mercredi 13 juillet 2016

La paranoïa de l’OTAN : l’intégration eurasiatique

MAJ de la page : OTAN / Hillary Clinton

Les actions agressives de la Russie, y compris ses activités militaires provocatrices à la périphérie du territoire de l’OTAN et sa volonté avérée d’atteindre des objectifs politiques par la menace ou l’emploi de la force, constituent une source d’instabilité régionale, représentent un défi fondamental pour l’Alliance, ont nui à la sécurité euro‑atlantique, et menacent l’objectif, que nous poursuivons de longue date, d’une Europe libre, entière et en paix [sic]§5

La paranoïa de l’OTAN : l’intégration eurasiatique
Par Pepe Escobar, le 8 juillet 2016 - Sputniknews / Le Saker francophone (trad.)

Pendant que le sommet de l’OTAN à Varsovie s’amorçait, Dmitry Peskov, le porte-parole du Kremlin, n’a pu s’empêcher cette remarque lapidaire : « Ce n’est pas nous qui nous approchons des frontières de l’OTAN. »

C’est un exposé des faits. Mais les faits, l’OTAN n’en a rien à cirer, car elle ne carbure qu’aux mythes. Un des mythes solidement cuirassé à l’intérieur du périmètre à Washington est que l’OTAN ramène périodiquement les USA à assumer son « rôle traditionnel » , qui est de garantir la sécurité de l’Europe. Dans les faits, c’est plutôt le contraire, Washington devant rappeler périodiquement à ses vassaux européens la nécessité absolue d’une présence accrue de l’OTAN.

L’OTAN a trop longtemps privilégié les opérations hors zone, depuis 1993 au moins, lorsque le concept s’est échafaudé.


Cela a permis à l’OTAN de « projeter la stabilité » en Afghanistan − en échouant lamentablement dans sa guerre contre des membres de tribus armés de kalachnikovs − et en Libye, en transformant un pays stable en terre désolée ravagée par les milices.

Mais c’est encore loin d’être terminé. Il suffit de lire le point II du sommet de Varsovie : Projeter la stabilité. La mission se lit comme suit : « Pour préserver la sécurité sur son territoire, l’OTAN doit aussi projeter la stabilité au‑delà de ses frontières. »

Ce n’est rien moins que la volonté de faire de l’OTAN un « robocop » planétaire, un projet qui risque de passer à la vitesse supérieure si jamais la candidate officielle des néocons et des néolibérauxcons, Hillary Clinton, prend les commandes de la Maison-Blanche en 2017.

Mais ce qui ressort aujourd’hui, c’est que l’OTAN est revenu à sa mission (remixée) de l’époque de la Guerre froide, qui est de s’en prendre à la Russie. C’est le thème principal du sommet de Varsovie et de ce qui suivra, peu importe l’emballage médiatique.

 

Tout revient donc à « l’agression russe. » Pour défendre sa cause, l’OTAN est prête à créer un nouveau rideau de fer, même s’il est en fait plastifié, de la mer Baltique à la mer Noire, en clamant haut et fort, comme l’a fait son secrétaire-général Jens Stoltenberg, que « Si un de nos alliés est attaqué, toute l’alliance répondra d’une seule voix. »

Pour l’heure, le nouveau rideau de fer − plastifié ? − prendra principalement la forme de quatre bataillons multinationaux rachitiques déployés par rotation en Estonie, en Lettonie, en Lituanie et en Pologne.

Tout ce branle-bas se fait alors que la véritable « menace » pour les membres de l’OTAN, ce n’est pas la Russie, mais ce dont on n’ose pas discuter en Europe, à savoir le contrecoup des bévues directes et indirectes de Washington au Moyen-Orient, qu’il s’agisse de l’opération Shock and Awe [en Irak], ou encore de la fourniture en « douce » d’armes aux rebelles modérés, toutes des manœuvres classiques de l’Empire du Chaos ayant contribué à causer une crise de réfugiés massive.

Tout ce que Stoltenberg a réussi à débiter à ce sujet, c’est que « nous allons établir un cadre pour répondre aux menaces et aux problèmes en provenance du Sud. »

Dans le jargon de l’OTAN, le Sud signifie, en théorie, Daesh, qui est actif dans le Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Ce qui exclut évidemment les rejetons d’Al-Qaïda qui pourraient s’être regroupés en tant que rebelles modérés.


Stoltenberg soutient aussi ceci : « Nous ne voulons pas de nouvelle guerre froide. » Pourtant, la « stabilité » projetée par l’OTAN sur le terrain va dans le sens contraire. De plus, s’il subsistait encore quelques doutes au sujet de la volonté commune de l’UE et de l’OTAN pour l’ensemble du projet, la déclaration conjointe signée à Varsovie par Stoltenberg, le président de la Commission européenne (CE), Jean-Claude Juncker et le président du Conseil européen, Donald Tusk, les a dissipés pour de bon.

Après tout, même la classe dominante britannique a été forcée d’admettre que dès le départ, l’UE était un projet de la CIA, et que l’OTAN est une chimère du Pentagone.

Passons maintenant aux accords commerciaux projetés

Voilà donc le « projet » proposé par l’OTAN à l’Occident et aux pays du Sud. Voyons maintenant ce qui se passe de l’autre côté.

Cameron et le Royaume-Uni s’affaiblissent alors que l’OTAN réfléchit aux conséquences du Brexit

La donne a changé il y a quelques jours seulement, lors du sommet annuel de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Tachkent. L’OCS est maintenant en voie de chambouler la géopolitique. Ce n’est pas par hasard qu’un des principaux baromètres de l’état d’esprit des instances dirigeantes à Pékin a comparé le Brexit à la fracture du supercontinent Gondwana il y a 180 millions d’années.

Alors que le Brexit pourrait préfigurer l’implosion au ralenti de l’UE − au grand dam des élites qui gouvernent l’Empire du Chaos − l’OCS a admis l’Inde et le Pakistan dans ses rangs. Il est trop tôt pour déterminer qui sortira gagnant de la configuration géopolitique de l’après-Brexit. À l’intérieur du périmètre à Washington, on a déjà proclamé sur un ton hystérique que « Poutine a gagné. » Pékin a réagi de façon mesurée en reconnaissant que c’est le dollar US qui a gagné. Sans l’énoncer publiquement, Moscou considère que c’est le partenariat russo-chinois qui pourrait avoir gagné.

Ce que recherche Pékin est infiniment plus complexe, soit rien de moins qu’un partenariat stratégique sino-européen, côte-à-côte avec le partenariat stratégique russo‑chinois, qui progresse en parallèle avec l’OCS.

Nous revenons une fois de plus à l’inter-connectivité eurasiatique tous azimuts, qui se démarque par une volonté constante de multiplier les corridors économiques. Prenons comme exemple le service de trains de marchandises entre la Chine et l’Europe, qui ne cesse de se développer sous la bannière « China Railway Express. »

Les projets commerciaux et les projets d’investissement et d’infrastructure se multiplient partout en Eurasie. Citons entre autres la ligne de chemin de fer entre la Hongrie et la Serbie, le tunnel Qamchiq en Ouzbékistan, les lignes de transmission électrique au Kirghizistan et le réseau de gazoducs liant la Chine à l’Asie centrale.

Le ministre chinois du Commerce Gao Hucheng a pratiquement étalé la feuille de route, lorsqu’il a souligné que la coopération économique régionale de l’avenir se fera dans le cadre de l’OCS, en s’inspirant du concept « Une ceinture, une route » (OBOR), qui est la dénomination officielle des nouvelles Routes de la soie.

Cela entraîne, par exemple, la signature d’accords sur la devise de règlement des transactions commerciales avec la Russie, le Kazakhstan et le Kirghizistan, d’un accord sur la devise de règlement des transactions transfrontalières avec le Tadjikistan, et des contrats de swap des devises avec la Russie, le Kazakhstan et le Tadjikistan.


C’est ainsi que tout l’ensemble converge : OCS, OBOR et AIIB (Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures), la Nouvelle banque de développement (NBD) des BRICS et le Fonds de la Route de la soie. Bref, une inter-connectivité totale alimentée par les investissements et le financement.

Tout cela est possible parce que l’OCS, contrairement à l’UE-OTAN, n’est ni une alliance, ni une union. Il a fallu des années pour que l’OCS en arrive à définir sa mission fondamentale. Sommes‑nous une OTAN asiatique ou un bloc commercial ? L’OCS est en fait un mutant, un organisme hybride, bref, un exemple de pragmatisme, très asiatique, d’unité dans la diversité.

Le régionalisme d’ouverture n’est pas rejeté pour autant. Par exemple, l’Inde peut faire partie de l’OCS tout en maintenant une forme de symbiose avec les USA.

Certains concepts clés sont toutefois clairs, notamment la volonté concertée d’instaurer une infrastructure inclusive, capable d’unifier en pratique tous les membres de l’OCS de l’Asie du Sud-Ouest, de l’Asie du Sud, de l’Asie centrale et de l’Asie de l’Est.

Tout cela fait partie d’un projet géopolitique chinois complexe et hautement stratégique, qui comprend des relations commerciales turbopropulsées avec chacun des joueurs de l’Europe à l’Asie centrale et à l’Asie du Sud-Est.

Il n’y a donc pas de quoi s’étonner des propos sans équivoque du président de la AIIB, Jin Liquin, quant au soutien de la banque à « Une ceinture, une route. »

La volonté exprimée, c’est de « promouvoir la croissance, être socialement acceptables et respectueux de l’environnement. »

L’histoire d’amour germano-russe

Tout en étant profondément engagée dans l’intégration eurasiatique, la Russie suit de très près ce qui se passe sur le front européen. La Russie et l’Allemagne sont encore loin de former un partenariat stratégique, mais semblent aller dans ce sens. Le ministre de l’Économie Sigmar Gabriel dit publiquement que les sanctions devraient être levées. Il se dit aussi en faveur de Nord Stream II qui augmentera la capacité du gazoduc Nord Stream original.

Pour sa part, le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier a qualifié les manœuvres antirusses en Pologne et dans les pays baltes de « tentatives d’intimidation. »


Les sociaux-démocrates allemands ont toujours pensé que l’ostpoliltik (nouvelle politique vers l’Est – NDT) préconisée par Willy Brandt doit demeurer vivante, voire se renforcer.

S’il était toujours vivant, Chou En Lai dirait qu’il est trop tôt pour dire si la Grande-Bretagne de l’après-Brexit va établir une nouvelle alliance géo-financière avec la Chine. Ce qui est sûr, c’est que la City de Londres salive déjà à la perspective d’offrir ses services financiers en vue d’une intégration eurasiatique. Pékin, pour sa part, semble assez certain que « les USA sont incapables de terrasser le dragon chinois et l’ours russe en même temps. » L’intégration eurasiatique à laquelle participent les deux partenaires stratégiques devrait donc se poursuivre.

Dans ces conditions, que veut-on au juste à l’intérieur du périmètre à Washington?

La conférence annuelle de l’armée britannique portant sur la guerre terrestre s’est tenue quelques jours seulement avant le Brexit. Comme le rapportait l’un des concepteurs de l’opération « Shock and Awe »  − la destruction de l’Irak en fait − la citation à retenir revient à un général de l’armée des USA, lorsqu’il a dit que pour le Pentagone, la priorité numéro un consiste « à avoir un effet dissuasif sur la Russie et, s’il le faut, la vaincre dans une guerre. »

En fin de compte, tout se résume − sans surprise − à un scénario du genre docteur Folamour. Le nouveau projet de l’OTAN, qui consiste à « projeter la stabilité » , comme on l’a précisé à Varsovie, n’est qu’un exercice de relations publiques inutiles, qui de plus cache le véritable objectif : le Pentagone se prépare à l’épouvantable possibilité d’une guerre chaude contre la Russie.

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L’amiral qui croit à une guerre nucléaire avec Moscou, futur vice-président d’Hilary Clinton ?
Le 13 juil. 2016 - RTFrance 

Favori d'Hillary, l'amiral James Stavridis a un CV plutôt chargé...

Dans les petits papiers de la candidate démocrate américaine, on retrouverait le CV de l’amiral Stavridis, ancien haut-conseiller du Pentagone pendant la guerre d’Irak, qui a récemment évoqué la possibilité d’une guerre nucléaire avec la Russie.

Selon le témoignage d'une source proche d'Hillary Clinton au journal américain New York Times, la candidate se tournerait vers «quelqu’un avec de l’expérience militaire» pour occuper le poste de vice-président des Etats-Unis en cas de victoire aux élections présidentielles de novembre 2016. Et il se trouve que l’amiral James Stavridis «correspond» particulièrement à cette description, note la même source. (...)

«Sous le président Poutine, la Russie a pris une trajectoire dangereuse qui, si on la laisse se poursuivre, pourrait mener inexorablement à une confrontation avec l’OTAN. Et cela signifie une guerre qui pourrait si facilement devenir nucléaire», a-t-il écrit dans la préface d’un livre [une fiction] du général britannique Sir Alexander Shireff, dont le titre parle de lui-même : 2017 : La guerre contre la Russie (2017 War with Russia). (...)

Source et texte entier : RTFrance

Lire aussi :
Hillary Clinton, la reine du chaos
Roger Waters torpille Clinton, la première femme qui pourrait «larguer une bombe nucléaire», le 27 octobre 2015, RTFrance

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Karl Zéro et Daisy d'Errata, Dans la peau d'Hillary Clinton (2016)
Selon les sondages, elle sera la première Américaine à accéder à la présidence. Mais qui est vraiment Hillary Clinton? Une vraie-fausse biographie au vitriol. 
Source (et suite) du texte : Arte

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Devant les incertitudes du Brexit, les hypothèses fleurissent, en voici une avec quelques variantes :

27 ans après la chute du mur de Berlin 
Le Brexit redistribue la géopolitique mondiale
par Thierry Meyssan, le 27 juin 2016 - Réseau Voltaire

Favorable au Brexit, la reine Elizabeth va pouvoir réorienter son pays vers le yuan.

Alors que la presse internationale cherche des moyens pour relancer la construction européenne, toujours sans la Russie et désormais sans le Royaume-Uni, Thierry Meyssan considère que rien ne pourra plus éviter l’effondrement du système. Cependant, souligne-t-il, ce qui est en jeu, ce n’est pas l’Union européenne elle-même, mais l’ensemble des institutions qui permettent la domination des États-Unis dans le monde et l’intégrité des États-Unis eux-mêmes.

Personne ne semble comprendre les conséquences de la décision britannique de quitter l’Union européenne. Les commentateurs, qui interprètent la politique politicienne et ont perdu depuis longtemps la connaissance des enjeux internationaux, se sont focalisés sur les éléments d’une campagne absurde : d’un côté les adversaires d’une immigration sans contrôle et de l’autre des « pères fouettards » menaçant le Royaume-Uni des pires tourments.

Or, les enjeux de cette décision n’ont aucun rapport avec ces thèmes. Le décalage entre la réalité et le discours politico-médiatique illustre la maladie dont souffrent les élites occidentales : leur incompétence.

Alors que le voile se déchire sous nos yeux, nos élites ne comprennent pas plus la situation que le Parti communiste de l’Union soviétique n’envisageait les conséquences de la chute du Mur de Berlin en novembre 1989 : la dissolution l’URSS en décembre 1991, puis du Conseil d’assistance économique mutuelle (Comecon) et du Pacte de Varsovie six mois plus tard, puis encore les tentatives de démantèlement de la Russie elle-même qui faillit perdre la Tchétchènie.

Dans un futur très proche, nous assisterons identiquement à la dissolution de l’Union européenne, puis de l’Otan, et s’ils n’y prennent garde au démantèlement des États-Unis.

Quels intérêts derrière le Brexit ?

Contrairement aux rodomontades de Nigel Farage, l’UKIP n’est pas à l’origine du référendum qu’il vient de gagner. Cette décision a été imposée à David Cameron par des membres du Parti conservateur.

Pour eux, la politique de Londres doit être une adaptation pragmatique aux évolutions du monde. Cette « nation d’épiciers », ainsi que la qualifiait Napoléon, observe que les États-Unis ne sont plus ni la première économie mondiale, ni la première puissance militaire. Ils n’ont donc plus de raison d’en être les partenaires privilégiés.

De même que Margaret Thatcher n’avait pas hésité à détruire l’industrie britannique pour transformer son pays en un centre financier mondial ; de même ces conservateurs n’ont pas hésité à ouvrir la voie à l’indépendance de l’Écosse et de l’Irlande du Nord, et donc à la perte du pétrole de la mer du Nord, pour faire de la City le premier centre financier off shore du yuan.

La campagne pour le Brexit a été largement soutenue par la Gentry et le palais de Buckingham qui ont mobilisé la presse populaire pour appeler à revenir à l’indépendance.

Contrairement à ce qu’explique la presse européenne, le départ des Britanniques de l’UE ne se fera pas lentement parce que l’UE va s’effondrer plus vite que le temps nécessaire aux négociations bureaucratiques de leur sortie. Les États du Comecon n’ont pas eu à négocier leur sortie parce que le Comecon a cessé de fonctionner dès le mouvement centrifuge amorcé. Les États membres de l’UE qui s’accrochent aux branches et persistent à sauver ce qui reste de l’Union vont rater leur adaptation à la nouvelle donne au risque de connaître les douloureuses convulsions des premières années de la nouvelle Russie : chute vertigineuse du niveau de vie et de l’espérance de vie.

Pour la centaine de milliers de fonctionnaires, d’élus et de collaborateurs européens qui perdront inévitablement leur emploi et pour les élites nationales qui sont également tributaires de ce système, il convient d’urgence de réformer les institutions pour les sauver. Tous considèrent à tort que le Brexit ouvre une brèche dans laquelle les Eurosceptiques vont s’engouffrer. Or, le Brexit n’est qu’une réponse au déclin des États-Unis.

Le Pentagone, qui prépare le sommet de l’Otan à Varsovie, n’a pas non plus compris qu’il n’était plus en position d’imposer à ses alliés de développer leur budget de Défense et de soutenir ses aventures militaires. La domination de Washington sur le reste du monde est terminée.

Nous changeons d’ère.

Qu’est-ce-qui va changer ?

La chute du bloc soviétique a d’abord été la mort d’une vision du monde. Les Soviétiques et leurs alliés voulaient construire une société solidaire où l’on mette le plus de choses possible en commun. Ils ont eu une bureaucratie titanesque et des dirigeants nécrosés.

Le Mur de Berlin n’a pas été abattu par des anti-communistes, mais par une coalition des Jeunesses communistes et des Églises luthériennes. Ils entendaient refonder l’idéal communiste débarrassé de la tutelle soviétique, de la police politique et de la bureaucratie. Ils ont été trahis par leurs élites qui, après avoir servi les intérêts des Soviétiques se sont engouffrés avec autant d’ardeur pour servir ceux des États-uniens. Les électeurs du Brexit les plus engagés cherchent d’abord à retrouver leur souveraineté nationale et à faire payer aux dirigeants ouest-européens l’arrogance dont ils ont fait preuve en imposant le Traité de Lisbonne après le rejet populaire de la Constitution européenne (2004-07). Ils pourraient eux aussi être déçus par ce qui va suivre.

Le Brexit marque la fin de la domination idéologique des États-Unis, celle de la démocratie au rabais des « Quatre libertés ». Dans son discours sur l’état de l’union de 1941, le président Roosevelt les avaient définies comme (1) la liberté de parole et d’expression, (2) la liberté de chacun d’honorer Dieu comme il l’entend, (3) la liberté du besoin, (4) la liberté de la peur [d’une agression étrangère]. Si les Anglais vont revenir à leurs traditions, les Européens continentaux vont retrouver les questionnements des révolutions française et russe sur la légitimité du pouvoir, et bouleverser leurs institutions au risque de voir resurgir le conflit franco-allemand.

Le Brexit marque aussi la fin de la domination militaro-économique US ; l’Otan et l’UE n’étant que les deux faces d’une seule et unique pièce, même si la construction de la Politique étrangère et de sécurité commune a été plus longue à mettre en œuvre que celle du libre-échange. Récemment, je rédigeais une note sur cette politique face à la Syrie. J’examinais tous les documents internes de l’UE, qu’ils soient publics ou non publiés, pour arriver à la conclusion qu’ils ont été rédigés sans aucune connaissance de la réalité de terrain, mais à partir des notes du ministère allemand des Affaires étrangères, lui-même reproduisant les instructions du département d’État US. J’avais eu il y a quelques années à effectuer la même démarche pour un autre État et j’étais arrivé à une conclusion similaire (sauf que dans cet autre cas, l’intermédiaire n’était pas le gouvernement allemand, mais le français).

Premières conséquences au sein de l’UE

Actuellement, des syndicats français rejettent le projet de loi sur le Travail qui a été rédigé par le gouvernement Valls sur la base d’un rapport de l’Union européenne, lui-même inspiré par les instructions du département d’État US. Si la mobilisation de la CGT a permis aux Français de découvrir le rôle de l’UE dans cette affaire, ils n’ont toujours pas saisi l’articulation UE-USA. Ils ont compris qu’en inversant les normes et en plaçant les accords d’entreprise au-dessus des accords de branche, le gouvernement remettait en réalité en cause la prééminence de la Loi sur le contrat, mais ils ignorent la stratégie de Joseph Korbel et de ses deux enfants, sa fille naturelle la démocrate Madeleine Albright et sa fille adoptive la républicaine Condoleezza Rice. Le professeur Korbel assurait que pour dominer le monde, il suffisait que Washington impose une réécriture des relations internationales dans des termes juridiques anglo-saxons. En effet, en plaçant le contrat au-dessus de la Loi le droit anglo-saxon privilégie sur le long terme les riches et les puissants par rapport aux pauvres et aux misérables.

Il est probable que les Français, les Hollandais, les Danois et d’autres encore tenteront de se détacher de l’UE. Ils devront pour cela affronter leur classe dirigeante. Si la durée de ce combat est imprévisible, son issue ne fait plus de doute. Quoi qu’il en soit, dans la période de bouleversement qui s’annonce, les ouvriers français seront difficilement manipulables, à la différence de leurs homologues anglais, aujourd’hui désorganisés.

Premières conséquences pour le Royaume-Uni

Le Premier ministre David Cameron a argué des vacances d’été pour remettre sa démission à octobre. Son successeur, en principe Boris Johnson, peut donc préparer le changement pour l’appliquer instantanément à son arrivée à Downing Street. Le Royaume-Uni n’attendra pas sa sortie définitive de l’UE pour mener sa propre politique. À commencer par se dissocier des sanctions prises à l’encontre de la Russie et de la Syrie.

Contrairement à ce qu’écrit la presse européenne, la City de Londres n’est pas directement concernée par le Brexit. Compte tenu de son statut particulier d’État indépendant placé sous l’autorité de la Couronne, elle n’a jamais fait partie de l’Union européenne. Certes, elle ne pourra plus abriter les sièges sociaux de certaines compagnies qui se replieront dans l’Union, mais au contraire elle pourra utiliser la souveraineté de Londres pour développer le marché du yuan. Déjà en avril, elle a obtenu les privilèges nécessaires en signant un accord avec la Banque centrale de Chine. En outre, elle devrait développer ses activités de paradis fiscal pour les Européens.

Si le Brexit va temporairement désorganiser l’économie britannique en attente de nouvelles règles, il est probable que le Royaume-Uni —ou tout au moins l’Angleterre— se réorganisera rapidement pour son plus grand profit. Reste à savoir si les concepteurs de ce tremblement de terre auront la sagesse d’en faire profiter leur peuple : le Brexit est un retour à la souveraineté nationale, il ne garantit pas la souveraineté populaire.

Le paysage international peut évoluer de manière très différente selon les réactions qui vont suivre. Même si cela devait tourner mal pour certains peuples, il vaut toujours mieux coller à la réalité comme le font les Britanniques plutôt que de persister dans un rêve jusqu’à ce qu’il se fracasse.

Thierry Meyssan
Par le même auteur lire aussi : La nouvelle politique étrangère britannique, le 4 juillet 




Le Brexit, et si la City était pour ?
Interview de Valérie Bugault par Jean-Michel Vernochet (Médias-Presse-Infos, 2016)



Nikolaï Starikov sur le Brexit (2016)

Remarque : 
L'analyse d'une conspiration pour sortir le RU de l'UE va sans doute trop loin, mais la City pourrait effectivement en profiter pour devenir la place offshore du Yuan.
Cela s'inscrit dans un conflit entre deux tendances dans le monde du pouvoir financier, aussi dangereuse l'une que l'autre pour la démocratie, celle voulant préserver l'hégémonie américaine (néoconservateurs, OTAN, complexe militaro-industriel, ...) et celle rêvant d'une mondialisation décomplexée et sans limite.

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