mardi 29 septembre 2015

Lesbos au bord de la crise de nerf




Les Pieds sur terre par Sonia Kronlund
Journée spéciale "Une journée sur les routes de l'exil" :

Lesbos au bord de la crise de nerf (1/2)
Portrait de la petite île grecque de Lesbos, à treize kilomètres des côtes turques, où se pressent 20 000 réfugiés soit plus d’un quart de la population. Sur le port de Mytilène, dans les villages de l’île aux 11 millions d’oliviers, où fut jadis exilé le fils d’Ulysse, Télémaque, les habitants, les associations et les commerçants racontent une situation au bord de l’explosion.
Reportage : Remi Douat
Réalisation : Emmanuel Geoffroy

Lesbos au bord de la crise de nerf (2/2)
Jusqu'à 2 000 réfugiés arrivent chaque jour sur l'île de Lesbos, dans la mer Egée. D'abord dépassés par les événements, les habitants s'organisent face au chaos.
Reportage : Rémi Douat
Réalisation : Annabelle Brouard


À Lesbos, "les migrants seront bientôt plus nombreux que les locaux"
Par Nicole TRIAN, à Molyvos, Grèce, le 29 septembre 2015 - France 24

Sur l’île grecque de Lesbos, des migrants affluent jour après jour, sous l’œil ébahi des locaux. Ces derniers craignent que, sans aide de l’Union européenne, les migrants dépassent en nombre la population et fassent fuir les touristes. Reportage.

En arrivant sur la plage idyllique du village de Molyvos, en Grèce, les migrants éclatent en sanglots, s’agenouillent pour embrasser le sol ou immortalisent cet instant à l’aide de selfies. Emportés par la joie d’avoir franchi la barrière de la mer et d’entrer enfin en Europe, certains d’entre eux ne savent pas qu’ils viennent de mettre les pieds sur l’île de Lesbos.

Les habitants des lieux, en revanche, n’ignorent rien des migrants. Depuis plusieurs mois, ils assistent au ballet des bateaux, des secouristes et, parfois, des morts. Depuis le début de l’année, ils sont plus de 200 000 à avoir foulé le sable de cette île qui jouxte les côtes turques. Rien que pour la journée de mercredi 23 septembre, plus de 2 500 d'entre eux, majoritairement des Syriens et des Afghans, sont arrivés, épuisés, sur les plages de Lesbos.

Ramenés à l’échelle de la population locale, ces chiffres sont impressionnants : le village touristique de Molyvos abrite 1 500 âmes en été, et 1 000 le reste de l’année. "Lorsque les touristes partiront, les migrants finiront par être plus nombreux que les locaux", alarme un élu, chargé de la gestion de la ville, Thanassis Andriotis.

"Nous sommes tous des réfugiés"

Face à cet afflux, la population de l’île est divisée. Certains, à l’image d’Aphrodite Mariolas et son mari Panayiotis, n’hésitent pas à prêter main forte. Sur la plage à l’extérieur de l’hôtel dont ils sont propriétaires, ce couple a aidé un nombre incalculable de personnes. "Nous leur donnons de l’eau, du pain, du fromage et des bananes, explique Aphrodite Mariolas. La plupart du temps, ils ne mangent pas ce qu’on leur donne car ils sont sous le choc. Certains sont dans un sale état, alors nous tentons de les mettre en relation avec des équipes médicales."

Pour la grande majorité des migrants, la région de Molyvos et ses plages prisées par les touristes, ne sont qu’une étape en attendant de pouvoir rejoindre Mytilène, la principale ville de Lesbos, où ils pourront s’enregistrer et prendre un bateau pour Athènes. Mais voilà, les bus pour rejoindre cette localité située à 67 kilomètres de Molyvos sont rares. En attendant de pouvoir repartir, de nombreux demandeurs d’asile se rassemblent jour et nuit sur le terrain de l’école locale.

"Nous ne pensions pas que tant de personnes arriveraient ici", s’étonne Niki, une maman de trois enfants venue d’Eftalou, un village proche. "Les militants [qui viennent en aide aux migrants, NDLR] pensent que les locaux ne veulent pas des réfugiés, mais ce n’est pas vrai", affirme-t-elle. "Nous avons accueilli des réfugiés ici pendant plus de 30 ans. Nous sommes tous des réfugiés d’Izmir ou d’Istanbul. La plupart d’entre nous savons ce que c’est que d’être un migrant et sommes compatissants."

Une île paradisiaque transformée en décharge

Niki, comme beaucoup de parents d’élèves, souhaite que les migrants quittent les environs de l’école. La fermeture temporaire de l’établissement a même été envisagée en raison d’éventuels risques sanitaires pour les enfants. Sur le terrain scolaire, les migrants dorment à même le sol, allongés sur la route, et font sécher leurs vêtements sur des clôtures. Ils ne disposent pas de toilettes et les installations sanitaires sont précaires.

Pour remédier à ces conditions de vie rudimentaires, certains habitants ont voulu leur apporter des toilettes portables mais l’écrasante majorité des villageois des environs a protesté contre cette mesure par crainte que le lieu ne devienne un centre d’accueil durable.

Par ailleurs, les déchets s’amoncellent. Bouteilles en plastique, chaussures abandonnées, vêtements, couches et feuilles de papier ont transformé l’île paradisiaque en dépotoir. Ajoutés à cela, les restes des feux de camp, allumés par les migrants le long du chemin jusqu’à Mytilene pour se réchauffer, posent problème. La semaine dernière, un incendie s’est déclaré près d’une ferme de Molyvos.

Pour Thanassis Andriotis, la situation est critique. Assailli par des habitants inquiets, il a demandé davantage d’aide de la part des autorités locales, des ONG et de la police. L’élu a également proposé la construction d’un troisième centre d’hébergement sur l’île, en plus de ceux de Moria et de Kara Tepe, afin de reloger les migrants dormant dans la rue.

Cette situation a déjà eu des répercussions négatives sur le tourisme. Les réservations d’hôtel ont décliné et des annulations ont été enregistrées pour 2016. "Certains clients sont partis plus tôt [que prévu]", indique Aphrodite Mariolas, la propriétaire d’un hôtel situé à proximité d’une plage. "Ils avaient du mal à gérer la situation, c’était trop perturbant pour eux."

Si la tendance se confirme, ce serait un coup dur pour l’économie grecque, déjà largement touchée par la crise de la dette. Et les habitants de fustiger l’inaction de Bruxelles, à l'instar de Thanassis Andriotis. "Ils dorment. Il n’y a pas d’Union européenne. L’Europe est absente."

Même son de cloche du côté du maire de Lesbos, Spyros Galinos. "C’est absurde que la Grèce ait à assumer cette charge toute seule, alors même que notre pays est sous le coup de mesures d’austérité qui nous ont été imposées par l’Union européenne elle-même", lance-t-il.

"Pour la première fois, nous avons peur"

Se sentant délaissés, certains habitants se laissent submerger par la peur. À l’image de cette commerçante, en pleurs, dans le centre du village. "Notre travail, c’est notre vie, explique-t-elle. Nous souffrons. Pour la première fois, nous avons peur. Nous ne savons pas qui sont ces gens, ou si certains d’entre eux nous veulent du mal."

Le mois dernier, à Myrtilène, une réplique de la statue de la liberté a été vandalisée et un drapeau de l’organisation de l’État islamique y a été accroché. Des affrontements ont également eu lieu entre des migrants et la police anti-émeute à plusieurs reprises.

"Je ne comprends vraiment pas pourquoi l’Europe n’agit pas ici. C’est l’endroit idéal pour entrer en Europe sans être inspecté", s'exclame Aphrodite Mariolas, selon qui il faudrait être très naïf pour penser que toutes les personnes arrivant en Grèce n’ont rien à se reprocher.

Pour l’heure, l’école de Mavylos reste ouverte. "Fermer l’école serait le meilleur moyen de semer le racisme dans le cœur de nos enfants", estime Aphrodite Mariolas. "Nous sommes assiégés, certes, mais c’est un siège pacifique. Du moins, pour l’instant."

Traduit de l'anglais par Charlotte Oberti.
Source : France 24




En mer avec les migrants (France 2, septembre 2015)



Heurts à Lesbos (6 septembre 2015)
   

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