jeudi 16 mars 2017

Singularité et transhumanité, ces fables de l’intelligence artificielle

MAJ de la page : Transhumanisme

Jean-Gabriel Ganascia , Le mythe de la Singularité - Faut-il craindre l'intelligence artificielle ? Ed. du Seuil, 2017
L'intelligence artificielle va-t-elle bientôt dépasser celle des humains ? Ce moment critique, baptisé " Singularité technologique ", fait partie des nouveaux buzzwords de la futurologie contemporaine et son imminence est proclamée à grand renfort d'annonces mirobolantes par des technogourous comme Ray Kurzweil (chef de projet chez Google !) ou Nick Bostrom (de la vénérable université d'Oxford). Certains scientifiques et entrepreneurs, non des moindres, tels Stephen Hawking ou Bill Gates, partagent ces perspectives et s'en inquiètent.
Menace sur l'humanité et/ou promesse d'une transhumanité, ce nouveau millénarisme est appelé à se développer. Nos machines vont-elles devenir plus intelligentes et plus puissantes que nous ? Notre avenir est-il celui d'une cybersociété où l'humanité serait marginalisée ? Ou accéderons-nous à une forme d'immortalité en téléchargeant nos esprits sur les ordinateurs de demain ?
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Singularité et transhumanité, ces fables de l’intelligence artificielle
Par Marc Hunyadi, le 10 mars 2017 - Le Temps


Face à la possibilité de voir une intelligence artificielle rendre l'homme obsolète, Jean-Gabriel Ganascia, auteur de «L’Ame machine», appelle les enthousiastes du transhumanisme à plus de sobriété

Qu’est-ce que la «singularité»? C’est le nouveau mot à la mode qui désigne ce moment, qui se rapproche à grands pas nous dit-on, où les machines prendront le pouvoir sur l’homme. Dans un essai stimulant, Jean-Gabriel Ganascia répond aux transhumanistes, et plus particulièrement aux tenants de la «singularité technologique», Ray Kurzweil en tête, ingénieur en chef de Google et militant transhumaniste.

Cette «singularité», Kurzweil l’avait d’abord situé en 2031, puis en 2045, et les scénarios continuent de diverger selon les auteurs. Peu importe: ce qui compte, c’est que l’avènement de la Singularité n’est pas affirmé comme une probabilité, mais comme une prédiction: le moment arrivera inéluctablement où l’intelligence artificielle couplée aux nouvelles technologies rendra l’homme d’aujourd’hui anecdotique, inutile, superflu, dépassé. S’ouvrira alors l’âge de la transhumanité, ou de «humanity +».


Obsolescence programmée

Le discours transhumaniste et celui de la singularité s’infiltrent peu à peu dans notre quotidien, à travers les médias, la littérature, les Universités, les colloques et surtout par la force de frappe des géants du numérique. Ce qui est suspect, c’est que ce discours péremptoire sur l’avenir de l’humanité est tenu par des personnes qui n’ont de l’humain qu’une vue partielle: des physiciens, des mathématiciens ou des ingénieurs reconvertis dans l’industrie des nouvelles technologies.

C’est à partir de ce point de vue étroit qu’ils élaborent des prédictions sur le futur de la nature humaine elle-même. Quelle est la validité scientifique de ces discours prophétiques, qui tous prédisent l’obsolescence programmée de l’homme?

Croissance exponentielle

C’est à cette question que se propose de répondre Jean-Gabriel Ganascia dans son livre Le Mythe de la singularité. Il le fait en scientifique prenant à la lettre le discours scientifique des tenants de la singularité. De quoi s’autorisent ses partisans pour nous promettre demain l’immortalité par régénération du corps et téléchargement de nos consciences sur ordinateur ?

Lire aussi : Les transhumanistes en quête de pouvoir politique

Par exemple, de la Loi de Moore, selon laquelle le progrès technologique suit inévitablement une croissance exponentielle (capacité de stockage de l’information, rapidité de calcul, etc.). Mais Ganascia n’a aucune peine à montrer, en analysant en quelques pages le statut épistémologique de cette loi qui est une simple loi d’observation, que rien ne permet de garantir sa validité future.

Mécanismes

Quant à l’intelligence artificielle dont Ganascia est un spécialiste et dont il ne nie évidemment pas les performances retentissantes, là aussi il en appelle à plus de sobriété. Si l’on essaye bien de simuler l’intelligence humaine au moyen de plusieurs modèles d’algorithmes dits «d’apprentissage», il n’en reste pas moins que ces machines ne sont pas capables d’autonomie au sens humain du terme, notamment parce que «les machines ne modifient pas d’elles-mêmes le langage dans lequel s’expriment les observations qui alimentent leurs mécanismes d’apprentissage et les connaissances qu’elles construisent».

Au total, «rien dans l’état actuel des techniques d’intelligence artificielle n’autorise à affirmer que les ordinateurs seront bientôt en mesure de se perfectionner indéfiniment sans le concours des hommes, jusqu’à s’emballer, nous dépasser et acquérir leur autonomie».

Brisure du temps

Quittant le terrain strictement scientifique de l’administration des raisons et des preuves, Ganascia se risque aussi à interpréter le discours de la singularité à la lumière de l’histoire des idées et des religions, y décelant une analogie avec la gnose, ces mouvements religieux moyen-orientaux issus de et contre les religions monothéistes. Analogie notamment quant à la représentation du temps: «La Singularité technologique renvoie à une brisure du temps à l’issue de laquelle le futur n’appartiendrait plus à l’homme».

Mais par quelque bout qu’il aborde le phénomène, le ton de la conclusion reste le même: «Les pronostics des tenants de la singularité technologique ne se fondent pas sur des démonstrations étayées. Le grand public est abusé par la notoriété de ses partisans, qu’il s’agisse de scientifiques comme Stephen Hawking, ou de grands patrons de l’industrie comme Elon Musk».

Lire aussi : Luc Ferry, le transhumanisme et le fait social total

Le grand mérite de ce petit livre est d’attirer l’attention sur les fables que suscitent l’intelligence artificielle. Un tableau véritablement complet devrait aussi s’interroger sur les raisons qui rendent crédules. On verrait alors que ce qui menace, ce n’est peut-être pas la Singularité, si peu rationnelle, mais l’homme lui-même, si prompt à l’irrationalité.

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