lundi 23 novembre 2015

L’Arabie saoudite : un Daesh qui a réussi

Hollande chez les wahhabites

   L’Arabie saoudite : un Daesh qui a réussi
Par Kamel Daoud, le 20 novembre 2015 - New York Times / Les Crises (trad.)

Daesh noir, Daesh blanc. Le premier égorge, tue, lapide, coupe les mains, détruit le patrimoine de l’humanité, et déteste l’archéologie, la femme et l’étranger non musulman. Le second est mieux habillé et plus propre, mais il fait la même chose. L’Etat islamique et l’Arabie saoudite. Dans sa lutte contre le terrorisme, l’Occident mène la guerre contre l’un tout en serrant la main de l’autre. Mécanique du déni, et de son prix. On veut sauver la fameuse alliance stratégique avec l’Arabie saoudite tout en oubliant que ce royaume repose sur une autre alliance, avec un clergé religieux qui produit, rend légitime, répand, prêche et défend le wahhabisme, islamisme ultra-puritain dont se nourrit Daesh.

Le wahhabisme, radicalisme messianique né au 18ème siècle, a l’idée de restaurer un califat fantasmé autour d’un désert, un livre sacré et deux lieux saints, la Mecque et Médine. C’est un puritanisme né dans le massacre et le sang, qui se traduit aujourd’hui par un lien surréaliste à la femme, une interdiction pour les non-musulmans d’entrer dans le territoire sacré, une loi religieuse rigoriste, et puis aussi un rapport maladif à l’image et à la représentation et donc l’art, ainsi que le corps, la nudité et la liberté. L’Arabie saoudite est un Daesh qui a réussi.

Le déni de l’Occident face à ce pays est frappant: on salue cette théocratie comme un allié et on fait mine de ne pas voir qu’elle est le principal mécène idéologique de la culture islamiste. Les nouvelles générations extrémistes du monde dit « arabe » ne sont pas nées djihadistes. Elles ont été biberonnées par la Fatwa Valley, espèce de Vatican islamiste avec une vaste industrie produisant théologiens, lois religieuses, livres et politiques éditoriales et médiatiques agressives.

On pourrait contrecarrer : Mais l’Arabie saoudite n’est-elle pas elle-même une cible potentielle de Daesh ? Si, mais insister sur ce point serait négliger le poids des liens entre la famille régnante et le clergé religieux qui assure sa stabilité — et aussi, de plus en plus, sa précarité. Le piège est total pour cette famille royale fragilisée par des règles de succession accentuant le renouvellement et qui se raccroche donc à une alliance ancestrale entre roi et prêcheur. Le clergé saoudien produit l’islamisme qui menace le pays mais qui assure aussi la légitimité du régime.

Il faut vivre dans le monde musulman pour comprendre l’immense pouvoir de transformation des chaines TV religieuses sur la société par le biais de ses maillons faibles : les ménages, les femmes, les milieux ruraux. La culture islamiste est aujourd’hui généralisée dans beaucoup de pays — Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Egypte, Mali, Mauritanie. On y retrouve des milliers de journaux et des chaines de télévision islamistes (comme Echourouk et Iqra), ainsi que des clergés qui imposent leur vision unique du monde, de la tradition et des vêtements à la fois dans l’espace public, sur les textes de lois et sur les rites d’une société qu’ils considèrent comme contaminée.

Il faut lire certains journaux islamistes et leurs réactions aux attaques de Paris. On y parle de l’Occident comme site de « pays impies »; les attentats sont la conséquence d’attaques contre l’Islam ; les musulmans et les arabes sont devenus les ennemis des laïcs et des juifs. On y joue sur l’affect de la question palestinienne, le viol de l’Irak et le souvenir du trauma colonial pour emballer les masses avec un discours messianique. Alors que ce discours impose son signifiant aux espaces sociaux, en haut, les pouvoirs politiques présentent leurs condoléances à la France et dénoncent un crime contre l’humanité. Une situation de schizophrénie totale, parallèle au déni de l’Occident face à l’Arabie Saoudite.

Ceci laisse sceptique sur les déclarations tonitruantes des démocraties occidentales quant à la nécessité de lutter contre le terrorisme. Cette soi-disant guerre est myope car elle s’attaque à l’effet plutôt qu’à la cause. Daesh étant une culture avant d’être une milice, comment empêcher les générations futures de basculer dans le djihadisme alors qu’on n’a pas épuisé l’effet de la Fatwa Valley, de ses clergés, de sa culture et de son immense industrie éditoriale?

Guérir le mal serait donc simple ? A peine. Le Daesh blanc de l’Arabie Saoudite reste un allié de l’Occident dans le jeu des échiquiers au Moyen-Orient. On le préfère à l’Iran, ce Daesh gris. Ceci est un piège, et il aboutit par le déni à un équilibre illusoire : On dénonce le djihadisme comme le mal du siècle mais on ne s’attarde pas sur ce qui l’a créé et le soutient. Cela permet de sauver la face, mais pas les vies.

Daesh a une mère : l’invasion de l’Irak. Mais il a aussi un père : l’Arabie saoudite et son industrie idéologique. Si l’intervention occidentale a donné des raisons aux désespérés dans le monde arabe, le royaume saoudien leur a donné croyances et convictions. Si on ne comprend pas cela, on perd la guerre même si on gagne des batailles. On tuera des djihadistes mais ils renaîtront dans de prochaines générations, et nourris des mêmes livres.

Les attaques à Paris remettent sur le comptoir cette contradiction. Mais comme après le 11 septembre, nous risquons de l’effacer des analyses et des consciences.


Sarkozy chez les wahhabites

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Bernard Haykel, Arabie Saoudite : l’Histoire officielle et sa contestation (Institut du Monde Arabe, 6 juin 2015)

"Le trait le plus saillant de ce mouvement (idéologique du wahhabisme) est ce point doctrinal qui consiste à considérer tous les musulmans qui ne partagent pas les croyances particulières wahhabites comme des infidèles auquels il est légitime de faire la guerre"


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L’Arabie saoudite prend la direction du panel du Conseil des droits de l’homme de l’ONU
Le 20 septembre 2015 - RTFrance

L’ambassadeur du pays le plus critiqué pour le statut qu’il reconnaît aux femmes, aux minorités et aux dissidents a pris la tête de la plus importante organisation de défense des droits de l’homme dans le monde.

Selon les informations officielles de l’ONU, l’ambassadeur de l’Arabie saoudite à Genève Faisal Trad a été choisi pour présider le panel du Conseil des droits de l’Homme à partir de sa 30ème session qui ouvrira lundi 21 septembre. Selon les rumeurs, le choix avait déjà été décidé en juin dernier mais avait été tenu secret jusqu’au présent pour des raisons inconnues.

Le but principal du panel du Conseil des droits de l’Homme est de nommer les cinq hauts fonctionnaires qui édictent les standards internationaux, de choisir les personnes qui vont occuper plus de 77 postes relatifs à la défense des droits de l’homme dans différentes régions du monde et d’informer sur les violations perpétrées en matière de droits de l’Homme.

Mais ce choix a été vivement critiqué par la communauté internationale qui s’oppose toujours à ce que des pays qui ne sont pas réputés pour le respect scrupuleux qu’ils attachent aux droits de l’homme accèdent à une position si importante.

«Il est scandaleux que l’ONU ait choisi un pays qui a exécuté plus de gens que Daesh cette année pour présider le panel du Conseil des droits de l’Homme», a déclaré le directeur exécutif de UN Watch Hillel Neuer. Il a aussi précisé que «le pétrole, les dollars et la politique nuisent aux droits de l’homme».

En savoir plus : Les raids aériens saoudiens tuent des dizaines de civils au Yémen en pleine crise humanitaire

Parmi les violations des droits de l’homme les plus flagrantes commises par l’Arabie saoudite, on note l’arrestation de l’écrivain et bloggeur Raif Badawi. En 2012, ses déclaration libérales sur son site Free Saudi Liberals (Libéraux saoudiens libres) ont provoqué son arrestation et sa condamnation à recevoir 1 000 coups de fouet pour avoir «insulté l’islam». Sa femme Ensaf Haidar tente toujours d’obtenir sa libération mais en vain. Elle a même précisé sur sa page Facebook que la nomination de Faisal Trad était un «feu vert à la continuation de la flagellation» de son mari.

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