jeudi 30 juin 2016

Le désastre écologique « renouvelable » des Tokelau



Le Paradis Solaire Des Iles TOKELAU (Arte, 2015)


Le désastre écologique « renouvelable » des Tokelau
Par Nicolas Casaux, le 28 juin 2016 - Le Partage


Que vous vous intéressiez de près ou de loin à l’écologie, vous avez très certainement déjà discuté de ce que l’on nomme les énergies « renouvelables », notamment du solaire et de l’éolien.

Associer ainsi l’écologie et les énergies soi-disant « renouvelables » témoigne d’un diagnostic mal établi; cette discussion se fonde bien souvent sur l’axiome erroné selon lequel, entre autres choses, la production industrielle d’électricité est souhaitable et/ou nécessaire, tandis qu’il serait urgent de se demander pour qui, ou pour quoi, elle peut sembler l’être (jusqu’à preuve du contraire, la planète n’en a pas besoin, et a d’ailleurs toujours souffert de la production d’électricité par les humains industriels)  ; selon lequel, de manière plus générale, la civilisation industrielle mondialisée dans laquelle vit la majorité des êtres humains, ainsi que la culture qui l’a fait émerger et qui en émerge sont de bonnes choses, convenables et devant donc être maintenues ; & selon lequel, nos sociétés doivent grosso-modo continuer telles qu’elles sont actuellement, à quelques légères modifications près (des voitures électriques, plus d’objets intelligents et basse consommation, des éoliennes, des panneaux solaires et du bio/équitable partout, toujours plus de gadgets électroniques & de high-techs tout en espérant paradoxalement moins de pollution, par exemple).

En effet, la plupart des gens, au sein de cette culture, ne remettent en question ni le concept insidieux et mensonger des soi-disant « démocraties » modernes, ni le concept d’état, ni le mode de vie occidental – mais aujourd’hui universel – du métro-boulot-dodo, ni la mondialisation (du commerce, du transport, de la communication, etc.), ni l’idéologie qui organise et décide les différents travaux qu’ils effectuent, ni l’essence même de l’ersatz de vie qui nous est proposé en lieu et place de son original.

Mais pourquoi, d’ailleurs, devraient-ils remettre en question autant de choses ?!

Nous vivons seulement la 6ème extinction de masse (il y en a eu avant, il y en aura après, où est le problème ?) ; seules 200 espèces, à peine, sont chaque jour anéanties par la civilisation industrielle ; nous n’avons éradiqué, en 40 ans, que 90% des grands poissons, 70% des oiseaux marins, et 50% des animaux sauvages ; nous n’avons contaminé, de nos substances chimiques toxiques, que la totalité des biomes de la planète ; et ce n’est que l’air que l’on respire, et rien de plus, qui a été classé cancérigène par l’OMS (depuis 2013). Ce n’est que la survie de millions d’espèces animales et végétales (dont l’espèce humaine) qui se retrouve menacée par le dérèglement climatique d’origine anthropique (et plus précisément, d’origine industrialo-anthropique).

Etc. Nous pourrions continuer encore et encore, la liste des dommages et des dégradations environnementales qui accompagnent le développement et l’expansion de la civilisation industrielle s’allonge de jour en jour, tandis que la biodiversité connait le phénomène inverse.

Pour illustrer le non-sens d’une telle non-remise en question, et l’absurdité des soi-disant technologies « renouvelables » présentées comme des solutions à l’aporie écologique de notre temps, nous nous intéresserons ici à un petit archipel du Pacifique Sud : l’archipel des Tokelau.

À mi-chemin entre Hawaï et la Nouvelle-Zélande, et sur une distance de 170 km, trois petits atolls polynésiens, Fakaofo (2,6 km²), Nukunonu (5,4 km²) et Atafu (2,2 km²), composent l’archipel des Tokelau. 1400 habitants y vivent, sur environ 10 kilomètres carrés.


L’État de Tokelau fait partie intégrante de la Nouvelle-Zélande, tout en étant doté d’un statut particulier et d’un système juridique autonome. C’est un « territoire associé à la Nouvelle-Zélande ».

Les insulaires sont de confession chrétienne, bien que le christianisme ne soit pas leur religion originelle, comme vous vous en doutez sûrement ; il y a été introduit en 1850, par des missionnaires catholiques et protestants (de la London Missionary Society).

« Les premiers missionnaires catholiques sont arrivés ici il y a 150 ans, depuis, Nukunonu est presque à 100% catholique, contrairement aux deux autres atolls, où les protestants ont été plus rapides »*

Premier arrivé, premier servi. C’est ainsi qu’ils ont obtenu leur religion ; une course entre chrétiens, à qui serait le premier arrivé sur leurs îles, a déterminé leurs croyances profondes. Le débarquement maritime de l’esprit sain, sans doute, entre volonté divine et course de bateau.

Le passé des Tokelau semble cependant peu connu, en effet, d’après ce qu’on peut trouver sur internet « nous ignorons l’histoire ancienne des populations de ce petit archipel du Pacifique-Sud. Nous pouvons présumer que la plupart des habitants des îles descendent de colons polynésiens venus par canoë de Tonga, des Samoa et des Fiji, il y a environ 1000 ans. Ces Polynésiens ont développé leur propre langue et leur culture ».

La vie sur les atolls était basée sur la subsistance, notamment le poisson, la noix de coco, la banane, le taro, l’arbre à pain et la papaye, entre autres.

On peut d’ailleurs lire sur le site du linguiste Jacques Leclerc, que « l’avenir de cette société est pour le moment relativement assuré, tant et aussi longtemps qu’elle restera à l’écart du monde moderne ». C’est un bel échec (assez représentatif de ce que beaucoup de cultures ont subi après avoir été colonisées/évangélisées/civilisées), au vu des récents changements qu’a connu l’archipel, comme vous allez pouvoir le constater.

En effet, si auparavant la culture y était de type polynésienne, elle commença à changer radicalement dès l’arrivée des missionnaires chrétiens, et de la culture occidentale que ceux-ci apportaient.

Avec le temps, la modernité commença à s’y installer, doucement, cependant – l’archipel ne fut raccordé au réseau téléphonique mondial qu’en 1994 – en raison de la situation géographique des îles, très isolées ; des générateurs fonctionnant au diesel y furent installés au cours des dernières décennies.

Tant que l’archipel était dépendant du pétrole importé des Samoa – à raison de 200 litres quotidiens, le courant n’était disponible que quelques heures par jour.


Ce n’est plus le cas aujourd’hui ; en effet le courant est désormais disponible 24h/24 depuis qu’une « centrale solaire » y a été installée en 2012 ; pas moins de 4032 panneaux solaires, totalisant une puissance d’1 MW, ont été implantés sur les trois îles par l’entreprise néo-zélandaise Powersmart Solar en collaboration avec IT Power Australia :

« En second lieu 1344 batteries de 250 kg chacune, soit 336 tonnes au total, assistent le parc. […] Enfin, les générateurs diesel déjà en place ne vont pas être éliminés. Ils serviront en appoint (back-up) les jours où la production solaire est vraiment très faible [et lors des journées de maintenance de la centrale solaire, NdA]. […] Au final, plus de 95% de l’électricité consommée dans les 3 atolls sera solaire, et moins de 5% sera d’origine fossile ou biomasse ».

Récapitulons. Un archipel du Pacifique Sud où vivent quelques centaines de personnes, qui subsistent de façon traditionnelle, de manière autonome, voit son quotidien bouleversé par l’arrivée des missionnaires chrétiens, puis, au fur et à mesure, par l’industrialisme que ces derniers apportent, et qui réorganise leur mode de vie.

Très récemment (en 2014), Arte a produit un documentaire intitulé « le paradis solaire des Tokelau », dont le but est de convaincre les téléspectateurs — en leur expliquant que les Tokelau sont « devenues pionnières en matière d’énergies renouvelables » — qu’il s’agit là d’un fabuleux progrès, et que ces îles sont devenues la meilleure vitrine du futur 100% écologique qui nous attend tous.

« Les Tokelau sont ainsi devenues le premier territoire autonome grâce uniquement à l’énergie solaire ».

*Toutes les citations en italique, dans cet article, sont issues du documentaire d’Arte.

Les habitants des Tokelau, autrefois autonomes — avant que ne soit implanté chez eux le mode de vie industriel — sont désormais entièrement dépendants (ils l’étaient déjà en partie vis-à-vis des générateurs au diesel) de la production d’électricité générée par la centrale solaire qui a été construite sur leur archipel.

En effet, si leur alimentation ne dépendait autrefois que des ressources dont ils disposaient localement, elle dépend aujourd’hui de tout un tas de produits importés — ils cuisaient auparavant leurs plats dans des feuilles de bananier, aujourd’hui, progrès oblige, ils cuisent leurs plats dans des feuilles d’aluminium, un arbre qui ne pousse pas chez eux ; ils importent également du riz, des sodas, de l’alcool et bien d’autres choses encore.

« Désormais on ne peut plus se passer du papier aluminium dans la cuisine des mers du Sud ; autrefois, on enroulait les aliments dans des feuilles de bananier ».


« Le délit le plus fréquent est l’abus d’alcool chez les mineurs, ici l’âge légal pour en consommer est de 20 ans, mais en général, les jeunes commencent à boire dès 16 ans […] Au magasin du village, la bière est rationnée, il n’y a ni vin, ni alcool fort »

Dans le numéro 251 du magazine New Internationalist (un média à but non-lucratif, spécialisé dans les droits humains, la politique et la justice sociale et environnementale, qui existe depuis plus de 40 ans), en date de janvier 1994, on apprend que « l’alcoolisme est devenu commun sur l’archipel, ainsi que l’obésité ». Progrès oblige.

Si leur mode de vie était auparavant exempt de l’utilisation et des pollutions plastiques, ce n’est plus le cas. De nombreux objets en contenant, vêtements, outils et ustensiles en tous genres, sont désormais importés sur leur archipel.

Si leur mode de vie était auparavant proche de la nature, à son contact journalier, et nécessitait des efforts physiques importants, les choses ont bien changé. Depuis que l’archipel possède sa propre centrale solaire, tous les habitants possèdent, dans leurs maisons, des télévisions à écrans plats, des smartphones, des tablettes, des congélateurs et ont accès à internet.

« Conséquence : les gens regardent plus la télévision, et pas seulement les enfants ; auparavant les générateurs étaient coupés le soir, à présent, les postes restent allumés presque tout le temps ».


Depuis l’avènement de leur bénédiction solaire, ils peuvent effectivement commander tout et n’importe quoi sur Amazon, comme le font les civilisés ; se faire livrer des réfrigérateurs, des congélateurs, des machines à laver, et tous ces objets dont la conception, la fabrication et l’assemblage participent allègrement à la pollution de l’air, de l’eau et des sols de la planète (parce que nécessitant l’industrie de l’extraction minière, l’industrie chimique, l’industrie du plastique, et des transports mondialisés eux-mêmes sources de pollutions colossales, etc.)

Comble du ridicule, le documentaire d’Arte nous montre qu’ils possèdent désormais des petites voiturettes de golf électriques (une voiture électrique doit être fabriquée, n’est pas non plus construite en rien ; donc extractions minières, transport des matières premières, assemblages en usines, etc. ; ce que l’imaginaire collectif semble totalement omettre) pour se déplacer sur leurs îles minuscules.

Autre point intéressant à souligner, toute cette autonomie dépendance n’a pu être mise en place qu’à l’aide des subventions de l’état néo-zélandais, et les habitants doivent, en contrepartie, effectuer des travaux d’intérêts collectifs, comme « la construction de route » (écologie, bonsoir).

Plusieurs articles que nous avons publiés sur notre site exposent les raisons pour lesquelles les énergies soi-disant « renouvelables » ne sont pas des solutions, mais des problèmes. Le reportage d’Arte l’illustre à merveille.

Les panneaux solaires ne poussent pas dans les arbres, pas plus que les feuilles d’aluminium. Leur fabrication requiert des extractions de matières premières dans différents endroits du monde (dont des terres rares, principalement extraites et traitées en Chine, où ces processus entrainent de nombreuses dégradations environnementales ; les déchets des usines polluent des lacs et des rivières, tuent la faune et la flore qui y vivent ; les usines consomment des combustibles fossiles et émettent des GES dans l’atmosphère ; etc.), qui sont ensuite assemblées pour obtenir un panneau solaire, ensuite lui-même acheminé vers l’endroit où il sera installé. Des GES ont été émis dans l’atmosphère durant chaque étape de ce processus. Des GES seront également émis dans l’atmosphère lors de la maintenance de ces panneaux solaires et lors de leur remplacement (durée de vie : entre 20 et 30 ans).

Même chose pour les « plus de 1300 batteries au plomb », qui servent à stocker l’énergie (il s’agit d’un déchet dangereux pour la santé et pour l’environnement, ces batteries doivent être collectées et retraitées par des sociétés spécialisées) ;  dont la durée de vie est également limitée. Le plomb fait partie des plus toxiques des métaux lourds. Il s’agit là encore d’une aberration écologique, qu’ils admettent mais écartent tranquillement par la pensée magique, comme on peut le lire sur un site néozélandais présentant et vantant ce projet miracle :

« La présence de grosses batteries plomb-acide pose effectivement un risque environnemental potentiel, cependant, une formation adéquate et des mécanismes de recyclage planifiés permettront d’atténuer ce risque. »


Afin de transformer le courant continu produit par les panneaux solaires en courant alternatif pour l’usage domestique, « des centaines d’onduleurs, fabriqués en Allemagne » par l’entreprise SolarWorld, ont également été installés, qui ont eux aussi une durée de vie limitée, encore plus réduite, et doivent être changés tous les 10 ans, environ (avec le transport que cela induit, les extractions si nécessaire, les émissions de GES et la consommation d’énergie du tout).

L’installation est reliée à internet 24h/24, pour être surveillée, contrôlée, et au besoin gérée. Une dépendance de plus. Sachant que « le coût énergétique d’Internet équivaut à 30 centrales nucléaires » (évaluation datant de 2012) et que « selon un rapport de Global e-Sustainability Initiative (GeSI), les centres de traitement de données (data centers) des géants du web sont responsables de 2% des émissions de CO2 dans le monde. C’est autant que ce qu’émet l’aviation civile ».

« Quand le bateau ne passe pas, des produits vitaux viennent à manquer, comme les cannes à pêche, l’essence pour les hors-bords, le riz, sans oublier la bière des Samoa« 

Il faut également souligner un autre problème croissant et particulièrement gênant auquel les habitants de cet archipel doivent faire face : le déclin des populations de poissons de leurs eaux territoriales — « Nous ne prenons plus autant de poissons qu’avant ». Avec l’arrivée de la civilisation industrielle, la pêche industrielle illégale s’est développée et a commencé à anéantir la plus vitale de leurs ressources — contrairement aux cannes à pêches, à l’essence et à la bière, qui n’ont rien de vital, bien au contraire ; considérer que l’essence est une ressource vitale, c’est la marque de la civilisation industrielle, qui ne s’arrêtera pas avant d’avoir extrait et brûlé jusqu’à la dernière goutte de sa « ressource vitale ».

Si l’arrivée des missionnaires chrétiens avait entamé le processus qui allait rendre la population de l’archipel dépendante du fonctionnement de l’économie capitaliste mondialisée, l’implantation d’une centrale solaire a achevé ce processus.

Le mode de vie traditionnel des premiers habitants de l’île — un mode de vie démocratique, parce qu’uniquement basé sur les ressources dont ils disposaient sur place, sur leurs propres savoir-faire — a été phagocyté, et se voit remplacé par un mode de vie autoritaire. En effet, si la vie et la survie des peuples autochtones d’avant l’arrivée de la civilisation industrielle ne dépendaient que d’eux-mêmes, s’ils contrôlaient eux-mêmes tous les aspects de leur existence — principalement et fondamentalement leur alimentation, leur habitat, leur moyens de subsistances élémentaires —, ils dépendent tous aujourd’hui des infrastructures de la civilisation industrielle, ne savent plus cuisiner sans électricité industrielle, sans produits comme les feuilles d’aluminium, sans outils modernes, se nourrissent de produits importés, vivent dans des bâtiments construits à l’aide de machines industrielles, et ainsi de suite (Lewis Mumford a bien analysé ce phénomène et distingue lui les techniques autoritaires et les techniques démocratiques). Ils dépendent donc entièrement — comme nous tous qui vivons au sein de la civilisation industrielle — de machines, d’outils et de produits dont ils ne contrôlent ni la conception, ni la fabrication, ni le transport, ni la maintenance, au niveau social, et qui sont des nuisances polluantes et destructrices pour la planète, au niveau écologique — comme tout ce que produit la civilisation industrielle, et comme la civilisation industrielle elle-même.

Pire encore, cerise sur le progrès, la plus cruciale de leurs ressources, celle qui leur a véritablement permis d’être autonomes, et ce depuis des siècles : le poisson, décline ; et plus stupide encore, si c’est possible, la civilisation industrielle et son économie mondialisée, dont ils sont entièrement dépendants aujourd’hui, va, très certainement au cours de ce siècle, entraîner une élévation du niveau des océans qui submergera totalement leur archipel — ils ont déjà construits plusieurs digues pour se protéger des raz-de-marée et des inondations de plus en plus fréquents.

Résumons ; une population qui vivait autrefois de la pêche et de la cueillette, qui dépendait uniquement des ressources locales dont elle disposait, qui se passait très bien du plastique, des télévisions, des smartphones, d’internet, des feuilles d’aluminium, des congélateurs, du coca-cola, des bières et des voiturettes de golf, a été rendue entièrement dépendante de toutes ces choses, et cette ultra-dépendance est appelée « autonomie » par les progressistes du monde entier.

Rien d’étonnant, en somme, étant donné le caractère Orwellien de notre temps ; souvenez-vous :

« La guerre, c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force. »

Nicolas Casaux

* * *

http://partage-le.com/2015/03/ce-qui-ne-va-pas-avec-la-civilisation-derrick-jensen/

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