mercredi 26 août 2015

Pour une alliance de fronts de libération nationale



Pour une alliance de fronts de libération nationale
Par Stefano Fassina, Membre du Parlement, ancien vice-Ministre des Finances de l'Italie (parti démocrate), le 11 août 2015

Le brûlant compte grec a une valeur de politique générale. Commençons par le contenu de la Déclaration du Sommet de la zone Euro tenu le 12 juillet, avant de procéder à des évaluations politiques. Il est impossible de cacher l’aspect non durable des dispositions de perspectives économiques et financières. Malgré les ajustements remportés par la délégation grecque à Bruxelles, les mesures imposées sont brutalement de contraction, ainsi que régressives sur le terrain social.

Les mesures de compensation macroéconomique risquent d’être pratiquement inexistantes. Le financement prévu pour le troisième plan de sauvetage est consacré à la recapitalisation des banques et au paiement des dettes de la BCE, du FMI et de prêteurs privés. Rien ne va aux dépenses en capital, tandis que la crédibilité de la Commission Européenne pour aider le gouvernement grec à mobiliser jusqu’à 35 milliards d’€ pour les investissements dans les 3 à 5 ans doit être évaluée au vu de son incapacité à trouver le minimum de ressources pour le “Plan Juncker”. Et enfin, l’engagement de la restructuration de la dette publique de la Grèce ouvre une perspective qui en aucun cas ne pourra avoir d’effets réels avant 2023, la fin de la période de grâce accordée par les États Européens pour leurs prêts respectifs.

Les leçons de la crise grecque

Quelles leçons pouvons-nous apprendre du cours de la Grèce ? Alexis Tsipras, Syriza et le peuple grec ont le mérite historique indéniable d’avoir arraché le voile de la rhétorique Européiste et de l’objectivité technique visant à cacher la dynamique dans la zone euro. Nous voyons maintenant le pouvoir politique et le conflit social entre l’aristocratie financière et les classes moyennes : l’Allemagne, incapable d’hégémonie, domine la zone euro et poursuit un ordre économique en fonction de ses intérêts nationaux et de ceux de la grande finance.

Il y a deux points à relever ici. Le premier : le mercantilisme néo-libéral dicté par et centré sur Berlin est insoutenable. De la dévalorisation du travail, comme alternative à la dévaluation de la monnaie nationale, en tant que principale voie à de vrais” ajustements, découle une insuffisance chronique de la demande globale, la persistance d’un chômage élevé, la déflation, et l’essor de la dette publique. Dans un tel cadre, au-delà des frontières de l’état-nation dominant, l’euro a conduit à vider la démocratie de sa substance, tournant la politique en administration pour le compte de tiers et de divertissements.

Peut-on faire marche arrière ?

Cette route est-elle réversible ? C’est le deuxième point. Il est difficile de répondre oui. Malheureusement, les corrections nécessaires pour rendre l’euro durable semblent être impossibles pour des raisons culturelles, historiques et politiques. Les opinions publiques ont des points de vue opposés et positions contradictoires, rendus de plus distants à cause de l’ordre du jour dominant dans la zone euro après 2008. Les opinions et les positions répandues chez les Allemands sont des faits. Le peuple allemand mérite le respect comme tout autre peuple. En Allemagne, comme partout, les principes démocratiques s’appliquent à l’intérieur de la seule dimension politique pertinente : l’état-nation.

Les deux premiers points de l’analyse conduisent à une vérité inconfortable : nous devons reconnaître que l’euro était une erreur de perspective politique. Nous devons admettre que, dans la cage néo-libérale de l’euro, la gauche perd sa fonction historique, et est morte en tant que force attachée à la dignité et à la pertinence politique du travail et à la citoyenneté sociale en tant que véhicule de démocratie effective. La non-pertinence ou la connivence des partis de la famille socialiste Européenne sont manifestes. En continuant à invoquer, comme ils le font, les États-Unis d’Europe” ou une réécriture pro-travail des Traités est un exercice virtuel conduisant à une perte continue de crédibilité politique.

Que faire ?

Qu’y a-t-il à faire ? Nous sommes à un tournant de l’histoire. D’une part, le chemin de continuité lié à l’euro, c’est l’acceptation de la fin de la démocratie de la classe moyenne et de l’état-providence : un équilibre précaire de sous-emploi et de colère sociale, menacé par des risques très élevés de rupture nationaliste et xénophobe. De l’autre, une décision partagée, sans actes unilatéraux, à aller au-delà de la monnaie unique et du cadre institutionnel lié, surtout pour fixer la responsabilité démocratique de la politique monétaire : une solution mutuellement bénéfique, malgré un chemin difficile, incertain, avec des conséquences douloureuses au moins dans la période initiale.

L’Allemagne l’a bien compris et, toujours consciente de son histoire, indique une voie de sortie afin éviter une rupture chaotique de la zone euro et des dérives nationalistes incontrôlables (déjà inquiétantes à la fois chez les Allemands et à leur égard) : un accord multilatéral visant à aller au-delà de la monnaie unique, comme illustré dans la proposition de “Grexit assisté”, écrit par le Ministre des Finances Schäuble et approuvé par la Chancelière Merkel. Cela implique de ne pas abandonner la Grèce à elle-même, mais “une sortie accompagnée par la décote de la dette publique (ce qui est impossible dans le cadre actuel des Traités) et d’aide technique, financière et humanitaire.”

Le choix est un choix dramatique. La route de la continuité est l’option explicite des “grandes” coalitions conservatrices et des dirigeants “socialistes” (en France et en Italie, par exemple). La route de la discontinuité peut-être la seule pour tenter de sauver l’Union Européenne, de revitaliser les démocraties bourgeoises et d’inverser la tendance de la dévaluation du travail. Pour une désintégration gérée de la monnaie unique, nous devons construire une large alliance de fronts de libération nationale, à partir des zones euro de la périphérie méditerranéenne, composée de forces progressistes ouvertes à la coopération avec l’aile droite démocratique des partis souverainistes. Le temps disponible est de plus en plus court.

Stefano Fassina

Source : Yannis Varoufakis / Comité de Valmis (trad)


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Sur la logique des “fronts”
Par Jacques Sapir, le 23 août 2015

Le débat suscité par l’interview accordé à FIGAROVOX s’avère extrêmement instructif en ceci que l’on peut y lire l’état de la (non) réflexion de certains. Je précise à nouveau que les différences entre le texte publié sur FIGAROVOX[1] et le texte du carnet (largement plus développé[2]) sont de ma volonté. J’ai considéré que l’interview était déjà bien longue. Mais, ce débat ne reflète pas (seulement) l’état intellectuel d’une partie des militants et sympathisants de la gauche. On peut y lire aussi de véritables interrogations quant à la stratégie politique que devrait adopter un « front de libération nationale » pour reprendre l’expression de Stefano Fassina[3] ou ce que j’appelle quant à moi un « front anti-Euro ». L’objet de cette note sera donc d’éclaircir ou de préciser certains points. Que l’on ne s’étonne pas si le vocabulaire employé pourra apparaître daté (pour ceux qui s’en souviendraient). C’est que la question des « fronts » a une longue histoire. Mais, que l’on ne se méprenne pas non plus sur ce vocabulaire. On n’en usera que ce qui sera nécessaire.

1 – Les caractéristiques de la période

Toute réflexion sur la stratégie politique s’enracine dans une analyse de la période tant politique qu’économique. Celle que nous vivons a pris naissance dans le basculement qui s’est produit dans les années 1970 et 1980 et qui a produit la financiarisation du capitalisme. Non que la finance ait été chose nouvelle. Mais, à travers les processus d’innovations financières qui se sont développés à partir de 1971-1973, la finance s’est progressivement autonomisée des activités productives dans une première phase, puis elle s’est constituée en surplomb par rapport à ces dernières dans une deuxième phase. Aujourd’hui, la finance prélève une rente de plus en plus importante sur les activités productives, et ceci se traduit par l’ouverture impressionnante de l’écart entre le 1% le plus riche de la population et le reste de cette dernière. En découle aussi ce que l’on a appelé les « trente piteuses » par opposition aux « trente glorieuses », et qui sont caractérisées par la montée d’un chômage de masse et une faible croissance.

Dans ce processus de financiarisation, un moment décisif en Europe a été la mise en place de l’Euro (pour l’appeler par son véritable nom : Union Economique et Monétaire ou UEM). Les institutions des économies qui ont adopté l’Euro s’en sont trouvées progressivement modifiées, que ce soit les institutions monétaires, qui furent les premières naturellement à être affectées, mais aussi les institutions productives (à cause de la distorsion importante de concurrence induite par un taux de change fixe sur le long terme) et enfin les institution sociales. Ce que l’on appelle aujourd’hui « l’austérité » n’est que le résultat de ce changement institutionnel. L’austérité est la fille légitime de l’Euro ; elle devenue depuis 2010 sa fille chérie. Après avoir tenté de ruser avec cette dernière dans les années 1999 à 2007, des pays comme la France, l’Espagne ou l’Italie, le Portugal et la Grèce ont été contraints, à des rythmes et dans des conditions qui sont à chaque fois spécifiques, à entrer dans le carcan de l’austérité. La domination de la thématique austéritaire sur la vie politique de ces pays correspond aussi avec l’enracinement de la financiarisation que permet l’Euro.

Mais, l’Union Economique et Monétaire a induit aussi, et l’on peut aujourd’hui supposer que tel était bien l’objectif réel de ceux qui ont mis en place l’Euro, des changements importants dans la forme et les méthodes de la gouvernance politique. Le basculement vers un monde de déni systématique de la démocratie en découle. Il faut considérer que la monnaie unique n’est pas seulement un instrument de la financiarisation. Elle-même s’est progressivement autonomisée et est devenue un mode de gouvernement qui a des conséquences désormais chaque jour plus importante sur le fonctionnement politique des pays. Les parlements nationaux sont progressivement privés de leurs prérogatives souveraines, en particulier – mais pas uniquement – par le TSCG qui fut ratifié en septembre 2012. Cette dépossession de la souveraineté populaire et de la démocratie se fait au profit d’un seul pays, l’Allemagne. Elle a des conséquences politiques profondes à la fois sur les représentations des peuples et sur les mécanismes politiques tant dans les différents pays qu’entre ces derniers. C’est l’un des principaux facteurs promouvant des comportements anti-démocratiques dans les pays européens. L’une des conséquences de l’Euro est l’accentuation des effets de compétition et de concurrence entre les pays, effets qui désormais menacent directement la paix en Europe.

Ainsi, nous sommes à nouveau confrontés à des contradictions sociales extrêmement fortes, tant à l’intérieur de chaque pays qu’entre ces derniers. Nous sommes à nouveau confrontés à une période de troubles et de révolutions.

2 – Les taches de la période

Les institutions mises en place dans le cours de la période, et plus particulièrement dans la phase actuelle de domination de la finance, constituent un ensemble qui fait système. Mais, en Europe, on perçoit la place centrale qui est occupée par l’Euro. C’est ce qui fait de la destruction de l’Euro l’objectif stratégique aujourd’hui. Toute tentative visant à sortir de la financiarisation et de l’austérité en restant dans le cadre de l’Euro est vouée à l’échec. On a pu le constater avec les événements qui se sont déroulés en Grèce cette année. A partir du moment où le gouvernement grec acceptait de faire du maintien dans l’Euro la condition de sa politique, il mettait sa tête sur le billot, comme l’a montré le diktat qui lui fut imposé le 13 juillet. En s’attaquant à l’Euro directement, on ouvre au contraire une brèche dans le système institutionnel. L’Euro aboli, une partie des institutions existantes deviennent incohérentes (y compris des institutions de l’Union européenne) et leur remplacement ou leur évolution redevient possible. Mais, dire cela implique que l’on se situe dans l’univers des possibles et non de la certitude. L’abolition de l’Euro n’entraînera pas automatiquement ce résultat. Mais, tant que l’Euro restera en place aucun changement n’apparaît possible. La destruction de l’Euro est donc une condition nécessaire mais non suffisante.

Il faut donc non pas se limiter à la seule destruction de l’Euro (qui est un préalable indispensable) mais aussi penser ce qui pourrait accompagner cette destruction et la reconstruction qui suivra. Cela implique un projet de reconstruction global de l’économie avec des implications dans le domaine monétaire et bancaire, dans celui de la production, des mesures sociales et environnementales, de la fiscalité, etc.… Il est aussi clair que la destruction de l’Euro impliquera de repenser les formes et les processus d’insertion de la France (ou de tout autre pays) à l’échelle internationale. La destruction de l’Euro conduira à la mise en œuvre d’une autre forme de politique étrangère ainsi qu’à une redéfinition de nos relations avec les pays européens. Ce projet est considérable. Il implique un niveau de consensus dans l’opinion, consensus qui ne pourra se construire que sur une convergence d’opinions, voire des accords précis sur un certain nombre de points. La lutte contre l’Euro impliquera une alliance quelle qu’en soit la forme (et elle pourrait se limiter à une forme implicite). Mais, cette alliance devra s’étendre aux mesures d’accompagnement immédiat de la destruction de l’Euro. C’est en cela que la meilleure analogie pourrait être avec le programme du CNR qui ne visait pas seulement à la libération du territoire mais posait aussi des objectifs de réformes importants de la société française.

3 – L’hypothèse de Stefano Fassina

En raison de sa place centrale dans le mécanisme de domination capitaliste actuel, et en raison de la sujétion dans laquelle est tenue la France (et la souveraineté populaire), cette lutte contre l’Euro peut s’apparenter à une lutte de libération nationale. Cette expression a été employée pour la première fois par Stefano Fassina. Il appelle à la constitution de « fronts de libération nationale » dans les différents pays qui ont été assujettis à la logique austéritaire et aux visées de l’Allemagne, et il est – en partie – rejoint sur ce terrain par Romano Prodi[4], l’ancien Premier-ministre italien.

Ce type de vocabulaire, s’il possède une capacité d’appel très important, pose néanmoins le problème de ce que l’on désigne sous le vocable de « logique frontiste ». Cette logique frontiste est combattue par ceux qui pensent que le problème se réduit à un affrontement global entre le capitalisme et les « révolutionnaires » et qui ne sont prêts à aucun compromis au nom de la cohérence de ce combat. L’argument le plus important contre la « logique frontiste » est que les compromis nécessaires que doivent passer des forces de gauche les empêchent de construire les mobilisations populaires qui sont leurs seuls points d’appuis. Les forces de gauche se trouveraient donc désarmées par une logique soumettant la dynamique générale du combat aux obligations de la constitution d’un « front ». Elles seraient amenées à perdre que ce soit avant d’avoir atteint le premier objectif ou immédiatement après la réalisation de cet objectif lors de la phase dite « d’exploitation » de la victoire initiale[5]. Dans cette critique de la logique frontiste, on devrait passer instantanément, et avec aussi peu de médiations que possible de l’objectif d’étape à l’objectif général. Mais, cette critique repose sur en réalité sur une théorisation de la Révolution russe qui n’a que peu de rapports avec ce que fut la pratique réelle des Bolcheviks. De fait, les objectifs qui assurèrent le succès du mouvement révolutionnaire furent essentiellement des objectifs réformistes, cimentés par le consensus nationaliste une fois l’intervention étrangère déclenchée contre la révolution.

Mais, il est aussi évident qu’une soumission trop étroite des diverses forces à l’objectif immédiat, l’incapacité (ou le manque de volonté) de penser « l’après » ont été des facteurs important d’affaiblissement de la lutte. Dans le cas des luttes menées contre la colonisation, les mouvements qui ont réussis sont ceux qui ont su associer la dynamique du combat immédiat pour l’indépendance à des perspectives de construction de la société postcoloniale. La validation d’une stratégie de « front » n’est donc pas une question de principe. Elle repose sur un certain nombre de règles que l’on peut énoncer ainsi :

Préparation de « l’après » dès la phase initiale de la lutte.
Maintien de l’autonomie tant stratégique que politique des forces cherchant à promouvoir un réel changement social.
Capacité de réunir autour du « front » le plus grand nombre et d’isoler l’adversaire.

4 – La logique des fronts

On discerne immédiatement qu’aucun parti ou mouvement ne pourra à lui seul porter le programme concernant « l’après ». La question des alliances se pose donc, et avec elle celle de leur forme. Les alliances peuvent être réduites au minimum dans certains cas (un pacte tacite de non-agression) comme elles peuvent être plus développées (participation commune à des structures politiques, voire à des gouvernements).

Cette question des alliances se pose dans l’immédiat, afin d’avoir la force nécessaire pour vaincre les obstacles de toutes sortes qui s’élèveront entre les forces anti-Euro et la destruction de ce dernier. Car, il ne faut avoir aucun doute sur le fait que dans la défense de l’Euro nous aurons une bonne partie des forces politiques traditionnelles, les banques et le grand patronat, mais aussi une large partie des « prescripteurs d’opinions » de la presse. Une partie importante de ces forces est transfrontière, qu’il s’agisse des partis politiques ou des milieux d’affaires. Ces forces susciteront toutes les formes de division possible. Cela veut dire que si la bataille se déroulera nominalement dans le cadre français, elle opposera en réalité des forces internationales au « front » qui combattra l’Euro.

Il devient évident, dans ces conditions, que l’un des points clefs de la réussite de ce front sera au contraire la capacité d’unir la population française et une partie de la petite bourgeoisie et de porter la division au sein de l’adversaire. Il faudra montrer en quoi une large majorité de la population bénéficiera de la suppression de l’Euro, qu’il s’agisse des catégories les plus défavorisées comme de certaines catégories de patrons de PME et PMI. L’absence ou la faiblesse des représentations politiques de ces dernières catégories implique que la bataille pour les gagner au « front » anti-Euro passera essentiellement par des thèmes idéologiques et par la capacité à maintenir l’activité courante à un niveau normal. Souvenons-nous de la pression très forte qu’a exercée la Banque Centrale Européenne sur la société grecque en organisant dans les faits une crise de liquidités dans ce pays. Mais, il faudra, aussi, diviser l’adversaire et le convaincre, dans ses représentations, qu’une destruction de l’Euro est inévitable afin d’engendrer en son sein des comportements de « sauve-qui-peut » qui désarticuleront rapidement sa capacité d’action et de réaction. Le phénomène des anticipations auto-réalisatrices doit pouvoir jouer au détriment de l’adversaire. Cela implique que des propositions comme celles d’un « plan A » rationnellement discuté (et qui peut avoir une certaine validité théorique), ou d’un référendum sur l’Euro devront être abandonnées très vite car de la rapidité des réactions et de l’avancement du « front » contre l’Euro dépendra largement sa victoire.

Une deuxième condition du succès est que le « front » ait une idée claire des mesures qui accompagneront la sortie de l’Euro que ce soit dans l’immédiat ou dans le moyen terme. Rien ne serait plus destructeur pour ce « front » que d’aller à la bataille sans avoir un accord, même implicite, sur ses mesures. Car, il faut savoir qu’une fois les opérations engagées, elles se dérouleront dans la temporalité des marchés financiers (même si ces derniers sont techniquement fermés en France), et que cette temporalité s’apparente à celle des opérations militaires. On l’a clairement vu lors de la crise de Lehman Brothers en 2008. Il est donc hors de question de s’engager dans cette bataille avec pour seule idée la « reconstitution de la souveraineté monétaire ». Il faudra pouvoir être rapidement beaucoup plus précis, même s’il n’est pas utile d’entrer aujourd’hui dans les détails. En un sens, la sortie de l’Euro se planifie comme une opération militaire, que ce soit à très court terme, mais aussi à moyen terme. Un accord, je la redis même implicite, sur les mesures à prendre sera l’une des conditions de réussite, ou d’échec, du front anti-Euro.

La troisième question qu’il faudra régler concerne à l’évidence la superficie de ce « front » et ses formes de constitution. De très nombreuses formules peuvent être imaginées, allant de la coordination implicite (pacte implicite de non agression) à des formes plus explicites de coopération. Rappelons ici que lors de l’élection présidentielle de 1981 les militants du RPR ont collé des affiches de François Mitterrand…On ne peut chérir éternellement les causes des maux dont on se lamente et, à un moment donné, la logique de la vie politique voudra que soit on sera pour la sortie de l’Euro soit on sera pour conserver l’Euro. Il n’y aura pas, alors, de troisième voie.

Il est évident que ces diverses formes d’ailleurs ne s’opposent pas mais peuvent se compléter dans un arc-en-ciel allant de la coopération explicite à la coordination implicite. Mais on voit bien, aussi, qu’à terme sera posée la question de la présence, ou non, dans ce « front » du Front National ou du parti qui en sera issu et il ne sert à rien de se le cacher. Cette question ne peut être tranchée aujourd’hui. Mais il faut savoir qu’elle sera posée et que les adversaires de l’Euro ne pourront pas l’esquiver éternellement. Elle impliquera donc de suivre avec attention les évolutions futures que pourraient connaître ce parti et de les aborder sans concessions mais aussi sans sectarisme.

Du point de vue des formes que pourraient prendre ce « front, la formule « marcher séparément et frapper ensemble » me semble la mieux adaptée. Ceci n’épuise pas – et de loin – la question de la superficie du « front ». Il faudra vérifier la possibilité de détacher du Parti « socialiste » certains de ses morceaux, vérifier aussi la possibilité de pouvoir compter avec des dissidents de l’UMP et des souverainistes issus des partis indépendants (et on note avec satisfaction les discussions entre Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Pierre Chevènement). Il faudra enfin, et ce n’est pas la moindre des taches, unifier la gauche radicale. Ces diverses taches n’ont plus été à l’ordre du jour depuis 1945 dans notre pays. La perte d’expérience est ici considérable, les réflexes sectaires sont largement présents mais, surtout, la prégnance d’une idéologie moralisante se faisant passer pour de la politique constitue le principal obstacle, et la force principale de nos adversaires.

Les raisons de potentiels désaccords seront extrêmement importantes dans ce « front », s’il se constitue. Mais, la véritable question est de savoir si les femmes et les hommes qui composeront ce « front » sauront dépasser leurs désaccords, quels qu’ils puissent être et aussi justifiés puissent-ils être, pour comprendre que l’objectif de sortie de l’Euro, avec tout ce qu’il implique (et que je ne rappelle pas) impose de mettre provisoirement ces désaccords de côté. C’est à cette aune là que nous verrons si le camp des forces anti-Euro est capable d’affronter les taches de la période.

[1] http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/08/21/31001-20150821ARTFIG00294-montebourgvaroufakis-sortie-de-l-euro-le-dessous-des-cartes-par-jacques-sapir.php
[2] http://russeurope.hypotheses.org/4225
[3] Fassina S., « For an alliance of national liberation fronts », article publié sur le blog de Yanis Varoufakis par Stefano Fassina, membre du Parlement (PD), le 27 juillet 2015, http://yanisvaroufakis.eu/2015/07/27/for-an-alliance-of-national-liberation-fronts-by-stefano-fassina-mp/
[4] Voir son éditorial d’Il Messagero du 8 aout 2015, http://www.ilmessaggero.it/PRIMOPIANO/ESTERI/europa_fermi_inaccettabile_blitz_tedesco/notizie/1507018.shtml
[5] On retrouve ici la critique Trotskiste du Frente Popular lors de la guerre civile espagnole, ou des fronts de libération nationale constitués durant la seconde guerre mondiale, avec en particulier la critique portée à l’encontre du PCF et du PCI pour la phase qui suivit immédiatement la Libération.

Source : RussEurope

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Réflexions sur la Grèce et l’Europe
Par Jacques Sapie, le 21 août 2015

Interview réalisée pour FIGAROVOX le vendredi 21 août, par Alexandre Devecchio. Ceci est la version longue du papier publié sur le site de FigaroVox. Les différences entres les deux versions sont de mon fait et non de l’équipe de FIGAROVOX.

Le troisième plan d’aide à la Grèce en cinq ans, d’un montant de 86 milliards d’euros est en place. Les ministres des Finances de la zone euro ont approuvé mercredi soir le déblocage d’une première tranche de 26 milliards d’euros. Le pays a été en mesure jeudi de rembourser en temps et heure et sans drame 3,4 milliards d’euros à la BCE. Est-ce une bonne nouvelle ?

Les remboursements qui ont été faits par la Grèce (à la Banque Centrale Européenne) étaient prévus et organisés depuis ces derniers jours. Ils n’ont donc rien d’étonnant. Mais il faut se garder de tout optimisme. Le plan que l’on appelle d’aide à la Grèce, mais qui est essentiellement un plan visant à assurer la solvabilité à court terme de ce pays en contrepartie de conditions qui sont, elles, réellement draconiennes, va permettre à ce pays de rembourser ses créanciers. En fait l’Union européenne va prêter de l’argent pour pouvoir être remboursée. C’est une mécanique absurde et qui ne va pas sortir la Grèce de la crise. Elle ne va même pas garantir la place de la Grèce à l’intérieur de la zone Euro[1], mais elle va imposer de nouveaux sacrifices à la population, et tout cela en pure perte. On pressent bien que l’Euro n’est nullement sauvé[2], et en ce qui concerne la Grèce elle-même le pire est que ce plan va l’enfoncer, tout en organisant une immense spoliation des actifs appartenant au gouvernement grec[3] au profit de quelques sociétés, essentiellement allemande. La Grèce sera à nouveau en dépression quant on regardera les résultats du 3ème et surtout du 4ème trimestre. Le résultat du 2ème trimestre, une croissance de 0,8%, étant dû essentiellement aux achats de précaution de la population grecque dans le cours du mois de juin, et à l’impact du tourisme. Avec l’asphyxie économique organisée par la Banque Centrale Européenne à partir du 26 juin, il est évident que les résultats du 3ème trimestre vont être très mauvais.

Cette dépression, organisée en réalité par le plan dit d’aide, va se poursuivre en 2016 et sans doute après. Telle est la réalité des faits. Prétendre le contraire c’est au mieux se mentir, au pire mentir aux autres. Dans ces conditions, parler de solvabilité retrouvée a pour la Grèce une dimension surréaliste. Techniquement, la Grèce peut rembourser ce qu’elle doit, mais avec un emprunt supplémentaire. C’est ce que l’on appelle en économie un « système Ponzi », une pyramide financière comme celles que l’on a connues dans les années 1990 en Russie et dans les pays ex-socialistes. Avec cette pyramide, la dette de la Grèce va atteindre le 200% du PIB. C’est la preuve que les politiques mises en place par les mémorandums successifs ne fonctionnent pas.

N’est-ce pas un peu péremptoire de condamner ce plan par avance ?

Les principaux économistes qui connaissent la Grèce, et même le Fond Monétaire International, ont tous condamné ce plan. Le FMI d’ailleurs ne veut pas participer à ce plan si une annulation d’au moins 35% de la dette grecque n’est pas consentie[4]. Or, sans l’adhésion du FMI à ce plan, on ne pourra pas mobiliser le MES (Mécanisme Européen de Solidarité) pour trouver une partie de l’argent. Le conflit aujourd’hui ouvert entre l’Eurogroupe et le FMI mine toute possibilité de réussite de ce plan.

Il faut comprendre les raisons de cette condamnation quasi unanime par la communauté des économistes. Dans le domaine macroéconomique, ce plan organise une contraction très forte de la demande intérieure et va déstabiliser la société en compromettant les mécanismes de transferts intergénérationnels qui servaient jusque là d’amortisseur à la crise sociale. C’est cela, en réalité, l’enjeu du bras de fer entre le gouvernement grec et les créanciers sur la question des retraites. Compte tenu de la faiblesse des allocations chômages, une partie de la population ne survivait que grâce aux transferts réalisés par les parents. En organisant une réduction brutale du montant des retraites, c’est globalement l’ensemble de la population, et non seulement les seuls retraités, que l’on va frapper. Il faut, sur ce point, lire les critiques faites par Yanis Varoufakis sur son blog à ce plan[5].

En ce qui concerne les réformes structurelles, les privatisations qui sont annoncées n’auront aujourd’hui aucun effet positif. C’est simplement un droit donné à des entreprises étrangères de racheter des entreprises publiques pour une bouchée de pain. Le consortium allemand Fraport qui achète aujourd’hui 14 parmi les plus rentables des aéroports régionaux grecs pour la ridicule somme de 1.23 milliards n’est autre que celui-là même qui devait les acquérir en 2014[6]. Il faut ici ajouter que ce consortium est par ailleurs la propriété du gouvernement allemand. Les autorités européennes, qui sont d’habitude tellement à l’affut de possibles conflits d’intérêts, ont ici fermé les yeux…Ces privatisations n’auraient eu un sens que si elles s’accompagnaient d’engagements précis et chiffrés des entreprises étrangères à investir en Grèce, c’est à dire à apporter de l’argent frais à l’économie grecque. Il n’en est pas question, et les 3ème mémorandum aboutit en réalité à désarticuler l’embryon de politique de privatisation sérieuse qu’avait commencé à élaborer le gouvernement grec. Si on récapitule, le « plan » organise une chute des revenus et de la demande intérieure des ménages, n’organise nullement des transferts d’investissements au profit de la Grèce, et va favoriser en réalité la structure de corruption et de collusion qu’avait dénoncée en son temps le Ministre des finances Yanis Varoufakis. Le tout dans un pays qui a connu déjà cinq années de dépression économique, où le chômage est au-dessus de 28% et où les investissements productifs se sont effondrés. On peut, peut-être, faire pire mais, sauf à faire exploser une bombe nucléaire au-dessus d’Athènes, cela risque d’être difficile.

Alexis Tsipras, va en effet annoncer ce jeudi soir sa démission dans le but de précipiter des élections anticipées le 20 septembre. Il n’a pas réussi à mettre fin à l’austérité en Grèce. Comment expliquez-vous un tel échec ?

La vérité est que, sans une sortie de l’Euro, Tsipras ne pouvait pas mettre fin à l’austérité. Après, il faut comprendre le pourquoi de sa démission et la convocation d’élections anticipées. La démission d’Alexis Tsipras est en réalité très logique. Le gouvernement n’a plus de majorité, et ne peut faire passer les mesures imposées par la zone Euro que grâce aux voix de l’opposition, comme on l’a vu pour la ratification de l’accord du 13 juillet et pour celle du 3ème mémorandum. De plus, Tsipras sait qu’il reste aujourd’hui plus populaire que la droite grecque (la Nouvelle Démocratie ou deux mensonges en un seul) tandis que les partis du centre-gauche sont largement discrédités (le PASOK, le parti dit socialiste et To Potami, un parti constitué par un oligarque grec avec le soutien des eurocrates bruxellois)[7]. La crainte de Tsipras est que la gauche de SYRIZA n’acquiert rapidement une influence importante. D’ailleurs ce vendredi 21 août 29 députés du Syriza ont fait défection pour créer un nouveau parti Unité Populaire. Leur coordinateur, Panagiotis Lafazanis, ne cache pas qu’il est résolu, s’il le faut, à sortir de l’Euro[8]. Les derniers sondages montrent, en effet, que l’écart entre les partisans et les adversaires de l’Euro s’est largement réduit ces dernières semaines.

Dans ces conditions, il était logique pour Tsipras de provoquer rapidement des élections anticipées. Il espère avoir à nouveau la majorité (et dans le système électoral grec, tout parti arrivé en tête aux élections à un bonus de 50 sièges sur les 300 que compte le Parlement). Le risque, pour Tsipras ne viendra pas de la Nouvelle Démocratie, qui reste largement discréditée mais du score que fera le nouveau parti de gauche issu de la scission de SYRIZA. Si ce parti fait au moins 5% à 6% des voix, ce qui serait déjà un exploit pour une formation qui vient tout juste d’être créée et qui n’aura qu’un mois pour se faire connaître des électeurs, SYRIZA peut avoir sans doute entre 25% et 26% des voix, avoir le bonus de 50 sièges et chercher un alliance avec un parti pro-mémorandum. Mais si Unité Populaire, la scission de SYRIZA, arrive à capitaliser sur la vague de fond qui a porté le « non » à 61% des suffrages lors du référendum du 5 juillet, et dépasse les 10% des voix, la situation deviendra beaucoup plus difficile. D’autant plus qu’il faudra s’attendre à une poussée importante de l’extrême-droite (Aube Dorée) qui joue sur le traumatisme de la capitulation de Tsipras mais aussi sur la crise des réfugiés qui s’est développée en juillet et en août en Grèce.

La démission de Tsipras est un pari politique. Ce n’est pas un geste de renoncement, et ce n’est pas un geste fou. C’est en réalité une course de vitesse entre Tsipras et ses opposants. Tsipras fait le calcul que l’inertie de sa popularité va tenir jusqu’au 20 septembre contre une montée en puissance de la gauche. Mais ceci n’est qu’un calcul. L’électeur grec est le juge de paix.

Quelles ont été ses principales erreurs durant ses huit mois de mandat ?

Il y a eu clairement un échec stratégique de Tsipras dans son affrontement avec les créanciers et avec l’Eurogroupe. C’est l’échec d’une stratégie prétendant imposer de l’intérieur un changement d’orientation à l’Union européenne et à l’Eurogroupe. Cet échec résulte de ce que Tsipras s’est délibérément enfermé dans une position le conduisant à préférer un mauvais accord avec une rupture. Ce fut son choix. Ceci, pourtant, ne s’est pas fait sans débats. Une théorie à la mode, tant dans les milieux d’extrême-gauche que dans certains milieux souverainiste, prétend aujourd’hui que ce résultat, la capitulation du 13 juillet, était inscrit dans le programme de SYRIZA. C’est une reconstruction des faits qui ne résiste pas à l’analyse. Dès avant l’élection du 25 janvier (en fait au début du mois de décembre 2014), nous savons aujourd’hui que Tsipras et Varoufakis avaient anticipé les pressions et les menaces dont userait l’Eurogroupe envers la Grèce. Tout le sens du « plan B » mis au point par Varoufakis était justement de donner de l’air au gouvernement grec dans le cas où, comme cela s’est effectivement produit, l’Eurogroupe et la Banque Centrale Européenne chercheraient à étrangler la Grèce. Mais, la logique de ce « plan B » aboutissait à préparer une sortie de l’Euro. Pour des raisons essentiellement idéologiques, ceci fut refusé par Tsipras. Car, si Varoufakis s’était prononcé pour l’Euro sous certaines conditions, il avait pleinement conscience que la logique du « plan B » pouvait le conduire à une sortie de l’Euro, et il l’avait accepté[9]. La position de Varoufakis sur l’Euro a donc évolué de janvier à juin dernier. Il continue aujourd’hui de penser qu’une sortie de l’Euro est un « mal » mais un « moindre mal » par rapport à l’acceptation de l’accord du 13 juillet et du 3ème mémorandum qui correspond pour lui au mal absolu.

Cette erreur stratégique ayant été faite, et il est important de comprendre qu’elle ne fut tranchée que dans la nuit du 5 au 6 juillet 2015, soit après le référendum où le « Non » avait largement gagné (avec plus de 61% des suffrages exprimés), la capitulation du 13 juillet ne pouvait qu’en découler. Cette capitulation est le résultat de l’erreur stratégique alors commise, et non celui d’une contrainte inévitable et insupportable comme tente de la justifier, assez piteusement d’ailleurs, le secrétaire national du PCF Pierre Laurent[10].

Tactiquement, Varoufakis a bien mené la négociation. Les différentes propositions faites par le gouvernement grec avaient du sens. Le gouvernement grec n’avait pas rejeté toutes les mesures d’économie, mais il les liait, et avec raison, à des mesures de relance. Contrairement à l’image qu’en a donné une certaine presse, cette négociation ne fut pas le « refus » de toute mesure de la part du gouvernement grec. Bien au contraire ; d’ailleurs, tant Tsipras que Varoufakis étaient parfaitement conscients des désordres affectant l’Etat grec, son système fiscal, et du poids extravagant joué par les oligarques dans l’économie grecque. Mais, l’Eurogroupe a systématiquement refusé toute négociation, et moins pour des raisons économiques que pour des raisons politiques. Il y a eu une volonté de punir le gouvernement et le peuple grec, et un mépris profond et explicite pour la démocratie. De fait, l’Union européenne (et l’Eurogroupe) n’accepte des élections que quand le résultat de ces dernières va dans son sens. Ceci en dit long sur la « démocratie » qui imprègne les dirigeants européens et cela constitue, en tant que tel, une des problèmes majeurs révélés par la crise grecque.

Quel a été le tournant décisif ?

En terme de décision, c’est à l’évidence la nuit du 5 au 6 juillet et la réunion du comité restreint du gouvernement, ou Varoufakis fut mis en minorité. Il me semble, si je relis les échanges que j’ai eu avec son secrétariat, qu’il était alors résolu à franchir le Rubicon et à nationaliser non seulement les banques grecques mais aussi à réquisitionner la Banque Centrale de Grèce. Il avait pleinement conscience que cela provoquerait la rupture avec l’Eurogroupe et la sortie de la Grèce de l’Euro. Dans cette situation, la Grèce aurait immédiatement fait défaut sur sa dette souveraine, ce qui l’aurait mis en position de force pour la suite des négociations avec ses créanciers. Ceux qui prétendent que Tsipras a, alors, pris la seule décision possible soit ne connaissent pas le déroulement des événements soit, et c’est bien plus probable, mentent en toute connaissance de cause.

On peut cependant penser qu’un tournant plus subtil fut pris, par défaut, quand Tsipras n’a pas donné suite aux propositions de Varoufakis d’activer une partie du fameux « plan B » dès le mois de mai. Cela aurait permis, incontestablement, au gouvernement grec d’être plus fort lors du début de l’affrontement avec les autorités européennes le 26 juin. On peut aussi penser que Varoufakis, alors en pleine évolution personnelle, aurait pu et dû prendre plus de contacts avec l’aile gauche de SYRIZA et trouver en son sein des appuis politiques qui lui auraient peut-être permis de modifier le rapport des forces[11]. Mais, il faut aussi savoir qu’en avril et mai 2015 Varoufakis négociait pied à pied avec l’Eurogroupe et la Commission européenne. Or, il n’y a que 24 heures dans une journée…

Cependant, quelle que soit la date que l’on retient, il est évident que le jeu était ouvert jusqu’au référendum du 5 juillet. Encore une fois, l’affirmation selon laquelle la capitulation du 13 juillet était inscrite dans le programme de SYRIZA est un mensonge ou, à tout le moins, prend des libertés avec la réalités des faits. Elle fait fi des affrontements et des débats qui se sont déroulés de janvier à juin. Ce que l’on peut par contre dire c’est qu’à avoir limité le débat aux instances centrales de SYRIZA Varoufakis a très probablement affaibli sa position et s’est enfermé dans le piège dont il fut la victime.

Cet échec donne-t-il raison à ceux qui affirment qu’il n’y a qu’une seule politique possible ?

Il est clair que c’est le message que vont chercher à imposer médiatiquement les milieux européistes de Bruxelles et d’ailleurs. On va ressortir du placard le vieux « TINA » (There Is No Alternative) de Margaret Thatcher. Et, qui ne manque pas d’ironie, c’est que ce sont des politiciens qui se prétendent “de gauche” qui vont le plus en faire usage, de François Hollande à Pierre Laurent, en passant par Pierre Moscovici. Mais, ceci ne correspond nullement à la vérité. L’existence du « plan B » est l’une des preuves, au contraire, qu’une autre politique était, et est toujours, possible. Cependant, il faut comprendre que cette autre politique implique, à un moment ou à un autre, une rupture avec l’Euro et avec l’Union européenne. Ce que la crise grecque, qui n’est visiblement pas terminée, nous enseigne c’est qu’il n’y a pas d’autre politique possible dans le cadre de l’Euro. Cette évidence est venue frapper avec force ceux qui à gauche, et en toute honnêteté, maintenaient un discours « pro-Euro » et un discours anti-austérité. Ces deux discours sont incompatibles, comme on le voit aujourd’hui. Soit l’on accepte l’austérité, quitte à en négocier des miettes, le poids des chaînes et le a durée de l’esclavage, et l’on peut garder l’Euro, soit on refuse l’austérité, mais alors cela implique une sortie de l’Euro[12].

L’Euro est devenu un obstacle tant à la démocratie (et on l’a vu en Grèce) qu’à une politique en faveur du travail et opposée à la finance. Néanmoins, ces questions n’épuisent nullement le sujet. L’Euro a, en réalité, accentué et généralisé le processus de financiarisation des économies que l’on connaît depuis près de quinze ans[13]. C’est du fait de l’Euro que les grandes banques européennes sont allées chercher des subprimes aux Etats-Unis avec les conséquences que l’on connaît lors de la crise de 2008. Ainsi, non seulement la zone Euro a entraîné une partie de l’Europe dans une très faible croissance[14], mais elle ne l’a pas protégée, au contraire de ce que prétendent très impudemment les hommes politiques, de la crise financière de 2007-2009. Le résultat est donc clair. Si des politiques néfastes pour les économies peuvent être mises en œuvre hors de l’Euro, ce dernier implique des politiques néfastes. En fait, aucune autre politique économique n’est possible tant que l’on est dans l’Euro. C’est l’une des leçons de la crise grecque. Aussi, un démantèlement de la zone Euro apparaît bien comme une tache prioritaire.

Nous avons donc eu, à l’occasion de la crise grecque, une clarification importante du débat, que ce soit en Grèce mais aussi en Europe et en France en particulier. Les positions ont commencé à bouger au sein de la gauche radicale et bien des yeux se sont ouverts.

Comment reconstruire une alternative à la politique européenne actuelle ?

Si l’on considère cette alternative comme étant celle d’une rupture avec l’Euro, et je rappelle qu’il ne peut y avoir d’autre politique que sur la base d’une sortie de l’Euro, alors, cette alternative implique d’associer des forces de gauche à des forces souverainistes. Il faut noter, sur la question de l’Euro, une évolution importante au sein des forces de gauche, y compris en France si l’on observe bien les évolutions de J-L. Mélenchon et surtout d’Eric Coquerel[15], sur ce point. Ce fut aussi ce que disait un article dans The Guardian publié le 14 juillet 2015, soit au lendemain de la capitulation de Tsipras et appelant à une « sortie de gauche » ou « lexit »[16]. C’est, implicitement, le sens de l’appel de Stefano Fassina, qui fut un des responsables du Parti Démocrate en Italie (et ancien vice-Ministre de l’économie du gouvernement Letta), appel qui a été relayé sur le blog de Yanis Varoufakis[17]. C’était enfin aussi le sens de l’article d’Oskar Lafontaine, ancien responsable du SPD et membre fondateur de Die Linke, qui, en 2013, appelait à la dissolution de l’Euro[18]. Depuis, le débat a été relayé par l’intervention de Mme Sahra Wagenknecht, co-présidente du groupe parlementaire du parti de gauche Die Linke au Bundestag dans le journal „Die Welt“[19]. Mais, cette alternative n’aura de sens que si elle s’élargit à l’ensemble des forces qui, aujourd’hui, appellent à sortir de l’Euro. A partir du moment où l’on se donne comme objectif prioritaire un démantèlement de la zone Euro, une stratégie de large union, y compris avec des forces de droite, apparaît non seulement comme logique mais aussi nécessaire. Vouloir se masquer cela aboutirait à une impasse. La véritable question qu’il convient de poser est donc de savoir s’il faut faire de ce démantèlement de l’Euro une priorité. Et, sur ce point, tant Fassina qu’Oskar Lafontaine et bien d’autres répondent par l’affirmative.

La présence de Jean-Pierre Chevènement[20] aux côtés de Nicolas Dupont-Aignan lors de l’Université d’été de Debout la France est l’un des premiers signes dans cette direction. Mais, ce geste – qui honore ces deux hommes politiques – reste insuffisant. A terme, la question des relations avec le Front National, ou avec le parti issu de ce dernier, sera posée. Il faut comprendre que très clairement, l’heure n’est plus au sectarisme et aux interdictions de séjours prononcées par les uns comme par les autres. La question de la virginité politique, question qui semble tellement obséder les gens de gauche, s’apparente à celle de la virginité biologique en cela qu’elle ne se pose qu’une seule fois. Même si, et c’est tout à fait normal, chaque mouvement, chaque parti, entend garder ses spécificités, il faudra un minimum de coordination pour que l’on puisse certes marcher séparément mais frapper ensemble. C’est la condition sine qua non de futurs succès.

Il faut cependant avoir conscience que la constitution des « Fronts de Libération Nationale » pose de redoutables problèmes. Ils devront inclure un véritable programme de « salut public » que les gouvernements issus de ces « Fronts » auront mettre en œuvre non seulement pour démanteler l’Euro mais aussi pour organiser l’économie le « jour d’après ». Ce programme implique un effort particulier dans le domaine des investissements, mais aussi une nouvelle règle de gestion de la monnaie, ainsi que de nouvelles règles pour l’action de l’Etat dans l’économie. De plus, ce programme impliquera une nouvelle conception de ce que sera l’Union européenne et, dans le cas de la France en particulier, une réforme générale du système fiscal. On glisse alors, insensiblement, d’une logique de sortie, ou de démantèlement, de l’Euro vers une logique de réorganisation de l’économie. Un tel glissement est inévitable, et nous avons un grand précédent historique, le programme du CNR (Conseil National de la Résistance) durant la seconde guerre mondiale. La Résistance ne se posait pas seulement pour objectif de chasser l’armée allemande du territoire. Elle avait conscience qu’il faudrait reconstruire le pays, et que cette reconstruction ne pourrait se faire à l’identique de ce que l’on avait en 1939. Nous en sommes là aujourd’hui.

L’idée de Fronts de Libération Nationale est donc certainement une idée très puissante, que ce soit en France ou en Italie. Mais, elle implique que, au moins à gauche, on se réapproprie la logique des « fronts » et que l’on comprenne que dans ce type de « front » peuvent subsister d’amples désaccords mais qui sont – temporairement – renvoyés au second plan par un objectif commun. La véritable question est celle de l’autonomie d’expression et d’existence des forces politiques de gauche au sein de ces fronts. Il faudra donc bien veiller à ce que les formes institutionnelles que pourraient prendre ces fronts ne soient pas contradictoires avec l’autonomie politique.

L’échec de la gauche dite radicale ouvre-t-il la porte aux extrémistes ?

Ce qui est arrivé n’est nullement un échec de la gauche dite radicale. Ce qui survient en Grèce est, en réalité, une clarification. Et il est à la fois symbolique et important qu’un homme comme Romano Prodi, qui fut Président de la Commission européenne et Premier ministre en Italie, parle à ce sujet de « Blitz allemand »[21]. La crise grecque a secoué jusqu’au plus profond les fondations largement branlantes de la construction européenne. Mais, si la gauche radicale n’arrive pas à surmonter ses préventions et ses réticences, dont certaines peuvent être justifiées, par rapport aux mouvements souverainistes, si l’alliance des « fronts de libération nationale » dont parle Fassina dans son appel, échoue, alors – oui – le risque est grand que les électeurs dans les différents pays ne se jettent dans les bras de mouvements extrémistes. On peut ainsi penser que le parti Aube Dorée aura de beaux jours devant lui en Grèce. C’est pourquoi, et j’insiste sur ce point, il faudra laisser le sectarisme, les procès d’intention et les anathèmes, au vestiaire. De ce point de vue, l’attitude de J-L. Mélenchon qui refuse d’être à la même tribune que Nicolas Dupont-Aignan est puérile. On ne perd sa virginité politique qu’une fois, et la sienne fut déjà perdue dans le soutien inconditionnel à François Hollande en 2012. Dans le CNR il y avait des communistes aux militants de l’Action Française. Il faudra impérativement qu’il en change s’il veut peser dans ce débat ou qu’il argumente très précisément en quoi et pourquoi il refuse de participer à un possible « front ».

 Yanis Varoufakis rencontrera Arnaud Montebourg ce week-end. Show médiatique ou début d’une alliance prometteuse ?

Certainement les deux, car ce sont deux fortes personnalités et par ailleurs deux personnes qui savent bien utiliser les symboles dont ils sont porteurs ! On peut compter sur Arnaud Montebourg, comme sur Yanis Varoufakis, pour faire le Show le 23 août à la « Fête de la Rose » de Frangy-sur-Bresse[22]. Ce qui, d’ailleurs, est dans la logique des choses et n’est pas nécessairement un obstacle. Faire le Show est ainsi une garantie pour les médias parlent de vous et de vos projets. Mais, ce serait une erreur profonde de n’y voir qu’un Show. En fait, l’enjeu de cette rencontre est bien réel et dépasse de loin le « coup » médiatique.

Cet enjeu réside dans la potentialité d’associer à cette alliance, qui est en train de prendre forme, des segments des forces socialistes et socio-démocrates. Car, cette alliance anti-Euro qui est en gestation en Europe implique pour réussir la désarticulation des appareils socialistes (ou socio-démocrates) actuellement existant et qui sont devenus le principal obstacle à la mise en œuvre de politiques alternatives en Europe. On peut d’ailleurs noter les craintes que cette dynamique inspire aux hiérarques socialistes en la jugeant à l’aune du fiel et de la haine que déversent le NouvelObs et Rue89 sur les deux hommes[23]. Cette désarticulation nécessaire est la première phase d’un processus de reconstruction, sur des bases largement différentes. On peut constater, d’ailleurs, que cela ne se réduit pas à ces appareils. Le débat qui travers le PCF, et qui oppose une partie de sa direction à une partie de sa direction sur ce point[24], est tout aussi important même s’il est plus feutré, car la direction du PCF sait comment étouffer l’expression publique d’un débat. De ce point de vue, Arnaud Montebourg, mais cela vaut aussi pour les fameux « frondeurs » du PS, devra très rapidement clarifier sa position vis-à-vis de l’Euro car, entre cette alliance anti-Euro et les forces sociales-libérales qui survivront, il n’y aura rapidement plus de place.

Notes

[1] Komileva L., « Another Bailout Won’t Keep Greece in the Eurozone », in Foreign Policy, 12 août 2015, http://foreignpolicy.com/2015/08/12/another-bailout-wont-keep-Greece-in-the-Eurozone2&utm_medium=social&utm_source=twitter.com&utm_campaign=buffer
[2] Voir l’article de Gregory Mankyw dans le New York Times, « They Told You So: Economists Were Right to Doubt the Euro », 17 juillet 2015, http://www.nytimes.com/2015/07/19/business/history-echoes-through-greek-debt-crisis.html?smid=tw-share&_r=1&abt=0002&abg=0
[3] Tselikas E., « Les privatisations, remède ou poison pour la Grèce? », La Tribune de Genève, 27 juillet 2015, http://www.tdg.ch/monde/Les-privatisations-remede-ou-poison-pour-la-Grece/story/20974067
[4] « Vindicated, while Lagarde emerges a loser? – David Marsh in MarketWatch, note postée le 4 août 2015 sur http://yanisvaroufakis.eu/2015/08/04/vindicated-while-lagarde-emerges-a-loser-david-marsh-in-marketwatch/
[5] Varoufakis Y., « Greece’s Third MoU (Memorandum of Understading) annotated by Yanis Varoufakis », 17 août 2015, http://yanisvaroufakis.eu/2015/08/17/greeces-third-mou-memorandum-of-understading-annotated-by-yanis-varoufakis/ Le texte annoté peut être trouvé à l’adresse suivante : https://varoufakis.files.wordpress.com/2015/08/mou-annotated-by-yv.pdf et l’analyse des précédentes propositions à celle-ci : http://yanisvaroufakis.eu/2015/07/15/the-euro-summit-agreement-on-greece-annotated-by-yanis-varoufakis/
[6] http://www.huffingtonpost.fr/2015/08/18/grece-aeroports-privatisation-consortium-allemand_n_8003410.html
[7] Voir le sondage du 26 juillet de BridgingEurope.net cité dans Sapir J., « Syriza, l’Euro et les opinions des grecs » Russeurope, le 5 août 2015, http://russeurope.hypotheses.org/4179
[8] https://fr.news.yahoo.com/grèce-unité-populaire-nouveau-parti-dissidents-syriza-131855240.html
[9] Voir ce qu’il dit dans sa conversation téléphonique avec les responsables de l’OMFIF : http://www.omfif.org/media/1122791/omfif-telephone-conversation-between-yanis-varoufakis-norman-lamont-and-david-marsh-16-july-2015.pdf
[10] Sapir J., « Pierre Laurent, la Grèce et les mensonges », note publiée sur RussEurope, le 25 juillet 2015, http://russeurope.hypotheses.org/4144
[11] Par exemple avec Costas Lapavitsas, député de SYRIZA et partisan résolu d’une sortie de l’Euro. Voir Lapavitsas C., « Greece is being blackmailed. Exiting the eurozone is its way out » in The Guardian, 25 juin 2015, http://www.theguardian.com/commentisfree/2015/jun/25/greece-blackmailed-eurozone-troika-syriza-common-currency?CMP=share_btn_tw
[12] Voir Daniel Munevar, un des collaborateurs de Varoufakis (http://www.socialeurope.eu/2015/07/why-ive-changed-my-mind-about-grexit/ ).
[13] Sapir J., Faut-il Sortir de l’Euro ?, Paris, Le Seuil, 2012.
[14] Bibow, J., “Global Imbalances, Bretton Woods II, and Euroland’s Role in All This.” in J. Bibow et A. Terzi (edits.), Euroland and the World Economy—Global Player or Global Drag? Londres, Palgrave, 2007.
[15] Voir Coquerel E., « Pour un sommet internationaliste du plan B » note publiée le 18 août 2015, http://www.eric-coquerel.fr
[16] Owen Jones, “The left must put Britain’s EU withdrawal on the agenda” , The Guardian, 14 juillet 2015, http://www.theguardian.com/commentisfree/2015/jul/14/left-reject-eu-greece-eurosceptic
17] Fassina S., « For an alliance of national liberation fronts », article publié sur le blog de Yanis Varoufakis par Stefano Fassina, membre du Parlement (PD), le 27 juillet 2015, http://yanisvaroufakis.eu/2015/07/27/for-an-alliance-of-national-liberation-fronts-by-stefano-fassina-mp/
18] Le texte d’origine se trouve dans le journal Neues Deutschland à l’adresse suivante : http://www.neues-deutschland.de/artikel/820333.wir-brauchen-wieder-ein-europaeisches-waehrungssystem.html ainsi que sur le blog d’Oskar Lafontaine : http://www.oskar-lafontaine.de/links-wirkt/details/f/1/t/wir-brauchen-wieder-ein-europaeisches-waehrungssystem/
[19] http://www.welt.de/politik/deutschland/article145454656/Sahra-Wagenknecht-stellt-den-Euro-infrage.html
[20] Voir Jean-Pierre Chevènement : «Si la Grèce sortait de l’euro, elle pourrait se redresser», interview dans FigaroVox, par A. Devecchio, le 7 août 2015, http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/08/07/31001-20150807ARTFI-Si-la-grece-sortait-de-l-euro-elle-pourrait-se-redresser.php?print=true
[21] Dans son éditorial d’Il Messagero du 8 aout 2015, http://www.ilmessaggero.it/PRIMOPIANO/ESTERI/europa_fermi_inaccettabile_blitz_tedesco/notizie/1507018.shtml
[22] http://www.bfmtv.com/politique/varoufakis-invite-d-honneur-de-montebourg-pour-sa-fete-de-la-rose-908811.html
[23] Noyon R., « Montebourg-Varoufakis : le jeu des sept ressemblances », le 21 août 2015, http://rue89.nouvelobs.com/2015/08/21/montebourg-varoufakis-jeu-sept-ressemblances-260821
[24] Sapir J., « La Grèce et la direction du PCF », note publiée sur RussEurope, le 28 juillet 2015, http://russeurope.hypotheses.org/4155

Source : RussEurope

Voir aussi la page : Clarté (Contre une alliance...) par Frédéric Lordon


  


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