistes radicaux. (...)


André Vltchek
Presque tous les mouvements radicaux du monde musulman contemporain sont liés au wahhabisme, ce courant islamiste ultraconservateur et sectaire qui domine la vie politique de l’Arabie saoudite, du Qatar et d’autres fidèles alliés de l’Occident dans la région du golfe Persique. « L’histoire montre clairement que, sans le soutien des Britanniques, ni le wahhabisme ni la dynastie Al-Saoud n’existeraient aujourd’hui », écrit le politologue Abdullah Mohammad Sindi. « L’essor du wahhabisme, un mouvement islamiste fondamentaliste, est attribuable aux Britanniques. En  protégeant la dynastie saoudienne, les États-Unis soutiennent aussi directement et indirectement le wahhabisme, peu importe les conséquences des attentats du 11 septembre 2001. Le wahhabisme est un courant violent, ultraconservateur, rigide, extrémiste, sexiste et intolérant […]. »
L’Occident a solidement appuyé les wahhabites dans les années 1980. Il les a utilisés, financés et armés après que l’URSS eut été poussée à intervenir en Afghanistan, où elle allait prendre part à une guerre sans merci qui dura de 1979 à 1989. Ce conflit a mené à  l’effondrement de l’Union soviétique, épuisée tant économiquement que moralement. Les moudjahidines, qui combattaient à la fois les Soviétiques et le gouvernement de gauche établi à Kaboul, étaient soutenus et financés par les États-Unis et leurs alliés. Ils affluaient des quatre coins du monde musulman dans le but de livrer une « guerre sainte » aux infidèles communistes. Selon les archives du département d’État des États-Unis, «ces contingents de soi-disant “Arabes afghans” et d’autres combattants étrangers souhaitaient mener le djihad contre les communistes athées. Parmi eux s’est fait remarquer un jeune Saoudien nommé Oussama Ben Laden, dont le groupement arabe deviendrait plus tard le réseau Al- Qaïda.» 
Al-Qaïda fait partie des groupes islamistes radicaux créés et introduits par l’Occident dans divers pays musulmans, auxquels s’est ajoutée, plus récemment, l’organisation État islamique (EI, aussi connue sous le nom d’État islamique en Irak et au Levant, ou Daesh, acronyme arabe utilisé surtout par ses opposants). EI est un groupe armé  extrémiste né dans les « camps de réfugiés » des frontières turco-syrienne et jordano-syrienne. Il a reçu un financement de l’OTAN et de l’Occident pour lutter contre le gouvernement (séculier) de Bachar el-Assad. Ces éléments radicaux remplissent plusieurs fonctions. L’Occident les utilise comme intermédiaires dans les guerres qu’il mène contre ses ennemis, c’est-à-dire contre les pays qui s’entêtent à nuire à l’entière domination du monde par l’empire. Puis, quand ces armées extrémistes en viennent à « faire à leur tête » (ce qui finit toujours par se produire), on en fait des épouvantails destinés à justifier la « guerre contre le terrorisme » ou, comme on l’a vu après la prise de Mossoul par EI, une nouvelle intervention des forces occidentales en Irak.
Les groupes islamistes radicaux font constamment la manchette des quotidiens, des magazines et des journaux télévisés, rappelant au public « à quel point notre monde est dangereux » ou « combien est nécessaire l’engagement militaire de l’Occident ». Et, par conséquent, combien sont indispensables les mesures de surveillance et de sécurité ainsi que les fonds colossaux attribués à la « défense » et à la guerre contre d’innombrables États voyous.

Voir aussi la page : Le wahhabisme est-il musulman ?

* * *

Noam Chomsky lit le New York Times – et explique pourquoi le “Journal de référence” est pure propagande 

Depuis le Laos jusqu’au Moyen-Orient, un tour d’horizon des articles du Times qui ont attiré l’attention d’intellectuels estimés.
Par Noam Chomsky / Alternet, le 20 mai 2015

Un article de Une est consacré à une histoire non étayée de viol sur un campus par le magazine Rolling Stone, dénoncée par le journal majeur de critique des médias. Le déraillement vis-à-vis de l’intégrité journalistique est jugé si fort que le sujet est aussi repris dans l’article à la une de la rubrique économique, une page intérieure entière étant dédiée à la suite des deux articles. Ces comptes rendus indignés parlent des crimes passés de la presse : quelques cas de fabrication d’information, révélés sans s’y arrêter, et des cas de plagiat (“trop nombreux pour être énumérés”). Le crime spécifique du Rolling Stone est son “manque de scepticisme”, et qui est “à bien des égards le plus insidieux” des trois catégories précitées.

Voir Times si engagé dans la défense de l’intégrité journalistique a quelque chose de réjouissant.

En page 7 de la même édition, on trouve un article important de Thomas Fuller intitulé “La mission d’une femme pour libérer le Laos de ses munitions non-explosées”. Il rend compte de “l’effort opiniâtre” de Channapha Khamvongsa, une Lao-Américaine, “pour débarrasser sa terre natale des millions de bombes qui y sont toujours enterrées, héritage de neuf ans d’une campagne américaine menée par air qui a fait du Laos le pays le plus lourdement bombardé du monde” – il allait bientôt être détrôné par le Cambodge rural, à la suite des ordres de Henry Kissinger donnés aux forces aériennes américaines : “Une campagne de bombardement massive sur le Cambodge. Tout ce qui vole sur tout ce qui bouge.” Un semblable appel à un quasi-génocide serait très difficile à trouver dans les archives. Il a été évoqué par le Times dans un article sur des cassettes du président Nixon rendues publiques, et a provoqué peu de réactions.

L’article de Fuller sur le Laos rapporte que le lobbying de Mme Khamvongsa s’est traduit par une augmentation généreuse du budget américain annuel pour la neutralisation des bombes non explosées de 12 millions de dollars. Les plus mortelles sont les bombes à sous-munitions, qui sont conçues pour “causer le plus grand nombre possible de blessés parmi les troupes” en répandant des “centaines de sous-munitions sur le sol.” Environ 30% d’entre-elles y restent non explosées et provoquent la mort ou la mutilation des enfants qui ramassent les pièces, des fermiers qui les heurtent dans leur travail, ou bien d’autres malchanceux. Une carte annexe représente la province de Xieng Khouang située au nord du Laos, plus connue sous le nom de Plaine des Jarres, la principale cible des bombardements intensifs qui ont connu leur pic de frénésie en 1969.

Fuller raconte que Mme Khamvongsa “a été poussée à l’action après avoir découvert une collection de dessins des bombardements réalisés par des réfugiés et réunis par Fred Branfman, un activiste anti-guerre qui a œuvré à révéler la Guerre Secrète.” Les dessins sont publiés dans le remarquable livre du regretté Fred Branfman, Voices from the Plain of Jars [NdT : Les Voix de la Plaine des Jarres], publié en 1972 et réédité par les presses universitaires du Wisconsin avec une nouvelle introduction. Les dessins dévoilent de manière saisissante les souffrances des victimes, pauvres paysans d’une zone reculée qui n’avaient pratiquement rien à voir avec la guerre du Vietnam, ce qui a d’ailleurs été reconnu officiellement. Un rapport typique effectué par une infirmière de 26 ans saisit la nature de la guerre aérienne : “Il n’y avait pas une nuit où nous pensions que nous allions vivre jusqu’au matin, pas un matin où nous pensions que nous allions survivre jusqu’à la nuit. Est-ce que nos enfants pleuraient ? Oh oui, et nous pleurions aussi. Je me contentais de rester dans ma grotte. Je n’ai pas vu la lumière du soleil pendant deux ans. A quoi pensais-je ? Oh, je répétais dans ma tête ‘s’il-vous-plaît, que les avions ne viennent pas, s’il-vous-plaît que les avions ne viennent pas, s’il-vous-plaît que les avions ne viennent pas.’”

Les vaillants efforts de Branfman ont véritablement permis de faire naître une certaine prise de conscience de cette atrocité hideuse. Ses recherches constantes ont aussi mis au jour les raisons de la destruction sauvage d’une société paysanne sans défense. Il en dévoile à nouveau les raisons dans l’introduction de la nouvelle édition de Voices. En ces termes :

“Une des révélations les plus terribles à propos du bombardement a été de découvrir pourquoi il s’était si énormément intensifié en 1969, comme l’ont décrit les réfugiés. J’ai appris que le président Lyndon Johnson, après avoir décrété un arrêt des bombardements sur le Vietnam du nord en novembre 1968, avait simplement dérouté les avions vers le nord du Laos. Il n’y avait pas de raison militaire à ceci, c’était simplement parce que, comme l’a attesté le chef de mission adjoint Monteagle Stearns devant la commission du Sénat aux affaires étrangères en octobre 1968 : “Bien, nous avions tous ces avions qui restaient là à ne rien faire, et nous ne pouvions les laisser là à ne rien faire”.

Donc, les avions inutilisés étaient lancés sur de pauvres paysans, dévastant la pacifique Plaine des Jarres, loin des ravages des guerres d’agression meurtrières de Washington en Indochine.

Maintenant regardons comment ces révélations ont été transformées dans le New York Times Newspeak : “Les cibles étaient les troupes du Vietnam du Nord – spécialement le long de la piste Ho Chi Minh, dont une grande partie traverse le Laos – aussi bien que les communistes laotiens alliés du Nord-Vietnam.”

Comparez les paroles du chef de mission adjoint américain avec les descriptions et témoignages poignants des écrits de Fred Branfman.

Véritablement, le journaliste a une source : la propagande américaine. Cela suffit sûrement à submerger les simples faits d’un des plus grands crimes de l’après seconde guerre mondiale comme le détaille sa source même : les révélations cruciales de Fred Branfman.

Nous pouvons être certains que ce colossal mensonge au service de l’état ne méritera pas d’être longuement dévoilé et dénoncé comme méfait honteux de la Presse Libre, comme le sont le plagiat et le manque de scepticisme.

Le même numéro du New York Times nous inflige un rapport par l’inimitable Thomas Friedman, relayant avec le plus grand sérieux les mots du président Obama présentant ce que Friedman nomme “la Doctrine Obama” – chaque président doit avoir une doctrine. La Doctrine profonde est “‘engagement’, combiné avec la préservation des besoins stratégiques principaux.”

Le président a illustré cela avec un cas crucial : “Vous prenez un pays comme Cuba. Tester la possibilité que l’engagement mène à un meilleur résultat pour le peuple cubain ne représente pas beaucoup de risques pour nous. C’est un petit pays minuscule. Ce n’est pas un pays qui menace nos objectifs de sécurité principaux et ainsi [il n'y a aucune raison de ne pas] essayer cette idée. Et s’il s’avère que cela ne mène pas à de meilleurs résultats, nous pouvons ajuster notre politique.”

Et là, le lauréat du Prix Nobel de la paix s’étend sur ses raisons d’entreprendre ce que le journal intellectuel américain majeur de la gauche-libérale, le New York Review, salue comme une étape “courageuse” et “vraiment historique”, le rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba. C’est un mouvement entrepris pour “donner plus de pouvoir au peuple cubain,” a déclaré le héros, nos efforts précédents pour leur apporter la liberté et la démocratie ayant échoué à réaliser nos nobles objectifs. Les efforts précédents comportaient un embargo écrasant condamné par le monde entier (excepté Israël) et une guerre terroriste brutale. La suite est comme d’habitude balayée de l’histoire, hormis des tentatives d’assassinat contre Castro, un détail très mineur acceptable car on peut les disqualifier avec mépris comme étant des magouilles ridicules de la CIA. Quand on se tourne vers les archives internes déclassifiées, on apprend que ces crimes ont été entrepris à cause du “succès de la remise en cause” par Cuba de la politique américaine qui remonte à la doctrine Monroe, qui déclarait l’intention de Washington de gouverner cet hémisphère. Mais ils sont tous inavouables et bien trop nombreux pour les narrer ici.

En recherchant plus loin nous trouvons d’autres merveilles, par exemple, l’article de réflexion en première page sur l’accord avec l’Iran par Peter Baker quelques jours plus tôt, mettant en garde contre les crimes iraniens régulièrement listés par le système de propagande de Washington. Tous s’avèrent très révélateurs à l’analyse, quoique aucun ne soit pire que le dernier des crimes iraniens : “la déstabilisation” de la région par le soutien aux “milices chi’ites qui ont tué des soldats américains en Irak.” Voici de nouveau l’image standard. Quand les EU envahissent l’Irak, le détruisant pratiquement et créant des conflits sectaires qui déchirent le pays et désormais la région entière, cela entre dans le cadre d’une “stabilisation” dans la rhétorique officielle et par conséquent médiatique. Quand l’Iran soutient des milices  résistant à l’agression, c’est de la “déstabilisation”. Et il pourrait difficilement y avoir un crime plus odieux que de tuer des soldats américains qui attaquent votre maison.

Tout cela, et bien plus, beaucoup plus, est parfaitement clair si nous montrons une obéissance absolue et acceptons sans critique la doctrine approuvée : les EU sont les propriétaires du monde et c’est leur droit, pour des raisons expliquées de manière lucide dans le New York Review, dans un article de mars 2015 écrit par Jessica Matthews, l’ancien président de la Carnegie Endowment for International Peace [NdT : Fondation Carnegie pour la paix internationale] : “Les contributions américaines à la sécurité internationale, à la croissance économique mondiale, à la liberté et au bien-être de l’humanité ont été si évidemment uniques et ont été si clairement dirigées au profit d’autres que les Américains ont longtemps cru que les EU représentaient une sorte de pays tout à fait différent. Là où d’autres servent leurs intérêts nationaux, les EU essayent de promouvoir des principes universels.” Fin de la plaidoirie.

Noam Chomsky est professeur de linguistique et de philosophie au MIT (Massachusetts Institute of Technology).

Source : AlterNet / Les Crises (trad).

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