mardi 28 juin 2016

"C'est contre tout cela que les peuples se révoltent."

Vote sur le Brexit en fonction de l'âge : 


Vote sur le Brexit en fonction de l'âge avec prise en compte de l'abstention : 


Ne pas prendre en compte l'abstention ne relève-t-il pas de la manipulation ?
Dans un cas la tranche 18-24 ans a voté à 73 % pour le Remain (le plus fort pourcentage) mais en prenant en compte les abstentions ce taux tombe à 26 % (le plus faible). 
Source des tableaux et article (L'Arnaque du vote jeune) : Les Crises

* * *

Coralie Delaume : et si l'Allemagne était le vrai vainqueur du Brexit ?
Par Alexandre Devecchio, le 24 juin 2016 - Le Figaro

Pour l'essayiste Coralie Delaume, le Brexit est une révolte de plus contre une Europe aveugle. Le Royaume-Uni a brisé le mythe de l'irréversibilité de l'UE, mais ne sera peut-être pas imité pour son courage.
Coralie Delaume est journaliste et essayiste. Elle a notamment publié Europe. Les Etats désunis, Ed. Michalon, 2014. 
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Auteure du blog : L'arène nue

Le Brexit vient de l'emporter au Royaume-Uni. Comment analysez-vous ce résultat ? Est-ce une surprise ?

C'est bien sûr une surprise car les sondages, les bookmakers, la trajectoire des bourses semblaient tous annoncer une victoire du «Remain».
En même temps, les bourses sont myopes par nature, leur but n'étant pas de produire de l'analyse mais de faire gagner un maximum d'argent aux investisseurs. Quant aux sondages, ils semblent désormais voués à se tromper systématiquement sur ces sujets-là. On se souvient par exemple qu'il y a tout juste un an, les sondages grecs annonçaient une large victoire du «oui» au référendum organisé dans par Alexis Tsipras dans son pays. Le «non» l'a pourtant emporté à 61 %, malgré la campagne de terreur menée par les presses hellène et européenne….

Un élément amoindrit un peu l'effet de surprise: on commence à avoir l'habitude. Quel que soit le pays concerné et quelle que soit la question posée, tous les référendums ayant eu lieu récemment sur des questions européennes ont aboutit à des rejets. Je viens d'évoquer le cas du référendum grec de juillet 2015. Mais on peut également rappeler le référendum danois de décembre 2015, qui a vu les électeurs se prononcer à 53 % en défaveur d'un surcroît d'intégration. Ou le référendum d'initiative populaire néerlandais d'avril dernier, qui portait sur l'accord de libre échange UE-Ukraine. La participation y a certes été faible (32%) mais le «non» l'a emporté très largement (61%).

La particularité du référendum britannique est qu'il est intervenu dans l'un des plus grands pays de l'Union. D'autre part, la question posée ne permettait pas qu'on tourne autour du pot. En effet, c'est la première fois qu'était clairement donnée à un peuple l'occasion de choisir entre le maintien dans l'UE ou le départ. Cette fois, le chœur des sectateurs du «on n'a pas fait assez de pédagogie» ne peut donc plus dire que les électeurs on mal compris la question. Ou qu'ils ont répondu à côté parce qu'elle était trop technique. Ou qu'ils se sont juste servis du prétexte pour sanctionner leurs dirigeants. Les Britanniques ont répondu simplement à une question simple.
Dans cette Europe alambiquée et opaque, ça semble presque irréel. Alors oui, on est un peu surpris, forcément….

Est-ce un non à l'Europe de Schengen ou un non à l'Europe de l'austérité ?

C'est un «non» multiforme, comme le fut le «non» au référendum français de 2005 sur la Constitution européenne. Les lignes de fracture sur la question européenne ne recoupent pas, on commence à le savoir, les appartenances partisanes. En France en 2005, il y a bien eu un «non» de gauche et un «non» de droite.
La raison en est aisément compréhensible. L'Union européenne est un cadre. Or on peut tout à fait refuser le cadre, refuser les métarègles que produit l'échelon supranational, tout en demeurant en désaccord profond sur ce qu'il conviendra de faire une fois le cadre aboli. Désirer être souverains, c'est désirer avoir un plein contrôle sur les décisions qui nous concernent. Cela ne dit rien de ce que devront être ces décisions, qui seront quant à elles le produit du débat démocratique national.

Ce que vont faire les Britannique à présent leur appartient. Pour l'heure, ils n'ont fait que s'affranchir du cadre, et pas tous pour les mêmes raisons. Certains ont souhaité par exemple rétablir les conditions d'une souveraineté pleine et entière, tel par exemple Ambrose Evans-Pritchard, qui expliquait dans un bel éditorial: «c'est avec tristesse et tourmenté par le doute que je voterai, en tant que citoyen ordinaire, pour le retrait de l'Union européenne. Qu'on ne se fasse aucune illusion sur le traumatisme que générera le Brexit. Quiconque prétend que la Grande-Bretagne peut se désengager tranquillement après 43 ans d'implication dans les affaires de l'UE est un charlatan ou un rêveur (…). Mais loin des débats secondaires, l'affaire se résume à un choix élémentaire: restaurer la pleine souveraineté de cette nation ou continuer à vivre surplombés par un échelon supranational (…) la question du Brexit est celle de la suprématie du Parlement, et ce n'est rien d'autre».


Parmi ceux qui ont opté pour le «Leave», d'autres l'ont probablement fait en pensant avant tout à la question migratoire, une question qui a dominé la campagne, bien que le Royaume-Uni n'appartienne nullement à l'espace Schengen... et qu'il ait même même réussi l'exploit de déléguer à la France la surveillance de sa frontière, via le traité du Touquet de février 2003.
D'autres enfin ont sans doute été mus par leur situation d'insécurité économique. Ceux qu'on a identifiés comme les têtes d'affiche du «vote Leave» sont, à l'instar de Boris Johnson, de parfaits conservateurs libéraux. Mais ça ne doit pas faire oublier qu'il y a également eu un vote Leave populaire et «de gauche». Le site Grey Briatin spécialisé dans l'étude de la vie politique britannique explique par exemple qu'un électeur travailliste sur trois a opté pour le Brexit. Il observe ensuite que «les circonscriptions industrielles du Pays-de-Galles ont déjoué les pronostics en plébiscitant la sortie (…) A Sunderland, au cœur du heartland travailliste, le Brexit l'emporte avec 71% des voix. Témoignage de la manière dont bon nombre de communautés, notamment dans les anciens bastions industriels, de sentent marginalisées (…) Déjà, en choisissant Corbyn comme leader en septembre 2015, une majorité de travaillistes avait envoyé un message à ses responsables traditionnels. En votant pour le Brexit, un électeur travailliste sur trois a renouvelé le message».

Ce résultat est-il lié à l'histoire du Royaume-Uni qui n'a jamais été très européen ?

Il est certain que le pays a toujours eu un statut a part dans l'Union puisque dès 1984, il a commencé à en contester les règles. Au Sommet de Fontainebleau, Margaret Thatcher, menaçait déjà de quitter le club afin d'obtenir un «rabais» sur sa contribution financière, car elle trouvait sa quote-part trop élevée au regard de la modicité des aides agricoles reçues. Dès lors, la spécificité anglaise s'est rappelée à l'Europe en toute occasion. Le pays a refusé d'adopter l'euro, n'est pas entré dans l'espace Schengen, a obtenu un opt-out (une dérogation) sur l'application de la Charte des droits fondamentaux, a refusé de signer le Pacte budgétaire européen introduisant une règle d'or dans le domaine des finances publiques….

En réalité, la Grande-Bretagne a su préserver au maximum sa souveraineté et pensé avant tout à son propre intérêt, chose absolument normale et que font presque toutes les nations du monde dès lors qu'elles ne rencontrent aucun obstacle sur leur chemin. Au sein de l'UE, un autre pays, l'Allemagne, procède de la même façon. La puissante Cour constitutionnelle de Karlsruhe veille jalousement sur la préservation des intérêts du pays. Dans ce cadre, en 2005, au moment de se prononcer sur la ratification par la République fédérale du traité de Lisbonne, elle a notamment exigé «l'élargissement et le renforcement des droits du Bundestag et du Bundesrat en matière d'Union européenne» (arrêt Lisbonne, 30 juin 2009).

La différence entre les deux pays, c'est que le «souverainisme» britannique s'est toujours présenté sous les traits d'une défiance vis-à-vis de l'intégration européenne, cependant le «souverainisme» allemand a réalisé une sorte d'OPA sur les institutions européennes. Aujourd'hui, les intérêts de l'Union et ceux de l'Allemagne sont fortement intriqués, en raison notamment de l'existence de l'euro. Cette monnaie étant sous-évaluée pour l'économie allemande, elle permet au pays d'être ultra-compétitif, et d'engranger des excédents commerciaux énormes. Par ailleurs, elle lui permet d'emprunter gratuitement ou presque. La fragilité des pays dits «périphériques» a transformé la dette allemande en valeur refuge, et les taux allemands à dix ans sont historiquement bas. A la mi-juin, le taux d'emprunt à 10 ans est même devenu négatif pour ce pays….

Mais encore une fois, pourquoi un État membre de l'UE renoncerait-il à faire prévaloir ses vues dès lors qu'on lui cède sur tout? La prépondérance allemande en Europe doit beaucoup à la soumission mutique de la France. Dans un genre différent, les aises prises par les Britanniques au sein de l'UE tiennent au fait qu'implicitement, ces derniers ont toujours fait savoir qu'ils étaient prêts à mettre leur départ dans la balance. Ce que n'a jamais fait la Grèce d'Alexis Tsipras, par exemple. D'où l'échec dramatique de l'expérience Syriza. Au sein de l'Union européenne, les rapports de force entre les nations n'ont pas disparu, bien au contraire. Logiquement, les pays qui s'en tirent le mieux sont ceux qui reconnaissent cet état de fait et font avec, sans attendre qu'on leur serve sur un plateau une hypothétique «solidarité européenne», qui, bien que son invocation soit fort sympathique, tarde tout de même à venir.

Plus largement la victoire du Brexit symbolise-t-elle la révolte des peuples contre l'Europe ?

Contre l'Europe telle qu'elle est, c'est évident. Cette Europe, c'est avant tout celle de l'Acte unique de 1986, qui a libéré l'intégralité des mouvement de capitaux. C'est celle de l'euro, qui a introduit une hiérarchie féroce entre les pays créanciers et les pays débiteurs, et invite les États membres à une course perpétuelle à la désinflation salariale. C'est l'Europe de la mise en concurrence des travailleurs. On a beau l'appeler «libre circulation» pour faire bien, il n'en reste pas moins que lorsque la Commission, comme ça a été le cas très récemment, adresse une mise en demeure à la France et à l'Allemagne pour les sommer de ne plus appliquer le Smic aux chauffeurs routiers étrangers, le «rêve européen» semble se muer en cauchemar. Cette Europe est enfin celle de l'humiliante prééminence du droit communautaire sur les droits nationaux qui effrite la démocratie. Elle sera peut être bientôt celle du TAFTA, du TISA et d'autres traités de commerce international actuellement en cours de négociation, et qui n'augurent rien de bon.

C'est contre tout cela que les peuples se révoltent. Ils cherchent une solution, tâtonnent, tentent de congédier les vieux partis politiques, tant il est vrai que l'alternance entre la gauche et la droite au pouvoir a fini par apparaître presque partout, en régime d'Union européenne, comme une pantomime grotesque. Ainsi, en Italie, le Mouvement 5 étoiles (M5S) vient de remporter un grand succès aux élections municipales. En Espagne, il est possible qu'Unidos Podemos (alliance de Podemos et d'Izquierda Unida) devienne dès ce dimanche la première formation d'opposition du pays. Toutes ces expériences ne seront pas forcément fructueuses. D'ores et déjà, l'expérience Syriza a capoté en Grèce. Mais elles témoignent à l'évidence d'une soif de changement radical, et d'un désir des citoyens de se réapproprier leur destin.

Que va-t-il se passer maintenant ? Que prévoient les textes européens ? Quelles sont les différentes étapes du processus de désengagement ?

Difficile à dire puisque le Brexit sera la première expérience de sortie de l'UE. On en saura sans doute plus après le sommet européen des 28 juin et 29 juin. En tout état de cause, on sait désormais que l'appartenance à l'UE n'est en rien irréversible…. en tout cas pour un pays ayant su se tenir à distance du mirage fédéralisme, donc de l'euro.
La Grande-Bretagne, elle, va sans doute connaître des heures difficiles. Les forces centrifuges sont déjà à l'œuvre. Il faut rappeler que l'Irlande du Nord et l'Ecosse ont voté pour le «Remain» à 56 % et 62 %. La France et les pays d'Europe du Sud, eux, se retrouvent aujourd'hui dans une Europe un peu plus allemande qu'hier. Ce n'est pas forcément une excellente nouvelle pour eux.
  

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