dimanche 21 février 2016

Mythologies économiques et mystifications politiques



La Grande table (2ème partie) par Caroline Broué
Mythologies économiques et mystifications politiques (15 février 2016)

Peut-on croire le discours économique ? Les prédictions des économistes sont-elles fiables ? La grammaire économique relève-t-elle du domaine de la croyance ?
Pour cette seconde partie d'émission, nous recevons l'économiste à l'OFCE, professeur à l'Université de Stanford et à Sciences Po, Eloi Laurent. Il signe Nos mythologies économiques aux éditions Les Liens qui libèrent. Pour l’interroger à ses côtés, le professeur de science politique  à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne Frédéric Sawicki.
Son dernier livre, Nos mythologies économiques, Ed. Les Liens qui libèrent, 2016
Commande sur Amazon : Nos mythologies économiques

Lire aussi : Mesurer le bien-être et la soutenabilité : un numéro de la Revue de l’OFCE
3 février 2016




L'Economie en questions Dominique Rousset
2015 : des désordres financiers aux désordres climatiques (19 décembre 2015)
Avec :
Eloi Laurent : économiste sénior et conseiller scientifique à l’OFCE, maître de conférence à Sciences-Po
Christian De Boissieu : Professeur d'économie à l'université Paris 1 et au Collège d'Europe à Bruges.
Dominique Plihon : Professeur d'économie financière à l'Université Paris XIII et membre du CA d'Attac France


Après l'accord de Paris, sortir de l'incohérence climatique
Par Eloi Laurent, le 15 décembre 2015

S'agissant de l'environnement, jamais l'ambition n'a été aussi forte mais jamais la contrainte n'a été aussi faible. par Eloi Laurent, économiste, OFCE
S'il fallait résumer d'une formule la teneur des 32 pages de l'Accord de Paris (et des décisions afférentes) adopté le 12 décembre 2015 par la COP 21, on pourrait dire que jamais l'ambition n'a été aussi forte mais que jamais la contrainte n'a été aussi faible. C'est l'arbitrage fondamental du texte et sans doute était-ce la condition de son adoption par tous les Etats de la planète. On pensait que l'enjeu, à Paris, serait d'étendre aux pays émergents, à commencer par la Chine et l'Inde, les engagements contraignants acceptés à Kyoto voilà dix-huit ans par les pays développés.

C'est exactement l'inverse qui s'est produit : sous l'impulsion du gouvernement américain, qui aura dominé de bout en bout et jusqu'à la dernière minute ce cycle de négociations (dont l'UE a été cruellement absente), tous les pays se trouvent désormais de fait hors de l'Annexe 1 du Protocole de Kyoto, libérés de toute contrainte juridique quant à la nature de leurs engagements dans la lutte contre le changement climatique, qui se résument à  des contributions volontaires qu'ils déterminent seuls et sans référence à un objectif commun.

Une nouvelle variable, le facteur d'incohérence
Ce faisant, l'Accord de Paris fait apparaître une nouvelle variable climatique, dont on pourra suivre avec précision l'évolution au cours des prochaines années : le facteur d'incohérence, qui met en rapport objectifs et moyens. Au terme de la COP 21, ce ratio situe dans une fourchette qui va de 1,35 à 2 (la cible climatique choisie, indiquée à l'Article 2, est comprise entre 1,5 et 2 degrés tandis que la somme des contributions nationales volontaires visant à l'atteindre conduit à un réchauffement de 2,7 à 3 degrés). La question qui s'impose aujourd'hui est donc la suivante : comment sortir de l'incohérence climatique en alignant les moyens déployés sur les ambitions déclarées (et ramener le facteur d'incohérence climatique à 1) ?

La référence au prix du carbone a disparu
Les réponses à cette question ont à vrai dire été formulées lors des deux semaines de la COP 21 mais elles n'ont pas survécu aux tractations entre Etats et ne figurent donc pas dans le texte final sous une forme opérationnelle. Elles sont au nombre de trois : la justice climatique, le prix du carbone et la mobilisation des territoires.

La justice climatique, dont l'importance décisive a été soulignée à juste titre notamment par le Président français dès son discours d'ouverture (« C'est au nom de la justice climatique que je m'exprime aujourd'hui devant vous »), fait l'objet d'un contresens dans le texte de l'Accord : alors qu'il ne mentionne qu'une fois le terme « justice », celui-ci dispose que les parties reconnaissent « l'importance pour certains de la notion de justice climatique ». Tout le point de la justice climatique est précisément qu'elle ne concerne pas certaines nations mais toutes, ensemble. Tout reste donc à faire sur ce terrain, et notamment sur la question de la répartition des efforts d'atténuation et d'adaptation.

La nécessité de donner un prix au carbone (et donc de lui conférer une valeur sociale), dont l'affirmation croissante aura été mise en lumière dès l'inauguration de la COP 21 sous l'égide d'Angela Merkel et du nouveau gouvernement canadien, figurait encore dans l'avant-dernière version du texte. Elle a disparu de la dernière mouture (sous la pression combinée de l'Arabie Saoudite et du Venezuela). Il ne fait pourtant pas de doute que c'est en internalisant le prix du carbone que l'on mettra le système économique au service de la transition climatique. Mais il semble à ce stade que les Etats aient choisi d'externaliser cette fonction d'internalisation au secteur privé. Il leur faudra vite reprendre la main, au plan interne et mondial.

Enfin, le rôle essentiel des territoires, à la fois pour compenser les insuffisances des Etats et pour constituer des laboratoires de l'économie bas-carbone, est trop rapidement et vaguement mentionné dans l'Accord. Le sommet organisé par la Mairie de Paris le 4 décembre a pourtant bien montré que les villes, les métropoles et les régions sont devenues des acteurs à part entière de la lutte contre le changement climatique, renouant avec l'esprit du sommet de Rio de 1992. Il faudra mettre en place, au plus vite, une véritable instance de coopération entre les territoires et les Etats nations, en France et ailleurs, pour faire vivre l'Accord de Paris.

Un programme d'intentions
On le voit bien à la lumière de ces trois enjeux déterminants, la critique la plus sévère que l'on peut adresser à un accord d'architecture, qui est un programme d'intentions plutôt qu'un véritable plan d'action, est de n'être pas assez évolutif et dynamique et de ne pas davantage anticiper ses propres insuffisances et son dépassement futur en ouvrant la voie à de nouveaux principes, de nouveaux instruments et de nouveaux acteurs. En outre, comment comprendre qu'il faille patienter jusqu'en 2020 pour sa mise en œuvre, alors que les signes du dérèglement climatique sont partout visibles ?

Le pays le plus constructif, la Chine
Le desserrement de cette contrainte temporelle viendra peut-être du grand pays qui s'est montré le plus constructif avant et pendant la COP 21 : la Chine. C'est de Chine qu'est venue, cinq jours avant la conclusion de l'Accord, la meilleure nouvelle climatique depuis l'annonce du ralentissement de la déforestation amazonienne au cours de la décennie 2000 : les émissions mondiales de CO2, après avoir connu une quasi-stabilisation en 2014, devraient légèrement diminuer en 2015.

Cette atténuation tient à leur fléchissement en Chine sous l'effet combiné de la décélération économique (la sortie choisie de l'hyper-croissance) et de la dé-carbonisation de la croissance (liée à la moindre consommation de charbon). Cette baisse elle-même s'explique par la pression de plus en plus forte des Chinois sur leur gouvernement, car ils ont compris que le développement économique de leur pays est en train de détruire le développement humain de leurs enfants. On peut donc espérer que la Chine contienne les émissions mondiales dans les cinq années qui nous séparent de 2020 et rende l'attente de l'Accord de Paris plus supportable. A condition de la mettre à profit pour sortir de l'incohérence climatique.

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