lundi 30 novembre 2015

Les incompatibles (?) de l'écologie



Déclarations nationales des chefs d’Etat et de gouvernement de la COP21 (Paris, le 30 novembre 2015)
Lire aussi : Accord contraignant ou pas ? Le gratin mondial diverge, le 30 novembre 2015, TdG (Pour : France, Allemagne, Suisse, Russie, ... Contre : USA, Chine, ...)


"Nous sommes tous des petits ours polaires"


Trois articles : 
- Contre le réchauffement climatique : la démondialisation ! de Jacques Nikonoff
- L'impossible développement durable de Georges Monbiot 
- Le développement durable est un mensonge par Derik Jensen


Contre le réchauffement climatique : la démondialisation !
Par Jacques Nikonoff, le 29 nov. 2015 - RT France

Ce n'est pas la COP21 qui résoudra la crise écologique mais la transformation du système économique mondial, estime le professeur associé à l'Université Paris 8, Jacques Nikonoff.

Les conférences internationales sur l’environnement se succèdent sans aucun résultat tangible puisque la dégradation de l’environnement s’est poursuivie et même accélérée après Stockholm en 1972, Rio en 1992 et en 2012, Copenhague en 2009. Il ne peut rien sortir de telles grand-messes pour des raisons qui devraient être évidentes à tous. Résoudre la crise écologique et climatique, en effet, implique de rompre avec l’ordre néolibéral mondial. C’est le système économique lui-même qui doit être profondément transformé. Il faut mettre fin au court-termisme des marchés financiers, à l’arrogance et à l’incompétence des banquiers, à la surconsommation effrénée d’une partie de la population et à la sous-consommation tragique de l’autre, au productivisme, au libre-échange, aux délocalisations... Aucun accord international n’est possible actuellement sur de telles bases.

Le site officiel de la COP21 affiche pourtant comme slogan «pour un accord universel sur le climat». Une grande majorité des organisations et associations qui agissent sur les questions du climat ont été intégrées à cette logique et ne menacent en aucun cas le système. Elles croient, dans la mesure où le problème dépasse les frontières, que la solution sera trouvée au niveau international. C'est ignorer qu’il n'existe pas de gouvernement mondial pour faire appliquer d’éventuelles décisions contraignantes (heureusement !), et que la scène internationale n'est que l'affrontement d'intérêts nationaux où les plus forts imposent souvent leur vision. Une conférence internationale (et non universelle), ne peut aboutir, dans le meilleur des cas, qu’à des compromis entre volontés nationales.

C’est pourquoi la seule indignation citoyenne, dépolitisée, est d’une naïveté et d’une inefficacité confondantes. Véhiculée par de nombreuses associations, elle est totalement vaine et constitue même une diversion. C’est une réponse politique qui est nécessaire, et à l’échelle de chaque Nation.

"C’est la souveraineté des États qui doit être respectée, c’est à eux de décider sous le contrôle de leurs citoyens." 

Le sujet principal de la Conférence de Paris sera de décider si les engagements des États seront ou non juridiquement contraignants. La réponse est déjà connue : ce sera non. Et à juste titre, car c’est la souveraineté des États qui doit être respectée, c’est à eux de décider sous le contrôle de leurs citoyens. Sinon qui va imposer les décisions prises aux États les plus forts ? Ceux qui cultivent cette illusion n’ont qu’à se demander s’il existe un moyen de contraindre les États-Unis à respecter un accord international ! L’illusion de la possibilité d’un accord international permet même à certains États de se dissimuler derrière ce paravent pour ne rien faire.

L’exemple de la mobilisation de dizaines de milliers de Français pour obtenir le premier moratoire au monde sur l'exploitation des gaz de schiste est éclairant à cet égard. Il montre que c’est ainsi que doivent se résoudre les problèmes : dans chaque pays pour que ces expériences réussies incitent les autres à les reproduire. Cela n’empêche pas les rencontres internationales, mais celles-ci seraient alors beaucoup plus efficaces car elles feraient le bilan des expériences de chaque pays et tenteraient de coordonner leur généralisation.

Pour être efficace, la lutte contre le réchauffement doit passer par un changement structurel du système économique, l’abandon du modèle néolibéral, et s'inscrire dans la perspective de la démondialisation. Des mesures protectionnistes aux frontières nationales devront être incluses pour notamment relocaliser l’industrie. Les échanges sur de grandes distances doivent être limités, la sobriété énergétique promue. Les populations doivent assumer pleinement les conditions d'exploitation des ressources naturelles et de production des biens manufacturés qu'elles consomment. Elles doivent avoir leur mot à dire sur le modèle énergétique, ses conséquences sur le climat mais également les dégâts sur les zones d'extraction et sur les voies de transport terrestre et maritime. Il n'est pas possible de refuser les gaz de schiste en France tout en achetant du gaz extrait de schistes étatsuniens. Ni de lutter contre le passage des pétroliers au large de la Bretagne tout en consommant du pétrole extrait de la plateforme Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique, le puits offshore le plus profond du monde exploité par la compagnie pétrolière britannique BP et qui a provoqué la plus grave marée noire jamais connue.

Lutter efficacement contre le réchauffement climatique passe par la mobilisation et la décision politiques dans chaque État, pour démondialiser. Une des premières étapes est de sortir de l'Union européenne pour relocaliser la production d'énergie et de marchandises, non seulement pour créer des emplois mais également pour assumer toutes les externalités de nos choix de consommation.

Jacques Nikonoff
Lire aussi : COP21 : Jamais l’hypocrisie n’aura atteint de tels sommets, le 19 novembre 2015, RTFrance

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L’impossible développement durable 
Par George Monbiot, le 24 novembre 2015 - The Guardian / Le Partage (trad.)

George Monbiot est un journaliste, universitaire et écrivain environnementaliste britannique. Il tient une chronique hebdomadaire dans The Guardian. Il s’agit ici de la traduction d’un article publié le 24 novembre 2015 sur le site du Guardian.

Consommez plus, conservez plus : désolé, mais on ne peut pas faire les deux à la fois

La croissance économique est en train de dévaster la planète, et une nouvelle étude suggère qu’elle ne peut aller de pair avec la durabilité.

Nous pouvons tout avoir : telle est la promesse de l’époque. Nous pouvons posséder tous les gadgets qu’il nous est possible d’imaginer — et bien d’autres que nous n’imaginions même pas. Nous pouvons vivre comme des rois sans compromettre la capacité qu’a la Terre de nous héberger. La promesse qui rend tout cela possible c’est ce concept qui prétend qu’au fil du développement des économies, elles deviennent plus efficaces dans leur gestion des ressources. En d’autres termes, qu’elles découplent (se dissocient).

Il y a deux types de découplage/dissociation: relatif et absolu. Le découplage relatif signifie utiliser moins de matière à chaque nouvelle unité de croissance économique ; le découplage absolu signifie une réduction totale de l’utilisation des ressources, bien que l’économie continue à croitre. La quasi-totalité des économistes pensent que le découplage — relatif ou absolu — est une caractéristique inexorable de la croissance économique..

C’est sur cette notion que repose le concept de développement soutenable [ou durable]. Il est au cœur des négociations climatiques de Paris du mois prochain et de chaque sommet sur les problèmes environnementaux. Mais il semble bien qu’il n’ait aucun fondement.

Une étude publiée plus tôt cette année dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences Actes de l’Académie Nationale des Sciences (USA) suggère que même le découplage relatif que nous prétendons avoir accompli n’est que le résultat d’un truquage comptable. Elle souligne que les gouvernements et les économistes ont mesuré notre impact d’une façon qui semble irrationnelle.

Voici comment fonctionne le truquage comptable. Il prend en compte les matières premières que nous extrayons de nos propres pays, les ajoute à notre importation de trucs d’autres pays, puis soustrait nos exportations, pour aboutir à ce qu’on appelle « consommation intérieure de matières » (Domestic Material Consumption ou DMC). Mais en mesurant seulement les produits déplacés d’un pays à un autre, au lieu des matières premières nécessaires à la fabrication de ces produits, le total des ressources utilisées par les pays riches est largement sous-estimé.

Par exemple, si des minerais sont extraits et traités dans notre pays, ces matières premières, ainsi que la machinerie et l’infrastructure utilisées pour en faire des métaux finis, sont incluses dans le bilan de consommation intérieure de matières. Mais si nous achetons un métal produit à l’étranger, seul le poids du métal est pris en compte. Donc, tandis que l’extraction et la fabrication passe des pays comme le Royaume-Uni et les USA vers des pays comme l’Inde et la Chine, les pays riches paraissent utiliser moins de ressources. Une mesure plus rationnelle, appelée l’empreinte matérielle, inclut toutes les matières premières qu’utilise une économie, où qu’elles soient extraites. Quand ceci est pris en considération, les améliorations apparentes de l’efficacité disparaissent.

Au Royaume-Uni, par exemple, le découplage absolu que le calcul de la consommation intérieure de matériels semble faire apparaitre se voit remplacé par un graphique complètement différent. Non seulement il n’y a aucun découplage absolu,  mais il n’y a alors même pas de découplage relatif. D’ailleurs, avant la crise financière de 2007, le graphique semblait tendre vers la direction opposée : même relativement à la croissance de notre produit intérieur brut, notre économie devenait moins efficace dans son usage de matières premières. Contre toute attente, c’était un recouplage qui était en cours.

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Tandis que l’OCDE prétend que les pays les plus riches ont diminué de moitié l’intensité de leur utilisation de ressources, cette nouvelle analyse suggère que dans l’UE, aux USA, au Japon et dans les autres pays riches, il n’y a eu « absolument aucune amélioration de la productivité des ressources ». C’est une info incroyable. Elle semble reléguer au rang de non-sens tout ce qu’on nous a raconté sur la trajectoire de nos impacts environnementaux.

J’ai envoyé cette étude à l’un des principaux penseurs britanniques sur le sujet, Chris Goodall, qui prétendait que le Royaume-Uni semblait avoir atteint « le pic des objets » [peak stuff, terme forgé par analogie à peak oil, pic pétrolier, NdE]: en d’autres termes, qu’il y avait eu une réduction totale de notre utilisation de ressources, aussi appelé découplage absolu. Qu’en pensait-il ?

Tout à son honneur, il a répondu « qu’en gros, ils ont raison », même si la nouvelle analyse semblait démentir ses affirmations. Il émettait certaines réserves, cependant, particulièrement sur la façon dont étaient calculés les impacts de fabrication. J’ai donc consulté l’expert universitaire le plus connu du Royaume-Uni sur le sujet, le professeur John Barrett. Il m’a dit qu’avec ses collègues, ils avaient effectué des analyses similaires, sur la consommation énergétique du Royaume-Uni et ses émissions de gaz à effet de serre, « et nous avons trouvé un schéma similaire ». Une de ses études révèle que bien que les émissions de dioxyde de carbone du Royaume-Uni aient officiellement diminué de 194 millions de tonnes entre 1990 et 2012, cette réduction apparente est plus qu’annulée par le CO2 émis à travers notre achat de produits à l’étranger. L’émission de celui-ci a augmenté de 280 millions de tonnes sur la même période.

Des douzaines d’autres études parviennent aux mêmes conclusions. Par exemple, un rapport publié dans le journal Global Environmental Change (Changement environnemental mondial) explique qu’avec chaque doublement de ses revenus, un pays a besoin d’1/3 de terre et d’océan en plus pour soutenir son économie en raison de l’augmentation de la consommation de produits animaux. Une récente étude du journal Resources a remarqué que la consommation mondial de matériaux avait augmenté de 94% sur 30 ans, et s’était accélérée depuis l’an 2000. « Sur les 10 dernières années, nous n’avons même pas accompli un découplage relatif au niveau mondial ».

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Nous pouvons nous persuader que nous vivons en flottant sur l’air, évoluant dans une économie en apesanteur, comme les futurologues naïfs le prédisaient dans les années 1990s. Mais c’est une illusion, créé par le calcul irrationnel de nos impacts environnementaux. Cette illusion permet une apparente réconciliation entre des politiques incompatibles.

Les gouvernements nous poussent à la fois à consommer plus et à conserver plus. Nous devons extraire plus de combustibles fossiles du sol, mais en brûler moins. Nous devrions réduire, réutiliser et recycler les trucs qui entrent dans nos maisons, tout en en augmentant le nombre, en les jetant et en les remplaçant. Comment, sinon, l’économie pourrait-elle croître ? Nous devrions manger moins de viande pour sauver la planète, et en manger plus pour booster l’industrie de l’élevage. Ces politiques sont incompatibles. Les nouvelles analyses suggèrent que la croissance économique est le problème, peu importe que le mot soutenable [ou durable] soit tamponné dessus.

Non seulement nous n’affrontons pas cette contradiction; mais presque personne n’ose en parler. C’est comme si le problème était trop énorme, trop effrayant à regarder en face. Nous semblons incapables de faire face au fait que notre utopie est également notre dystopie, au fait que la production semble être inséparable de la destruction.

George Monbiot

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End CIV (2011

MAJ
Le « développement durable » est un mensonge 
Par Derrick Jensen, le 19 novembre 2015 - Fair ObserverLe Partage (trad.)

Derrick Jensen (né le 19 décembre 1960) est un écrivain et activiste écologique américain, partisan du sabotage environnemental, vivant en Californie. Il a publié plusieurs livres très critiques à l’égard de la société contemporaine et de ses valeurs culturelles, parmi lesquels The Culture of Make Believe (2002) Endgame Vol1&2 (2006) et A Language Older Than Words (2000). Il est un des membres fondateurs de Deep Green Resistance.

Plus de renseignements sur l’organisation Deep Green Resistance et leurs analyses dans cet excellent documentaire qu’est END:CIV, disponible en version originale sous-titrée français en cliquant ici.

Article initialement publié en anglais, le 19 novembre 2015 sur le site web du Fair Observer, à l’adresse suivante.

Le « développement durable » est une prétention à la vertu. Le mot « développement » utilisé dans ce sens est un mensonge.

Le mot « développer » signifie « croître », « progresser », « devenir plus complet, plus avancé ». Parmi ses synonymes, on trouve « évolution, déroulement, maturation, maturité », et parmi ses antonymes « détérioration, désintégration ». En voici un exemple d’usage concret tiré d’un dictionnaire : « Le théâtre a atteint l’apogée de son développement avec les pièces de Shakespeare ».

Mais voilà le problème: un enfant se développe et devient un adulte, une chenille se développe et devient un papillon, un cours d’eau endommagé par (disons) l’extraction minière pourrait, avec le temps, se redévelopper et redevenir un cours d’eau sain ; mais une prairie ne se « développe » pas en maisons en forme de boîtes, une baie ne se « développe » pas en port industriel, une forêt ne se « développe » pas en routes et clairières.

En réalité, la prairie est détruite pour produire ce « développement ». La baie est détruite, afin que le « développement » y implante un port industriel. La forêt est détruite lorsque les « ressources naturelles » sont « développées ».

Le mot « tuer » fonctionne aussi bien.

Destruction durable

Pensez-y. Vous menez votre vie, quand arrive une personne souhaitant gagner de l’argent en « développant » la « ressource naturelle » qu’est votre corps, et comptant donc collecter vos organes pour effectuer des greffes, vos os pour en faire de l’engrais, votre chair pour de la nourriture.

Vous répondriez peut-être : « Hé, je m’en servais, de ce cœur, de ces poumons ».

Cette prairie, cette baie, cette forêt, utilisaient toutes ce que vous appelez « ressources naturelles ». Ces « ressources naturelles » les maintenaient en vie. Ces « ressources naturelles » sont précisément leur corps. Sans elles, elles mourront, tout comme vous.

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Cela ne fait aucune différence d’associer le mot « durable » à tout ce que vous vous apprêtez à faire. L’exploitation reste l’exploitation, même sous l’appellation « exploitation durable ». La destruction reste la destruction, même sous l’appellation « destruction durable ».

La capacité à remarquer la récurrence de schémas est un signe d’intelligence. Nous, les humains industrialisés, nous croyons plus intelligents que tous les autres. Je vais donc vous présenter un schéma, voyons si nous pouvons le reconnaitre sur, disons, les 6000 dernières années.

Le développement durable grec

Lorsque vous pensez à l’Irak, la première image qui vous vient en tête, sont-ce des forêts de cèdres si denses que la lumière du soleil n’atteint pas le sol ? C’était pourtant l’Irak avant les débuts de cette culture. L’un des premier mythes écrits de cette culture raconte l’histoire de Gilgamesh, déforestant les collines et les vallées de ce que l’on appelle aujourd’hui l’Irak, pour construire des grandes cités.

Oups, pardon, j’imagine qu’il ne déforestait pas la région; il « développait » les ressources naturelles.

La majeure partie de la péninsule arabique était couverte d’une savane de chênes, avant que ces « ressources » ne soient « développées » pour l’exportation. Le Proche-Orient était densément boisé. Vous vous souvenez peut-être des cèdres du Liban ? Ils en ont toujours un sur leur drapeau. Le Nord de l’Afrique était densément boisé. Ces forêts furent détruites — pardon, « développées durablement » — pour la construction des flottes égyptiennes et phéniciennes.

La Grèce était densément boisée. Les anciens philosophes grecs se plaignaient de l’impact nocif de la déforestation sur la qualité de l’eau. Je suis sûr que les bureaucrates de l’antique département grec du développement durable expliquèrent alors qu’ils auraient besoin d’étudier le problème pendant quelques années afin de s’assurer qu’il y ait vraiment une corrélation.

Dans les Amériques, les baleines étaient si abondantes que leur respiration donnait à l’air un aspect constamment brumeux, et qu’elles étaient un danger pour le transport maritime. Le « développement » de cette ressource régla ce problème. La morue proliférait tellement que leurs corps ralentissaient le passage des navires. Le « développement » de cette ressource régla également ce problème. Il y avait tellement de pigeons migrateurs que leurs nuées assombrissaient le ciel pendant plusieurs jours d’affilée. Une fois encore, le « développement » de cette ressource régla ce problème.

Savez-vous pourquoi il n’y a pas de pingouins dans l’hémisphère Nord ? Il y en avait avant. Ils étaient appelés « Grands Pingouins ». Un explorateur français rapporta qu’il y en avait tellement sur une île que chacun des navires de France aurait pu en emporter autant que possible, sans que cela fasse de différence. Mais cette « ressource » fut « développée » et le dernier des Grands Pingouins fut tué — pardon, « développé » — au 19ème siècle.



La « Mafia du Cèdre » à l’œuvre dans le Moyen-Atlas au Maroc

200 espèces par jour

200 espèces se sont éteintes rien qu’aujourd’hui. Et 200 s’éteindront demain. Et le jour suivant. Et le jour d’après.

Tous les indicateurs biologiques indiquent la mauvaise direction.

Et nous savons tous pourquoi. Ces problèmes ne sont pas intellectuellement exigeants. Le « développement », c’est le vol et le meurtre. Le « développement » c’est le colonialisme que l’on applique au monde naturel. Le « développement » c’est la kleptocratie — un mode de vie basé sur le vol.

Voici un autre test de notre intelligence: nommez une communauté naturelle — ou un écosystème, si vous préférez le langage mécanique — ayant été « gérée » pour de l’extraction, ou ayant été « développée » — ce qui signifie industrialisée — et n’ayant pas été considérablement endommagée, par rapport à sa forme propre.

Vous n’y parvenez pas, parce que gérer dans le but d’extraire est dommageable, comme nous le comprendrions tous, si, comme expliqué dans l’exemple ci-dessus, cela nous arrivait à nous. Si une armée d’occupation pénétrait dans notre maison et prenait notre nourriture et quelques-uns de nos proches, nous comprendrions tous la souffrance de notre famille.

Pourquoi, donc, avec la planète entière en jeu, devenons-nous si stupides vis-à-vis du « développement durable » ? Pourquoi avons-nous tant de difficultés à comprendre que si l’on vole, ou endommage, une communauté naturelle, cette communauté naturelle souffrira ?

Asservir la planète

Upton Sinclair a écrit: « Il est difficile de faire comprendre une chose à quelqu’un quand son salaire dépend du fait qu’il ne la comprenne pas ». Je préciserai même : « Il est difficile de faire comprendre une chose à quelqu’un quand ses prérogatives dépendent du fait qu’il ne la comprenne pas ».

Dans les années 1830, un philosophe pro-esclavagiste affirmait que l’esclavage était nécessaire parce que sans lui les propriétaires d’esclaves ne pourraient bénéficier du « confort et du chic » auxquels ils s’étaient habitués.

La même chose est vraie ici. Il nous suffit d’étendre notre compréhension de l’esclavage au monde naturel, étant donné que cette culture tente d’asservir — pardon, « de développer », oups, de « développer durablement » — un pan toujours plus important de cette planète vivante.

En résumé, nous permettons la destruction du monde afin de pouvoir manger des glaces 24 heures sur 24. Et nous appelons ça développement durable pour atténuer notre culpabilité, voire nous sentir vertueux.

La bonne nouvelle, c’est que beaucoup de gens comprennent toute cette merde. La mauvaise, c’est qu’en gros, ça n’affecte pas la politique.

Une histoire pourrait nous aider à y voir plus clair.

Avant le grand sommet de la Terre à Rio en 1992 (qui fut un succès, n’est-ce pas ? Les choses vont beaucoup mieux aujourd’hui, pas vrai ?), l’ambassadeur US aux Nations Unies envoya des assistants hautement qualifiés à travers le pays, officiellement pour déterminer quelle devrait être la position des USA lors du sommet. L’un des meetings eut lieu à Spokane, à Washington, où je vivais à l’époque. Le hall était plein à craquer, et la queue de ceux qui voulaient s’exprimer serpentait jusqu’à l’arrière du bâtiment. L’une après l’autre, chaque personne insista sur le fait que le « développement durable » était une arnaque, que ce n’était qu’une excuse pour continuer à détruire la planète.

Elles firent remarquer que le problème n’était pas l’humanité, mais cette culture, et supplièrent le représentant des USA d’écouter et de suivre les initiatives des peuples indigènes du monde qui vécurent correctement et de manière vraiment durable sur leurs terres, sans « développement ». (D’ailleurs, ils vécurent correctement et durablement parce qu’ils ne se sont jamais industrialisés). Elles firent également remarquer que le « développement » expulsait inéluctablement à la fois les peuples indigènes et les petits agriculteurs de leurs terres. L’une après l’autre, chaque personne souligna précisément ce dont je parle dans cet article.

Après que nous avions fini de témoigner, le représentant nous remercia de notre soutien envers la position US et de notre soutien au « développement durable ». Comme s’il n’avait rien écouté de ce que nous venions de lui dire.

Soutenir un mode de vie d’exploitation

Voici le problème: le mot « soutenable » (durable) a depuis été détourné afin de ne pas signifier « aider le monde réel à se maintenir », en jouant votre propre rôle et en participant à la vie d’une communauté plus large incluant vos voisins non-humains, mais signifie « soutenir [« rendre durable », mais ça n’aurait pas le même sens, comme vous le comprenez certainement, c’est pourquoi en français, nous nous faisons doublement avoir par la mauvaise traduction de cette expression insensée : nous devrions utiliser la traduction fidèle des termes décidés par l’ONU, à savoir le « développement soutenable », NdT] ce mode de vie d’exploitation ».

Pensez-y: qu’ont en commun toutes ces soi-disant solutions au dérèglement climatique ? C’est simple : elles prennent toutes le capitalisme industriel (et le colonialisme sur lequel il s’appuie) comme une donnée établie, fixe, et le monde naturel comme la variable censée s’ajuster, se conformer, au capitalisme industriel. C’est dément, en termes de déconnexion, de perte de contact avec la réalité physique.

Le monde réel doit primer sur le système d’organisation sociale — peu importe lequel — dont vous parlez, qui doit être secondaire, car dépendant, parce que sans monde réel, vous ne pouvez avoir aucun système d’organisation sociale. « Le développement durable » est une arnaque et une prétention à la vertu parce qu’il tente de soutenir cette culture destructrice, d’exploitation, et pas le monde réel dont elle dépend.

Et cela ne fonctionnera jamais.

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Tant de personnes indigènes m’ont dit que la première et plus importante des choses à faire, c’est décoloniser nos cœurs et nos esprits. Elles m’ont expliqué, entre autres, que nous devrions cesser de nous identifier à cette culture, et à la place, que nous devrions associer notre identification au monde réel, au monde physique, à la Terre vivante, notre seule maison.

Je voudrais raconter une dernière histoire. Dans son livre, « les médecins nazis », Robert Jay Lifton se demande comment des hommes ayant prêté le serment d’Hippocrate ont pu travailler dans des camps de la mort nazis. Il fait remarquer que beaucoup de médecins se sont intensément souciés de la santé des détenus et ont fait tout leur possible pour les protéger. Ils leur donnaient des portions de pommes de terre supplémentaires. Ils les cachaient des agents de sélection qui allaient les tuer. Ils les envoyaient à l’infirmerie, et les laissaient s’y reposer une journée. Ils faisaient tout ce qu’ils pouvaient, à l’exception de la chose la plus importante. Ils ne remettaient pas en question l’existence même des camps. Ils ne remettaient pas en question le travail à mort des détenus, leur privation mortelle de nourriture, leur empoisonnement. Et cette absence de remise en question de la situation à un niveau plus large, plus élevé, a poussé ces médecins à participer activement à ces atrocités.

Avec la planète entière en jeu, accoler le mot durable (soutenable) devant l’insidieux mot développement n’est pas suffisant, sachant que ce que nous entendons par là, c’est « la continuation de ce mode de vie d’exploitation destructeur pour un peu plus longtemps« . Il s’agit d’une falsification du mot « soutenable » (et « durable ») et du mot « développement », et, bien sûr, cela alimente la destruction en cours de notre planète. Cela gaspille un temps dont nous ne disposons pas.

Avec la planète entière en jeu, nous devons non seulement faire ce que nous pouvons pour protéger les victimes de cette culture, mais nous devons également remettre en question le maintien de cette culture des camps de la mort, qui fait travailler mortellement la planète, qui affame mortellement la planète, et qui empoisonne mortellement la planète.

Derrick Jensen

Traduction: Nicolas Casaux
Édition & Révision: Fausto Giudice

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