mardi 15 novembre 2016

L’obsession de la croissance nourrit le cancer mondial

MAJ de la page : Marc Chesney

L’obsession de la croissance nourrit le cancer mondial
Par Marc Chesney, professeur à l’Université de Zurich, le 14 novembre 2016 - Le Temps


Confrontées aux graves crises actuelles, les institutions n’envisagent généralement qu’un remède: la croissance, déplore Marc Chesney, professeur à l’Université de Zurich

Confrontés aux graves crises actuelles, tant financières qu’économiques, sociales et environnementales, les gouvernements, banques centrales et organisations financières internationales n’envisagent généralement qu’un remède: la croissance, ce deus ex machina susceptible de soigner ces maux. C’est ce qu’ils répètent à l’envi et qui correspond d’ailleurs à ce que leurs représentants ont dû apprendre sur les bancs de l’université ou dans leurs cours de formation.

Pour combattre chômage et déflation, la croissance! Pour réduire les dettes, la croissance, évidemment! Pour se faire élire, promettre la croissance, pour ne pas compromettre ses chances! Ce dogme règne sans partage et il semblerait incongru de le remettre en question.

Une société malade

Osons tout de même et commençons pour cela par un diagnostic général. La société est profondément malade, atteinte qu’elle est d’un cancer. Lorsqu’un patient souffrant d’une telle maladie se voit mesuré par son oncologue pour savoir s’il a grandi, après la surprise initiale, il se posera la question de savoir si son thérapeute en est vraiment un! Lorsque le corps ou la société sont atteints d’un cancer, une croissance signifie une multiplication des cellules cancéreuses. C’est d’une thérapie contre ce fléau dont il devrait s’agir et cela requiert une analyse de la situation.

L’économie actuelle est basée sur un dualisme dette-croissance. La première composante serait utile pour tenter de relancer la seconde et la croissance serait nécessaire pour tâcher de rembourser une partie des dettes. Or la croissance occidentale, et en particulier européenne, est atone et l’endettement explose. Sur le plan modial, le total des dettes représente environ 250% du PIB et croît plus vite que celui-ci. La croissance requiert non seulement une augmentation insoutenable des dettes, mais repose aussi sur un autre facteur: l’obsolescence programmée de biens conçus pour ne durer qu’un certain temps, ce qui incite à consommer toujours plus.

L’expansion de la finance casino

Ces deux facteurs maintiennent sous perfusion la croissance économique, mais sont contraires à un développement durable et respectueux du genre humain. Pourtant au XIXe siècle en Europe, une croissance sans précédent est allée de pair avec de véritables progrès réalisés dans les domaines tels que la santé, l’éducation, la science et la production. Mais aujourd’hui, développement social et croissance économique sont souvent découplés. Cette dernière a surtout pour corollaire une augmentation de la pollution, des dettes, ainsi qu’une expansion de la finance casino. Pour autant, une absence de croissance n’est pas souhaitable.

Le paradoxe de la Chine et de la Grèce

Deux pays illustrent ce paradoxe: la Chine, avec une croissance encore robuste et la Grèce, avec une croissance souvent négative. La situation sociale et économique de ce dernier pays est catastrophique. La Chine, après une phase de rattrapage des pays occidentaux souffre de maux semblables aux leurs, voire pires.

Les dégâts liés à l’industrialisation de l’agriculture sont patents. En particulier, la raréfaction des abeilles a débouché sur des tentatives de pollinisation à la main, qui risquent d’ailleurs de se généraliser mondialement. Lorsque l’homme remplace l’abeille, d’aucuns pourraient arguer que cela réduit le chômage et relance la croissance. En réalité, tenter de se substituer à une population d’insectes qui effectue gratuitement une tâche essentielle pour notre survie, est irréaliste et traduit le découplage de l’économie par rapport à l’environnement et à la société ainsi que l’absurdité de son fonctionnement actuel. Une croissance qui provient de la destruction de la nature ne saurait déboucher que sur des désastres écologiques et sociaux.

Un changement radical des modes de vie

Quelle serait la solution? Les énergies renouvelables, les technologies propres sont essentielles, mais ne suffiront pas. Un changement radical des modes de vie devrait être à l’ordre du jour. Au lieu de consommateurs infantilisés par le marketing agressif lié à la consommation d’objets de pacotille et de divertissements décérébrants, notre société requiert des citoyens actifs, susceptibles de trouver des réponses aux défis actuels.

Les limites, particulièrement environnementales, de la croissance doivent être reconnues. La question de la croissance est multidimensionnelle. Elle concerne tant l’économie que l’écologie, la biologie, l’histoire et la philosophie. Aucun être vivant, aucune société ne saurait croître indéfiniment. Ce ne serait d’ailleurs pas souhaitable. La succession de phases de croissance, de stabilisation et de dégénérescence est la norme. Cette dernière phase nécessite de véritables changements de paradigme et cela devrait être l’objectif actuel.

Le «toujours plus», qui traduit une boulimie nourrissant le cancer actuel, devrait être remplacé par le «suffisant» et le «nécessaire» pour vivre de manière digne, décente et raisonnable. C’est l’épanouissement humain, par essence qualitatif, qui doit être l’objectif ultime, et non pas un critère quantitatif et réducteur, tel la croissance économique.

* * *

Une initiative populaire va proposer d’abolir les impôts en taxant toutes les transactions
Par Mathilde Farine, le 24 octobre 2016 - Le Temps

Une initiative populaire va proposer d’abolir les impôts en taxant toutes les transactions

Le professeur de finance Marc Chesney s’est associé avec quatre autres personnes pour lancer une initiative visant à taxer toutes les transactions, financières et commerciales

Eliminer tous les impôts, sans provoquer un gouffre financier dans les budgets publics? Ce n’est pas un tour de magie. Marc Chesney, professeur de finance de l’Université de Zurich propose en effet de mettre en place une taxe sur les transactions financières qui s’appliquerait à tous les paiements électroniques.

Cette taxe n’a donc rien à voir avec la taxe Tobin, qui s’intéresse uniquement aux transactions financières, donc aux achats d’actions ou d’obligations, par exemple. La proposition de Marc Chesney s’étend à toutes les transactions financières – y compris le trafic des paiements – dont le montant total atteint au moins 100 000 milliards de francs par an, soit environ 150 fois le produit intérieur brut de la Suisse.

Un financier zurichois en première ligne

Désormais, le professeur s’est associé avec quatre autres personnes pour lancer une initiative, dont le concept est présenté sur le site microtaxe.ch. L’idée circule dans plusieurs pays, mais si elle semble se décanter en Suisse, c’est notamment à partir d’un texte publié en janvier 2013 par Félix Bolliger, un financier zurichois, «Reinvent the System – Mikrosteuer auf Gesamtzahlungsverkehr» (Réinventer le système – un micro-impôt sur tous les moyens de paiement). Le gérant de fortune y développe son modèle et la façon dont il pourrait être construit. Les initiants ont été rejoints par Oswald Sigg, socialiste et ancien vice-chancelier de la Confédération, qui faisait partie des promoteurs de l’initiative pour le revenu universel de base, refusé en votation populaire en début d’année. Anton Gunzinger, professeur à l’EPFZ, et un Genevois, Bernard Dupont.

«L’étape en cours consiste à rédiger le projet qui permettrait d’obtenir l’autorisation de lancer une initiative», a expliqué Marc Chesney. La taxe se veut indolore. Avec «0,2% sur chaque transaction, on pourrait obtenir 200 milliards de francs», explique le Franco-Suisse. Ce serait déjà plus que tous les impôts récoltés en Suisse, dont le total atteignait environ 170 milliards en 2011, les chiffres sur lesquels se basent les initiants. «Une telle taxe, si elle était introduite, pourrait théoriquement remplacer la plupart des impôts actuels et permettrait de simplifier le système fiscal», expliquait déjà le professeur il y a quelques mois dans nos colonnes. La déclaration fiscale deviendrait obsolète, a-t-il ajouté.

Lire aussi: «Une taxe sur les transactions financières pourrait remplacer tous les impôts actuels»

Les promoteurs de cette taxe s’attendent à des effets pervers, comme la disparition de certains types d’activités financières. Mais sans le déplorer: «Les activités de trading à haute fréquence, par exemple, pourraient disparaître. Mais la Suisse peut se passer de ces activités de la finance casino», affirme le professeur.

Réformer le système financier et fiscal

Surtout, pour les initiants, ce serait l’occasion de réformer un «système financier qui nous mène de crise en crise» et un «système fiscal qui se base sur une idéologie plus que centenaire», dont la législation est «d’une absurde complexité, inadaptée à une économie globalisée et numérisée».

«Puisque la microtaxe est perçue automatiquement par ordinateur, elle perd son caractère inquisitoire», affirment les initiants dans leur texte d’introduction. «Impôt sans idéologie», sans équivalent de simplicité et de clarté, «abondant, techniquement peu cher à gérer, et juste», assurent-ils. Au point que «ses avantages sont tels que l’évasion fiscale deviendrait superflue», estiment-ils. Ils prônent toutefois une mise en œuvre très progressive.

La France applique une taxe différente

Un projet d’initiative qui intervient alors que plusieurs pays d’Europe s’écharpent sur la possibilité d’introduire une taxe sur les transactions financières (TTF). La semaine dernière, la France a voté un élargissement de son projet, élevant le taux à 0,3% et incluant dans les transactions boursières les opérations «intra-day», c’est-à-dire des achats et ventes réalisés dans la même journée. La taxe française rapporterait plus d’un milliard d’euros au budget, dont une partie devrait servir l’aide au développement. Dix pays européens envisagent de mettre en place une taxe, mais ils peinent à se mettre d’accord. L’entrée en vigueur se ferait au mieux début 2018 et la taxe discutée s’élèverait entre 0,01% et 0,1%.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...