lundi 17 août 2015

"La désignation d’un ennemi est un choix politique, et non une donnée"



Comment l'ennemi se fabrique-t-il ? (IRIS, 2011)



Entretien avec Pierre Conesa, ancien Haut fonctionnaire, auteur de "La fabrication de l’ennemi" (TV Liberté, mars 2015)


"Si l'ennemi est une construction, pour le vaincre, il faut non pas le battre, mais le déconstruire. Il s'agit moins au final d'une affaire militaire que d'une cause politique. Moins d'une affaire de calibre que d'une question d'hommes."

Comment les hommes en viennent-ils à se massacrer légalement ?

« Nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d'ennemi ! », avait prédit en 1989 Alexandre Arbatov, conseiller diplomatique de Mikhaïl Gorbatchev. L'ennemi soviétique avait toutes les qualités d'un « bon » ennemi : solide, constant, cohérent. Sa disparition a en effet entamé la cohésion de l'Occident et rendu plus vaine sa puissance.
Pour contrer le chômage technique qui a suivi la chute du Mur, les États (démocratiques ou pas), les think tanks stratégiques, les services de renseignements et autres faiseurs d'opinion ont consciencieusement « fabriqué de l'ennemi » et décrit un monde constitué de menaces, de risques et de défis.
L'ennemi est-il une nécessité ? Il est très utile en tout cas pour souder une nation, asseoir sa puissance et occuper son secteur militaro-industriel. On peut dresser une typologie des ennemis de ces vingt dernières années : ennemi proche (conflits frontaliers : Inde-Pakistan, Grèce-Turquie, Pérou-Équateur), rival planétaire (Chine), ennemi intime (guerres civiles : Yougoslavie, Rwanda), ennemi caché (théorie du complot : juifs, communistes), Mal absolu (extrémisme religieux), ennemi conceptuel, médiatique...
Comment advient ce moment « anormal » ou l'homme tue en toute bonne conscience ? Avec une finesse d'analyse et une force de conviction peu communes, Pierre Conesa explique de quelle manière se crée le rapport d'hostilité, comment la belligérance trouve ses racines dans des réalités, mais aussi dans des constructions idéologiques, des perceptions ou des incompréhensions. Car si certains ennemis sont bien réels, d'autres, analysés avec le recul du temps, se révèlent étonnamment artificiels.

Quelle conséquence tirer de tout cela ? Si l'ennemi est une construction, pour le vaincre, il faut non pas le battre, mais le déconstruire. Il s'agit moins au final d'une affaire militaire que d'une cause politique. Moins d'une affaire de calibre que d'une question d'hommes.
Quatrième de couverture
Source du texte : Robert Laffont

La fabrication de l’ennemi : ou Comment tuer avec sa conscience pour soi, Ed. R. Laffont, 2011.
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La fabrication de l’ennemi : le cas russe 
Par Pierre Conesa, le 31 décembre 2009 - Libération

On est en droit de s’interroger sur l’image que véhiculent certaines analyses sur la Russie. Le crime organisé italien cause de graves dommages environnementaux avec le trafic d’ordures par la Camorra napolitaine, ou de morts en Europe avec la N’dranghetta calabraise. Mais, nous dit-on, ce sont les mafias russes qui sont les plus dangereuses ! Le journaliste Roberto Saviano, auteur de Gomorra, est menacé de mort mais il ne vient à personne l’idée d’accuser le gouvernement italien. Par contre, l’assassinat de journalistes russes comme Anna Politkovskaïa ou d’humanitaires comme Natalia Estemirova, tuée le 15 juillet en Tchétchénie, est attribué à l’action du Kremlin.
On insiste avec raison sur le passé d’ex-officier (médiocre) du KGB de Vladimir Poutine, mais pas sur le fait que le président Bush père fut directeur de la CIA. Succédant à Donald Rumsfeld, Hillary Clinton va appeler Moscou à respecter les droits de l’homme, mais c’est bien Washington qui emprisonne à Guantánamo depuis maintenant sept ans des prisonniers auxquels on refuse les droits judiciaires minimum. On réagit avec vigueur à l’invasion des forces russes sur le territoire souverain de la Géorgie en exigeant un calendrier de retrait, mais on formule le souhait poli qu’Israël stoppe la colonisation des territoires, occupés depuis 42 ans. On en arrive même à reprocher à la Russie de vouloir faire payer le gaz livré à l’Ukraine au prix du marché et non plus au tarif préférentiel. Claude Mandil, dans son rapport d’avril 2009 au Premier ministre sur «Sécurité énergétique et Union Européenne» remarquait qu’il y avait quelque contradiction à diaboliser la Russie sur la crise ukrainienne, et en même temps à chercher à en faire un partenaire de la sécurité énergétique de l’Union.

La schizophrénie a toujours fait partie de la géopolitique, qui reste un habillage «rationnel» des rapports de force internationaux. Dans le cas de la Russie, on atteint des excès. Il ne s’agit pas de délivrer un brevet de démocratie au régime en place au Kremlin, qui a encore de gros efforts à faire, en particulier sur la Tchétchénie avec la politique sanglante de Kadirov ! Mais la critique serait plus efficace si elle utilisait avec mesure la comparaison. La Russie est-elle un pays si différent que toutes les affaires y sont jugées avec d’autres critères qu’ailleurs ? Est-ce parce que nombre de chroniqueurs de questions internationales ont eu un passé communiste, resté comme une tache indélébile, que la critique doit être systématique ? Est-ce parce que la France connaît, avec dix ans de retard, la vogue du néo-conservatisme qui avait comme priorité stratégique première, avant les attentats du 11 Septembre, le roll back de l’ancienne URSS ?

En énonçant, en 1991, sa célèbre phrase «Nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d’ennemi !», Gueorgui Arbatov, conseiller diplomatique de Gorbatchev, mettait la filière de production stratégique face à un risque de chômage technique, un peu comme les spécialistes de l’héraldique avec la Révolution française. «L’ennemi soviétique avait toutes les qualités d’un "bon" ennemi : solide, constant, cohérent, écrivait le général de la Maisonneuve. Militairement, il nous était semblable, construit sur le plus pur modèle "clausewitzien", inquiétant certes, mais connu et prévisible. Sa disparition entame notre cohésion et rend vaine notre puissance.» La Chine avait joué le rôle d’ennemi de substitution sous l’administration Bush, mais le président Obama veut normaliser avec Pékin… On ne peut plus compter sur personne !

Dernier ouvrage paru: "Les Mécaniques du chaos: bushisme, prolifération et terrorisme" (Editions de l'Aube)
Source : Libération


Ancien haut fonctionnaire du Ministère de la Défense (France).
Spécialiste des questions stratégiques internationales et en particulier militaires. Pierre Conesa est un praticien des relations internationales et stratégiques qu’il a pratiqué pendant une vingtaine d’années au ministère de la Défense dans différents services (autres qu’administratifs). Il a été à la création de la Délégation aux Affaires stratégiques comme sous directeur Questions régionales puis comme Adjoint au Directeur. Il a été rédacteur du Premier plan stratégique de soutien aux exportations d’armements, Adjoint au Directeur des Relations internationales de la Délégation Générale à l’Armement chargé de la politique d’exportations, puis chargé auprès du CEMA d’un rapport sur le Renseignement d’Intérêt militaire. Il a conçu le Campus de Défense de l’Ecole militaire. Il a dirigé pendant les huit dernières années un important cabinet d’Intelligence économique.
Il est par ailleurs maître de conférences à Sciences Po et à l’ENA. Il est également consultant pour France 24, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica.
Auteur de La fabrication de l’ennemi : ou Comment tuer avec sa conscience pour soi, éd. R. Laffont, 2011.
Pierre Conesa détient une agrégation d’Histoire, a étudié à l’ENA et au Centre des Hautes études de l’armement (25° session).
Source (et articles) : La revue géopolitique

Voir aussi la page : Politique de contre-radicalisation en France

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Interview à Guy Mettan, Russie-Occident, une guerre de mille ans (Cercle de l'Aréopage, 2015)

Présentation de l'éditeur.
Pourquoi les États-Unis et l'Europe détestent-ils tant la Russie ? Alors que la Russie ne représente plus une menace, que ses missiles ne sont plus pointés sur Berlin, que, fait sans précédent dans l'histoire, elle a dissous son empire sans effusion de sang, rendu leur liberté aux pays occupés d'Europe centrale et permis l'indépendance pacifique de quinze nouveaux États, la haine et le dénigrement de la Russie atteignent des proportions inouïes dans les médias, les cercles académiques et les milieux dirigeants occidentaux.
Pour comprendre cet acharnement, devenu hystérique avec la crise ukrainienne, Guy Mettan remonte loin dans l'histoire, jusqu'à l'empereur Charlemagne. Il examine sans tabou ni a priori les lignes de forces religieuses, géopolitiques et idéologiques dont se nourrit la russophobie occidentale. Et démonte les ressorts du discours antirusse et anti-Poutine qui ont pour effet de repousser toujours plus loin les chances d'une vraie réconciliation.

Guy Mettan, journaliste, dirige le Club suisse de la presse. Ancien directeur-rédacteur en chef de la Tribune de Genève, il exerce des fonctions politiques comme député et ancien président du Grand Conseil de Genève. Il a écrit plusieurs ouvrages sur la Suisse et la Genève internationale.

Russie-Occident, une guerre de mille ans : La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne, Ed. Syrtes, 2015
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