dimanche 18 septembre 2016

Reproduction(s) artificielle(s)

Des chercheurs sont parvenus à reproduire des souris sans recourir à des ovocytes
Par Paul Benkimoun, le 13 septembe 2016 - Le Monde


Une souris au centre de recherche Cermep, à Bron.

C’est un fait biologique érigé en dogme depuis le XIXe siècle qui est mis à mal par des chercheurs de l’université de Bath (Royaume-Uni) et par leurs collègues de l’université de Ratisbonne (Allemagne). Ils sont parvenus à obtenir des souriceaux viables sans avoir recours à des ovocytes, des cellules sexuelles d’origine maternelle. Jusqu’ici, les biologistes étaient persuadés que la présence de ces gamètes femelles était indispensable au développement d’un embryon.

Petit rappel, pour comprendre la portée de cette expérience : la reproduction sexuée fait normalement appel à deux gamètes, l’un femelle et l’autre mâle, comportant chacun un exemplaire de chaque chromosome, qui, en fusionnant, formeront les paires de chromosomes de l’embryon.

Avant cette fusion, on parle de cellule haploïde et, après, de cellule diploïde. On croyait jusqu’ici qu’il s’agissait de la seule voie possible pour obtenir un organisme vivant. Depuis la brebis Dolly, le premier mammifère cloné en 1996, il existe bien un autre moyen de créer artificiellement un nouvel organisme, par clonage, mais, dans ce cas, son patrimoine génétique est identique à celui de l’individu dont une cellule a été utilisée.

Passage obligé

Or, Toru Suzuki et ses collègues, dont les recherches ont été publiées mardi 13 septembre sur le site de la revue Nature Communications, démontrent pour la première fois que, chez la souris, on peut obtenir un individu unique à partir d’embryons et de spermatozoïdes sans recourir à des ovocytes.
Les deux premières souris nées de cette manipulation, Phicsia et Phicsim.



L’équipe de chercheurs a tenté de contourner ce qui semblait être un passage obligé de la fusion ovocyte-spermatozoïde. Dans la fécondation sexuée, cette fusion aboutit à la reprogrammation du spermatozoïde, cellule hautement différenciée, en une cellule indifférenciée, capable de se multiplier et de se différencier pour donner n’importe quel type cellulaire existant dans un organisme.

Dans ce travail expérimental, les scientifiques ont utilisé des embryons de souris à un stade très précoce, avant la première division cellulaire. Ces embryons ont subi un traitement chimique afin d’activer la division cellulaire pour qu’ils ne possèdent plus qu’un seul jeu de chromosomes et donc qu’une moitié de matériel génétique. Ils deviennent alors haploïdes et on les appelle des parthénogénotes. Chez les mammifères, ces embryons parthénogénotes ne sont pas viables.

Succès dans un quart des tentatives

Dans chacun d’entre eux, un spermatozoïde a été ensuite injecté, comme on le ferait dans une fécondation in vitro avec un ovocyte, pour apporter l’autre moitié de matériel génétique. En réimplantant ces cellules fusionnées dans des souris jouant le rôle de mères porteuses, les chercheurs ont obtenu, dans un quart des tentatives, des souriceaux apparemment en bonne santé.

Le rendement pourrait paraître faible, mais il est beaucoup plus important que celui du clonage par transfert de noyau. En effet, cette technique utilisée pour Dolly ne rencontre qu’un taux de réussite d’à peine 2 %. Quant à la technique de la parthénogenèse, c’est-à-dire par la division d’une cellule sexuelle femelle non fécondée, elle ne permet pas de développer un embryon de souris viable.

Bien que présentant des signes épigénétiques (changements dans l’activité des gènes) différents de ceux observés chez les embryons obtenus par fécondation d’un ovocyte par un spermatozoïde, les souris créées semblent en bonne santé, fertiles, et avec une espérance de vie normale. Dans le cas du clonage, les animaux, comme Dolly, étaient morts prématurément. Ce résultat constitue une surprise de taille pour les biologistes puisque l’équipe anglo-allemande a créé pour la première fois un organisme vivant en l’absence de gamète femelle.

Questionnements éthiques

« C’est un travail très intéressant de biologie fondamentale, remarque Bernard Jégou (Institut de recherche sur la santé, l’environnement et le travail, Inserm U1085, Rennes), qui bouscule ce qui apparaissait comme un dogme. L’étude a été effectuée avec une excellente méthodologie. Il faut donc la saluer. Cela étant, au-delà de l’amélioration des connaissances et d’un nouvel éclairage sur les mécanismes de la reproduction, que fera-t-on de ces résultats ? Il est bien trop tôt pour le dire. »

Outre son caractère iconoclaste, cette percée ouvre cependant la voie à des interrogations. « Cela brouille les distinctions fonctionnelles entre lignées cellulaires sexuelles, embryonnaires et somatiques [adultes] », écrivent les chercheurs dans leur article. Un communiqué de presse émanant de l’université de Bath évoque l’éventualité de partir de cette approche pour obtenir plus facilement une descendance dans des espèces animales en voie d’extinction.

Lire le reportage en grand format :  La cryogénisation, une solution contre l’extinction des espèces ?

Bien évidemment, des questionnements éthiques ne manqueront pas, à la suite de cette publication. Les auteurs soulignent ainsi que l’affirmation selon laquelle les parthénogénotes n’ont pas le potentiel de se développer pour donner un individu, et qu’on peut donc y voir une source plus acceptable de cellules souches humaines qu’à partir des embryons, pourrait être remise en question. Cela supposerait que la technique qui a fonctionné chez la souris soit applicable à l’espèce humaine. Pour l’instant et au-delà des débats éthiques, rien ne permet de dire que cela serait le cas.

* * *

Des manipulations génétiques d’embryons humains autorisées au Royaume-Uni 
Par Hervé Morin, 1 février 2016 - Le Monde

Une équipe de l’Institut Francis-Crick, à Londres, a reçu le 1er février de l’Autorité pour l’embryologie et la fertilisation humaine britannique (HFEA) l’autorisation de procéder à des manipulations sur des embryons humains, à l’aide d’une nouvelle technique d’ingénierie du gène, Crispr-Cas9. En avril, une équipe chinoise avait annoncé l’avoir utilisée sur des embryons humains non viables, pour voir si elle permettrait d’enrayer une maladie génétique du sang, la bêta-thalassémie. Cette annonce avait lancé une série de débats sur la possibilité de créer des bébés génétiquement modifiés et d’altérer la lignée humaine en modifiant les cellules germinales.

Lire aussi :  Des Chinois tentent de modifier le génome d’embryons humains

L’autorisation donnée par la HFEA va sans nul doute relancer les discussions sur le spectre d’une forme d’eugénisme. Il s’agit en l’espèce de permettre à l’équipe de Kathy Niakan de désactiver de façon sélective certains gènes qui, chez les modèles animaux, sont considérés comme cruciaux dans le développement de l’embryon et la différenciation de ses premières cellules en divers tissus – l’individu à naître d’un côté, le placenta de l’autre. Crispr-Cas9 serait mis en œuvre sur l’embryon au stade de la première cellule (premier jour), et sa croissance serait stoppée au bout d’une semaine, quand il compte 250 cellules. Il n’est pas question d’implanter ces embryons dans un utérus, mais d’observer les anomalies induites par le « knock-out », l’inactivation des gènes ciblés, dans le but de mieux comprendre certaines formes d’infertilité.

Les embryons utilisés seraient issus de dons effectués par des couples ayant dû avoir recours à des fécondations in vitro (FIV). Il faudrait de 20 à 30 embryons par gène étudié, estime l’équipe de l’institut Crick.

Pas un feu vert définitif

Le Royaume-Uni autorise depuis 2009 les recherches fondamentales sur des embryons humains. Il a aussi autorisé début 2015 la fécondation in vitro « à trois parents » : l’ADN mitochondrial d’une donneuse serait introduit dans l’œuf pour éviter des maladies métaboliques. Le Royaume-Uni n’est pas signataire de la convention d’Oviedo (1997), ratifiée par la plupart des pays européens, dont la France, qui interdit « toute modification génique sur des embryons qui serait transmise aux générations futures ».

En décembre 2015, une réunion internationale convoquée à Washington à l’initiative de sociétés savantes américaine, britannique et chinoise, s’était conclue par un appel à un moratoire sur les manipulations de l’ADN des cellules sexuelles et de l’embryon, jugeant qu’aujourd’hui, pour des raisons techniques et éthiques, « il serait irresponsable de poursuivre tout usage clinique de l’édition de cellules germinales ». En l’occurrence, les travaux envisagés par Kathy Niakan s’inscrivent dans un cadre de recherches fondamentales auxquelles cette déclaration n’était pas opposée. Cette réunion avait montré qu’au sein même des promoteurs de Crispr-Cas9, certains étaient favorables à son utilisation sur l’embryon, quand d’autres étaient fermement contre.

 Lire aussi   Ingénierie du gène : l’urgence d’attendre

L’autorisation donnée par la HFEA ne vaut pas feu vert définitif. Un comité d’éthique doit encore se prononcer avant que l’expérimentation puisse commencer, en principe d’ici quelques mois. En France, plusieurs sociétés savantes préparent des avis sur l’utilisation de Crispr-Cas9 sur les cellules germinales et l’embryon humains.

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