dimanche 19 mars 2017

L’antirussisme à la lumière de George Orwell

MAj de la page : Georges Orwell / 1984




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L’antirussisme à la lumière de George Orwell
Par Nicolas Bonnal, le 17 mars 2017 - De Defensa 

Le général de Gaulle disait à Alain Peyrefitte sur cette rivalité russo-américaine qui l’énervait quelque peu : « les deux super-grands s’entendent comme larrons en foire. »

C’est l’historien Charles Beard qui a parlé au moment de la lugubre présidence Truman d’une guerre perpétuelle pour une paix perpétuelle. La guerre perpétuelle est celle que mène à tout moment l’Amérique dans telle ou telle partie du monde. Les Etats-Unis ont mené dans le monde 200 conflits comme l’a montré Oliver Stone dans son angoissant documentaire. Sept conflits ont été menés sous le prix Nobel de la paix Obama qui cherche à retourner au pouvoir ; son successeur intérimaire Donald Trump fait déjà la guerre au Yémen et menace l’Iran. Ensuite on verra. Pour prouver qu’il n’est pas un agent russe, Trump déclarera la guerre à la Russie !

La paix perpétuelle consiste à faire de ce monde libre un monde sûr pour la démocratie - dixit Woodrow Wilson qui laissa bolchévisme et fascisme s’installer en Europe ; ses héritiers ont imposé l’islamisme aux musulmans.

Revenons en 2017, cent ans après l’entrée en guerre des USA le 2 avril 1917.

Le pentagone a eu ses 84 milliards de rallonge et c’est très bien comme ça. On aura peut-être les guerres que désire l’Etat profond US, quoique George Orwell soit d’un autre avis. Car un autre historien, Harry Elmer Barnes, a établi en 1953 un lien entre la politique US (l’Amérique a la rage disait alors Sartre, aujourd’hui tout le monde la célèbre) et 1984.
Le livre de George Orwell redevient un bestseller, il y a de quoi. Souvenez-vous des déclarations hystériques du général Mad Dog Mathis au sénat sur la menace existentielle que font peser la Chine et la Russie sur l’Océanie orwellienne, pardon sur l’Amérique et son chenil européen peu éclairé en ces temps derniers.

Orwell a basé son Océanie sur l’Oceana de John Harrington un écrivain contemporain de Cromwell (il y a Orwell dans Cromwell) et inspiré par le modèle du sanhédrin et de l’oligarchie vénitienne. Orwell voit l’Océanie se heurter à Eurasia (la Russie) et à Estasie, une Asie unifiée par la Chine. Cela donne :

« … à ce moment, on annonça qu’après tout l’Océania n’était pas en guerre contre l’Eurasia. L’Océania était en guerre contre l’Estasia. L’Eurasia était un allié.  Il n’y eut naturellement aucune déclaration d’un changement quelconque. On apprit simplement, partout à la fois, avec une extrême soudaineté, que l’ennemi c’était l’Estasia et non l’Eurasia. »

 Puis Orwell explique qu’on est toujours en guerre, ou en guéguerre (la Chine et la Russie sont pour l’Océanie US ou la France socialiste de plus gros morceaux à avaler que la Libye) contre des rivaux diabolisés par la bureaucratie de la haine.

« Groupés d’une façon ou d’une autre, ces trois super-États sont en guerre d’une façon permanente depuis vingt-cinq ans. La guerre, cependant, n’est plus la lutte désespérée jusqu’à l’anéantissement qu’elle était dans les premières décennies du vingtième siècle. C’est une lutte dont les buts sont limités, entre combattants incapables de se détruire l’un l’autre, qui n’ont pas de raison matérielle de se battre et ne sont divisés par aucune différence idéologique véritable.»



Cette interminable mais parfois léthale phony war sert à maintenir quiète la masse russe ou américaine plutôt pauvre. Voyez ce qui en résulte avec 93 millions d’adultes sans emploi et 50% de la population active à moins de trente mille dollars par an, une misère avec l’exorbitant coût de la vie US.

« Le but primordial de la guerre moderne, ajoute George Orwell dans son long chapitre IX de la deuxième partie, est de consommer entièrement les produits de la machine sans élever le niveau général de la vie. Le problème était de faire tourner les roues de l’industrie sans accroître la richesse réelle du monde. Des marchandises devaient être produites, mais non distribuées. En pratique, le seul moyen d’y arriver était de faire continuellement la guerre (…). L’acte essentiel de la guerre est la destruction, pas nécessairement de vies humaines, mais des produits du travail humain. »

La guerre aussi permet à l’oligarchie de s’enrichir (Silicon Valley, Lockheed, Booz Allen, Boeing, CIA, NSA, Goldman Sachs, Fed, Hollywood, Marvel). Orwell encore :

« En même temps, la conscience d’être en guerre, et par conséquent en danger, fait que la possession de tout le pouvoir par une petite caste semble être la condition naturelle et inévitable de survie. »

La guerre permet surtout de contrôler la population ; voyez Henry IV de Shakespeare et ces querelles à l’étranger (foreign quarrels) pour occuper les esprits agités (to keep busy giddy minds).

Comme vu chez Thucydide, le public se soumet au pouvoir en se soumettant à la guerre :

« Fanatique, crédule, ignorant… En d’autres mots, il est nécessaire qu’il ait la mentalité appropriée à l’état de guerre. Peu importe que la guerre soit réellement déclarée et, puisque aucune victoire décisive n’est possible, peu importe qu’elle soit victorieuse ou non. Tout ce qui est nécessaire, c’est que l’état de guerre existe. »

La folie de Mad Dog Mathis est aussi expliquée par Orwell. On sait dans le Deep State que ni la Russie ni la Chine ne sont dangereuses. On n’en est donc que plus hystérique. Orwell :

« C’est précisément dans le Parti intérieur que l’hystérie de guerre et la haine de l’ennemi sont les plus fortes. Il est souvent nécessaire à un membre du Parti intérieur de savoir qu’un paragraphe ou un autre des nouvelles de la guerre est faux et il lui arrive souvent de savoir que la guerre entière est apocryphe, soit qu’elle n’existe pas, soit que les motifs pour lesquels elle est déclarée soient tout à fait différents de ceux que l’on fait connaître. Mais une telle connaissance est neutralisée par la technique de la doublepensée. »

Mathis doit en rajouter.

Orwell établit :

« Aucun des trois super-États ne tente jamais un mouvement qui impliquerait le risque d’une défaite sérieuse. Quand une opération d’envergure est entreprise, c’est généralement une attaque par surprise contre un allié. »

Orwell rassure sur ces tontons flingueurs. On ne défouraille plus. La guerre ne serait plus dangereuse.

« Tant que les guerres pouvaient se gagner ou se perdre, aucune classe dirigeante ne pouvait être entièrement irresponsable. Mais quand la guerre devient continuelle, elle cesse aussi d’être dangereuse. Il n’y a plus de nécessité militaire quand la guerre est permanente. Le progrès peut s’arrêter et les faits les plus patents peuvent être niés ou négligés. »

Et on jouerait à la guéguerre avec 666 milliards par an alors ? Ces bases militaires sont des parcs d’attraction ? Et Philippe Grasset qui nous parle d’incapacité opérationnelle US systémique !

Par contre Orwell évoque la police de la pensée ; un coup de Decodex ici, un impeachment pour le candidat sibérien là, une omniprésence des bandeaux info dictés par la CIA partout.

« L’efficience, même l’efficience militaire, n’est plus nécessaire. En Océanie, sauf la Police de la Pensée, rien n’est efficient. »

L’inefficacité militaire US fut évoquée ici : on ne voit pas les USA et la valetaille croisée défier de vraies puissances. Orwell :

« La guerre donc, si nous la jugeons sur le modèle des guerres antérieures, est une simple imposture. Elle ressemble aux batailles entre certains ruminants dont les cornes sont plantées à un angle tel qu’ils sont incapables de se blesser l’un l’autre. Mais, bien qu’irréelle, elle n’est pas sans signification. Elle dévore le surplus des produits de consommation et elle aide à préserver l’atmosphère mentale spéciale dont a besoin une société hiérarchisée. »

L’antirussisme a un seul but clair : le renforcement de cette oligarchie et de son emprise sur son monde.

Sources

Guerre du Péloponnèse, I

1984, deuxième partie, chapitre IX

Perpetual war for perpetual peace; the costs of war (Mises.org)

Harrington, Oceana (Gutenberg.org)

Peyrefitte – c’était de Gaulle

Shakespeare, Henry IV, part 2, act 4, sc. 5

Therefore, my Harry,

Be it thy course to busy giddy minds

With foreign quarrels, that action, hence borne out,

May waste the memory of the former days

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