vendredi 1 septembre 2017

Entretien avec Assange de Wikileaks

MAJ de la page : Julian Assange

Entretien avec Assange de Wikileaks
Par Randy Credico et Dennis J Bernstein, le 29 juillet 2019 - Consortium News / Les Crises (trad.)

Le directeur de la CIA, Mike Pompeo, a déclaré que Wikileaks serait considéré comme un « service de renseignements hostile », aggravant ainsi le conflit de longue date qui oppose le gouvernement américain à Julian Assange, interviewé par Randy Credico et Dennis J. Bernstein.

Le fondateur et rédacteur en chef de Wikileaks Julian Assange est toujours dans le collimateur du directeur de la CIA, Mike Pompeo. Celui-ci a récemment qualifié l’entité lanceuse d’alerte de « service de renseignements non-gouvernemental hostile » contre qui la CIA pourrait prendre des mesures.

« Je pense que notre communauté du renseignement doit fournir beaucoup d’efforts afin de trouver quelle est la réponse la plus adaptée », a déclaré Pompeo le 20 juillet dernier lors d’un sommet sur la sécurité à Aspen, dans le Colorado. Malgré de telles menaces, Assange continue de faire fonctionner Wikileaks depuis l’ambassade équatorienne de Londres où l’asile lui a été accordé il y a cinq ans.

Assange a été invité et a accordé un entretien à la radio WBAI, dans l’émission Live on the Fly, à Randy Credico et à l’invité et co-animateur Dennis Bernstein, producteur délégué de l’émission Flashpoints sur radio Pacifica.

Le ministre des Affaires étrangères équatorien, Ricardo Patiño, lors d’une réunion avec Julian Assange à Londres, en 2013. (Wikipedia)

Randy Credico : Julian Assange, je voulais tout d’abord vous raconter quelque chose qui m’est arrivé hier. Une dame du nom de Laura Krause m’a appelé la nuit dernière. C’est la sœur d’Allison Krause, l’un des quatre étudiants qui ont été tués à l’Université d’État de Kent, le 4 mai 1970 par la Garde nationale. Elle a exprimé sa gratitude envers WikiLeaks pour avoir découvert et conservé des documents cruciaux en relation avec ce tragique événement.

Julian Assange : C’est intéressant, car initialement nous ne souhaitions pas publier les documents relatifs aux événements de Kent. Ils faisaient partie de nos grandes archives de câbles datant des années 70, et qui étaient intitulées « Les câbles de Kissinger ». Souvent quand il s’agit des communications internes du département d’État ou d’une autre organisation aussi puissante, elles ont tendance à toucher presque tous les sujets. Et la capacité du public à déceler des liens logiques dans votre contenu surpasse souvent la vôtre de manière considérable.

Je suis toujours extrêmement irrité par les journalistes qui ignorent les ribambelles de trésors historiques qui détaillent comment leurs institutions se comportent réellement. La capacité du public à prendre ces informations et à les mettre en relation avec leurs histoires personnelles, ainsi qu’à les utiliser à des fins juridiques ou au cours de campagnes politiques, est en réalité beaucoup plus grande que celle de n’importe quel journaliste ou rédacteur en chef à l’esprit obtus, y compris moi-même.

Dennis Bernstein : Je viens juste de raccrocher avec Oliver Stone, qui se fait attaquer de toutes parts parce qu’il a eu l’audace de réaliser une série d’entretiens avec Vladimir Poutine. Avez-vous eu la chance de voir l’un de ces entretiens ?

JA : J’ai vu les quatre. Le dernier a été enregistré après les élections américaines, ce qui veut dire qu’il a eu lieu dans le contexte de ce néo-maccarthysme hystérique contre la Russie. Poutine représente le politicien accompli, en particulier en Russie même, mais également lorsqu’il s’agit de traiter avec le monde entier. Vous ne pouvez pas totalement dissimuler qui vous êtes pendant quatre heures, et plein de petites choses intéressantes en sont ressorties.

Dans le troisième épisode, par exemple, Oliver Stone montre Docteur Folamour à Vladimir Poutine, lequel ne l’avait jamais vu auparavant. S’il n’a véritablement jamais vu le film, il faut qu’il soit prudent car il ignore sur quoi chaque scène va déboucher, de même que pour le film dans son ensemble. À la fin, il déclare la chose suivante : « Eh bien, c’est intéressant, ils ont même prédit certains problèmes techniques ». Et il souligne également que peu de choses ont changé dans les dynamiques de pouvoir.

Oliver Stone lors d’un entretien avec Vladimir Poutine pour la série de documentaires produite par Showtime « Conversations avec Monsieur Poutine ».

Oliver Stone remet la boîte du DVD du film à Poutine, et celui-ci se dirige dans une autre salle du Kremlin. Quand il revient, il arbore un léger sourire en coin et tout en montrant la boîte vide à la caméra, il déclare : « Cadeau typiquement américain ». En réalité, il savait probablement déjà que la boîte était vide lorsque Oliver Stone la lui a donnée.

DB : Julian, j’aimerais beaucoup attirer votre attention sur l’une des actualités brûlantes qui concerne votre combat. Je crois comprendre que votre équipe judiciaire a présenté votre cas à la Commission inter-américaine des droits de l’homme. Pouvez-vous nous en dire plus sur la portée de cette action ?

JA : Eh bien, elle est importante pour les dispositions concernant les réfugiés à travers le monde. Je suis très fier d’avoir déclenché ce processus quelque part. C’est l’Équateur qui s’est officiellement adressé à la Commission inter-américaine des droits de l’homme. La plupart des membres de l’OEA [Organisation des États américains] respectent ses décisions, alors que les USA les considèrent uniquement comme consultatives. C’est l’une des entités judiciaires les plus respectées dans le monde, les deux autres étant la Commission européenne des droits de l’homme et la Commission des droits de l’homme des Nations unies.

Dans mon cas, l’Équateur a adopté le point de vue que plusieurs atteintes aux droits de l’homme qui m’ont touché nécessitent une véritable prise en charge. Cela concerne en particulier les obligations des États de considérer les statuts des réfugiés et de leur offrir une protection, et la manière dont les réfugiés devraient être traités lorsqu’ils sont en dehors de leur territoire national, par exemple dans une ambassade, dans un organe des Nations Unies, à bord d’un bateau, etc.

Cela me concerne directement, mais ça concerne aussi fortement la situation en Syrie et dans d’autres pays où vous avez des réfugiés qui fuient les persécutions et qui s’engagent dans de longs et dangereux périples vers les pays voisins. Si vous prenez en charge ces réfugiés très près de là d’où ils viennent, vous allez sauver des vies. La manière dont ces individus sont pris en charge devrait être standardisée, sans passer par leur ambassade ou quoi que ce soit.

Je pense que c’est la prise de conscience du droit des réfugiés la plus importante depuis 1969, lorsque le protocole facultatif de la Convention de 1951 relatif aux statuts des réfugiés a été signé par de nombreux pays à l’ONU. Il y a eu une tentative de réévaluer le problème en 1975, à l’initiative de l’Australie. Au début des années 70, de nombreux réfugiés essayaient de fuir le Sud Vietnam pour aller en Australie en passant par l’archipel indonésien. À cette époque, l’Australie souhaitait normaliser la prise en charge des réfugiés au sein de ses différentes ambassades. Cette volonté a été bloquée par l’Union soviétique et par les États-Unis.

Depuis lors, la juridiction sur les droits de l’homme a réellement évolué jusqu’à devenir un champ légal à part entière, qui impose aux États de ne pas mettre en détention des individus de manière arbitraire, etc. Fondamentalement, plusieurs de ces outils relatifs aux droits de l’homme, lorsqu’ils sont correctement utilisés, forcent les États à protéger les individus, ou, tout au moins, donnent aux États le droit de protéger les individus. Si un État est obligé de protéger des personnes qui sont persécutées, qui sont menacées, alors conformément au droit relatif aux droits de l’homme, ces réfugiés doivent être pris en charge.

La convention de 1951, dans son protocole de 1967, recoupe la Déclaration universelle des droits de l’homme en cela qu’elle impose l’obligation, dans le cadre du droit des réfugiés, de permettre une cohérence et d’éviter les conflits. La Commission inter-américaine des droits de l’homme comprend cela et l’Équateur a fourni un formidable effort en présentant mon cas. Il y a eu 54 amicus curiae provenant du HCR [Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés], de la Commission inter-américaine des droits de l’homme, du Mexique et de six autres États américains, de nombreuses cliniques juridiques, et ainsi de suite. Nous attendons maintenant la décision de la Cour inter-américaine, mais nous savons déjà qu’elle émettra un avis quoi qu’il arrive. Elle a déjà considéré que c’était un domaine du droit qui était très important et une audience sera tenue en août.

Et, comme je l’ai dit, je crois que c’est la seule tentative, ainsi que la plus importante qui ait été effectuée afin d’harmoniser le droit international concernant les réfugiés. Je dois dire que je suis content que ma situation ait pu mettre autre chose en jeu que ma liberté, par exemple.


Réfugiés fuyant les guerres du Moyen-Orient campant le long des rails en Grèce.

On parle beaucoup aux États-Unis de l’administration Trump qui ferme l’immigration et le tourisme sur le territoire américain aux ressortissants de certains pays musulmans du Moyen-Orient. Je trouve étrange que l’on parle si peu de ce que je pense être une situation beaucoup plus grave : le refus de toutes les demandes d’asile pour les réfugiés pendant 180 jours. Il n’est pas raisonnable d’accepter des touristes venant du monde entier mais de ne pas accepter de réfugiés.

OK, à l’heure actuelle, il est très dangereux d’accepter des réfugiés venant de Syrie, il serait peut-être nécessaire de verrouiller le système et de prendre un peu de temps afin de relancer le processus. Mais qu’en est-il des réfugiés venant de Nouvelle-Zélande ou du Mexique ? Sont-ils susceptibles d’appartenir à l’EI ? Absolument pas. Et si on accepte des touristes venant de ces mêmes pays, il est complètement absurde de bloquer le processus d’entrée pour les réfugiés.

DB : Julian, la question vous paraîtra peut-être un peu naïve, mais…

JA : Dennis, vous savez ce qu’on dit : il vaut mieux être naïf et se battre pour ce qui est juste, car ce sont les réalistes qui ont laissé le monde dans cet état.

DB : OK, je vais simplement essayer de me rapprocher de la vérité, si je le peux. Considérez-vous le flux d’informations venant du CND [Comité national démocrate, NdT] comme un piratage ou comme une fuite ?
JA : Eh bien, tout dépend de la source. Il y a eu beaucoup de flux du CND au cours d’une période de deux ans, apparemment par cinq acteurs différents, selon des déclarations émanant des services secrets américains. En réalité, nous n’avons pas vu ceux répétés en 2017. Nous ne parlons pas de sources de cette façon. Nous nous assurons que nos publications sont parfaitement précises et que nos informations ne proviennent pas d’un acteur de l’État. Nous n’avons rien dit d’eux et nous ne le ferons probablement pas, cela dépend de l’évolution des choses. Parce que si nous commençons à donner plus de détails, il deviendrait plus facile de piéger nos sources, ce que nous ne voulons évidemment pas.

Dennis J Bernstein est animateur de « Flashpoints » sur Pacifica radio et l’auteur de Special Ed : Voices from a Hidden Classroom.

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