mardi 11 juillet 2017

La signification de la persécution de Assange

MAJ de la page : Julian Assange

La signification de la persécution de Assange
Par Marjorie Cohn, le 20 mai 2017 - Consortium News / Les Crises (trad.)

Le long supplice judiciaire de Julian Assange (et les menaces continuelles à l’encontre du fondateur de Wikileaks) tournent en dérision l’engagement supposé de l’Occident pour la liberté de la presse et le droit à savoir du public, comme l’explique Marjorie Cohn.

(mis à jour le 30 mai 2017, afin de supprimer la référence aux procureurs suédois qui n’ont jamais posé aucune question à Assange.)

Il y a près de cinq ans, l’Équateur garantissait au fondateur de Wikileaks Julian Assange l’asile politique dans son ambassade de Londres. L’objectif initial de l’asile était d’éviter une extradition aux États-unis. Deux ans auparavant, les autorités suédoises avaient lancé une enquête sur Assange pour agression sexuelle. La Suède a maintenant abandonné ces charges.

 
Le fondateur de Wikileaks Julian Assange. (Crédit photo : Espen Moe)

Assange a qualifié la décision suédoise de mettre fin à l’enquête de « victoire importante pour moi et pour le système des droits de l’homme des Nations-Unies ». Mais, a-t-il déclaré, « la véritable guerre vient juste de commencer », car la police métropolitaine de Londres avait averti que si Assange quittait l’ambassade équatorienne, elle l’arrêterait de par le mandat émis en 2012 contre lui pour ne pas s’être présenté à une cour de justice à la suite de son entrée à l’ambassade.

La raison initiale d’accorder l’asile à Assange demeure inchangée. Le gouvernement américain poursuit Assange depuis qu’en 2010, Wikileaks a publié les documents fuités par la lanceuse d’alerte Chelsea Manning. Ces documents, qui contiennent des carnets de guerre d’Afghanistan et d’Irak ainsi que des câbles du Département d’État américain, ont été finalement publiés par le New York Times, le Guardian anglais, et le magazine allemand Der Spiegel.

Les rapports divulgués mettent en évidence 20 000 morts, y compris des milliers d’enfants, selon Assange. Beaucoup de ces rapports contiennent des preuves de crimes de guerre. [Dans le matériel fuité se trouvait une vidéo de « meurtres collatéraux », la vision horrible d’un hélicoptère d’attaque américain abattant un groupe d’hommes irakiens, dont deux journalistes de Reuters, alors qu’ils déambulaient dans une rue de Bagdad, puis tuant un homme qui s’était arrêté pour porter secours aux blessés et blessant également deux enfants qui se trouvaient dans sa camionnette.]

Le rôle que la Suède a joué dans la saga Assange n’a jamais été éclairci. Les charges criminelles n’ont jamais été enregistrées. Le retard important du processus a été causé en partie par le procureur suédois, qui a insisté pour que Assange se rende en Suède pour y être interrogé. Assange a refusé, craignant que s’il se rendait en Suède, ce pays ne l’extrade vers les États-Unis.

Il se peut que l’enquête suédoise sur Assange ait été déclenchée à la demande des États-Unis. Le journaliste John Pilger a documenté la pression politique du gouvernement américain sur les autorités suédoises : le Premier ministre suédois et le ministre des Affaires étrangères ont tous deux attaqué Assange, qui a été mis en accusation sans aucune charge retenue. Assange a été prévenu que le service de renseignement suédois, le SAPO, avait été informé par son homologue américain que l’arrangement sur le partage d’informations américano-suédois serait interrompu si la Suède lui offrait sa protection.

Bien que l’enquête suédoise ait été abandonnée, la menace d’une arrestation persiste. La police de Londres a indiqué qu’elle arrêterait Assange pour ne pas s’être présenté à une cour de justice londonienne, s’il quitte l’ambassade. La Grande-Bretagne l’extraderait alors probablement vers les États-Unis pour de possibles poursuites judiciaires.

L’arrestation de Assange est une priorité américaine

Le procureur général Jeff Session a déclaré en avril que l’arrestation d’Assange était une priorité pour le Département de la justice, même si le New York Times a indiqué que les procureurs fédéraux étaient « sceptiques sur le fait qu’ils pourraient le poursuivre pour la charge la plus sérieuse, celle d’espionnage ». Le Département de la justice aurait envisagé de poursuivre Assange pour vol de documents gouvernementaux.

Le Procureur général Jeff Sessions. (Flickr US Customs and Border Protection)

La décision de poursuivre Assange marquera un virage à 180 degrés pour le président Trump. Au cours de la campagne présidentielle de 2016, Trump a déclaré : « J’adore WikiLeaks » après que le groupe a publié des courriels confidentiels du Comité national démocrate, que certaines agences de renseignement américaines ont affirmé avoir été fournies par des pirates russes (bien que Assange nie avoir obtenu les documents de la Russie).

En mars, WikiLeaks a publié des documents de la CIA contenant des logiciels et des méthodes de piratage électronique. C’était le début de la série « Vault 7 » de WikiLeaks, des articles écrits par Assange dans une rubrique libre du Washington Post, qui révélait « des preuves incroyables de l’incompétence de la CIA et d’autres dysfonctionnements ».

La publication comprenait « la création par l’agence, avec un coût de milliards de dollars pour les contribuables, d’un arsenal complet de virus cybernétiques et de programmes de piratage – sur lesquels l’agence a rapidement perdu le contrôle et dont elle a ensuite essayé de cacher la perte », a ajouté Assange. « Ces publications ont également révélé les efforts déployés par la CIA pour infecter avec des virus informatiques des produits de consommation très répandus et des automobiles ».

Le directeur de la CIA, Michael Pompeo, a qualifié WikiLeaks de « service de renseignements hostile non étatique, souvent encouragé par des acteurs étatiques comme la Russie ».

Pompéo a déclaré : « Nous devons reconnaître que nous ne pouvons plus laisser à Assange et à ses collègues la latitude d’utiliser les valeurs de la liberté d’expression contre nous ».Il poursuit : « Julian Assange ne bénéficie pas des privilèges du Premier amendement. Il n’est pas citoyen américain ».

Mais la Cour suprême a depuis longtemps jugé que la Constitution s’appliquait aux non-Américains, pas seulement aux citoyens américains. Et lorsque le département de la Justice d’Obama a envisagé la poursuite de WikiLeaks, les fonctionnaires des États-Unis ont été incapables de distinguer ce que Wikileaks avait fait de ce que le New York Times et le Guardian ont fait, puisqu’ils ont également publié des documents que Manning a divulgués. WikiLeaks n’est pas soupçonné de les avoir piratés ou volés.

Une semaine avant que Trump ne limoge le directeur du FBI James Comey, ce dernier a déclaré au Comité du renseignement de la Chambre des représentants : « WikiLeaks retient toute notre attention ». Il a déclaré que la position du département de la Justice « était [que] la collecte d’informations et le rapport d’informations légitimes ne sont pas concernés. Ils ne seront pas examinés ni poursuivis comme étant des actes criminels », ajoutant : « Notre objectif est et devrait se concentrer sur les « fuiteurs », et non pas sur ceux [qui] obtiennent ces fuites dans le cadre d’une collecte d’informations légitime. »

Mais Comey a déclaré : « une grande partie des activités de WikiLeaks n’a rien à voir avec les informations légitimes, informant le public, commentant des controverses importantes, mais il s’agit simplement de publier des informations classifiées pour nuire aux États-Unis d’Amérique ».

Comme Elizabeth Goitein, codirectrice du programme du Centre Brennan pour la liberté de la justice et la sécurité nationale, l’a écrit à Just Security, Comey établissait une distinction : « non entre les informations classifiées et leur publication, mais entre la publication pour de bonnes raisons et la publication pour de mauvaises ».

Ainsi, « permettre au FBI de déterminer qui est autorisé à publier des informations fuitées en fonction de l’évaluation par le bureau de son patriotisme, consisterait à traverser un Rubicon constitutionnel », a écrit Goitein.

D’autres défenseurs des libertés civiles ont également défendu WikiLeaks en tant qu’organisme d’information protégé par le Premier amendement. « Le gouvernement des États-Unis n’a jamais montré que Assange ait fait autre chose que de publier des informations fuitées », a déclaré Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch, au Times.

Ben Wizner, directeur du Projet de protection de la liberté de parole, de la vie privée et de la technologie à l’ACLU (American Civil Liberty Union) a déclaré dans un entretien avec le New York Times : « Jamais dans l’histoire de ce pays, un éditeur n’a été poursuivi pour avoir présenté des informations véridiques au public ».

La détention déclarée illégale de Assange

En 2016, après une enquête de 16 mois, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a conclu que la détention de Assange par la Grande-Bretagne et la Suède était illégale. Il a déclaré : « La privation de liberté existe lorsqu’une personne est obligée de choisir entre le confinement, ou le renoncement à un droit fondamental – comme l’asile – et donc de faire face à un risque légitime de persécution ».

Une scène de la vidéo « Collateral Murder » dans laquelle un Irakien arrête sa camionnette pour aider les blessés dans l’attaque meurtrière d’un hélicoptère américain à Bagdad le 12 juillet 2007. Il va être abattu par les mêmes tireurs.

Le groupe des Nations unies a constaté : « La sortie de M. Assange de l’ambassade équatorienne l’obligerait à renoncer à son droit d’asile et à s’exposer à la persécution et au risque de maltraitances physiques et mentales que l’acceptation de sa demande asile avait pour but de lui éviter. Sa présence continue dans l’ambassade ne peut cependant pas être qualifiée de ’’volontaire’’ ».

Ainsi, l’ONU a conclu que le maintien continu de Assange dans l’ambassade « est devenu un état de privation arbitraire de liberté », en violation de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de l’International Covenant on Civil and Political Rights (ICCPR) [Convention internationale relative aux droits civils et politiques]

Alfred de Zayas, expert indépendant à l’ONU sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, a déclaré à Consortium News : « Ce qui est en jeu ici, c’est la liberté de chercher, de recevoir et de transmettre des informations et des idées de toutes sortes ». Il a cité l’article 19 de l’ICCPR qui garantit le droit à la liberté d’expression.

« Les lanceurs d’alerte sont les défenseurs fondamentaux des droits de l’homme au XXIe siècle, époque où la culture du secret, les affaires à huis clos, la désinformation, le manque d’accès à l’information, la surveillance des individus type « 1984 », l’intimidation et l’autocensure, ont conduit à des violations flagrantes des droits de l’homme », a déclaré de Zayas, qui est également avocat de haut niveau retraité auprès du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, et ancien secrétaire du Comité des droits de l’homme de l’ONU.

En outre, les Principes de de Johannesburg pour la sécurité nationale , la liberté d’expression et l’accès à l’information, publiés en 1996, prévoient : « Aucune personne ne peut être punie en alléguant des raisons de sécurité nationale pour la divulgation d’informations, si l’intérêt public de connaître l’information l’emporte sur le préjudice causé par la divulgation ».

Même certains organismes d’information traditionnels qui ont critiqué WikiLeaks pour avoir divulgué des informations américaines classifiées se sont opposés à l’idée de poursuites pénales. Un éditorial du Washington Post en 2010 intitulé « Ne poursuivez pas Wikileaks » disait : « De telles poursuites sont une mauvaise idée. Ce n’est pas le rôle du gouvernement d’inculper quelqu’un qui n’est pas un espion et qui n’est pas légalement tenu de garder des secrets. Cela criminaliserait l’échange d’informations et mettrait en danger des organisations médiatiques responsables qui examinent et vérifient les informations et prennent au sérieux la protection des sources et des méthodes lorsque des vies ou la sécurité nationale sont menacées ».

Dans la poursuite de WikiLeaks par le gouvernement des États-Unis, il y a beaucoup plus d’enjeux que ce qui arrive à Julian Assange. Il existe des principes de liberté de la presse et du droit à savoir du public . En publiant des documents révélant des preuves de crimes de guerre des États-Unis, des courriels pertinents pour l’élection présidentielle américaine et la preuve de malversations de la CIA, Assange a fait ce que les journalistes sont censés faire : informer les gens sur des sujets d’actualité et révéler des abus que les forces puissantes veulent dissimuler.

Assange a également droit à la liberté d’expression en vertu du droit des États-Unis et du droit international, qui soutiendraient davantage l’abandon par la Grande-Bretagne de la citation à comparaître de Assange et l’autorisation de quitter librement l’ambassade et de reprendre sa vie.

Marjorie Cohn est professeure émérite à Thomas Jefferson School of Law, ancienne présidente de la National Lawyers Guild et secrétaire générale adjointe de l’Association internationale des avocats démocrates.

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