mercredi 16 décembre 2015

Monsanto : pour que justice germe

MAJ de la page : Le Monde selon Monsanto / Monsanto (tag)





Marie Monique Robin à propos du Monsanto tribunal, Conférence de presse (le 3 décembre 2015)
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Monsanto : pour que justice germe
Par Coralie Schaub, le 2 décembre 2015 - Libération


Produit phare de Monsanto, l’herbicide Roundup contient du glyphosate, une substance accusée d’être toxique pour l’homme.

Un collectif international de juristes et d’ONG lance ce jeudi un tribunal international pour juger la multinationale accusée «d’écocide».

En ces temps où le monde se retrouve à la COP 21 pour bichonner le climat, donc l’avenir de l’humanité, rares sont ceux qui pointent du doigt les dégâts causés par l’agriculture industrielle. Pourtant, celle-ci contribue, selon diverses sources de l’ONU, à au moins 30 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre dues à l’activité humaine. En cause : l’expansion de l’élevage intensif et des monocultures, synonymes de déforestation, de sols nus ou d’utilisation massive de pesticides et d’engrais d’origine pétrochimique. Ce chiffre grimpe autour de 50 % si l’on inclut l’ensemble de la chaîne agro-industrielle, y compris la transformation et le transport des aliments, selon un rapport de l’ONG Grain. Or, qui symbolise le mieux ce modèle, également accusé de polluer l’eau, les sols ou l’air, d’accélérer l’extinction de la biodiversité et la progression de ce que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) appelle l’«épidémie de maladies chroniques évitables» (cancers, maladies d’Alzheimer ou de Parkinson…) ou encore de menacer la souveraineté alimentaire des peuples, par le jeu des brevets sur les semences et de la privatisation du vivant ? «Monsanto», répond la fondation Tribunal Monsanto.

Créée à La Haye, aux Pays-Bas, avec le soutien de mouvements citoyens comme Via Campesina, d’ONG ou de personnalités internationales (dont l’écologiste indienne Vandana Shiva, déjà bête noire de la multinationale de Saint-Louis, ou l’Australien Andre Leu, président de la Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique), cette fondation entend «juger les crimes imputés à la multinationale américaine dans le domaine environnemental et sanitaire et contribuer à la reconnaissance du crime d’écocide dans le droit international» (lire l’interview page 14).



Au-delà de Monsanto, il s’agit de monter un «procès exemplaire» pour dénoncer «toutes les multinationales et entreprises qui ne sont mues que par la recherche du profit et qui, de ce fait, menacent la santé des humains et la sûreté de la planète». Vaste programme. Lancée officiellement ce jeudi (1), l’initiative, que Libération suivra pas à pas toute l’année, «est tout à fait unique et sans précédent», insiste sa marraine, la réalisatrice et écrivaine Marie-Monique Robin, elle aussi peu appréciée du géant américain depuis le Monde selon Monsanto, son enquête très fouillée déclinée en en 2008 en film et en livre. Rien à voir, explique-t-elle, avec le tribunal Russell-Sartre, mis sur pied en 1966 afin de juger les responsables de crimes de guerre au Vietnam, ou encore avec le Tribunal international des droits de la nature, qui siégera à Paris ces vendredi et samedi, en marge de la COP 21. Ceux-ci ont surtout une «valeur pédagogique», tandis que «le Tribunal Monsanto n’est pas qu’un tribunal d’opinion, mais un vrai tribunal avec de vrais juges et avocats en robes, qui examineront de vrais chefs d’inculpation établis avec les vrais outils du droit international», même si ce tribunal n’aura pas de reconnaissance institutionnelle.

Juges des cinq continents

Pour évaluer le comportement de Monsanto, ce tribunal prendra appui sur les «Principes directeurs sur les entreprises et les droits de l’homme», approuvés en 2011 par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies. «Ce texte constitue aujourd’hui la référence la plus largement admise définissant les responsabilités des entreprises au regard, par exemple, du droit à la santé, ou du droit à un environnement sain», explique le Belge Olivier de Schutter, ancien rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation et professeur de droit international à l’Université catholique de Louvain. Conseiller juridique de la préparation du tribunal, il a pour mission, avec l’avocate et ex-eurodéputée française Corinne Lepage, d’y associer des juristes de haut rang, magistrats, avocats et juges issus des cinq continents.

Le tribunal, qui a prévu de se réunir à La Haye du 12 au 16 octobre 2016, entend auditionner au maximum une centaine de plaignants venus des Amériques, d’Europe, d’Asie et d’Afrique. «Au cours de l’année qui vient, le Tribunal Monsanto recueillera des témoignages et un travail important de collecte d’informations aura lieu, précise Olivier de Schutter, qui fera notamment plancher ses étudiants. Il est encore trop tôt pour identifier les témoins ou victimes que le tribunal aura intérêt à entendre. Ce choix dépendra aussi de la stratégie suivie par les avocats des victimes.» Le Tribunal Monsanto se conformera «autant que possible» aux principes généraux du droit de la procédure civile, assure-t-il. La multinationale sera invitée à faire valoir ses arguments. «Il serait dommage que Monsanto préfère le silence au débat», pointe le juriste.

Contacté par Libération, le groupe estime que les «accusations invoquées réitèrent des idées reçues, inexactes et déformées, [qui] ne reflètent absolument pas la réalité». Monsanto rappelle qu’en France, où il emploie 600 collaborateurs, 200 000 à 300 000 agriculteurs bénéficient chaque année de ses «solutions très appréciées». «La sécurité est une priorité pour Monsanto», assure encore l’entreprise, qui revendique «une démarche de transparence», ajoutant que «de nombreuses études scientifiques» sont réalisées sur ses produits. Monsanto se dit même «prêt à répondre à toutes les questions». Le groupe viendra-t-il au Tribunal ? Il ne le dit pas.

Mais n’est-il pas absurde et inquiétant de devoir créer un tel tribunal pour pallier ce qui peut passer pour des insuffisances de la justice ? «Il serait inexact de prétendre que rien n’a pu être fait jusqu’à présent», relativise Olivier de Schutter. Et de citer le cas des habitants de Nitro, la ville de Virginie-Occidentale où Monsanto fabriquait l’agent orange, qui ont obtenu en 2013 un règlement amiable pour les dommages subis par la pollution à la dioxine.

Produits hautement toxiques

Autre exemple, les procédures entamées en septembre contre la multinationale à Los Angeles et à New York par des travailleurs agricoles ayant développé des cancers des os ou des leucémies en raison de leur manipulation du Roundup, l’herbicide le plus largement diffusé par Monsanto. Ou encore le cas du céréalier charentais Paul François, victime d’une intoxication au Lasso, un herbicide de Monsanto aujourd’hui interdit. Il a obtenu en 2012 la condamnation de la multinationale au versement d’un dédommagement. «C’est une première mondiale, note Marie-Monique Robin. Jamais un agriculteur n’avait osé s’attaquer à la firme de Saint-Louis. Et pour cause : dans mon livre Notre poison quotidien (2010), j’ai raconté le calvaire qu’a subi Paul. C’est inouï et ce n’est pas fini.» Condamnée en première instance et en appel, la multinationale s’est pourvue en cassation cet automne, faisant notamment remarquer que la cour d’appel de Lyon «reconnaît que Monsanto a bien informé sur la composition de son produit». «Au bout du compte, ce ne sera de toute façon qu’une condamnation au civil car, pour l’heure, aucun outil juridique ne permet de poursuivre au pénal une entreprise ni ses dirigeants qui sont responsables d’un crime contre la santé humaine ou l’intégrité de l’environnement», déplore Marie-Monique Robin.

D’où l’intérêt de réformer le droit pénal international pour que soit reconnu le crime d’écocide. «Si cela avait été le cas, la multinationale n’aurait pas pu polluer l’environnement en toute impunité pendant plus d’un siècle, et tout faire pour maintenir sur le marché des produits hautement toxiques qui rendent malade et causent la mort de milliers de personnes», ajoute la marraine du tribunal. Qui poursuit : «Regardez ce qui se passe avec le glyphosate, la molécule active du Roundup, l’herbicide le plus utilisé au monde, associé aux OGM de la firme. Tout indique que nous sommes face à un énorme scandale sanitaire, bien supérieur à celui de l’amiante. Or, comme elle l’a fait pour les PCB [polychlorobiphényles, ou pyralènes, des polluants organiques persistants, ndlr] ou la dioxine, Monsanto continue d’affirmer qu’il est sans danger, alors qu’il sait que c’est faux!»

Crowdfunding
Pour le Suisse Hans Herren, président de l’Institut du millénaire de Washington, Monsanto est «de loin l’un des pires», dès lors qu’il s’agit d’influencer les autorités publiques avec des «faits erronés» sur la sécurité de ses produits. Même si d’autres groupes de l’agrochimique «comme Syngenta, Bayer ou BASF» ne sont pas en reste.

«Les choses avancent. Mais trop lentement, et trop tard, estime Olivier de Schutter. Surtout, le niveau politique demeure passif face aux signaux pourtant inquiétants qu’envoient ces quelques procédures judiciaires.» Comment l’expliquer ? «Des intérêts économiques puissants sont en jeu, et ces firmes sont très bien outillées pour faire rempart aux mises en cause. En outre, ces procédures sont un parcours d’obstacles pour les victimes, qui hésitent à investir du temps et de l’argent dans un procès à l’issue incertaine. Et lorsqu’une entreprise comme Monsanto se trouve sur la défensive, elle cherche à conclure un règlement amiable, de manière à éviter qu’émerge une jurisprudence défavorable.»

Chaque année, Monsanto provisionne des sommes colossales pour faire face aux procès que pourraient lui intenter les victimes de ses produits. Ce qui ne l’incite pas à changer de pratiques. «Tant qu’il demeurera plus profitable pour les actionnaires de faire courir des risques à la collectivité, quitte à devoir dédommager des victimes de temps à autre quand des procès sont engagés, ces pratiques subsisteront, conclut Olivier de Schutter. Des actions judiciaires entamées au cas par cas ne sont pas un substitut à une intervention beaucoup plus vigoureuse des pouvoirs publics.»

Mais qui financera ce Tribunal Monsanto, dont le coût est évalué à 1 million d’euros ? Vous et moi, espèrent ses initiateurs, qui lancent ce jeudi un appel «à tous les citoyens et citoyennes du monde», pour qu’ils y participent «à travers la plus vaste plate-forme de crowdfunding international jamais réalisée à ce jour».

(1) www.monsanto-tribunal.org

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