dimanche 26 juillet 2015

La gauche radicale et ses tabous

MAJ de la page : La gauche et l'euro



Aurélien Bernier, La Gauche radicale et ses tabous, Ed. du Seuil, 2014
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Faire ouvertement front au projet européen
Par Aurélien Bernier, le 24 juillet 2015

La séquence de « négociations » entre la Grèce et l'Union européenne s'est achevée de la pire façon qui soit : par la signature, le 13 juillet, d'un accord renforçant l'austérité et détruisant encore un peu plus la souveraineté du peuple. Un accord accepté par le gouvernement de gauche radicale, élu justement pour en finir avec l'austérité et l'humiliation vécue par les Grecs depuis de longues années.

En rendant les armes, la majorité de Syriza emmenée par le premier ministre Alexis Tsipras n'a pas totalement trahi son programme électoral. Ce dernier, en effet, n'a jamais évoqué le fait de rompre avec l'Union européenne ou de sortir de la zone euro. Par contre, le référendum du 5 juillet, qui a vu le peuple dire massivement Non à un premier projet d'accord, interdisait absolument à Alexis Tsipras de signer un plan aussi proche du projet rejeté dans les urnes et aussi défavorable à la Grèce.

Le premier ministre a cru que la large victoire du Non le 5 juillet suffirait à assouplir la position des créanciers. Ce fut exactement le contraire. Mais cette erreur d'appréciation n'est rien à côté de la faute politique commise par la suite. Un référendum n'est pas un simple sondage d'opinion. Il engageait Alexis Tsipras à obtenir de meilleures conditions ou à refuser de signer. Quitte à démissionner en cas de blocage complet des négociations, lui qui avait mis cette démission sur la table huit jours plus tôt, à l'occasion du scrutin.

En acceptant l'ultimatum des créanciers, Syriza envoie un message terrible, à savoir que la rupture avec l'Union européenne serait encore pire que l'extrême austérité et la mise sous tutelle politique qui figurent dans l'accord. C'est une victoire de Margaret Thatcher à titre posthume : il n'y aurait aucune alternative à l'eurolibéralisme. C'est évidemment faux. Certes, il fallait envisager d'autres alliances (avec la Russie, la Chine...) qui n'auraient pas été sans contreparties, il fallait s'attendre à des représailles de la part des dirigeants européens et il fallait surtout avoir le courage de nationaliser largement, de dévaluer, de relancer la production et la consommation nationales. Mais on imagine difficilement que ce « plan B » puisse donner de pires résultats que le « plan A » qu'Alexis Tsipras a signé.

Peut-être la majorité de Syriza mise-t-elle sur un coup de billard à trois bandes pour se soustraire, à posteriori, à certaines clauses de l'accord. En attendant, ceux qui ont voté Non le 5 juillet ont bel et bien été trahis. Et les conséquences de cette faute sont prévisibles : le parti d'extrême droite Aube dorée s'est déjà positionné comme dernier rempart face à l'Union européenne ; il risque fort de progresser de façon spectaculaire lors des prochains scrutins.

Les répercussions seront également sévères dans le reste de l'Europe. Pour Podemos en Espagne tout d'abord, qui a cru bon de soutenir la majorité de Syriza après l'accord du 13 juillet. Dans ces conditions, où la coalition de gauche annonce à l'avance qu'elle aussi préférera se coucher plutôt que de rompre avec Bruxelles, on voit mal pourquoi les Espagnols la porteraient au pouvoir. Le renoncement de Syriza se paiera cher aussi en France. On imagine déjà Marine Le Pen renvoyer cet échec de la gauche radicale grecque à la figure de Jean-Luc Mélenchon ou de Pierre Laurent, qui auront bien du mal à trouver des arguments convaincants pour se défendre.

Les difficultés actuelles et celles qui s'annoncent sont très largement dues à la myopie de la gauche radicale sur la véritable nature de l'Union européenne. Pendant dix ans, entre le Non français du 29 mai 2005 et aujourd'hui, elle n'a cessé de prétendre, en dépit du bon sens, que les institutions communautaires étaient réformables. L'Union européenne pouvait bien imposer le traité de Lisbonne, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), martyriser et humilier les pays du Sud, négocier avec les États-Unis le Grand marché transatlantique... les Syriza, les Front de gauche et les Podemos n'en démordaient pas : la négociation avec Bruxelles, Francfort et Berlin permettrait de « changer l'Europe ». Et de faire de l'euro un outil au service des peuples... Le plus tragique est de ne pas avoir perçu que ce discours, même s'il est plus virulent dans sa forme, n'est qu'une réplique de la propagande sociale-démocrate : demain, l'Europe sociale ! Les promesses trahies de François Mitterrand, de Lionel Jospin puis de François Hollande suffisaient à disqualifier totalement cette stratégie. Mais la gauche radicale s'entêtait. Jusqu'à la séquence grecque de 2015 qui fait définitivement voler en éclat l'illusion de la « réforme de l'intérieur ».

Il est bien temps aujourd'hui d'entrouvrir ces débats, tout en les canalisant pour qu'ils ne nous emmènent pas trop loin. Clémentine Autain (Ensemble) estime que l'on peut à présent douter du fait que l'union monétaire soit le paradis sur Terre et que, par conséquent, on est en droit de remettre en cause son existence. Tout en précisant aussitôt que refuser l'euro ne veut pas dire refuser l'Union européenne. En Belgique, le trotskiste Daniel Tanuro accepte enfin d'envisager la sortie de la Grèce de la zone euro... avant d'indiquer que cette solution n'est pas valable pour la France ou d'autres pays. Je repense alors aux écrits de mon ami et camarade Samir Amin, au lendemain du 29 mai 2005 : « On ne pourra jamais faire évoluer "de l'intérieur" l'Europe engagée dans la voie du libéralisme atlantiste, en direction d'une "Europe sociale" et indépendante (des États-Unis). C'est en faisant front ouvertement au projet européen tel qu'il est qu'on maximisera les chances d'une construction alternative authentique1. » Et je me dis que nous avons perdu dix ans.

J'ai défendu de mon côté l'idée de « désobéissance européenne », en lui donnant un contenu très clair : restaurer la souveraineté juridique et monétaire au niveau national pour mener des politiques de gauche. Je considérais qu'à partir du moment où un État dirigé par la gauche radicale recouvrait sa souveraineté, l'appartenance formelle aux institutions communautaires était secondaire. Cela reste techniquement vrai, mais le sort qui est fait aujourd'hui à la Grèce change la donne. Le simple fait d'être membre de l'Union européenne est devenu politiquement intolérable pour la gauche. Il ne s'agit plus seulement de rompre avec l'eurolibéralisme. Il s'agit d'affirmer que nous n'avons absolument rien en commun, ni du point de vue des objectifs, ni du point de vue des valeurs, avec ces institutions conçues dans une logique de classe, pour lutter contre les peuples, et qui se sentent à présent assez puissantes pour ne plus faire le moindre compromis. Le seul objectif valable est d'en sortir et de les démanteler.

1« Quel "projet européen" ? », Samir Amin, 21 juin 2005.

Source : Démondialiser et coopérer

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La Grèce, la gôche, la gauche (II)
Par Jacques Sapir, le 24 juillet 2015

Cette note fait suite à la précédente[1], postée sur ce carnet le 22 juillet.

Les événements qui ont conduit au Diktat imposé à la Grèce, et ce dit Diktat lui-même, constituent un moment charnière pour ce que l’on appelle la « gauche radicale ». En un sens, la crise grecque soumet cette « gauche radicale » à un test aussi sévère que celui imposé à la social-démocratie. Si la « gauche radicale » n’est pas aujourd’hui dans la même crise que la social-démocratie, elle risque néanmoins de se trouver face à une crise d’orientation de première grandeur. En effet, l’européisme qui caractérise la « gauche radicale » a été lui aussi condamné par le Diktat imposé à la Grèce. La question est aujourd’hui posée de savoir si la « gauche radicale » va accepter de n’être qu’une force d’appoint de la social-démocratie ou si elle est capable d’assumer toutes les conséquences d’un programme de rupture. Mais, un tel programme de rupture n’est plus, aujourd’hui, compatible avec l’européisme.

Eléments de définition de la « gauche radicale »

Précisons d’abord ce que l’on entend par ce terme. Il s’agit des partis ou mouvements politiques qui se sont constitués à la gauche de la social-démocratie traditionnelle, et le plus souvent en réaction contre sa politique et ses orientations. Cela n’inclut pas les partis restés fidèles à l’identité communiste (comme le KKE grec ou le PRC italien) ni les partis ou mouvements d’extrême-gauche restés fidèles à une identité marxiste révolutionnaire, plus ou moins dénaturée par le sectarisme et le dogmatisme (comme en France le NPA ou Lutte ouvrière). Cela inclut donc Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, le Front de Gauche en France ou encore Die Linke en Allemagne et SEL en Italie[2]. L’origine de ces partis est diverse et ceci entraîne des logiques tant politiques qu’idéologiques très particulières. De ce point de vue, la gauche radicale apparaît comme un courant ayant des aspirations communes mais qui est en réalité très hétérogène. En réalité, la culture politique et l’histoire de chaque pays se reflète dans le type de parti ou de mouvement. Si les partis de la gauche radicale se sont dotés de structures de coordination au niveau de l’Union européenne, il n’y a pas d’unité européenne de ce courant tout simplement parce que l’histoire politique de chaque pays a sa spécificité.

En France comme en Allemagne, ils se sont constitués à partir de dissidences de la social-démocratie et d’une union avec ce qui survivait des partis communistes (le PCF en France et le PDS en Allemagne), et dans certains cas rejoints par des forces d’extrême-gauche. A l’inverse, Podemos est un mouvement relativement nouveau, issu des « Indignés » qui ont été relativement fort en Espagne. La cas de Syriza en Grèce est intermédiaire, car le parti communiste grec s’était coupé en deux du temps de la dictature des colonels, avec le « Parti de l’intérieur » proche du courant dit « Eurocommuniste » qui a engendré Synapismos et le « Parti de l’extérieur » de strict obédience moscoutaire. Synapismos a été le noyau de Syriza rejoint tant par des mouvements d’extrême-gauche que par des dissidents de la social-démocratie locale (le PASOK), tandis que le « Parti de l’extérieur » s’est reconstitué dans le KKE, et continue de mener une existence sectaire, repliée sur lui-même. L’Italie est un cas particulier. En effet, le processus de dissolution du PCI (en dépit de la scission du PRC) a abouti à sa fusion dans un vaste ensemble électoral, le Parti Démocrate, qui inclut les résidus du PSI et un morceau de la Démocratie Chrétienne. L’Italie est certainement le pays ou la « gauche radicale » est la plus faible et cela a des conséquences importantes sur la structuration de l’espace politique italien. Cette faiblesse a laissée le champ libre à la fois au Movimente Cinque Stelle de Beppe Grillo, qui est devenu le deuxième parti d’Italie, qu’à la Ligue du Nord de Salvini.

Eclectisme politique et européisme

Si l’éclectisme politique, conséquence logique de l’hétérogénéité des modes de formations et de la diversité des cultures politique nationales, est l’une des caractéristiques de la « Gauche Radicale » à l’échelle européenne, on peut remarquer cependant certains traits communs en ce qui concerne l’Union européenne. Si ces divers partis ou mouvements se sont opposés, plus ou moins, aux différents traités constitutifs de l’Union européenne depuis le début des années 1990, ils n’en partagent pas moins ce que l’on peut appeler une « idéologie européiste ». Ils sont dans une large mesure convaincus que l’Union européenne, même sous la domination de la droite néo-libérale, constitue un cadre privilégié de l’action politique. Depuis la crise financière de 2007-2009, crise qui continue à faire sentir ses effets jusqu’à aujourd’hui, une partie de ces mouvements voit dans le cadre de l’Union européenne une garantie contre le retour à la situation des années 1930. Bien entendu, cette acceptation du cadre de l’Union européenne se fait avec une forte tonalité critique. Les thèmes comme « changer l’Europe » ou « changer d’Europe » sont très présents dans le vocabulaire de ces partis ou mouvements. Mais, ce « changement » d’une part reprend à son compte le fait que l’UE serait l’Europe (et non une forme d’institutionnalisation couvrant certains pays de l’Europe, au sens culturel comme géographique) et d’autre part doit se faire largement dans le cadre de certaines des institutions existantes, et c’est en particulier le cas de l’Euro.

La question de l’Euro offre un concentré des contradictions de la « Gauche Radicale ». Dans une large mesure il n’est pas remis en cause. Et l’on a vu les conséquences tragiques que cette absence de remise en cause a eues sur le comportement de Syriza ces derniers jours. Tsipras a pris la décision politique de refuser la réquisition de la Banque Centrale de Grèce et de mettre en circulation des reconnaissance de dette car il pensait, et là on ne peut lui donner tort, que ces décisions entraîneraient probablement une sortie de la Grèce de l’Euro. Ce faisant, il s’est néanmoins mis lui-même la tête sur le billot face à l’intransigeance de l’Eurogroupe. Surtout, il n’a pas compris que la gestion de l’Euro ne relevait pas de l’économie, avec un calcul coût-avantage, mais quelle relevait du politique. Les options que représentaient Syriza étaient politiquement inacceptables pour l’Eurogroupe. Demain, on risque de voir l’histoire se répéter avec Podemos qui entend situer sa revendication d’une autre politique économique à l’intérieur de la zone Euro.

Ce refus de remettre l’Euro en cause à plusieurs origines. On peut y voir les restes d’un vieux marxisme dogmatique qui considère que, finalement, la monnaie n’a pas d’importance. Seules comptent les « forces productives », dans un logique qui doit, il faut le dire, plus à Jean-Baptiste Say (« les produits s’échangent contre des produits, la monnaie est un voile ») qu’à Marx. Cette logique peut aussi se décliner sur le mode du « progrès ». Certes, l’Euro, produit du pouvoir bourgeois a bien des défauts, mais il constitue un « progrès » allant vers l’unification des espaces productifs, et une fois que les « masses populaires » auront pris le pouvoir elles pourront utiliser cet « instrument » dépouillé de ses habits bourgeois. En fait, c’est la reprise, sans doute inconsciente, de ce que Boukharine expliquait en 1915-1916 sur l’évolution des « trusts capitalistes d’Etat » qui conduiraient au socialisme en en changeant la direction politique[3]. Enfin, certains reconnaissent que l’Euro a bien des défauts, mais expliquent que la rupture de la zone Euro ramènerait l’Europe à la situation des années trente. C’est, semble-t-il, la position de Tsipras[4]. Cet européisme, qui infecte une grande partie de la « gauche radicale », risque donc fort d’être sa Némésis. On voit bien aujourd’hui qu’aucun programme économique radicalement différent du consensus austéritaire qui domine en Europe n’est possible tant que l’on persiste à adhérer à l’européisme. C’est la leçon qu’il nous faut tirer de la capitulation de Tsipras face à l’Eurogroupe[5]. Le grand historien britannique, Perry Anderson écrit ainsi : « Tsipras et ses collègues ont répété à qui voulait les entendre qu’il était hors de question d’abandonner l’euro. Ce faisant, ils ont renoncé à tout espoir sérieux de négocier avec l’Europe réelle — et non l’Europe qu’ils fantasmaient »[6]. Ceci décrit bien le piège de l’européisme dans lequel Tsipras s’est enfermé, et qui menace aujourd’hui la « gauche radicale ».

L’UE, un système semi-colonial ?

Il faut ici comprendre une chose importante : la souveraineté a été pendant longtemps un point aveugle de la « gauche radicale ». Pourtant, la « gauche radicale » a défendu la notion de souveraineté alimentaire. Elle n’a cependant jamais, jusqu’à présent, voulu sauter le pas et aller se réclamer de la souveraineté politique. Les seuls courants qui l’on fait, comme le chevènementisme en France, ont été isolés et incapable d’étendre leur influence sur la « gauche radicale », même si l’héritage de Jean-Pierre Chevènement s’étend désormais au-delà de la coupure gauche/droite.

Pourtant, il existe une tradition marxiste, certes ancienne, qui indiquait que les luttes pour la transformation de la société ne pouvaient se mener que dans le cadre d’un Etat souverain[7]. Mais, cette tradition semble avoir été emportée dans le grand processus de remise en cause de l’expérience soviétique qui s’est imposé avec la fin de l’URSS en 1991. Pourtant, une analyse du système soviétique compris comme un capitalisme d’Etat aurait permis de comprendre bien des choses, et en particulier les caractéristiques d’une trajectoire alternative dans le cadre d’un pays « semi-féodal et semi-colonial ». De fait, tout le débat sur la « nature de l’URSS » est ainsi passé à la trappe[8], en dépit de ce qu’il pouvait apporter à la compréhension des modes d’existence du capitalisme et à sa diversité, mais aussi aux alternatives possibles dans les stratégies économiques[9]. On peut penser qu’une partie des problèmes que l’on rencontre dans le débat contemporain provient de l’effet d’amnésie sur la connaissance accumulée dès années soixante à la fin des années quatre-vingt du siècle dernier, effet d’amnésie qui provient à la fois de l’émergence d’une nouvelle génération de militants politiques, et du nouveau contexte des luttes, contexte qui semblait exiger des connaissances nouvelles.

En fait, c’est le concept d’Etat « semi-colonial » qui apporte le plus de lumière sur la situation actuelle des pays européens. On peut considérer l’UE comme un système colonial mais dont la « métropole » ne pourrait être complètement identifiée. En cela ce « colonialisme » ou plus exactement ce « semi-colonialisme » n’est pas entièrement réductible à la situation de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Si l’Allemagne apparaît comme le pays profitant le plus des structures de l’UE, cela n’implique pas que l’UE soit le système colonial de l’Allemagne. L’UE permet le déploiement de structures financières assurant le contrôle et la domination, et ces structures financières ne sont pas réductibles au capitalisme allemand. Il s’agit plus d’un « semi-colonialisme » que d’un colonialisme simple, en ceci que les pays de l’UE conserve, à des degrés divers, des marges d’autonomie. Certains de ses pays peuvent d’ailleurs se constituer en force néocoloniale envers les pays du « Sud », même si la logique de leurs actions est soumise, in fine, à l’approbation par le système semi-colonial. Le cas de la Grèce est spécifique en ce que, sous le joug des différents mémorandums, le pays est passé d’un statut semi-colonial à un statut qui est de plus en plus directement colonial.

Dans un pays en train de passer, ou déjà entièrement passé, sous la coupe d’un système semi-colonial, la question de la souveraineté devient dès lors cruciale. Elle concentre l’ensemble des luttes pour le changement économique et social. En un sens, on pouvait penser que Syriza l’avait compris quand il fait l’alliance avec l’ANEL à la suite des élections du 25 janvier. Mais, l’européisme est resté trop puissant à l’intérieur de ce parti.

La « gauche radicale » et la question de la rupture

La question fondamentale qui est désormais ouvertement posée aux différents mouvements de la « gauche radicale » est celle du degré de leur compréhension du cadre semi-colonial dans lesquels ils sont amener à lutter, et donc du caractère primordial de la lutte pour le recouvrement de la souveraineté. Cela implique une rupture avec l’européisme, et avec la religion de l’Euro. Mais cela n’implique pas que cela. De la prise en compte de cette situation découle en réalité non seulement une stratégie politique, comment reconstruire la souveraineté et avec quelles médiations, mais aussi une tactique, autrement dit quelles seront les alliances les mieux à même de porter ce projet politique.

Bien entendu, ces questions vont se concentrer en priorité sur le rapport à l’Euro, car il est désormais l’institution qui concentre largement le contenu semi-colonial de l’UE. De ce point de vue, il faut remarquer que certains des conseillers de Yanis Varoufakis ont changé leur position sur l’Euro et se prononcent désormais pour une rupture franche avec la monnaie unique[10]. Jean-Luc Mélenchon écrit quant à lui sur son blog : « toute tentative de changer l’Europe de l’intérieur est vouée à l’impuissance si ceux qui l’entreprennent ne sont pas près à tirer instantanément et totalement la leçon d’un échec, en rompant le cadre. Autrement dit aucun plan A n’a de chance sans plan B. Et quand vient l’heure du plan B il ne faut pas avoir la main qui tremble »[11]. Si ce texte à l’intérêt de monter la détermination en cas d’échec d’appliquer une politique de rupture, ce qui est un progrès par rapport à l’émission de juillet 2012 que nous avions faites Mélenchon et moi et où il n’évoquait le fameux « plan B » que comme un moyen de réaliser le « plan A », il montre que Mélenchon n’a pas encore tiré TOUTES les leçons du Diktat imposé à la Grèce. En réalité, aucun changement de l’UE de l’intérieur n’est possible. La « Gauche Radicale » doit se fixer comme objectif premier la rupture, au moins avec les institutions dont le contenu semi-colonial est le plus grand, c’est à dire l’Euro, et elle doit penser ses alliances politiques à partir de cet objectif. Pour elle, l’heure des choix est arrivée ; il faudra rompre ou se condamner à périr.

[1] Sapir J., « La Grèce, la gôche, la gauche (I) », note publiée sur RussEurope le 22 juillet 2015, http://russeurope.hypotheses.org/4138
[2] Voir Marlière P., « La gauche radicale en Europe : esquisse de portrait », in Jean-Numa Ducange, Philippe Marlière et Louis Weber, La gauche radicale en Europe, éditions du Croquant, Paris, collection « Enjeux et débats d’Espaces Marx », Paris, 2014.
[3] Boukharine N., L’Économie mondiale et l’impérialisme 1915. traduction. Paris, Anthropos, 1977. Voir, aussi, Christian Salmon, Le Rêve mathématique de Nicolaï Boukharine, Paris, Le Sycomore, 1980.
[4] Kouvelakis S., interview donné à Sebastian Budgen, « Greece: The Struggle Continues » in Jacobin, 15 juillet 2015, https://www.jacobinmag.com/2015/07/tsipras-varoufakis-kouvelakis-syriza-euro-debt/
[5] Gianni A., « Il problema non è Tsipras ma questa Europa » in MicroMega, 22 juillet 2015, http://www.sinistrainrete.info/index.php?option=com_content&view/il-problema-non-e-tsipras-ma-questa-europa&catid=44:europa&Itemid=82
[6] Anderson P., « La débacle grecque », 22 juillet 2015, http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/220715/la-debacle-grecque-par-perry-anderson
[7] Voir, Georges Haupt, Michael Lowy et Claude Weill, Les Marxistes et la question nationale, 1848-1914, Editions Maspéro, Paris, 1974.
[8] Sapir J., “Le débat sur la nature de l’URSS: lecture rétrospective d’un débat qui ne fut pas sans conséquences”, in R. Motamed-Nejad, (ed.), URSS et Russie – Rupture historique et continuité économique , PUF, Paris, 1997, pp. 81-115.
[9] Sapir J., L’économie mobilisée. Essai sur les économies de type soviétique, La Découverte, Paris, janvier 1990; (ouvrage publié en Allemagne, dans une version traduite et augmentée en 1992, Logik der Sowjetischen Ökonomie – Oder die Permanente Kriegswirtschaft, LIT Verlag, Munster et Hambourg
[10] Munevar D., « Why I’ve Changed My Mind About Grexit », in SocialEurope, 23 juillet 2015, http://www.socialeurope.eu/2015/07/why-ive-changed-my-mind-about-grexit/
[11] Mélenchon J-L, 23 juillet 2015, https://www.facebook.com/JLMelenchon/posts/10153499370008750

Source : RussEurope

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Pierre Laurent, la Grèce et les mensonges
Par Jacques Sapir, le 25 juilet 2015

Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, vient de donner le samedi 25 juillet une interview à Marianne[1]. Il justifie sa position au sujet de la Grèce et son soutien à la capitulation consentie par Alexis Tsipras. C’est son droit. Mais, pour se faire, il prend un certain nombre de libertés avec les faits. Et cela est beaucoup plus condamnable. Cette interview est une excellente illustration des illusions d’une partie de la « Gauche Radicale », illusions sur l’Euro et sur l’Europe, dont il semble désormais que le Parti de Gauche commence à se dégager[2].

Un petit florilège des citations de Pierre Laurent permet de voir qu’il entretient de sérieuses illusions, et même qu’il adopte un point de vue « européiste » qui n’est pas éloigné de celui du Parti dit « socialiste ». Mais, il faut aussi savoir que les prises de position de Pierre Laurent sont aujourd’hui fortement critiquées dans de larges fractions de la base comme de l’appareil du PCF. Ces prises de position reflètent bien plus les errances d’un homme et d’un groupe de direction du PCF qu’une position largement défendue au sein du Parti.

Une analyse tendancieuse du 13 juillet

Tout d’abord, quand il entend justifier la capitulation de Tsipras, Pierre Laurent dit au journaliste la chose suivante :
« Ils ont enfermé la Grèce et ses dirigeants dans une alternative qui était soit le Grexit — souhaité par les Allemands de manière ouverte, Wolfgang Schaüble, le ministre des Finances allemand, a plaidé jusqu’au dernier moment auprès des Grecs pour une sortie ordonnée —, soit le plan d’austérité qui a finalement été imposé. Le choix qu’a fait Tsipras est un choix qui évite la banqueroute bancaire de son pays, une situation qui aurait été terrible pour les Grecs. Je crois qu’il n’avait pas d’autres alternatives »[3].

Si je suis d’accord qu’un effondrement des banques est une catastrophe, je signale à Pierre Laurent que ce que Tsipras a refusé c’est la proposition de Varoufakis de (1) réquisitionner les banques et (2) de réquisitionner la Banque de Grèce. Ce faisant, le gouvernement aurait eu accès aux réserves (sous contrôle de la BCE avant la réquisition) déposées à la Banque de Grèce mais aussi dans les banques commerciales. La réquisition est un mécanisme qui permet à tout gouvernement de la zone Euro de s’affranchir de la tutelle de la BCE. Dire, dans ces conditions, que le choix de Tsipras était entre la banqueroute et la capitulation est faux. La décision de Tsipras a été politique, et non économique. C’était un choix entre s’engager sur une voie, celle que proposait son Ministre des finances Yanis Varoufakis, voie pouvant le conduire à sortir de l’Euro, ou bien d’accepter l’austérité. Présenter cela comme une décision économique est un mensonge éhonté[4]. Les choses sont désormais publiques, et il est triste de voir Pierre Laurent s’enferrer dans le mensonge.

Pierre Laurent révolutionne la science économique

Commentant un possible Grexit, Pierre Laurent ajoute alors :
« Et une sortie de la zone euro laisserait n’importe quel pays qui la pratiquerait devant la même pression des marchés financiers, voire une pression décuplée et une dévaluation nationale plus grave encore ».

Il semble ici que Pierre Laurent, qui a pourtant fait des études d’économie à Paris 1, ignore qu’il existe des moyens réglementaires permettant à un pays de faire fortement baisser la pression exercée par les marchés financiers. Cela s’appelle le contrôle des capitaux. Non pas le « contrôle des capitaux » imposé par la BCE à la Grèce, et qui aboutit à empêcher les entreprises grecques de faire des opérations sur l’étranger via les comptes Target2 (et qui s’apparente en réalité à un contrôle des changes), mais les contrôles sur les mouvements de capitaux à court terme non liés à des opérations matérielles. Ces mouvements représentent entre 90% et 95% des flux de capitaux, et sont essentiellement des mouvements spéculatifs. Bien entendu, pour les mettre en œuvre, il faut recouvrer le contrôle sur la Banque Centrale. Ici, soit Pierre Laurent fait la preuve de sa méconnaissance des mécanismes économiques de base, soit il les connaît, et en ce cas il ment en toute connaissance de cause. Je laisse le lecteur libre de son choix.

Pierre Laurent est un grand logicien

Pierre Laurent assène alors un argument qui lui apparaît imparable pour écarter une sortie de l’Euro. Cet argument, le voici :
« Il y a d’ailleurs des pays aujourd’hui qui, en dehors de la zone euro, sont également frappés par des politiques d’austérité. Car la pression des marchés s’exerce partout et sur tous les pays ».

On reste sidéré par ce que ce paragraphe implique comme méconnaissance des liens logiques qui relient plusieurs éléments. Bien sûr, il existe des pays qui ont des politiques d’austérité sans appartenir à l’Euro. Nul ne l’a nié. Mais, connaît-on un pays de la zone Euro qui n’applique pas une politique d’austérité ? En fait, on peut montrer que la zone Euro induit un cadre dépressif pour les économies qui y participent[5]. Donc, cet argument ignore ce qu’en logique on appelle des conditions nécessaires et des conditions suffisantes. La sortie de l’Euro est une condition nécessaire à une rupture avec une politique d’austérité, mais ne constitue nullement une condition suffisante. Par contre, par sa méconnaissance de la logique la plus élémentaire, Pierre Laurent nous montre qu’il est suffisant mais pas nécessaire.

Pierre Laurent révolutionne la science économique (bis)

On revient à un argument en apparence plus économique avec la citation suivante, qui se révèle, à nouveau, tout à fait catastrophique :
« Oui, mais aujourd’hui, la différence est que tous les avoirs détenus par les Grecs sont en euros. Et le transfert de ces avoirs dans une monnaie nationale qui serait dévaluée par les marchés financiers conduirait, dans un premier temps, à un affaiblissement considérable du potentiel de ressources des Grecs. Alors que pour reconstruire leur pays, ils ont besoin d’un niveau d’investissement important ».

Notons tout d’abord que ce ne sont pas les « marchés financiers » qui transfèrent les avoirs qui sont détenus par les grecs. C’est en réalité le système bancaire, s’il s’agit d’avoirs détenus en Grèce. Pierre Laurent, à l’évidence soit ne connaît pas les règles de fonctionnement de l’économie, soit cherche à nous mener en bateau. Ces avoirs en Euros seront automatiquement re-dénominés en Drachmes. Mais cette redénomination touchera toutes les valeurs de l’économie grecque. Donc, le potentiel d’investissement sur la base de l’épargne (oui, cette chose que l’on apprend en fin de première année d’économie, l’égalité entre l’épargne et l’investissement) sera inchangé par rapport aux valeurs de l’économie grecque. Mais, une partie de ces avoirs ne sont pas détenus en Grèce. Donc, ils resteront en Euros (ou dans une autre monnaie, que ce soit le Dollar ou, peut être, le Mark allemand…). Si la Drachme est dévalué, disons de 25%, cela signifie que ces avoirs seront réévalués de 33%. Donc, le potentiel d’investissement, sur la base des avoirs grecs détenus à l’étranger, sera largement augmenté. Ce qui veut dire que les grecs ayant mis leurs avoirs à l’étranger pourraient les rapatrier avec un effet bien plus positif sur les investissements que si la Drachme n’avait pas été dévaluée. Notons encore que ceci s’applique aussi à l’ensemble des investisseurs étrangers. En fait, une sortie de l’Euro et une dévaluation de 25% de la Drachme constituent la condition pour qu’un flux d’investissement important en drachmes se reconstitue en Grèce.

Mais, il est peu probable que Pierre Laurent ignore à ce point les mécanismes de base de l’économie, ou alors il faut s’interroger sur les conséquences délétères sur le cerveau humain d’années de travail au journal l’Humanité. Il est bien plus probable que Pierre Laurent, ici encore, mente, et qu’il mente avec l’aplomb d’un arracheur de dents

Quand Pierre Laurent joue au prestidigitateur

Reprenons le cours du raisonnement. Pierre Laurent nous offre une magnifique perle avec la citation suivante :
« Puisque les solutions apportées par Tsipras étaient totalement viables et elles restent praticables dans la zone euro. Ce n’est pas la zone euro qui les empêche mais la décision politique prise par les dirigeants allemands et un certain nombre d’autres dirigeants européens de rendre impossible l’expérience politique de Syriza ».

Ici, Pierre Laurent fait mine de croire que les dirigeants allemands et européens ont été conduits uniquement par leur haine politique de Syriza. Que ces dirigeants n’aient pas apprécié Syriza est certain. Mais, quand bien même l’auraient-ils apprécié, accepter les solutions proposées par Tsipras impliquait, à relativement court terme, faire basculer la zone Euro vers ce que l’on appelle une « union de transfert ». Or, les montants nécessaires pour faire fonctionner la zone Euro sans les politiques d’austérité ont été évalués, et on trouvera l’une de ces évaluations d’ailleurs dans ce carnet. Pour faire court, il faudrait que l’Allemagne consacre entre 8% et 10% de son PIB tous les ans pendant environ dix ans à ces transferts. Il est clair que cela n’est pas possible, sauf à vouloir détruire l’économie allemande. La véritable cause du rejet des options de Syriza se trouve là. Affirmer que « les solutions apportées par Tsipras étaient totalement viables et elles restent praticables dans la zone euro » est un nouveau mensonge. Les solutions proposées par Tsipras impliquaient une refonte totale de la zone Euro, et cette refonte aboutissait à faire peser un poids excessif sur l’Allemagne. Telle est la vérité. Mais, cette vérité gêne Pierre Laurent, qui préfère la faire passer sous le tapis pour sauver l’illusion de la possibilité d’une zone Euro qui ne soit pas austéritaire. Pierre Laurent doit donc mentir quant aux conditions de viabilité de la zone Euro, mais, nous l’avons vu, il n’est pas à un mensonge près.

Le dernier mensonge

Il ne reste donc à Pierre Laurent qu’un argument : le point Godwin ou la réduction du dilemme grec à un affrontement avec le Front National. Il suffit de regarder le paragraphe suivant pour s’en convaincre :

« Il y a aujourd’hui trois options en débat. L’option d’une Europe de l’ordre libérale, celle qui existe aujourd’hui. Il y a l’option d’une destruction de l’Europe et d’un retour à la compétition, voire au choc des nations dans la crise que traverse l’Europe, c’est l’option du Front national et des forces qui l’appuient. Et il y a l’option qui est la nôtre, celle de Tsipras, la mienne, celle que nous défendons, qui est l’option de la reconstruction d’une Europe de coopération, de solidarité, d’une Europe de souveraineté qui doit laisser plus de place aux pouvoirs de chaque nation de négocier démocratiquement son insertion dans cette Europe de solidarité. Nous parlons d’une Europe à géométrie choisie… ».

Passons sur le fait que proclamer que l’on vivrait mieux dans le monde des bisounours, la troisième option, na jamais fait avancer le débat. Mais, une sortie de la Grèce de l’Euro, et à terme, une dissolution de l’Euro, entraineraient-ils ce cataclysme que prévoit Pierre Laurent ? En fait, de nombreux économistes soutiennent aujourd’hui qu’une sortie de l’Euro était préférable, certains conservateurs comme Henkel[6], d’autres progressistes comme Kevin O’Rourke[7] ou Stefano Fassina[8], ancien ministre du PD en Italie, et parmi eux des assistants de Varoufakis[9]. C’est donc un nouveau mensonge de Pierre Laurent que de prétendre que l’option d’une sortie de l’Euro serait le fait du seul Front National. Un mensonge de plus dira-t-on. Espérons, en tous les cas, qu’il soit le dernier.

[1] Pierre Laurent : “Une sortie de la zone euro n’empêche pas la pression des marchés”, entretien avec Bruno Rieth, Marianne, 25 juillet 2015, http://www.marianne.net/pierre-laurent-sortie-zone-euro-n-empeche-pas-pression-marches-100235637.html
[2] Voir le blog de Guillaume Etievant, responsable économique du PG, le 24 juillet 2015, http://guillaumeetievant.com/2015/07/24/soyons-prets-a-sortir-de-leuro/
[3] Pierre Laurent : “Une sortie de la zone euro n’empêche pas la pression des marchés”, op.cit..
[4] Je renvoie à l’article de Jamie Galbraith, qui a travaillé avec Varoufakis publié dans Harper’s, http://harpers.org/blog/2015/07/greece-europe-and-the-united-states/ ainsi qu’aux explications données par Yannis Varoufakis lui-même sur son blog : http://yanisvaroufakis.eu/2015/07/14/on-the-euro-summits-statement-on-greece-first-thoughts/
[5] Voir Bibow, J., et A. Terzi (eds.), Euroland and the World Economy—Global Player or Global Drag? Londres, Palgrave, 2007.
[6] http://www.conservativehome.com/platform/2015/07/hans-olaf-henkel-mep-greece-must-leave-the-eurozone-for-the-good-of-us-all.html
[7] http://www.socialeurope.eu/2015/07/moving-on-from-the-euro/
[8] http://www.stefanofassina.it/lavoroeliberta/2015/07/19/sono-daccordo-con-schouble-una-grexit-assistita-unica-soluzione/
[9] Munevar D., « Why I’ve Changed My Mind About Grexit », in SocialEurope, 23 juillet 2015, http://www.socialeurope.eu/2015/07/why-ive-changed-my-mind-about-grexit/

Source : RussEurope

* * *

La Grèce s’enfonce dans la misère
Par Effy Tselikas, Athènes, le 24 juillet 2015 - TdG

Le gouvernement a dû émettre des tickets d’approvisionnement alors que l’Eglise et les ONG amplifient leurs efforts

«En Grèce, les enfants et les familles connaissent l’horreur de la faim et du dénuement», a alerté cette semaine Julien Lauprêtre, président du Secours populaire français, en lançant un appel à la générosité. La situation, qui n’a cessé de se dégrader ces derniers mois, devient en effet dramatique.

Le gouvernement a ainsi décidé de mettre en circulation des cartes alimentaires prépayées, utilisables dans 5000 magasins d’alimentation. Elles sont destinées à près de 150?000 personnes: familles nombreuses, monoparentales, avec enfants handicapés, ou chômeurs de longue durée. Cette mesure a été prise en urgence, car le filet social existant ne suffit plus.

Le rapport 2014 des œuvres sociales de l’Eglise orthodoxe faisait pourtant déjà état de plus de 500?000 personnes secourues par 280 soupes populaires et plus de 75?000 Grecs aidés dans 150 «magasins sociaux», pour un coût total de 120 millions d’euros. Les mairies sont aussi impliquées, dont celle d’Athènes qui a vu la demande en aliments, médicaments et habits exploser ces dernières semaines.

Des associations offrent également des douches et des générateurs à ceux qui n’ont plus d’eau ou d’électricité. Avec l’aide de nombreux bénévoles, souvent démunis eux-mêmes. Mais pour eux, aider les autres est le seul antidépresseur qu’il leur reste.

Les entreprises s’y mettent à leur tour. Venetis, une chaîne boulangère de 80 magasins, distribue ainsi gratuitement plus de 100?000 pains par jour, le tiers de sa production. Car pour Panagiotis Monembasiotis, son directeur général, «avec ce 3e plan de rigueur qui commence, il n’y aura bientôt plus de consommateurs en Grèce, il ne restera que des mendiants».

Dans les beaux quartiers, les gens vont discrètement le soir chercher leur pain offert. Ailleurs, on n’a plus cette honte. Fotis Pedikas, peintre au chômage, attend chaque jour la dernière heure pour aller au marché en plein air, quand les prix baissent de moitié. Les plus mauvais jours, il ramasse les fruits jetés, ou récupère autour des poubelles les sacs plastiques avec les restes des repas que d’autres laissent exprès. Et dans un grand éclat de rire, il interpelle le premier ministre Alexis Tsipras, qui a signé le fameux accord avec les créanciers du pays afin de rester dans la zone euro: «Pour que la Grèce continue d’appartenir au Club, faut-il que les Grecs meurent?»

Source : TdG

Yanis Varoufakis 
"Ce qu'il [Eurogroupe] avec la Grèce à un nom : terrorisme"


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