lundi 17 avril 2017

L’Amérique de Trump et le Nouvel Ordre Mondial

MAJ de la page : Noam Chomsky / Donald Trump 

L’Amérique de Trump et le Nouvel Ordre Mondial : conversation avec Noam Chomsky
Par C.J. Polychroniou, le 6 janvier 2017 - Truthout / Les Crises (trad.)

(Image: Jared Rodriguez / Truthout)

En introduction à cette interview, lire la conversation d’hier avec Noam Chomsky : “Trump & la Nature Défectueuse de la démocratie étasunienne” qui présente les failles du système politique ayant permis l’accession de Trump au pouvoir.

Les nominations de Trump pour son cabinet ainsi qu’à d’autres postes clés de l’administration sont-elles caractéristiques d’un homme prêt à “faire le ménage” ? Le Président-élu est-il déterminé à pousser la Chine sur la défensive ? Qu’a-t-il en tête au sujet du Moyen-Orient ? Et pourquoi Barack Obama a-t-il choisi à cette croisée des chemins — i.e. à la fin de sa présidence — de faire s’abstenir les États-Unis lors du vote de la résolution des Nations Unies condamnant les colonies israéliennes ? De nouveaux courants et tendances sont-ils en train d’émerger dans la communauté internationale ? Dans cette interview exclusive pour Truthout, Noam Chomsky répond à ces questions essentielles deux semaines à peine avant que la Maison-Blanche change de mains.

C.J. Polychroniou: Noam, le cabinet du Président-élu se remplit de magnats de la finance et des affaires, ainsi que de dirigeants militaires. De tels choix tranchent avec le Trump d’avant l’élection qui promettait de “faire le ménage”, que doit-on donc attendre de cet homme, qui s’est jusqu’à présent montré comme un mégalomane faux et populiste, en ce qui concerne les élites de Washington ?

Noam Chomsky: À ce sujet — relevez la nuance, Time magazine a plutôt bien résumé la situation (dans une tribune de Joe Klein du 26 décembre) : “Bien que cela ait pu refroidir certains de ses partisans, la décision de Trump d’adopter ceux qui ont pataugé dans la boue de Washington a répandu un certain soulagement dans la classe politique de la capitale. ‘Cela montre,’ dit un conseiller du parti Républicain proche des manœuvres de passation du Président-élu, ‘qu’il va gouverner comme n’importe quel Républicain.'”

Il y a sans doute du vrai là-dedans. Les investisseurs et le monde des affaires y croient en tout cas. La bourse a grimpé en flèche juste après l’élection, menée par les mêmes entreprises financières que Trump a dénoncées lors de sa campagne, notamment le premier diable de sa rhétorique : Goldman Sachs. D’après Bloomberg News, “La flambée de leur cours,” en hausse de 30% lors du mois qui a suivi l’élection, “a été le facteur principal de l’ascension du Dow Jones Industrial Average vers les 20 000 points.” Les performances hors du commun de Goldman Sachs tiennent largement du besoin pour Trump que ce démon fasse fonctionner l’économie, étayées par les promesses de baisse des régulations, ce qui dresse le tableau de la prochaine crise financière (et le subséquent renflouement par le contribuable). D’autres grands gagnants sont les fournisseurs d’énergie, les assurances santé, et les entreprises de BTP, qui escomptent tous de juteux profits à la suite des programmes annoncés par l’administration. Parmi ceux-ci figurent : un plan fiscal à la Paul Ryan de baisse des taxes pour les riches et les entreprises ; une augmentation des dépenses militaires ; tourner davantage le système de santé vers les compagnies d’assurances, avec des conséquences prédictibles, un crédit d’impôt pour une forme privée de développement des infrastructures, et autres cadeaux à la richesse et aux privilèges d’un “Républicain normal” financés sur les deniers du contribuable. L’économiste Larry Summers décrit ce plan fiscal de façon probante comme “les pires changements dans la taxation dans l’histoire des États-Unis, qui vont favoriser de façon massive les 1% des revenus les plus élevés, risquer une explosion de la dette fédérale et compliquer le code fiscal sans faire grand-chose pour relancer la croissance.”

Mais de bonnes nouvelles pour tous ceux qui comptent.

On trouve pourtant des perdants dans le corporate system. Depuis le 8 novembre, les ventes d’armes qui avaient plus que doublé sous Obama sont à présent en train de plonger, peut-être à cause de la diminution de la crainte que le gouvernement ne vienne saisir fusils d’assaut et autres armes dont nous avons besoin pour nous protéger des fédéraux. Les ventes sont montées au courant de l’année pendant que les sondages montraient Clinton en tête, pourtant, après l’élection, le Financial Times rapportait que “les actions de fabricants d’armes à feu comme Smith & Wesson ou Sturm Ruger ont piqué.” À la mi-décembre, “les deux firmes ont perdu respectivement 24% et 17% de leur valeur depuis l’élection.” Mais tout n’est pas perdu pour l’industrie. Un porte-parole nous explique : “Pour donner un ordre de grandeur, les ventes d’armes au consommateur étasunien dépassent celles de ceux du reste du monde. C’est un marché plutôt important.”

Les Républicains normaux applaudissent le choix de Trump pour l’Office of Management and Budget, Mick Mulvaney, l’un des faucons budgétaire les plus extrêmes, mais un problème se pose. Comment un tel faucon gère-t-il un budget conçu pour augmenter le déficit ? Dans un monde post-vérité, peut-être que cela importe peu.

Également applaudi dans les rangs des “Républicains normaux”, le choix de l’anti-travailliste radical Andy Puzder comme secrétaire d’État au travail, bien qu’ici aussi on puisse deviner une contradiction. En tant qu’ultra-riche DG d’une chaîne de restaurants, il a besoin de la main-d’œuvre non-syndiquée la plus facile à exploiter pour faire le sale boulot, typiquement des immigrés, ce qui se marie assez mal avec les projets de les déporter en masse. On retrouve ce problème pour les programmes d’infrastructure : les compagnies privées censées profiter de ces initiatives dépendent beaucoup de ces mêmes travailleurs, mais peut-être que l’on pourra arranger ça en transformant le “magnifique mur” pour qu’il ne filtre que les musulmans.

Cela veut-il dire que Trump sera un Républicain “normal” en tant que quarante-cinquième Président des États-Unis ?

Par des points comme ceux mentionnés ci-dessus, Trump a rapidement prouvé qu’il était un Républicain normal, et même un extrémiste. Mais par d’autres aspects il n’est peut-être pas un Républicain normal, si on entend par là un Républicain de l’establishment mainstream, comme Mitt Romney, que Trump s’est attaché à humilier dans le style qui est le sien, comme il l’a fait de McCain et d’autres de cette catégorie. Mais ce n’est pas seulement son style qui offense et alarme. Ses actions aussi.

Prenez simplement les deux problèmes majeurs de notre époque, les deux plus importants que les humains n’aient jamais eu à affronter lors de leur brève présence sur terre. Des problèmes qui mettent en jeu la survie de l’espèce : la guerre nucléaire et le réchauffement climatique. De nombreux “Républicains normaux” ont eu des frissons, comme les autres qui se soucient de l’avenir de l’espèce, quand Trump a posté sur Twitter que “Les États-Unis doivent largement renforcer et étendre leurs capacités nucléaires, jusqu’à ce que le monde devienne raisonnable au sujet des bombes.” Augmenter les capacités nucléaires revient à faire partir en fumée les traités ayant réduit de manière significative les arsenaux nucléaires, et que les analystes sensés espèrent voir réduire davantage, jusqu’au désarmement complet en fait, comme défendu par des Républicains normaux comme Henry Kissinger et le Secrétaire d’État de Reagan George Shultz, et par Reagan lui-même par moments. L’inquiétude ne s’est pas dissipée quand Trump a raconté à l’animateur de l’émission Morning Joe : “Une course à l’armement, qu’il en soit ainsi. On les surpassera à chaque tournant.” Et ce n’était pas plus rassurant quand son équipe à la Maison-Blanche a essayé d’expliquer que “Le Donald” n’avait pas dit ce qu’il a dit.

Pas plus que l’on serait rassuré si Trump avait possiblement réagi à l’annonce de Poutine : “Nous devons renforcer le potentiel militaire des forces nucléaires stratégiques, en particulier avec des installations de missiles qui peuvent pénétrer efficacement les installations de défense existantes et à venir. Nous devons faire particulièrement attention à tout changement dans l’équilibre des pouvoirs et dans la situation politico-militaire dans le monde, notamment aux frontières russes, et rapidement adapter nos plans pour neutraliser toute menace envers notre pays.”

Quoi qu’on pense de ces déclarations, elles sont proférées sur un ton défensif, et comme Poutine l’a rappelé, en grande partie en réaction à la très provocante installation d’un système de défense missile à la frontière russe sous prétexte de parade aux armes inexistantes de l’Iran. Le tweet de Trump alimente les inquiétudes sur ses réactions lorsqu’on s’oppose à lui, par exemple face à un adversaire refusant de céder à ses capacités de négociation qui l’enorgueillissent. Si le passé n’est d’aucun éclairage, il pourrait tout de même se trouver dans une situation où il devrait décider en quelques minutes s’il doit faire exploser la planète.

L’autre point crucial est la catastrophe environnementale. Il faut souligner que Trump a gagné deux victoires le 8 novembre : la moins importante a été son élection, et la plus importante a été à Marrakech, où 200 pays essayaient de formaliser les promesses des négociations de Paris sur le climat. Le jour de l’élection, l’organisation météorologique mondiale a fait un rapport effrayant sur l’avenir de l’anthropocène. Quand les résultats de l’élection ont été connus, les participants, sonnés, ont virtuellement abandonné tout le processus, doutant que quoi que ce soit puisse survivre au retrait du pays le plus puissant de l’histoire du monde. On ne peut être qu’abasourdis devant ce spectacle du monde tournant ses espoirs vers la Chine, tandis que le dirigeant du monde libre demeure isolé comme un démolisseur.

Bien que la plupart aient ignoré (de façon surprenante) ces évènements ahurissants, les cercles dirigeants ont apporté quelques réponses. Dans Foreign Affairs, Varun Sivaram et Sagatom Saha ont prévenu des coûts qu’aurait pour les États-Unis de “céder le leadership sur le climat aux Chinois,” et des dangers pour le monde car la Chine “prendrait la barre sur les problèmes climatiques seulement si ce faisant elle pourrait faire avancer ses intérêts nationaux.” À la différence des États-Unis, qui paraît-il travaillent avec abnégation pour le seul bien de l’humanité.

L’étendue des tendances de Trump à conduire le monde vers le précipice a été révélée par ses nominations, parmi lesquelles son choix de deux négationnistes du changement climatique, Myron Ebell et Scott Pruit, pour mener le démantèlement de l’Agence de Protection de l’Environnement, créée sous Richard Nixon, ainsi que d’un autre négationniste à la tête du ministère de l’intérieur.

Mais ce n’est que le commencement. Ces nominations seraient comiques si les implications n’étaient pas aussi graves. Au ministère de l’énergie, un homme qui a dit que celui-ci devrait être dissous (quand il parvenait à se souvenir du nom) et qui n’est peut-être pas au courant que sa préoccupation principale sont les armes atomiques. Au ministère de l’éducation, une autre milliardaire, Betsy DeVos, qui est décidée à affaiblir et peut-être éliminer complètement les écoles publiques, et qui, comme Lawrence Krause nous le rappelle dans le New Yorker, est une fondamentaliste chrétienne, membre d’un groupe protestant qui soutient que “toutes les théories scientifiques devraient être soumises à la Bible” et que “l’humanité a été créée à l’image de Dieu ; toutes les théories qui minimisent ce fait et toutes les théories de l’évolution qui nient l’activité créatrice de Dieu doivent être rejetées.” Peut-être que ce ministère devrait demander un financement de la part des sponsors saoudiens des madrassas Wahhabites pour mener à bien leurs réformes.

La nomination de DeVos est sans aucun doute un cadeau aux évangélistes qui se sont ralliés en masse à Trump et qui constituent aujourd’hui une base importante du parti républicain. Elle devrait pouvoir travailler amicalement avec le futur vice-président Mike Pence, un des “valeureux guerriers d’une cabale de fanatiques violents qui désirent ardemment une théocratie chrétienne,” comme nous le rapporte Jeremy Scahill dans The Intercept, passant au crible ses faits d’armes des plus choquants sur d’autres sujets.

Et cela continue encore et encore. Mais ne vous inquiétez pas. Comme James Madison l’assurait à ses confrères alors qu’ils étaient en train de créer la constitution, une République Nationale serait capable “d’extraire de la masse de la société les caractères les plus nobles et les plus purs.”

Que penser du choix de Rex Tillerson comme Secrétaire d’État ?

Une exception partielle à tout ce qui a été dit ci-dessus est le choix du PDG d’ExxonMobil Rex Tillerson comme Secrétaire d’État, choix qui a fait naître un peu d’espoir parmi ceux qui sont à juste titre inquiets des tensions grandissantes et extrêmement dangereuses avec la Russie. Tillerson, comme Trump dans certains de ses discours, a appelé à la diplomatie plutôt qu’à la confrontation, ce qui ne peut être qu’un bien – jusqu’à ce qu’on se rappelle que la pluie précède le beau temps. L’objectif est de permettre à ExxonMobil d’exploiter les vastes champs de pétrole de Sibérie, et d’accélérer ainsi la course vers le désastre à laquelle se dévouent Trump et ses associés, ainsi que le parti républicain en général.

Et l’équipe de sécurité nationale de Trump ? Sont-ils du genre des Républicains “normaux” ou font-ils aussi partie de l’extrême droite ?

Les républicains normaux pourraient se sentir ambivalents par rapport à l’équipe de sécurité nationale de Trump. Elle est menée par le conseiller à la sécurité nationale, le général Michael Flynn, un islamophobe radical qui considère que l’Islam n’est pas une religion mais une idéologie politique, comme le fascisme, qui est en guerre contre nous, et que nous devons nous défendre, en allant probablement contre l’ensemble du monde musulman — une recette parfaite pour générer des terroristes, sans parler des conséquences bien plus graves. Comme la Menace Rouge des années précédentes, l’idéologie islamique pénètre profondément la société étasunienne déclare Flynn. Ils sont, dit-il, aidés par les Démocrates, qui ont voté pour imposer la Charia en Floride, tout comme leurs prédécesseurs servaient les cocos, comme Joe McCarthy l’a brillamment démontré. En effet, on trouve “plus d’une centaine de cas à travers le pays,” y compris au Texas, a averti Flynn lors d’un discours à San Antonio. Pour contrer ce péril imminent, Flynn fait partie du conseil de ACT! [“Agit!”, organisation politique se voulant “la NRA de la sécurité intérieure”, en référence aux très actifs défenseurs du port d’armes, NdT] qui fait passer des lois au niveau des états pour interdire la Charia, qui est une menace imminente pour des états comme l’Oklahoma, où 70% des suffrages ont approuvé d’interdire aux juges d’appliquer cette sombre menace au système judiciaire.

Juste derrière Flynn dans l’appareil de sécurité nationale, secrétaire de la défense, le général James “Mad Dog” Mattis, considéré comme plutôt modéré. Mad Dog [chien enragé, NdT] a expliqué que “c’est marrant de buter des gens.” Il a conquis sa notoriété en menant l’assaut sur Fallujah en novembre 2004, l’un des pires crimes de l’invasion de l’Irak. Un homme “très bien” d’après le président-élu : “ce qu’on a de plus proche du général George Patton.”

À votre avis, Trump est-il fixé sur une confrontation avec la Chine ?

C’est difficile à dire. De nombreuses inquiétudes ont été exprimées concernant l’attitude de Trump vis-à-vis de la Chine, attitude très contradictoire une fois de plus, en particulier au sujet de ses déclarations sur le commerce, qui n’ont pratiquement aucun sens dans le système mondialisé actuel avec ses chaînes d’approvisionnement internationales. Eyebrows were raised over his sharp departure from long-standing policy in his phone call with Taiwan’s president, but even more by his implying that the US might reject China’s concerns over Taiwan unless China accepts his trade proposals, thus linking trade policy “to an issue of great-power politics over which China may be willing to go to war,” the business press warned.

Qu’en est-il de l’opinion et de la position de Trump sur le Moyen-Orient ? Elles semblent être en accord avec celle des Républicain “normaux”, non ?

Contrairement à ce qui s’est passé avec la Chine, les Républicains normaux n’ont pas semblé consternés par l’incursion de Trump par tweet dans le diplomatie au Moyen-Orient, rompant une fois encore avec le protocole standard, dans lequel il exigeait qu’Obama oppose son veto à la résolution 2334 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, qui réaffirmait “que la politique et les pratiques d’Israël d’établir des colonies dans les territoires palestiniens et arabes occupés depuis 1967 n’ont aucune valeur légale et constituent un sérieux obstacle à l’établissement d’une paix complète, juste et durable au Moyen Orient [et] appelle encore une fois Israël, en tant que force d’occupation, à appliquer scrupuleusement la quatrième convention de Genève de 1949, à annuler ses mesures précédentes et à renoncer à entreprendre une quelconque action qui mènerait à changer le statut légal et la nature géographique ainsi qu’à affecter la composition démographique des territoires occupés depuis 1967, y compris Jérusalem, et, en particulier à ne pas transférer des parties de sa population civile dans les territoires arabes occupés.”

Ils n’ont pas non plus fait d’objections quand il a informé Israël qu’elle pouvait ignorer l’administration impuissante et attendre le 20 janvier, quand tout sera en ordre. Quel genre d’ordre ? Cela reste à voir. L’imprévisibilité de Trump demande de la prudence.

Ce que nous savons jusqu’ici est l’enthousiasme de Trump pour l’ultra-droite religieuse en Israël et le mouvement de colonisation en général. Parmi ses contributions caritatives les plus importantes il y a des dons à la colonie de la côte ouest de Beth EI en l’honneur de David Friedman, son choix comme ambassadeur en Israël. Friedman est président des Amis Américains des Institutions de Beth EI. La colonie, qui est à l’extrême droite ultranationaliste religieuse du mouvement pour la colonisation, est également une favorite de la famille de Jared Kushner, le gendre du Trump, signalé comme l’un des conseillers les plus proches de Trump. Un bénéficiaire important des contributions de la famille Kushner, selon la presse israélienne, est une yeshiva [centre d’étude de la Torah, NdT] dirigée par un rabbin militant qui a exhorté les soldats israéliens à désobéir aux ordres d’évacuation des colonies et qui a soutenu que les tendances homosexuelles viennent de l’absorption de certains aliments. “D’autres bénéficiaires incluent” une yeshiva radicale à Yitzhar qui a servi de base pour des attaques violentes contre des villages palestiniens et les forces de sécurité israéliennes.

Isolé du reste du monde, Friedman ne considère pas l’activité de colonisation comme illégale et s’oppose à l’interdiction pour des colons juifs sur la Cisjordanie et à Jérusalem-Est. En fait, il semble être en faveur d’une annexion par Israël de la Cisjordanie. Cela ne poserait pas de problème pour l’État juif, explique Friedman, puisque le nombre de Palestiniens habitant la Cisjordanie est exagéré et donc il resterait une large majorité juive après l’annexion. Dans un monde post-factuel, de telles déclarations sont légitimes, bien qu’elles puissent devenir exactes dans le monde ennuyeux des faits après une autre expulsion de masse. Les juifs qui soutiennent le consensus international d’un accord pour deux états n’ont pas seulement tort, dit Friedman, ils sont “pires que des kapos,” les juifs qui contrôlaient les autres prisonniers au service de leurs maître nazis dans les camps de concentration – l’insulte ultime.

A l’annonce de sa nomination, Friedman a dit qu’il avait hâte de déménager l’ambassade des États-Unis “dans la capitale éternelle d’Israël, Jérusalem,” en accord avec les projets annoncés de Trump. Dans le passé, de telles propositions ont été retirées, mais aujourd’hui elles pourraient être réellement appliquées, avançant peut-être les perspectives d’une guerre avec le monde musulman, comme le conseiller de Trump à la Sécurité Nationale semble le recommander.

Pour en revenir à la résolution 2334 du Conseil de Sécurité de l’ONU et ses conséquences intéressantes, il est important de reconnaître que cette résolution n’a rien de nouveau. La citation donnée plus haut ne provenait pas de la résolution 2334 mais de la résolution 446, votée le 12 mars 1979, et réitérée substantiellement dans la résolution 2334.

La résolution n°446 est passée avec 12 voix pour et 0 contre avec l’abstention des USA rejoints par le Royaume-Uni et la Norvège. Plusieurs résolutions suivirent, réaffirmant la résolution 446. Une résolution d’un intérêt spécifique est allé plus loin que les 446 et 2334 appelant Israël à démanteler les colonies existantes (la résolution 465 votée en mars 1980). Cette résolution fut adoptée à l’unanimité sans abstention.

Le gouvernement israélien n’a pas besoin du Conseil de Sécurité de l’ONU (ou la Cour pénale internationale) pour apprendre que ces installations violent allègrement le droit international. En septembre 1967, quelques semaines à peine après la conquête israélienne des territoires occupés, le gouvernement israélien fut informé par un document secret émanant du conseiller juridique du Ministre des Affaires Étrangères – le célèbre juriste international Theodor Meron – que “les installations de colons dans les “territoires administrés” (l’expression israélienne pour les “territoires occupés”) contreviennent à des dispositions claires de la 4ème Convention de Genève.” Meron expliqua de plus que l’interdiction de déplacements de colons en territoires occupés est catégorique et ne peux souffrir d’exceptions fondées sur des motivations ou des objectifs spécifiques. Cette interdiction vise à empêcher l’installation de colons en provenant de l’État occupant sur les territoires occupés. Meron conseilla alors que “s’il était décidé d’aller plus avant dans l’installation de colons juifs dans les “territoires administrés”, il semblait vital que ces installations soient réalisées sous contrôle militaire et non par des entités civiles. Il est aussi important, de mon point de vue, que ces installations soient de type campement et – en façade tout du moins – aient l’air temporaires et non permanentes.”

Le gouvernement israélien suivit les conseils de Meron. Les colonies sont souvent déguisées en campements militaires temporaires pour devenir ensuite des installations civiles. Le dispositif d’un campement militaire a également l’avantage de fournir les moyens d’expulser les Palestiniens de leurs terres sous le prétexte qu’une zone militaire est en cours d’établissement. La tromperie fut scrupuleusement planifiée, commençant dès que le rapport autoritaire de Meron fut communiqué au gouvernement. Comme il fut documenté par l’universitaire Avi Raz, en septembre 1967, le jour où une deuxième colonie s’établit en Cisjordanie, le gouvernement décida que, “Comme une « couverture » aux fins de la campagne diplomatique [israélienne],” les nouvelles colonies devraient être présentées comme des installations militaires et que les colons devaient recevoir les instructions nécessaires au cas où ils seraient interrogés au sujet de la nature de leurs installations. Le ministère des affaires étrangères indiqua aux missions diplomatiques d’Israël de présenter les colonies dans les territoires occupés comme étant des “points fortifiés” militaires et d’exagérer leur prétendue importance sécuritaire.

Des pratiques similaires se perpétuent jusqu’à aujourd’hui.

En réponse aux consignes de 1979-80 du Conseil de Sécurité de démanteler les colonies existantes et de ne pas en établir d’autres, Israël entrepris une rapide expansion des colonies avec la coopération des deux principaux blocs politiques israéliens, les Travaillistes et le Likoud, toujours avec le soutien matériel prodigue des USA.

Les principales différences aujourd’hui sont que maintenant les USA sont seuls contre le monde entier, et que c’est un monde différent. Les violations flagrantes d’Israël aux consignes du Conseil de Sécurité et aux lois internationales sont maintenant bien plus extrêmes qu’elles ne l’étaient il y a 35 ans, et suscitent une condamnation beaucoup plus grande dans une grande partie du monde. Le contenu des résolutions 446-2334 est par conséquent pris plus au sérieux. D’où les réactions révélatrices à la résolution 2334 et aux explications du Secrétaire d’État John Kerry au sujet du vote américain.

Dans le monde arabe, les réactions semblent avoir été muselées : nous étions là avant. En Europe ils ont été généralement favorables. Aux USA et en Israël, par contraste, la couverture et les commentaires furent abondants, et il y eut une hystérie considérable. Ce sont des indications de l’isolement croissant des USA sur la scène internationale. Sous Obama, ça l’était déjà. Sous Trump, l’isolement va probablement augmenter et, de fait, l’a déjà fait, avant même qu’il ait pris ses fonctions, comme nous l’avons vu.

Pourquoi Obama a-t-il choisi l’abstention au vote des Nations Unies au sujet des colonies israéliennes dans cette conjecture, c’est-à-dire environ un mois avant la fin de sa présidence ?

Pourquoi Obama a choisi l’abstention plutôt que le véto est une question ouverte ; nous n’avons aucune preuve formelle. Mais il y a plusieurs suppositions plausibles. Il y eu plusieurs frémissements de surprise (et de ridicule) après le véto d’Obama en février 2011 d’une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies appelant à l’implémentation de la politique officielle des États-Unis, et il a peut-être senti que ce serait de trop de répéter cela s’il voulait sauver quelque chose de son héritage en lambeaux auprès des parties de la population qui se soucient des lois internationales et des droits de l’homme. Cela vaut la peine de se rappeler que, parmi les Démocrates libéraux, si ce n’est au Congrès, et en particulier chez les jeunes, les opinions au sujet du conflit israélo-palestinien ont évolué vers une critique de la politique israélienne ces dernières années, au point que 60 pour cent des Démocrates “soutiennent l’imposition de sanctions ou de plus sérieuses rétorsions” en réaction aux colonies israéliennes, selon un sondage de décembre 2016 de l’institut Brookings. Aujourd’hui, le noyau du soutien à la politique israélienne aux USA a migré à l’extrême-droite, en incluant la base évangélique du parti Républicain. Peut-être ce sont les facteurs qui ont influencés la décision d’Obama, son héritage en tête.

L’abstention de 2016 a éveillé la colère en Israël et aussi bien au Congrès US, à la fois au sein des Républicains et des leaders Démocrates, incluant des propositions de couper les fonds aux Nations Unies en représailles pour le crime mondial. Le premier ministre israélien Netanyahou a dénoncé Obama pour ses actions “sournoises, anti-Israël”. Son bureau a accusé Obama de “collusion” en coulisses avec cette “association de malfaiteurs” du Conseil de Sécurité, produisant de piètres éléments de preuves qui atteignent à peine le niveau d’un humour malade. Un officiel important d’Israël a ajouté que cette abstention “révélait le vrai visage de l’administration Obama,” ajoutant que “maintenant nous pouvons voir à quoi nous avons eu affaire pendant les huit dernières années.”

La réalité est sensiblement différente. Obama a, de fait, battu tous les records en terme de soutien à Israël, à la fois diplomatiquement et financièrement. La réalité est décrite précisément par le spécialiste du Moyen-Orient David Gardner du Financial Times : “Les relations personnelles de M. Obama avec M. Netanyahou ont pu être souvent empoisonnées, mais il a été le plus pro-Israël des présidents : le plus généreux en termes d’aide militaire et le plus fiable pour brandir le véto américain au Conseil de Sécurité … L’élection de Donald Trump a pour l’instant amené à peine plus que des tweets en mode “turbo-moussés” pour soutenir cela ainsi que d’autres questions géopolitiques. Mais les présages sont sinistres. Un gouvernement irrédentiste israélien basculant vers l’extrême-droite est maintenant rejoint avec une administration nationaliste et populiste à Washington soufflant sur les braises de l’Islamophobie.”

L’opinion publique au sujet de la décision d’Obama et des justifications de Kerry a été divisée. Leurs soutiens sont généralement en accord avec Thomas Friedman sur le fait que “Israël est maintenant clairement sur la voie d’absorber les 2,8 millions de Palestiniens de la Cisjordanie … avec pour conséquence un défi démographique et démocratique.” Dans un examen du New York Times de la situation de la solution à deux États défendue par Obama et Kerry et menacée d’extinction de par la politique d’Israël, Max Fisher demande, “Y a-t-il d’autres solutions ?” Il se tourne alors vers les alternatives possibles, chacune d’entre elles étant “une variante de la ainsi-nommée solution à un seul état” qui pose “un défi démographique et démocratique” : trop d’Arabes (peut-être bientôt une majorité) dans un “état juif et démocratique.”

De manière conventionnelle, les commentateurs présument qu’il y a deux alternatives : la solution à deux États défendue par le monde, ou une version de la solution à un seul état. Il existe une troisième alternative régulièrement ignorée, celle qu’Israël a implémentée quasiment systématiquement depuis peu après le conflit de 1967 et qui maintenant prend clairement forme sous nos yeux : un Grand Israël, tôt ou tard intégré à Israël proprement dit, incluant un Jérusalem largement étendu (déjà annexé en violation des consignes du Conseil de Sécurité) et tout autre territoire qu’Israël estimera de valeur, tout en excluant les zones ayant une importante concentration de population palestinienne, et en chassant lentement les Palestiniens des aires vouées à l’intégration au Grand Israël. Comme dans les néo-colonies en général, les élites palestiniennes pourront profiter des standards occidentaux à Ramallah, avec “90 pour cent de la population de la Cisjordanie vivant dans 165 ‘îlots’ séparés, apparemment sous le contrôle de l'[autorité palestinienne]” mais en réalité sous contrôle israélien, comme le rapporte Nathan Thrall, analyste senior de l’International Crisis Group. Gaza sera maintenue dans un état de siège écrasant, séparée de la Cisjordanie en violation des accords d’Oslo.

La troisième alternative est un autre élément de la “réalité” décrite par David Gardner.

Dans un commentaire intéressant et révélateur, Netanyahu a dénoncé l'”association de malfaiteurs” du monde comme une preuve du “travers du vieux monde envers Israël,” une phrase rappelant la distinction que faisait Donald Rumsfeld en 2003 entre la vieille Europe et la nouvelle Europe.

Il sera rappelé que les États de la vieille Europe furent les méchants, les États majeurs d’Europe, qui osèrent respecter l’opinion de la majorité écrasante de leurs populations et donc refusèrent de rejoindre les USA pour le crime du siècle, l’invasion de l’Irak. Les États de la nouvelle Europe étaient les bons, qui rejetèrent l’opinion d’une majorité encore large et obéirent à leur maître. Le plus honorable des bons garçons fut l’espagnol José Maria Aznar, qui rejeta une opposition pratiquement unanime en Espagne à la guerre et fut récompensé en étant invité à rejoindre Bush et Blair pour annoncer l’invasion.

Ce tableau lumineux d’un mépris total de la démocratie, ainsi que d’autres du même acabit au même moment, est passé pratiquement inaperçu, de façon tout à fait compréhensible. La tâche à l’époque était d’adresser des louanges à Washington pour son dévouement passionné à la démocratie, comme l’illustre la “promotion de la démocratie” en Irak, qui devint brusquement la ligne du parti après que “l’unique question” (est-ce que Saddam livrera ses armes de destruction massive ?) eut la mauvaise réponse.

Netanyahou adopte la même attitude. Le vieux monde dont l’attitude envers Israël est négativement biaisée est le Conseil de Sécurité de l’ONU au grand complet ; plus spécifiquement, quiconque dans le monde qui aurait un engagement persistant envers les lois internationales et les droits de l’homme. Par chance pour Israël, ceci exclut le congrès des USA et – avec une très grande virulence – le président-élu et ses associés.

Le gouvernement israélien est, bien évidemment, au fait de ces développements. C’est pourquoi il cherche à changer sa base de soutien pour des États autoritaires, tels que Singapour, la Chine et l’Inde du nationaliste hindou d’extrême-droite Modi, qui devient maintenant un allié naturel avec sa dérive vers l’ultra-nationalisme, une politique intérieure réactionnaire et la haine de l’Islam. Les raisons pour lesquelles Israël cherche des soutiens dans cette direction sont soulignées par Mark Heller, associé de recherche principal à l’Institution for National Security Studies de Tel-Aviv. “Sur le long terme,” explique-t-il, “il y a des problèmes pour Israël dans ses relations avec l’Europe occidentale et les USA,” tandis que, par contraste, les pays majeurs d’Asie “ne semblent pas montrer beaucoup d’intérêt pour la manière dont Israël s’entend avec les Palestiniens, les Arabes, ou n’importe qui d’autre.” En bref, la Chine, l’Inde, Singapour et d’autres alliés ayant les faveurs d’Israël sont moins influencés par le genre d’inquiétudes libérales et humanistes qui présente des menaces croissantes à Israël.

Sommes-nous au milieu de nouveaux courants et tendances au sein de l’ordre mondial ?

Je le crois, et les tendances qui se développent au sein de l’ordre mondial méritent qu’on y prête attention. Comme on l’a relevé, les USA vont être encore plus isolés qu’ils ne l’étaient ces dernières années, quand les sondages à leur sujet – qui ne furent pas rapporté aux USA mais étaient certainement connus à Washington – ont révélé que l’opinion mondiale considère les USA de loin la principale menace à la paix mondiale, personne d’autre ne s’en rapprochant. Sous Obama, les USA sont maintenant seul à s’abstenir au sujet des colonies israéliennes illégales, contre un Conseil de Sécurité par ailleurs unanime. Avec le président Trump joignant ses soutiens bipartisans au Congrès sur cette affaire, les USA vont se retrouver encore plus isolés sur la scène internationale dans leur soutien aux crimes israéliens.

Depuis le 8 novembre, les USA sont isolés au sujet du problème crucial du réchauffement climatique, une menace à la survie de la vie humaine dans tous les aspects de sa forme actuelle. Si Trump tient sa promesse de sortir de l’accord avec l’Iran, il est probable que les autres participants y persisteront, laissant les USA toujours plus isolés de l’Europe.

Les USA sont également beaucoup plus isolés de leur “arrière-cour” d’Amérique Latine que dans le passé, et le seront encore plus si Trump tourne le dos aux pas hésitants d’Obama vers une normalisation des relations avec Cuba, entrepris pour parer à la vraisemblable exclusion importante des USA des organisations de l’hémisphère nord à cause de ses assauts continus envers Cuba, dans un isolement international.

Il en va de même en Asie, alors même que des alliés proches des États-Unis (à l’exception du Japon) – et même le Royaume-Uni – affluent à la Asian Infrastructure Investment Bank basée en Chine et au Global Economic Partnership également basé en chine mais comprenant le Japon. L’Organisation de coopération de Shanghai (SCO) basée en Chine intègre les États d’Asie centrale, la Sibérie avec ses riches ressources, l’Inde, le Pakistan et bientôt, probablement l’Iran, et peut-être la Turquie. L’OCS a rejeté la demande de statut d’observateur des États-Unis et a demandé aux États-Unis de retirer toutes ses bases militaires de la région.

Immédiatement après l’élection de Trump, nous avons assisté au spectacle intrigant de la chancelière allemande Angela Merkel faisant la leçon à Washington sur les valeurs sociales et les droits de l’homme. Pendant ce temps, depuis le 8 novembre, le monde attend de la Chine un leadership pour sauver le monde de la catastrophe environnementale, tandis que les États-Unis, dans un isolement magnifique, se consacrent à miner ces efforts.

L’isolement américain n’est pas complet, bien sûr. Comme l’a montré très clairement la réaction à la victoire électorale de Trump, les États-Unis ont le soutien enthousiaste de l’ultra-droite xénophobe en Europe, y compris ses éléments néofascistes. Le retour de la droite dans certaines parties de l’Amérique latine offre là aussi aux États-Unis des possibilités d’alliances. Et les États-Unis conservent leur étroite alliance avec les dictatures du Golfe et de l’Égypte, et avec Israël. Ce dernier prenant ses distances avec les régimes sociaux et démocratiques en Europe et s’associe à des régimes autoritaires qui ne sont pas opposés aux violations israéliennes du droit international, et à ses attaques contre les droits fondamentaux de l’homme.

L’image qui se dessine suggère l’émergence d’un nouvel ordre mondial, un qui sera sensiblement différent de celui habituellement dessiné au sein du système doctrinal.

C.J. POLYCHRONIOU

C.J. Polychroniou est un économiste politique/analyste politique qui a enseigné et travaillé dans des universités et des centres de recherche européens et américains. Ses principaux sujets de recherche portent sur l’intégration économique européenne, la mondialisation, l’économie politique aux États-Unis et la déconstruction du projet politico-économique néolibéral. Il est un contributeur régulier de Truthout ainsi qu’un membre du Truthout’s Public Intellectual Project. Il a publié plusieurs ouvrages et ses articles sont apparus dans divers revues, magazines, journaux et sites web d’information populaires. Beaucoup de ses publications ont été traduites dans diverses langues, dont le Croate, le Français, le Grec, l’Italien, le Portugais, l’Espagnol et le Turc.

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