mardi 8 novembre 2016

La liberté de presse menacée



Aude Lancelin dénonce les liens entre les grands médias et les entreprises du CAC40 (RMC, Bourdin, 2016)
A propos de son dernier livre :
Le monde libre, Ed. Les liens qui libèrent, 2016
Commande sur Amazon : Le monde libre

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La liberté de presse menacée. 
Avant-propos par Liliane Held Khawam, le 6 novembre 2016 - LHK

Le journalisme est le pivot indispensable de la démocratie!

Il n’est donc pas étonnant de voir que ceux qui mettent à mal la démocratie soient les mêmes que ceux qui menacent le journalisme d’investigation et la critique journalistique.
Le ver qui s’est logé dans la pomme est un affairisme qui a non seulement torpillé le journalisme, mais a aussi dénaturé le monde du business et celui de l’entreprise.
La mainmise de la haute finance internationale sur l’industrie de la presse est un problème essentiel du 21ème siècle qu’il s’agit de dénoncer vigoureusement si l’on ne veut pas cliver dangereusement la société entre ceux qui sont informés et le reste de la planète.

Le citoyen a fini par bouder les principaux médias, généralement défenseurs de leurs actionnaires,  pour aller chercher les infos sur le net qui peuvent être autant de sources de confusion…
Ce contexte rend la lecture du texte ci-dessous indispensable. Jacques Pilet y met en garde contre la menace qui guette toujours plus la liberté de la presse. Cela est d’autant plus à prendre au sérieux que l’expertise de M Pilet ne peut être discuté. Fondateur et producteur de plusieurs médias, il est une personnalité qui compte dans le monde de l’industrie journalistique de la Suisse francophone.


La liberté de presse menacée. 
Par jacques Pilet, le 3 novembre 2016 - L’Hebdo

Les Romands sont sévères avec leur presse mais, au fond, ils l’aiment bien. A preuve, quand un titre se trouve affaibli ou menacé, ils grognent à raison. Mais est-elle libre? se demandent-ils aussi. Sujet inépuisable.

A cet égard, la Suisse n’est pas mal placée: quatrième sur 180 dans le classement de Reporters sans frontières. Elle a une chance: ses médias appartiennent soit à une société publique (SSR) soit à des acteurs privés concentrés sur cette activité. Aucun éditeur – à l’exception de Blocher – ne vend par ailleurs des armes ou des chantiers, des produits chimiques ou des médicaments.

Les journalistes ne sont donc pas sous la coupe de milliardaires qui les manipuleraient dans des intérêts économiques extérieurs à la presse. Ni sous la coupe directe du pouvoir. Or cette dérive s’accentue en Europe.

Le journal d’opposition hongrois Népszabadság a été fermé du jour au lendemain par son propriétaire autrichien sur la pression du gouvernement. Ce sont des amis personnels du premier ministre, Viktor Orbán, qui entendent le relancer. Ce quotidien qui fut autrefois un étendard communiste, converti à la démocratie, s’affichait au centre gauche. Trop lié aux socialistes corrompus, il avait perdu la cote et beaucoup de lecteurs. Récemment, il avait publié des enquêtes impertinentes sur la corruption au sommet de l’Etat.

Dans la foulée, plusieurs titres régionaux passent aussi sous le contrôle du pouvoir. Quant aux télés privées, elles ont été mises au pas à travers des menaces fiscales. Restent encore quelques médias indépendants, mais jusqu’à quand? «Le paysage médiatique hongrois est aujourd’hui plus proche du modèle russe que du modèle ouest-européen», estime Agnes Urbán, chercheuse à l’observatoire des médias Mérték.

La liberté de presse se ratatine aussi dans un pays qui fait peu parler de lui: la République tchèque. Où un milliardaire a fait main basse sur la presse: Andrej Babiš, fils d’un haut fonctionnaire en poste à l’ONU, éduqué dans les écoles privées de Genève. Après l’effondrement du régime, cet ex-président des Jeunesses communistes s’est converti au big business. Il put acheter très tôt des groupes industriels avec un argent tombé d’on ne sait où.

Il est aujourd’hui propriétaire du groupe Agrofert, actif dans l’agroalimentaire et la chimie. Il pèse 24,5 milliards d’euros, il est l’homme le plus riche du pays.

Andrej BabiŠ dit pis que pendre de la politique et ne pense qu’à elle. Il a fondé un parti: Ano. Cela veut dire «oui» en tchèque. Mais c’est l’abréviation d’Action pour les citoyens mécontents. Il va de succès en succès électoraux. L’habile homme sait parler aux pauvres et ne rechigne pas à écluser des bières dans les villages perdus.

Peu avant les élections, il avait acheté le journal le plus lu, Mladá fronta Dnes, et son pendant, Lidové Noviny, ainsi que plusieurs radios et chaînes TV. Où en est-il aujourd’hui? Vice-président du gouvernement, ministre des Finances. Plus même besoin d’hommes de paille comme en Hongrie. C’est du palais qu’il «conseille» ses rédacteurs en chef.

En Pologne? Le pouvoir hypernationaliste a épuré les médias publics: des dizaines de journalistes jugés déviants ont été chassés. La presse et les TV privées en revanche restent assez diversifiées mais le gouvernement fait la vie dure aux titres indépendants à travers des pressions sur les annonceurs. Mais à la différence des Tchèques qui ne bronchent pas devant Babiš, les Polonais, eux, résistent. En nombre. Avec une certaine efficacité. Le principal site internet du pays, onet.pl (Ringier Axel Springer), fait encore son travail d’information librement.

Mœurs postcommunistes? Oui, mais à l’Ouest un grand donneur de leçons démocratiques fait souci: la France. Une dizaine de milliardaires, assis sur des affaires hors médias, ont pris le contrôle de la plupart des journaux et des magazines, surtout ceux à contenus politiques. Ces manitous des télécoms, du bâtiment, de l’armement, de la mode, de la banque s’en sont emparés «pour les sauver», disent-ils.

En fait pour leur servir de joujoux utiles: ils permettent d’accéder aisément aux plus hauts pouvoirs de l’Etat. Dont ils dépendent pour leurs commandes, leurs concessions, leurs marges de manœuvre dans la régulation.

Ce n’est pas neuf; ce qui l’est, c’est la description détaillée du système. Racontée par Aude Lancelin1, l’ex-directrice adjointe récemment mise à la porte de L’Obs, qu’elle renomme «L’Obsolète». Elle déballe tout, elle flingue dans une écriture raffinée et vénéneuse.

Elle figura longtemps dans les rouages supérieurs de ce petit monde qui aujourd’hui l’exclut pour «gauchisme». La dame n’est guère sympathique, elle s’apitoie sur son licenciement mais compatit peu avec les nombreux collègues qui ont subi le même sort. Elle parle beaucoup d’idéologies, bien peu du métier.

Il n’empêche qu’elle nous en apprend des vertes et des pas mûres. Sur ces géants de l’économie qui aiment dîner à l’Elysée, quel qu’en soit l’occupant. Sur les journalistes, querelleurs entre eux mais dociles, dont la hiérarchie relit les papiers, pas tant pour en corriger le style que pour éviter tout propos qui pourrait déplaire à tel ou tel. Sur les gourous tireurs de ficelles, tels Bernard-Henri Lévy et Alain Minc. Sur les liens consanguins entre les éditeurs de livres et les patrons de presse.


Photo du Monde Diplomatique. Reprise par ce site dans L’oligarchie financière aux commandes de l’information et donc de la démocratie.

Ce magma parisien se prête à tous les jeux d’influence. Suaves, subtils, poliment cyniques. On n’est pas à Budapest ou à Prague. Sous le règne2 des Niel, Pigasse, Bergé (Le Monde et L’Obs), Draghi (L’Express et Libération), Lagardère (JDD, Paris-Match, Elle), Bolloré (Canal +, Canal 8, i > TELE, feuilles gratuites), Dassault (Le Figaro), Pinault (Le Point), Arnault (Les Echos, Le Parisien) et Bouygues (TF1, LCI), au-delà des divergences convenues, un mainstream bon chic bon genre domine la scène, occupée d’abord par le divertissement.

On y pratique peu l’enquête dérangeante, la réflexion à rebrousse-poil. On use et abuse des empoignades politiciennes, plus pour le spectacle que pour aller au fond des choses.

Il se fait certes, ici et là, du bon travail, mais le tableau d’ensemble est déprimant. Allez par exemple chercher une voix discordante sur la Syrie, bonne chance. Ce polissage soporifique fait fuir peu à peu les lecteurs et mène la presse au déclin. Ce n’est pas seulement la liberté d’expression qui est grignotée, c’est la liberté de penser.

(1) «Le monde libre», d’Aude Lancelin. Ed. Les Liens qui libèrent, 240 pages.
(2) Pour plus de détails: «Main basse sur l’information» de Laurent Mauduit. Ed. Don Quichotte, 448 pages.


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Syrie, Ukraine : propagande des médias en faveur de la partie au conflit USA/OTAN
Par Karl Müller,  le 07 novembre 2016 - Arrêt sur info (trad)

Malheureusement la propagande sévit en Suisse aussi…

La page Internet https://swisspropaganda.wordpress.com a publié en octobre 2016 (accès 21/10/16) une étude de 21 pages concernant les informations transmises à la Radio et Télévision suisse alémanique (SRF) du 20 septembre 2016, soit quelques heures après qu’on ait pris connaissance de l’attaque contre un convoi du Croissant Rouge syro-arabe et de l’ONU. Cette étude est intitulée «Geopolitische Propaganda im öffentlichen Rundfunk: Eine Analyse am Beispiel des Schweizer Radios und Fernsehens» [Propagande géopolitique dans la radiodiffusion publique: une analyse concernant l’exemple de la Radio-Télévision Suisse] et peut être consultée sur https://swisspropaganda.wordpress.com/srf-propaganda-analyse.

On peut y lire que les conclusions de cette étude «sont alarmantes. On a constaté, dans toutes les contributions analysées de SRF, des techniques de manipulation et de propagande tant sur le plan rédactionnel que sur le plan linguistique et audiovisuel. Il est fait mention d’exemples touchant l’attribution de temps de parole à une seule partie du conflit, la présentation opaque de sources tierces, l’occultation de contextes, des formulations tendancieuses, des affirmations et suggestions sans preuves, la manipulation de matériel audiovisuel et des traductions erronées.»

Puis, on y lit:
«Toutes les techniques manipulatrices utilisées étaient en faveur de la partie au conflit USA/OTAN. Au total, il faut parler d’informations unilatérales, sélectives, sans esprit critique et peu objectives de la part de la Radio-Télévision Suisse.»

Dans cette étude, ces affirmations sont prouvées de façon indiscutable.
Dans les trois dernières pages, l’étude compare les informations de la SRF avec celles de la Deuxième chaîne allemande publique (ZDF) et arrive à une conclusion similaire:
«Au total, on peut donc également parler pour la ZDF d’un effet de propagande tangible en faveur de la partie au conflit USA/OTAN. Notamment en ce qui concerne le traitement manipulateur de matériel audiovisuel, de traductions manipulatrices, de musique de fond manipulatrice et l’idéalisation de la partie au conflit USA/OTAN, l’effet de propagande a même été supérieur à celui de la SRF.»
Lire aussi: http://arretsurinfo.ch/syrie-la-rts-denature-les-faits-a-lavantage-des-groupes-terroristes/
Source: Zeit-fragen.ch
Si seulement l’Allemagne pouvait éviter de participer au bellicisme américain …

… et si davantage d’objectivité pouvait régner concernant la Russie
Matthias Platzeck, ancien président du parti socialiste allemand, ancien Premier ministre du Land Brandenbourg et actuellement président du forum germano-russe, a déclaré clairement lors d’une interview avec le Deutschlandfunk (19/10/016:

«La menace d’une guerre contre la Russie prend des dimensions comme cela n’est jamais apparu depuis longtemps. Les menaces et les sanctions contre la Russie n’ont rien apporté de positif. Bien au contraire, les relations avec la Russie n’ont cessé d’en pâtir au cours des trois dernières années. La situation a atteint un seuil dramatique comme jamais depuis 25 ou 26 ans.»

Matthias Platzeck s’exprima ainsi juste avant une rencontre de la chancelière allemande avec les présidents de la France, de la Russie et de l’Ukraine. Et il ajouta qu’il «trouvait très sage la décision de l’Union européenne prise quelques jours auparavant, de ne pas renforcer les sanctions prises contre la Russie. Angela Merkel avait pris l’initiative d’inviter ses collègues à Berlin et toute personne sensée ne peut qu’espérer qu’on puisse rapidement trouver une solution diplomatique à ce conflit avec la Russie commençant à prendre des proportions inquiétantes.

Cela signifie toutefois qu’il faudrait demander davantage de véracité dans l’interprétation de la politique de ce pays au cours des années passées, mais aussi dans la politique occidentale depuis 1990. Malheureusement, loin s’en faut de la part des grands médias allemands. Bien au contraire, on observe de violentes polémiques (contre les dites «théories du complot») envers quiconque ne leur convient pas. L’objectif principal est de discréditer et de qualifier de marionnette du président russe, toute personne émettant des critiques contre la politique américaine, les Etats membres de l’OTAN ou l’UE et présentant la politique russe de façon objective et équilibrée.

Mais cette voie n’est pas suivie que par les médias. L’idée en fut lancée par le Congrès américain. Ce type de campagne fut repris par les institutions officielles de l’UE et d’Allemagne. Récemment (émission du 4/10/16) la Deuxième chaîne allemande (ZDF) en a donné un exemple dans l’émission de 45 minutes intitulée «Les réseaux secrets de Poutine. Comment la Russie divise l’Occident.»

Willy Wimmer, qui fut pendant plus de 30 ans député de la CDU au Bundestag et secrétaire d’Etat au ministère allemand de la Défense dans la décennie décisive de 1990, a récemment mis l’accent à plusieurs reprises sur le fait que les grands médias allemands avaient perdu toute notion de diversité dans les thèmes relatifs à la politique extérieure et de défense. Ce diagnostic permet de se demander jusqu’à quel point l’Allemagne s’est distanciée de la démocratie et d’une société ouverte et pluraliste.
Si l’on prend en compte que la population n’a guère les moyens de vérifier les affirmations quotidiennes de la presse, on peut mesurer les conséquences désastreuses que peuvent avoir ces distorsions des faits et la propagande qui s’en suit. En fait, toute nouvelle, tout article, tout reportage ou commentaire devraient être vérifiés, qu’elle qu’en soit l’origine.

Je me suis moi-même fortement intéressé concernant les événements en Ukraine, au cours des trois années écoulées, et je puis maintenant affirmer: la liste des mensonges et des a priori présentés aux lecteurs des grands médias au cours de ce laps de temps est très longue. Lorsqu’on va au fond des choses, on se rend compte qu’il reste peu de vérité. Il n’est pas nécessaire de parler de presse mensongère pour se mettre à réfléchir.

Il en va de même avec le conflit syrien. On tente de nous manipuler et de nous orienter dans une certaine direction – une direction qui peut nous conduire ainsi que le monde entier, dans une catastrophe atomique. Ce n’est certes pas dans notre intérêt.

Quiconque désire s’informer sérieusement peut également lire de bons livres. L’un des derniers en date est celui de l’historien suisse et chercheur sur la paix Daniele Ganser: «Illegale Kriege. Wie die Nato-Länder die Uno sabotieren. Eine Chronik von Kuba bis Syrien» [Guerres illégales. Comment les pays de l’OTAN sabotent l’ONU. Une chronique allant de Cuba à la Syrie] Il serait urgent que la lecture de tels livres devienne obligatoire dans nos écoles secondaires. Faire connaître la vérité est un devoir particulièrement important. Car la paix n’a de chance réelle qu’au travers de la vérité.  

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