mardi 6 octobre 2015

Les élucubrations de la CIA



Les Etats-Unis doivent-ils s’allier à Al-Qaida en Syrie ?
Par Robert Parry, le 1 octobre 2015

Aux Etats-Unis, la nouvelle « pensée collective » souligne que le président russe Poutine n'a pas tenu sa promesse d'attaquer seulement l'État islamique lorsque ses avions de guerre ont frappé d'autres cibles rebelles en Syrie. Mais Poutine n'a jamais précisé quels terroristes il allait frapper. Et la coalition des rebelles ciblés comprend des affiliés d'Al-Qaida, comme l'analyse Robert Parry.

La phrase-clé du principal article du New York Times à propos des frappes aériennes russes contre les rebelles syriens arrive en bout de course, cinq paragraphes avant la fin, lorsque le Times remarque au passage que le quartier nord de Homs où les attaques ont eu lieu a été le théâtre d’une offensive menée par une coalition « comprenant le Front Al-Nosra ».

Ce que le Times ne précise pas dans ce contexte, c’est que le Front Al-Nosra est une filiale d’Al-Qaida. Cette omission s’explique peut-être par le fait que cette information supplémentaire perturberait le bon ton de l’article qui accuse la Russie de mauvaise foi en attaquant d’autres groupes rebelles plutôt que l’État islamique.

Mais les Russes ont été très clairs sur leurs intentions : engager des frappes aériennes contre le mélange de groupes rebelles parmi lesquels autant Al-Qaida que l’État islamique jouent un rôle de premier plan. Le Times et le reste des médias mainstream US jouent simplement le jeu lorsqu’ils prétendent le contraire.

De plus, la réalité à propos de la coalition rebelle éclatée de Syrie est qu’il est pratiquement impossible de distinguer les quelques rebelles « modérés » des nombreux extrémistes sunnites. En effet, de nombreux « modérés », comprenant quelques combattants entraînés et armés par la CIA et le Pentagone, ont rejoint le Front Al-Nosra d’Al-Qaida. Ils ont même remis des armes et des équipements US à cette filiale de l’organisation terroriste qui a attaqué New York et Washington le 11 septembre 2001. Rappelons que c’est cet événement qui a provoqué une intervention militaire directe des Etats-Unis au Moyen-Orient.

Pourtant, ces derniers mois, le gouvernement israélien et ses alliés néoconservateurs aux Etats-Unis ont lancé des ballons d’essai pour voir si Al-Qaida pourrait être reconsidérée comme des sunnites modérés. Ils deviendraient ainsi de fait des alliés des Etats-Unis pour accomplir le changement de régime en Syrie, chassant le président Bashar el-Assad qui a occupé durant des années le haut de la liste noire des Israéliens et des néocons.

C’était l’un des principaux thèmes de la propagande des néoconservateurs : répandre une théorie du complot prétendant qu’Assad et l’État islamique sont d’une certaine manière de mèche, si bien qu’Al-Qaida représenterait un moindre mal. En réalité, cette théorie du complot ne repose sur aucune preuve, comme cela a été relevé par Charlie Rose lui-même dans son interview du président russe Vladimir Poutine pour « 60 minutes ». L’État islamique et Al-Qaida ont tous deux mené un combat pour détruire le gouvernement laïc d’Assad, lequel a riposté contre les deux groupes.

Et si ces deux organisations terroristes de premier plan voyaient une chance d’élever leur drapeau noir sur Damas, ils pourraient très bien résoudre leurs désaccords tactiques. Ils auraient beaucoup à gagner en renversant le régime d’Assad qui est le principal protecteur des chrétiens, des alaouites, des chiites et des autres « hérétiques » de Syrie.

Quand établir un califat fondamentaliste ? C’est le principal litige qui oppose Al-Qaida à l’État islamique. Ce dernier pense que le califat peut commencer maintenant alors qu’Al-Qaida affirme que la priorité est d’abord de mener plus d’attaques terroristes contre l’Occident.

Pourtant, si Damas tombe, les deux groupes obtiendront entière satisfaction : l’État islamique pourra passer son temps à décapiter les hérétiques pendant qu’Al Qaida pourra fomenter dramatiquement de nouvelles attaques terroristes cotre des cibles occidentales. Une sombre opération Win-Win.

On pourrait croire que le gouvernement US s’appliquerait à éviter un tel scénario. Mais le ton hystériquement antirusse du New York Times et des autres médias mainstream nous montre que quoi que fasse Poutine, ça doit être vu du mauvais côté.

La frénésie anti-Poutine

Jeudi, un présentateur de la CNN fulminait sur les avions de Poutine qui attaquaient « nos gars », c’est-à-dire les rebelles entraînés par la CIA. Et il demandait à savoir ce qui pourrait être fait pour stopper les attaques russes. Cette frénésie était alimentée par l’article du Times, coécrit par un spécialiste néoconservateur de la sécurité nationale, Michael R. Gordon, l’un des principaux promoteurs de l’arnaque des armes de destruction massive irakiennes en 2002.

L’article du Times avançait l’idée que les Russes attaquaient les rebelles modérés de bonne volonté en violation des supposés engagements de lutter contre l’État islamique seulement. Mais Poutine n’a jamais limité son soutien militaire au gouvernement d’Assad pour attaquer le seul État islamique.

En effet, même le Times aborde cette partie de l’histoire en rapportant la citation de Poutine comme quoi la Russie agissait « préventivement pour combattre et détruire les militants et les terroristes sur les territoires qu’ils occupaient déjà. » Poutine n’a pas limité l’action de la Russie à l’État islamique.

Mais le Times interprète la phrase comme si les « militants et les terroristes » pouvaient s’appliquer seulement à l’État islamique en écrivant : « Des responsables américains ont dit que les attaques n’étaient pas dirigées contre l’État islamique, mais contre d’autres groupes d’opposition qui combattent le gouvernement [syrien] ».

À moins que le New York Times ne considère plus Al-Qaida comme un groupe terroriste, la formulation du journal n’a aucun sens. En effet, le Front Al-Nosra d’Al-Qaida a émergé comme l’élément principal de la dénommée Armée de Conquête, une coalition des forces rebelles qui a utilisé de l’armement US sophistiqué, notamment des missiles TOW, pour obtenir des avancées majeures contre l’armée syrienne autour de la ville d’Idlib.

L’armement vient plus que probablement des alliés régionaux des Etats-Unis, l’Arabie saoudite, la Turquie, le Qatar et d’autres États à majorité sunnite du Golfe ayant soutenu Al-Qaida, l’État islamique et d’autres groupes rebelles sunnites en Syrie. Cette réalité a été décrite dans un rapport de la Defense Intelligence Agency. Et le vice-président Joe Biden a lui aussi lâché le morceau.

Le 2 octobre 2014, Biden a déclaré devant un auditoire de la Kennedy School d’Harvard : «  Nos alliés dans la région ont été notre principal problème en Syrie... Les Saoudiens, les Émirats, etc. Que faisaient-ils ? Ils étaient tellement déterminés à renverser Assad et à mener essentiellement une guerre par procuration entre sunnites et chiites. Donc qu’ont-ils fait ? Ils ont versé des centaines de millions de dollars et des dizaines de milliers de tonnes d’armement militaire à quiconque combattrait Assad. Sauf que ceux qui étaient approvisionnés, c’était Al-Nosra et Al-Qaida et des jihadistes extrémistes venus d’autres endroits du monde. » [Citation à 53:20 de la vidéo]

Le Front Al-Nosra d’Al-Qaida a aussi bénéficié d’une alliance de fait avec Israël. Les Israéliens ont pris en charge des combattants blessés d’Al-Nosra pour des traitements médicaux et les ont renvoyés sur le champ de bataille dans les environs du Plateau du Golan. Israël a aussi mené des frappes aériennes en Syrie en soutien aux avancées du front Al-Nosra, avec notamment l’assassinat de conseillers du Hezbollah et d’Iran qui aidaient le gouvernement syrien.

Les frappes israéliennes en Syrie, comme celles menées par les Etats-Unis et leurs alliés, violent le droit international parce qu’elles n’ont pas été autorisées par le gouvernement syrien. Mais ces attaques sont considérées comme justes et propres par les médias mainstream US, contrairement aux frappes russes traitées comme illicites alors qu’elles sont menées à l’appel du gouvernement syrien reconnu.

Le choix d’Obama

En fin de compte, le président Barack Obama doit faire un choix. Soit coopérer avec la Russie et l’Iran pour combattre Al-Qaida, l’État islamique et les autres jihadistes extrémistes. Soit aligner la politique US sur l’obsession israélienne du changement de régime en Syrie, même si cela implique une victoire d’Al-Qaida. En d’autres mots, les Etats-Unis devraient-ils revenir à la case départ au Moyen-Orient et aider Al-Qaida à vaincre ?

Préférer Al-Qaida à Assad est la position israélienne, embrassée par de nombreux néoconservateurs. La priorité de leur stratégie a été de chercher un changement de régime en Syrie de manière à contrer l’Iran et son soutien au Hezbollah, tous deux membres de l’islam chiite.

Selon leur raisonnement, Assad est un alaouite proche des chiites. Sa chute pourrait laisser la place à un régime syrien dominé par des sunnites. La ligne d’approvisionnement entre l’Iran et le Hezbollah serait ainsi perturbée et Israël serait alors libre d’agir plus agressivement tant à l’encontre des Palestiniens que de l’Iran.

Par exemple, si Israël décide de sévir à nouveau en Palestine ou de bombarder des sites nucléaires iraniens, il pourrait craindre que le Hezbollah fasse pleuvoir depuis le sud du Liban des missiles sur des villes importantes d’Israël. Mais si la source de missiles iraniens au Hezbollah est bloquée par un régime sunnite à Damas, la peur d’une attaque serait moins importante.

La préférence d’Israël pour Al Qaida au détriment d’Assad a été reconnue par un haut responsable israélien il y a déjà deux ans. Mais ça n’a jamais été relevé par les médias mainstream US. En septembre 2013, l’ambassadeur israélien aux Etats-Unis, Michael Oren, devenu ensuite un proche conseiller du premier ministre Benyamin Netanyahou, a déclaré au Jerusalem Post qu’Israël préférait les sunnites extrémistes à Assad.

« Le plus grand danger pour Israël réside dans cet arc stratégique qui s’étend de Téhéran à Beyrouth en passant par Damas. Et nous voyons le régime d’Assad comme la clé de voute de cet arc », a déclaré Oren au Jérusalem Post dans une interview ->http://www.jpost.com/Syria-Crisis/O...]. « Nous avons toujours voulu le départ d’Assad. Nous avons toujours préféré les mauvais gars qui n’étaient pas soutenus par l’Iran aux mauvais gars qui sont soutenus par l’Iran. » Oren a précisé que cela valait même si les « mauvais gars » étaient affiliés à Al Qaida.

En juin 2014, s’exprimant alors en tant qu’ancien ambassadeur dans une conférence de l’institut Aspen, Oren a développé sa position, disant qu’Israël préfèrerait même une victoire du brutal État islamique au maintien d’un Assad soutenu par l’Iran. « Du point de vue israélien, si un mal doit l’emporter, laissons le mal sunnite l’emporter », a déclaré Oren.

Voilà donc le choix qui se présente au président Obama et au peuple américain. Malgré les déclarations trompeuses du New York Times, de CNN et des autres grands médias US, les options réalistes sont assez difficiles : soit travailler avec la Russie, l’Iran et l’armée syrienne pour battre les extrémistes sunnites en Syrie (tout en cherchant un accord de partage du pouvoir à Damas qui inclurait Assad et certains de ses rivaux politiques soutenus par les Etats-Unis) ; soit prendre le parti d’Al Qaida et d’autres groupes sunnites extrémistes, y compris l’État islamique, avec pour objectif de déloger Assad tout en espérant que les mythiques rebelles modérés puissent finalement se matérialiser et réussissent d’une manière ou d’une autre à prendre le contrôle de Damas.

Je me suis dit qu’en privé, Obama avait fait le premier choix. Mais il a tellement peur de la réaction politique des néocons et de leurs copains de l"interventionnisme libéral » qu’il se sent obligé de jouer les gros bras en ridiculisant Poutine et en dénonçant Assad.

Mais il y a un danger à jouer cette carte de la duplicité. Le penchant d’Obama à dire tout et son contraire pourrait déboucher sur une confrontation directe entre l’Amérique nucléaire et la Russie nucléaire. Une crise que la ruse verbale d’Obama ne parviendrait pas à contrôler.

Source originale : Consortium News / Investig’Action (trad.)

* * *
Les élucubrations de la CIA

C’est moderne, ça vient de sortir, c’est beau, c’est américain, c’est un nouveau concept forgé par les crânes d’œuf du Pentagone : les terroristes modérés.
Explications…
Par Basile Terkin, le 3 octobre 2015

Toutes les déclarations officielles récentes des politiciens occidentaux peuvent être résumées ainsi : «S’il y des terroristes qui ne s’appellent pas État islamique, ils peuvent continuer à se livrer au terrorisme et à couper la tête des gens. Car ce sont des Terroristes Modérés.»

Après avoir lu la position officielle de Washington, personnellement, je fus ému. Le concept même de terroriste modéré toucha profondément mon cœur innocent. D’une part, les États-Unis affirment que la Russie bombarde l’opposition modérée. D’autre part, il y a tout le temps quelque chose qui détonne et explose dans les installations de cette opposition pacifique. Ce sont sans doute les dépôts souterrains de l’opposition pacifique bombardés par l’armée de l’air russe qui réduit en miettes des tas de bons cadeaux paisibles largement distribués par la CIA à l’opposition pacifique.

Au même moment, Washington ne dissimule absolument pas que la CIA finance, entraîne et équipe l’opposition pacifique de Syrie. Si je comprends correctement les déclarations officielles de Washington, alors l’opposition pacifique en Syrie, avec l’aide de la CIA, se mue constamment en terroristes armés, les modérés. Les USA parlent constamment d’une sorte d’opposition syrienne modérée. Une opposition modérée, c’est une opposition pacifique, et une opposition pacifique, c’est une opposition qui n’est pas armée. Opposition est un terme politique. Un homme avec une arme à la main ne peut pas être un opposant. Il peut être un militant armé qui combat aux côtés de l’opposition. Mais il ne peut pas être l’opposition, indépendamment de ses vues et convictions politiques. Il appartient à  l’opposition seulement lorsqu’il dépose les armes et commence à défendre ses convictions par la politique, et non par des méthodes militaires.

Mais toujours est-il qu’il n’est pas simplement question d’une sorte de terroristes ordinaires, mais de bons terroristes, ce sont les terroristes modérés armés et entraînés par la CIA dans le but précis de renverser l’autorité légitime d’un autre État souverain. Cela change complètement le fond de l’affaire !

Saisissant tout cela, j’ai failli éclater en sanglots de savoir que quelque part, en Syrie lointaine, l’armée de l’air russe déverse des bombes non sur des terroristes, comme ce serait naturel, mais sur des terroristes modérés formés par la CIA! Avec le sentiment d’accomplir mon devoir civique, je téléphonai immédiatement. Et pas n’importe où, mais directement à l’état-major général du ministère de la Défense de la Fédération de Russie. Une jeune fille me répondit, à qui je demandai sans détour :

«Pourquoi avez-vous bombardé les terroristes en Syrie? Ils sont modérés : la CIA les a armés et entraînés?!? Ils ne décapitent ni ne brûlent les captifs vivants seulement pour s’amuser. Ils remplissent précisément les tâches qui leur ont été assignées par la CIA. Ils exécutent très consciencieusement et très modérément tous les ordres qui leur ont été donnés par la CIA afin de renverser l’autorité légitime en Syrie. Et juste pour ça, vous les bombardez!? »

La fille me transféra à l’officier de service qui expliqua très courtoisement :

«Même avant l’opération militaire en Syrie, l’état-major du ministère de la Défense a pris une décision responsable. L’essentiel de cette solution réside dans notre désir russe traditionnel d’adhérer strictement aux principes de légalité et de justice. Ainsi maintenant, toutes nos munitions sont réparties en deux catégories : normales et modérées. Contre les terroristes ordinaires, nous employons uniquement des munitions conventionnelles. Contre les terroristes modérés, nous utilisons seulement des munitions modérées. Donc, ne vous en faites pas, nous prenons en considération la nature modérée de certains terroristes, et nous les traitons avec justice.»

A ces mots, je me sentis soulagé. Mais demandai encore : « Utilisez-vous exclusivement des munitions modérées contre les terroristes modérés? Est-ce bien vrai ?»

La source répondit : «Parole d’honneur!»

Je me sentis bien mieux. Pour clarifier définitivement, je m’enquis : «Dites-moi, en quoi vos munitions conventionnelles diffèrent-elles des modérées?»

«Nos munitions conventionnelles diffèrent des modérées exactement de la même façon que les terroristes normaux diffèrent des terroristes modérés : elles sont peintes d’une peinture différente, en des tons plus clairs et plus modérés», me répondit l’officier avant de raccrocher.

Basile Теrkin

Source : Le Saker francophone (trad)

* * *



Moscou et Washington entendent refonder les relations internationales
par Thierry Meyssan, le 5 octobre 2015

Alors que les médias atlantistes sont malades, atteints d’une soudaine poussée de fièvre anti-Russes, Thierry Meyssan interprète l’action militaire de Moscou en Syrie comme le premier pas d’une révision complète des relations internationales. Selon lui, ce qui se joue en Syrie n’est pas de savoir si la Russie sauvera la République arabe syrienne des jihadistes, mais si son armée pourra partiellement remplacer celle des États-Unis dans la région afin d’en garantir la sécurité. S’appuyant sur un document interne du Conseil de sécurité, il affirme que Vladimir Poutine et Barack Obama agissent de concert face aux faucons libéraux et aux néo-conservateurs états-uniens.

A New York, Barack Obama et Vladimir Poutine sont convenus d’un processus de paix pour l’ensemble de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Tiendront-ils promesse ?

La Russie se hâte lentement aux Nations unies. Ses dirigeants sont convaincus que les groupes terroristes islamistes ont été encouragés par la CIA depuis les années cinquante, mais qu’ils menacent aujourd’hui non seulement la stabilité de la région, mais les intérêts des États-Unis eux-mêmes. Comme l’avait expliqué Vladimir Poutine l’an dernier au Club de Valdaï, il est donc souhaitable de travailler ensemble à résoudre le problème actuel.

Cependant, les dirigeants russes sont également convaincus que Washington n’écoute ses partenaires que lorsque ceux-ci sont forts. La Douma a donc débattu d’une intervention militaire contre les groupes terroristes en Syrie et a donné son accord. Il s’agit de la seconde intervention extérieure de la Fédération de Russie depuis sa création, en 1991 —la première étant la guerre d’Ossétie du Sud, en 2008—. Immédiatement, l’armée russe a fait décoller ses bombardiers de Lattaquié et a détruit des installations d’Al-Qaïda et d’Ahrar Al-Sham.

Le choix de ces cibles visait à la fois
- à contraindre les autres puissances à clarifier leur politique face à ces groupes terroristes ;
- à adresser un message à la Turquie dont les officiers encadrent actuellement Ahrar Al-Sham ;
- enfin à montrer qu’aucun groupe terroriste ne sera épargné.

Cette intervention manifeste la volonté russe de jouer un rôle au Moyen-Orient, non pas contre les États-Unis, mais avec eux. Loin de défier le président Obama, la Russie entend au contraire lui fournir l’assistance militaire qui lui fait défaut alors que le Pentagone est devenu le champ clos d’affrontements internes.

Qui soutient les groupes terroristes ?

Il est devenu commun d’admettre que les jihadistes en Syrie sont armés et financés par des puissances étrangères. Cependant, aucun État n’assume publiquement un tel soutien. Les réactions à l’opération de police russe anti-terroriste en Syrie ont mis en évidence les contradictions de nombreux intervenants.

Ainsi, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a déclaré qu’« Une coalition [autour de la Russie] dont les bases mêmes interdiraient tout rassemblement des Syriens contre les terroristes, alimenterait en réalité la propagande de Daech et renforcerait son pouvoir d’attraction ». Ce faisant, il a admis que l’objectif de la France et de ses alliés en Syrie —Turquie et Arabie saoudite— n’était pas de lutter contre Daesh, mais contre la vision russe des relations internationales.

Le président de la Commission sénatoriale des Forces armées, John McCain, a affirmé qu’Ahrar Al-Sham comprenait des éléments qui avaient été formés et armés par les États-Unis. Par conséquent, selon lui, l’attaque russe contre les terroristes est une agression contre les États-Unis. Dans la même logique, il a préconiser de livrer des missiles sol-air aux jihadistes afin qu’ils abattent les avions russes.

Un message à la Turquie

Sachant que le groupe Ahrar Al-Sham, autrefois sponsorisé par le Koweït, est actuellement largement financé et encadré par des officiers de l’armée turque, ces bombardements adressaient une mise en garde au président Recep Tayyip Erdoğan.

Celui-ci a d’abord remplacé le prince saoudien Bandar bin Sultan comme coordinateur du terrorisme islamique international. Puis, il a fait de la Turquie le refuge des Frères musulmans, en remplacement du Qatar. En décembre 2014, la Turquie avait signé un accord gazier stratégique avec la Russie, qu’elle avait finalement abandonné sous la pression états-unienne. Simultanément, la Turquie et l’Ukraine ont créé une « Brigade islamique internationale » pour combattre l’« occupation russe de la Crimée ». Les relations entre Ankara et Moscou se sont donc subitement tendues [1].

Lors d’un déplacement à Moscou du président Erdoğan, le 23 septembre, à l’occasion de l’inauguration de la plus grande mosquée d’Europe, son homologue russe était parvenu à le convaincre d’adoucir sa rhétorique contre la République arabe syrienne, mais pas à lui faire abandonner sa politique d’agression.

De retour dans son pays, M. Erdoğan s’était contenté de déclarer que le départ du président el-Assad n’était plus un préalable au règlement de la crise syrienne. Trouvant cette avancée insuffisante, la Russie avait alors décerné des brevets de lutte anti-Daesh au PKK, laissant entendre qu’elle pourrait soutenir le parti kurde turc contre son gouvernement.

Aucun groupe terroriste ne sera épargné

En choisissant de frapper Al-Qaïda et Ahrar Al-Sham, la Russie a déplacé le débat de l’unanimité de façade contre Daesh, à la cacophonie face à Al-Qaïda. Si tout le monde admet aujourd’hui que l’organisation fondée par Oussama ben Laden est originellement une création des États-Unis, chacun croit ou fait semblant de croire qu’elle s’est retournée contre son créateur et lui infligé de terribles pertes le 11-Septembre 2001.

Or, Al-Qaïda a été l’allié de l’Otan en Libye pour renverser la Jamahiriya et assassiner Mouamar el-Kadhafi. Cette réalité était si choquante pour le général états-unien Carter Ham, commandant de l’AfriCom, qu’il demanda à être relevé de ses fonctions au profit de l’Alliance atlantique.

En Syrie, la France et la Turquie livrèrent des munitions à Al-Qaïda par l’entremise de l’Armée syrienne libre ainsi que l’atteste un document de l’ASL, transmis le 14 juillet 2014 au Conseil de sécurité des Nations unies [2].

Et actuellement, le général David Petraeus, ancien directeur de la CIA, et son ami John McCain appellent à soutenir Al-Qaïda contre la République arabe syrienne.

Le groupe Ahrar Al-Sham lui-même a été constitué juste avant le début des événements en Syrie, en mars 2011, par des Frères musulmans dont certains étaient des cadres d’Al-Qaïda. Au passage, son existence démontre que, contrairement aux propos du président Hollande à la tribune de l’Onu, le terrorisme en Syrie existait avant le début de la guerre et n’en est donc pas la conséquence, mais bien la cause comme l’affirme le président el-Assad.

En définitive, quels que soient les mensonges de l’Otan et les contradictions qu’ils engendrent chez les uns et les autres, les Russes n’épargneront pas certains groupes en fonction de leurs sponsors secrets, mais bombarderont toutes les cibles liées aux groupes terroristes listés par les Nations unies (Al-Qaïda, Al-Nosra, Daesh).

Qui s’oppose activement à l’intervention russe ?

Depuis le début du déploiement de l’armée russe —et il n’est pas encore débattu des troupes au sol à venir de l’OTSC—, une vaste campagne de désinformation est conduite dans le monde pour accuser la Russie
- d’encadrer l’Armée arabe syrienne ;
- de bombarder non pas des groupes terroristes, mais des populations civiles « hostiles au régime » ;
-  de préparer une vaste offensive avec les Gardiens de la Révolution iranienne.

La propagande de guerre, qui était la base et la caractéristique de la guerre de 4ème génération coordonnée par l’Otan de février 2011 à mars 2012, avait progressivement diminuée. Alors que pendant une année, on entendait chaque jour une histoire imaginaire illustrant les crimes supposés du « régime », la propagande de guerre se limitait désormais à quelques petits groupes ; dont l’OSDH, une officine londonienne des Frères musulmans à laquelle s’abreuvent les médias atlantistes. Avec un réflexe pavlovien, les médias atlantistes reproduisent sans réfléchir les mensonges les plus éhontés.

En premier lieu, on utilisa une vidéo de l’Armée arabe syrienne dans laquelle on entend des voix en russe pour faire croire que les Syriens étaient encadrés par des officiers russes. En réalité, la voix correspond à un échange par talkie-walkie entre jihadistes. Yuri Artamonov a démonté cette erreur d’interprétation en étudiant la bande sonore [3].

Puis, ce fut un déferlement d’images et de vidéos sur les victimes civiles des bombardements russes. Des images et des vidéos diffusées durant le débat à la Douma, c’est-à-dire avant les bombardements.

Enfin, on présente la présence de combattants iraniens en Syrie comme la préparation d’une vaste contre-offensive du « régime » et de ses alliés contre les « rebelles ». En réalité, après la chute de Palmyre, des Forces iraniennes ont été autorisées par les États-Unis à s’impliquer en Syrie, mais leur nombre reste inférieur à 5 000, ce qui est très insuffisant pour mener une contre-offensive dans un territoire immense. Quant aux rebelles armés, nous avons déjà signalé qu’ils sont tous liés soit à al-Qaïda, soit à Daesh.

Reste à prouver qui organise cette campagne d’intoxication et pourquoi. S’il n’est pas possible de trouver la solution en ne pensant qu’à la Syrie, la réponse est claire lorsqu’on replace ce théâtre de guerre dans le contexte de la refondation des relations internationales.

La proposition russe au Conseil de sécurité

La Russie a proposé que le Conseil de sécurité étudie durant tout le mois d’octobre la manière de lutter contre le terrorisme non seulement en Syrie, mais dans l’ensemble de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient [4].

À l’évidence, Moscou et Washington sont convenus d’appliquer aujourd’hui l’accord qu’ils avaient conclu en 2012 —et que Clinton, Petraeus, Allen, Feltman, Hollande et Fabius ont saboté— : se partager les responsabilités dans le monde arabe. Cependant, la Russie ne souhaite pas s’engager sur des sables mouvants et appelle d’abord à assainissement du terrain.

Rappelons la base de cet accord : les États-Unis pourront retirer une partie de leurs troupes stationnées dans la région lorsque la Russie se portera garante de la sécurité d’Israël [5].

La Russie pose comme condition à ce nouveau partage du monde le passage d’un système impérialiste, tel que celui de Yalta, à un système fondé sur le droit international en général et la Charte des Nations unies en particulier. Elle condamne donc à l’avance « l’ingérence dans les affaires intérieures d’États souverains, le recours à la force sans l’autorisation du Conseil de sécurité et la livraison d’armes à des acteurs non étatiques extrémistes ».

Que l’on ne s’y trompe pas, cette solution suppose l’application des résolutions du Conseil de sécurité, y compris celles concernant Israël, la mise en œuvre de l’Initiative de paix arabe et du Plan d’action global commun concernant le programme nucléaire iranien, la création de mécanismes de contrôle du respect par les États de l’ensemble de ces textes, et enfin la lutte globale contre l’idéologie des Frères musulmans.

À retenir :
- Malgré le lourd contentieux qui les oppose (déploiement du bouclier anti-missiles, renversement du régime en Ukraine, tentative de juger Vladimir Poutine devant un Tribunal international), le Kremlin considère qu’il peut aider l’administration Obama à constater l’inefficacité de sa politique et à revenir au droit international.
- Ce n’est qu’à cette condition que la Russie est prête à partager la responsabilité de la sécurité de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient avec les États-Unis, y compris la sécurité d’Israël.
- Les bombardements russes en Syrie ne sont pas dirigés contre les alliés des États-Unis, mais constituent une aide militaire au président Obama qui, depuis un an, n’est pas obéi par la Coalition anti-Daesh.
- La Russie espère conduire les États-Unis à une conférence de paix régionale visant à appliquer les résolutions du Conseil de sécurité —y compris le retrait d’Israël sur les frontières de 1967—, l’Initiative de paix arabe et le Plan d’action global commun concernant le programme nucléaire iranien.
- Pour vaincre définitivement le terrorisme islamique, il convient d’en combattre la cause : l’idéologie matérialiste des Frères musulmans.

Thierry Meyssan
Source : Réseau Voltaire

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