dimanche 15 mai 2016

Peut-on bande-dessiner le monde quantique ?



La Conversation scientifique par Etienne Klein
Peut-on bande-dessiner le monde quantique ? (14 mai 2016)
Avec Thibault Damour : physicien théoricien, professeur à l’Institut des hautes études scientifiques
Pour son dernier livre : Le mystère du monde quantique, Ed. Dargaud, 2016
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L'éloignement de la physique quantique hors du visuel et de l'intuitif en rend l'appropriation particulièrement délicate et risquée. En la matière, une bonne bande dessinée pourrait-elle rendre des services ?

La physique quantique est la physique qui vaut pour les particules élémentaires, pour l’atome, en gros pour tout ce qui n’est pas gros. Elle a ceci d’original qu’elle ne se fonde pas seulement sur un formalisme, c'est-à-dire sur un ensemble de concepts mathématiques et d'équations. Elle requiert également une interprétation. Dès 1927, alors qu’elle venait tout juste d'apparaître, les physiciens tentèrent de comprendre en quoi elle consiste, discutèrent les règles selon lesquelles il convient de l'utilise, et s'interrogèrent sur le type de discours concernant la réalité physique qu'elle autorise ou interdit. Ce point-là est tout à fait singulier : jamais une autre discipline scientifique n'avait à ce point exigé que soit également mis en œuvre un travail d’interprétation pour pouvoir être comprise et appliquée. De par sa structure même, la physique quantique interroge la relation entre le monde physique et sa représentation mathématique, et elle fait apparaître, à la couture de la physique et de la philosophie, des questions fascinantes.

Il faut dire qu’à l'échelle microscopique, la réalité des choses ne va plus sans dire, de sorte que l’esprit humain a dû se battre pour appréhender le sens de ce qu’il avait lui-même construit. Les objets quantiques ont des comportements étranges qu'aucune chose habituelle n'est capable de reproduire. Pour les comprendre, il convient de renoncer aux modes de représentation ordinaire. Par exemple, il est impossible de dessiner un atome : d’abord, son noyau vibrionnant ne ressemble en rien à l’espèce de framboise statique et bicolore par laquelle on le représente souvent dans les manuels scolaires (avec les protons en rouge et les neutrons en bleu) ; ensuite, ses électrons n’ont pas les trajectoires que les dessins leur accordent trop souvent ; ils ne ressemblent pas non plus aux nuages diffus par lesquels certains autres manuels tentent, au contraire, de faire sentir qu’ils n’ont pas vraiment de trajectoire. Car les électrons ne sont pas des ectoplasmes délocalisés !

Mais alors, que veut dire comprendre quand il n’y a plus d’images justes ? La dissolution des poissons-pilote de l'intelligibilité que sont les images, les illustrations ou les schémas engendre une frustration sceptique chez ceux qui ont besoin de voir pour croire. Mais c’est au contraire de la fascination qu’elle fait naître chez ceux qui s'émerveillent de ce que l'intellect soit capable de démentir puis de dépasser ce que les images indiquent ou traduisent.Reste que l'éloignement de la physique quantique hors du visuel et de l'intuitif en rend l'appropriation particulièrement délicate et risquée. En la matière, une bonne bande dessinée pourrait-elle rendre des services ?
Source : FC




Thibault Damour - Relativité Générale et Trous Noirs : un siècle de développements (Institut des Hautes Études Scientifiques (IHÉS), décembre 2015)



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