vendredi 13 janvier 2017

La « banalité du mal » dans le colonialisme israélien

Le criminel Azaria met à nue la « banalité du mal » dans le colonialisme israélien
Par Neve Gordon, politologue et historien israélien, le 6 janvier 2017 - Aljazeera Chronique de Palestine (trad.)

Neve Gordon – Elor Azaria n’est pas une pomme pourrie. Son assassinat d’un Palestinien expose la normalisation du projet colonial israélien.

Ce n’est pas une coïncidence si le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu – suivi ensuite d’une foule de ministres et de membres de la Knesset – a demandé une grâce présidentielle pour le soldat israélien Elor Azaria.
Azaria a été reconnu coupable d’homicide involontaire après avoir visé et tué de sang-froid Yusri al-Sharif, alors que celui-ci était étendu blessé au sol.

Cette mobilisation exceptionnelle pour blanchir Azaria de son crime – mobilisation qui traverse les lignes partisanes et inclut les députés du Parti travailliste – ne devrait en aucun cas nous surprendre, car la grâce présidentielle exigée ne consiste pas vraiment à absoudre un meurtrier en particulier mais plutôt à défendre 50 ans d’occupation.
Consciemment ou non, chaque officiel du gouvernement qui demande une telle absolution comprend qu’Azaria n’est en aucune façon une aberration du projet colonial israélien, mais plutôt un clair symptôme de sa structure même.

Ceux qui ont assisté au meurtre on un comportement des plus révélateurs



Extrajudicial killing in broad daylight, Hebron, March 2016 - Attention images choquantes

Les spectateurs témoignent de l’effet de ce système. La vidéo publiée par l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem nous montre d’abord Al Sharif étendu sur le sol, blessé, alors que des dizaines de soldats et de colons se tenaient près de lui en train de bavarder, de parler au téléphone et de prendre des photos.
Plusieurs médecins sont sur les lieux, mais ils ne tiennent aucun compte du blessé palestinien. En effet, l’un de ces médecins est le tueur.

Après le meurtre, aucun des spectateurs ne semble surpris. Personne ne s’en prend à Azaria et l’éloigne de la scène, personne ne court vers al-Sharif pour voir s’il peut être maintenu en vie. Bien au contraire, les spectateurs continuent simplement de discuter entre eux.
La nonchalance quotidienne de ceux qui se tiennent à quelques mètres d’un crime en train d’être commis peut certainement être comprise comme une manifestation de ce que Hannah Arendt a appelé la « banalité du mal ».
Pourtant, elle révèle aussi profondément quelque chose de crucial sur la structure du projet colonial d’Israël.

La brigade Kfir

Azaria est un soldat de la brigade Kfir. Cette brigade, comme l’a récemment révélé John Brown, a été responsable de la mort de nombreux Palestiniens, dont Mustafa Tamimi qui a été abattu à la tête avec une cartouche de gaz lacrymogène à longue portée lors d’une manifestation hebdomadaire dans son village de Nabi Saleh.
Le soldat qui a tué Tamimi en 2011 était assis dans une jeep militaire à cinq mètres de Tamimi quand il l’a pris pour cible et a tiré sur lui.

Il y a deux mois, quatre autres soldats de la même brigade ont été inculpés pour électrocution d’un Palestinien. Il est apparu qu’ils avaient pris des photos de lui alors qu’il les suppliait de le laisser la vie. Deux autres soldats ont été inculpés d’avoir torturé des enfants palestiniens, propulsant au visage de l’un d’entre eux de l’air brûlant avec un sèche-cheveux.

John Brown cite encore une confession faite par un soldat de la même brigade:
« Nous allions faire une patrouille, et si nous voyions même un enfant nous regarder d’une manière pas avenante, il recevrait immédiatement une gifle. Lors d’une de ces patrouilles, certains nous ont jeté des pierres. Nous avons attrapé un des enfants qui avaient vu le lanceur, et nous l’avons tabassé jusqu’à ce qu’il nous livre le nom du lanceur … Nous l’avons alors tiré [le lanceur de pierre de 14 ans] de son lit en dehors de sa maison. Nous avons alors enfoncé les canons de nos fusils dans sa bouche en lui disant : ‘Tu veux mourir ici ? Choisis un endroit où tu veux être enterré’. »

Azaria n’est pas « une pomme pourrie »

Azaria, en d’autres termes, n’est pas une pomme pourrie. Au contraire, ses actions doivent être comprises comme faisant partie intégrante de la structure plus vaste qui constitue et forme le projet colonial d’Israël.
Azaria n’a simplement pas eu de chance parce qu’il a été filmé alors qu’il assassinait un Palestinien.
En fait, une grande partie du public israélien se rend compte de cela et ne ne considère en rien Azaria comme un hors-la-loi, ce qui contribue à expliquer le soutien général dont ce criminel bénéficie.
Ainsi, ce serait une grave erreur d’en conclure, comme l’a fait la presse israélienne, que les hommes politique se contentent de plaire à la masse. Netanyahou reconnaît qu’Azaria est un rouage dans la machine, comme le ministre de la Défense Avigdor Lieberman, et c’est pour cette raison qu’ils demandent au président de lui pardonner.

Ils savent également que si Azaria est condamné à vingt ans de prison, la structure qui produit les individus comme Azaria et autorise et encourage la violence quotidienne pour soutenir l’effort colonial d’Israël pourrait bien être contestée de l’intérieur.
Mais il est également crucial de ne pas perdre de vue ce qu’ils soutiennent consciemment. Pour Azaria et pour ceux qui se tenaient près de lui dans les rues d’Hébron, ainsi que pour tous ses partisans – citoyens et hommes politiques – les Palestiniens comme Yusri al-Sharif ne sont jamais des victimes ou des êtres humains : ce sont des proies.

Les Palestiniens peuvent seulement être légitimement pris pour cible, mais les tuer n’est jamais un crime et le plus souvent, ce n’est même pas considéré comme un délit.
a1 * Neve Gordon est un politologue et historien israélien, il est l’auteur de Israel’s Occupation, et de The Human Right to Dominate (co-écrit avec Nicola Perugini).

Neve Gordon est un politologue et historien israélien, il est l’auteur de Israel’s Occupation, et de The Human Right to Dominate (co-écrit avec Nicola Perugini).

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Le soldat franco-israélien Elor Azaria, reconnu coupable d’homicide, est la norme
Par Amira Hass, le 5 janvier 2017  - Haaretz  / Sayed Hasan (trad.)

Depuis un an et demi, des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants palestiniens ont été tués, bien qu’ils eussent pu être maîtrisés quand ils étaient encore en vie. La différence entre eux et Azaria [qui a assassiné d’une balle dans la tête un assaillant Palestinien gisant à terre] est qu’il a été filmé.

Commentaire de Norman Finkelstein : « Prenez garde à ne pas être filmés ! »

Il y a une chose sur laquelle les Palestiniens sont d’accord avec Elor Azaria et ses partisans : il n’était pas le seul, et il avait juste la malchance d’être filmé à son insu. Les Palestiniens conviennent avec Azaria et ses partisans qu’il respectait la norme et faisait exactement ce que les autres soldats font – à savoir tirer avec l’intention de tuer, même quand aucune vie n’est en danger.
Les Palestiniens sont d’accord avec Azaria pour dire qu’il a été victime d’une discrimination du système. Mais ils considèrent pour leur part que des dizaines d’autres soldats et policiers auraient eux aussi dû être jugés.

Comme Azaria lui-même, les Palestiniens se demandent pourquoi il a été jugé alors que les soldats qui ont tué Hadeel al-Hashlamoun à Hébron n’ont pas même fait l’objet d’une enquête de la police militaire. Elle aussi était allongée au sol, après que des soldats lui ont tiré dessus à distance dans poste de contrôle, parce qu’elle tenait un couteau (aucun soldat n’avait subi la moindre égratignure). Puis, alors qu’elle était couchée sur le sol, ils ont continué à lui tirer sur le torse. (C’était le 22 septembre 2015, et les habitants d’Hébron attribuent l’éclosion subséquente d’attaques solitaires à cet incident.)

Le 11 juin 2010, Maxim Vinogradov, un policier frontalier, « a confirmé la mort » de Ziad Jilani, qui était déjà couché sur le sol, blessé par balle, après avoir foncé sur d’autres policiers avec sa voiture dans le quartier Wadi Joz de Jérusalem. Le procureur a décidé de ne pas inculper Vinogradov, acceptant sa défense ridicule selon laquelle il craignait que Jilani porte une bombe. Il était au cœur d’un quartier palestinien : pourquoi se serait-il fait exploser là-bas ?

Fadi Alloun, originaire d’Isawiyah, était également couché sur le sol, après avoir poignardé un israélien dans le quartier Musrara de Jérusalem le 4 octobre 2015. Un policier anonyme l’a criblé de balles après que des passants l’y ont encouragé. Dans ce cas, des séquences vidéo prises avec un téléphone portable étaient disponibles, mais ce n’était pas assez pour que de quelconques mesures soient prises contre le tueur.

Sara Hajuj, de Bani Naim, a brandi un couteau contre les policiers frontaliers à l’intérieur de la salle d’inspection de sécurité d’un point de contrôle d’Hébron le 1er juillet 2016. Ils l’ont vaporisée au visage avec du gaz poivre et ont fui la pièce. Puis l’un d’eux lui a tiré dessus, alors qu’elle était seule dans la pièce et ne représentait de danger pour personne.
Le 2 juin 2016, Ansar Hirsheh a traversé à pied le poste de contrôle d’Anabta, où la circulation des piétons est interdite. Elle avait un couteau dans ses affaires, mais elle ne mettait personne en danger. Et il n’y avait aucune raison pour que les quatre soldats armés et entraînés qui l’entouraient ne la maîtrisent pas sans la tuer.


« Tuez-les tous! » – Manifestation de soutien à Elor Azaria, Tel-Aviv, 19 avril 2016

 Depuis un an et demi, des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants palestiniens ont été tués, bien que selon les témoins oculaires et le bon sens, ils auraient pu être maîtrisés alors qu’ils étaient encore en vie. Il s’est avéré que certains n’avaient même pas tenté de commettre une attaque. Des dizaines de soldats, de policiers frontaliers et de gardes de check-points marchent librement parmi nous après avoir tué des Palestiniens qui ne représentaient aucun danger pour leur vie. L’institution de la défense les a décrit comme ayant agi correctement.

La frontière entre l’autodéfense et la vengeance nationaliste a été complètement floutée. C’est dans cette atmosphère qu’Azaria a opéré.

Par conséquent, le message adressé par les juges du tribunal militaire se distingue par sa rareté : Elor Azaria a violé les règles d’engagement, et il a été condamné. Mais le message que l’établissement de défense israélien envoie à ses soldats et policiers est aussi fort et clair : « Prenez garde à ne pas être filmés lorsque vous passez à l’acte. Nous savons comment remettre en cause la valeur des photographies prises par les caméras de sécurité palestiniennes, et nous savons enterrer le témoignage des témoins oculaires palestiniens. Mais nous n’avons toujours pas trouvé de solution face à des séquences vidéo nettes et professionnelles. »


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