dimanche 4 mars 2018

Le syndrome de l'Afghanistan



Syrie : Claude El Khal fait le point sur La Ghouta (Le Média, 23 février 2018)




Bassam Tahhan sur la Ghouta : Et "si on avait à Paris 10 000 terroristes qu'on appelle rebelles" ? (RTFrance, 26 février 2018)




Alexandre del Valle, professeur à l'IPAG : « En Syrie, les véritables criminels sont les djihadistes » (RT France, 27 février 2018)

La totalité des mouvements soi-disant rebelles sont des djihadistes, d'obédience salafiste ou frères musulmans. (...) L'Occident continue ce que j'appelle le syndrome de l'Afghanistan, lorsque déjà dans la guerre froide, contre les russes, ou contre des forces pro-russes, les atlantistes aidaient des forces djihadistes qui ont d'ailleurs été à l'origine du fameux Al-Qaida.


Nos cris d’indignation à propos du siège de Ghouta sonnent creux car nous ne ferons rien pour sauver les civils. 
Par Robert Fisk, journaliste britannique, grand reporter et correspondant au Proche-Orient, le 22 février 2018 - Chronique de Palestine (trad.)

Comment pouvons-nous protester alors que nous ne faisons rien contre l’opposition islamiste armée à Assad (je ne parle pas ici de l’EI) ou que nous n’essayons même pas d’organiser notre propre cessez-le-feu, même avec l’aide de la Russie ? Après tout, cela fait des années que nous armons ces gens-là.

Voilà, ci-dessous quelques cruelles réalités à propos du siège de la Ghouta qui ont été enterrées sous de vrais décombres couverts de vrai sang, ainsi que sous d’hypocrites manifestations apocalyptiques d’horreur occidentales. C’est Sergey Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, qui a énoncé la première et la plus importante de ces réalités en déclarant lundi que Moscou et le gouvernement syrien « pourraient faire bénéficier [la Ghouta] de l’expérience acquise lors de la libération d’Alep ». Cette simple phrase – qu’on peut traduire par « il faut tirer les leçons d’Alep » – a été considérée par les rares personnes qui y ont prêté attention, comme un avertissement que la Ghouta allait être détruite.

Mais pendant de nombreux mois, les Russes et les Syriens, ont tout tenté pour faire sortir les civils syriensde d’Alep-Est avant de la reprendre ; après que les troupes syriennes ont énormément progressé dans la banlieue, il y a eu, en effet, un exode des innocents et des opposants armés au régime ont aussi pu partir. Beaucoup ont été escortés par des policiers militaires russes armés et en uniforme jusqu’à la frontière turque. D’autres ont préféré – sans doute sans avoir bien réfléchi – partir sous escorte, avec leurs familles, pour Idlib, le grand « dépotoir » de combattants islamistes qui est maintenant évidemment assiégé à son tour.

Ce dont Lavrov voulait parler, c’est d’un accord similaire avec les rebelles armés de la Ghouta. Les Russes et les Syriens ont des contacts directs avec ceux qu’ils considèrent comme des « terroristes » – un mot cher à l’Occident lorsqu’ils attaquent les mêmes groupes islamistes de Nusrah (al-Qaida) que les Russes ; C’est pourquoi, lorsque le siège du dernier district rebelle de Homs a pris fin l’année dernière, des soldats russes en uniforme ont escorté les islamistes armés et souvent encagoulés qui étaient autorisés à partir pour Idlib. J’ai vu ça de mes propres yeux.

Les « rebelles » / « terroristes » / « islamistes » / « opposition armée » – choisissez le mantra qui vous plaît – sont, bien sûr, l’autre « réalité » du bain de sang de Ghouta que nous devons ignorer, passer sous silence, cacher, nier. Car les combattants de Nusrah à Ghouta – qu’ils aient ou non exercé des pressions sur les civils de la banlieue pour qu’ils leur servent de « boucliers humains » – font partie du mouvement initial d’Al-Qaïda qui a commis des crimes contre l’humanité aux Etats-Unis en 2001 et qui a souvent coopéré en Syrie avec l’EI, la secte diabolique que les Etats-Unis, l’UE, l’OTAN et la Russie (ajouter ici tous les autres défenseurs habituels de la civilisation) ont promis de détruire. Les alliés de Nusrah sont Jaish al-Islam, un autre groupe islamiste.

C’est une situation très étrange. Personne ne doit douter de l’ampleur du massacre à la Ghouta. Ni de la souffrance des civils. Certes, on ne peut pas s’indigner quand les Israéliens attaquent Gaza (en utilisant le même argument de « boucliers humains » que les Russes d’aujourd’hui) et en même temps excuser le bain de sang à la Ghouta sous prétexte que les « terroristes » assiégés sont des islamistes d’Al-Qaïda proches de l’EI.

Mais ces groupes armés sont curieusement oubliés lorsque nous exprimons notre indignation sur le carnage de la Ghouta. Il n’y a pas de journalistes occidentaux pour les interviewer – parce que ces défenseurs de la Ghouta nous couperaient la tête (un fait que nous préférons aussi passer sous silence) si nous avions l’audace d’essayer d’entrer dans la banlieue assiégée. Et – fait incroyable – sur les images que nous recevons, il n’y a pas un seul homme armé. Cela ne veut pas dire que les enfants blessés, les enfants morts ou les cadavres ensanglantés – dont les visages sont dûment « floutés » par les sensibles chefs de rédaction de nos télévisions – ne sont pas réels ou que les films sont faux. Cela veut dire que les images ne montrent pas toute la vérité. Ces films – et ceux qui les font – se gardent bien de nous montrer les combattants d’al-Nusrah qui sont à la Ghouta. Et il n’y a aucune chance qu’ils nous les montrent jamais.

Sur les films archivés de sièges passés – Varsovie en 1944, Beyrouth en 1982, Sarajevo en 1992 – on voit les combattants qui défendaient ces villes, et on voit leurs armes. Mais quand on regarde les images de la Ghouta – où la quasi-totalité des films en provenance d’Alep-Est – on dirait qu’il n’y a là aucun combattant armé. Je n’en ai pas non plus trouvé la moindre mention dans nos réactions sur les souffrances des civils dans les médias américains et européens, à part la mention que la Ghouta est « tenue par les rebelles ». Qui donc a tiré au mortier sur le centre de Damas et tué six civils – et blessé 28 autres – il y a 24 heures ? C’est peu de monde au regard de tous les morts de la Ghouta, c’est sûr. Mais ont-ils été tués par des fantômes ?

Il s’agit là d’une omission d’importance, car pour en finir avec ce massacre de civils – il vient encore d’y avoir 250 morts de plus -, il faut pouvoir établir de toute urgence un contact entre les assiégeants armés et les attaquants armés. Les déclarations de Lavrov des deux derniers jours suggèrent que les Russes avaient accepté de revenir au statut de « déconfliction » de la Ghouta, une manière bizarre de nommer un cessez-le-feu permettant d’envoyer de l’aide humanitaire à la Ghouta et de faire sortir les blessés. Mais – selon Lavrov, bien sûr – al-Nusrah a rompu l’accord.

Vrai ou pas, comment pouvons-nous nous plaindre alors que nous ne voulons pas nous occuper nous-mêmes de l’opposition islamiste armée à Assad (je ne parle pas ici de l’EI), ou que nous n’avons aucune intention d’organiser notre propre cessez-le-feu, même avec l’aide de la Russie ? Après tout, on les arme depuis des années ! Mais nous ne ferons rien de tout ça. Alors nous nous tordons les mains avec toujours plus d’hyperboles hypocrites.

Au cours des dernières 48 heures, par exemple – et j’attire votre attention là-dessus – nous avons entendu les États-Unis, des ONG et des médecins en contact avec les hôpitaux de Ghouta dire que la banlieue est le théâtre de « flagrants crimes de guerre de dimension épique », parler de « jugement dernier », de « massacre du XXIe siècle », de « violence hystérique » – qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire d’ailleurs ? – et, même la pauvre ONU, elle-même, dire que cela « dépassait l’imagination » et que « les mots leur manquaient ».

Encore une fois, oui, ce sont les Russes et les Syriens qui sont la cause des souffrances inhumaines, abominables et aberrantes des habitants de la Ghouta pour la seule bonne raison qu’ils se trouvent dans cet endroit de la Syrie pendant cette guerre. Mais les petits saints ridicules de la bureaucratie onusienne – qui, hélas, ne manqueront jamais de mots – et ceux qui décrivent le siège de la Ghouta comme « le jugement dernier » savent-ils au moins de quoi ils parlent ? Gardons le sens des proportions, malgré les atrocités. Auschwitz et l’holocauste juif et le génocide rwandais et l’holocauste arménien et les innombrables massacres du XXe siècle (on peut aussi ici rappeler discrètement les pertes de la Russie aux mains des hordes hitlériennes) étaient beaucoup plus proches du « jugement dernier » que la Ghouta. Comparer ce terrible siège aux crimes contre l’humanité du siècle dernier, c’est déshonorer les millions de victimes innocentes de crimes bien pires.

La vérité est que ces expressions d’horreur de « notre » camp sont des substituts. Pourquoi l’ONU n’a-t-elle pas été « à court de mots » la première année de la guerre ? De nombreuses victimes syriennes étaient à court de mots dès 2012, notamment parce qu’un grand nombre d’entre elles étaient mortes. Selon les statistiques que nous établissons 400 000 civils sont piégés à la Ghouta. On peut se demander si c’est bien leur nombre réel. On nous avait dit, en 2016, que 250 000 personnes étaient piégées dans Alep mais on a appris ensuite qu’il y en avait plutôt environ 92 000. Mais c’était encore assez pour qu’on puisse parler de crime de guerre. Et si seulement 200 000 personnes étaient piégées à la Ghouta ? Bien sûr, cela serait aussi une catastrophe épouvantable.

La réalité est que le siège de la Ghouta continuera jusqu’ à la reddition et l’évacuation. Aucune des paroles que nous prononçons n’empêchera ce sombre scénario de se dérouler jusqu’au bout, et nous le savons tous – ou du moins les gardiens de nos plus hautes valeurs morales le savent. Rien sur le terrain ne changera. Et quand la Ghouta « tombera » – ou sera « libérée », comme ses assiégeants nous le diront sans doute – alors la destruction de la ville d’Idlib commencera. Et une fois de plus, ce sera le jugement dernier, une « violence hystérique » et le « massacre du XXIe siècle » (probablement pire que les sièges d’Alep et de la Ghouta). Aucune condamnation occidentale n’empêchera l’inéluctable. Nous sommes en faillite, nous crions notre indignation sans le moindre espoir – ni la moindre intention – de sauver des innocents. C’est cela, j’en ai peur, la triste histoire de la Ghouta telle qu’elle sera relatée par les historiens. Et le pire, c’est qu’ils auront raison.

Robert Fisk

Robert Fisk est le correspondant du journal The Independent pour le Moyen Orient. Il a écrit de nombreux livres sur cette région dont : La grande guerre pour la civilisation : L’Occident à la conquête du Moyen-Orient.

* * *

«De la rationalité occidentale dans la guerre de Syrie»
Par René Naba, le 28 février 2018 - Madanya (trad.)

Un nouveau front s’est ouvert début février 2018 dans la périphérie de Damas, dans le secteur d’Al Ghouta, avec pour objectif majeur d’alléger la pression militaire exercée sur les forces turques et leurs supplétifs de l’Armée Syrienne Libre dans le nord de la Syrie, alors que l’offensive turque, -«l’opération rameau de l’olivier»- contre les forces kurdes de Syrie, lancée le 19 janvier 2018, marque le pas, faisant craindre un enlisement turc dans le chaudron syrien.

Les objectifs sous jacents de la nouvelle bataille d’Al Ghouta, menée principalement par des alliés de la Turquie et du Qatar -Ahrar Al Cham et Jaych Al Islam, viseraient, d’une part, à remettre en selle les groupements islamistes déconsidérés après une série de revers retentissants depuis la reconquête d’Alep en décembre 2016; à réinsérer, d’autre part, les puissances occidentales et leurs alliés pétromonarchiques dans le jeu diplomatique dont ils en ont été évincés par les performances militaires russes et de leurs alliés régionaux, les forces gouvernementales de l’Amée Arabe Syrienne, les Pasdaran (Iran) et le Hezbollah (Liban).

Le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté samedi 24 Février 2018 à l’unanimité une résolution réclamant « sans délai » un cessez-le-feu humanitaire d’un mois en Syrie, alors que les batailles dans le secteur de la Ghouta orientale, périphérie de Damas, font rage. Deux des groupements islamistes «Jaych Al Islam» (Armée de l’Islam, pro saoudien) et Faylaq Ar Rahmane (La Brigade d’Al Rahman, pro Turquie-Qatar) ont souscrit à cette résolution dont sont exclus les groupements qualifiés de terroristes (Daech, Jabhat Al Nosra, ert Al Qaida). Ce fait confirme que la bataille de Ghouta oppose l’armée gouvernementale syrienne à des groupements terroristes, immergés au sein de la population civile, en guise de «boucliers humains», et bénéficiant des facilités de transit et de ravitaillement en armes des Israéliens, et non un assaut des forces gouvernementales contre des civils innocents, comme tend à l’accréditer la propagande occidentale et de leurs alliés pétromoanrchiques.

La Turquie a engagé ses troupes dans le secteur d’Afrine, le 19 janvier, contre les forces kurdes, encadrées par des Français et Américains, afin de mettre en échec le projet de création d‘une entité kurde indépendante dans le nord de la Syrie.
Aux yeux des stratèges occidentaux une telle entité viendrait en compensation de l’échec de la proclamation d’un état indépendant kurde dans le Nord de l’Irak. Un projet qui avait été conçu par les Américains et les Israéliens pour servir de plateforme à leurs menées anti iraniennes depuis le Nord de l’Irak, frontalier de l’Iran.

La nouvelle stratégie occidentale arrêtée lors d’une réunion à Londres en date du 11 janvier 2018 prévoierait la relance de la campagne sur les armes chimiques, la partition du pays, le sabotage du processus de reconciliation intersyrienne menée sous l’égide russe à Sotchi, de même que le cadrage de la Turquie, unique pays musulman membre fondateur de l’Otan qui a pris ses distances avec ses alliés atlantistes.

Jadis fer de lance du combat contre la Syrie, Ankara craint que le projet occidental ne débouche sur un démembrement de la Turquie avec la relance se l’irredentisme kurde. Le président Erdogan caresse le projet de créer une barrière humaine arabe dans la zone frontalière syro-turque, en installant dans ce secteur les 3,5 millions de Syriens réfugiés en Turquie, se débarrassant du même coup de ce fardeau humain et financier dans la perspective des prochaines échéances électorales.

Réputés pour leur versatilité et bien qu’encadrés par les Américains et les Français, les Kurdes ont fait appel au Président syrien Bachar Al Assad pour défendre «l’intégrité territoriale» de la Syrie et croiser le fer contre la Turquie, alors qu’ils figurent parmi les grands artisans du démembrement de leur pays d’accueil.

Au delà de ce rebondissement guerrier se pose la question de la rationalité occidentale et de leurs alliés kurdes dans la guerre de Syrie:

Pour les Kurdes, s’allier avec les États Unis, artisans de la capture d’Abdallah Ocalan, le chef charismatique du mouvement indépendantiste kurde de Turquie, puis réclamer l’aide de la Syrie, dont ils ont contribué à la déliquescence de son état central, relève à tout le moins d’une incohérence.

Pour les Occidentaux, s’opposer à l’indépendance de la Catalogne et de la Corse et s’employer à provoquer la partition de la Syrie, relève à tout le moins de la duplicité, dommageable pour la crédibilité de leur discours moralisateur.

Au déclenchement de la guerre de Syrie, la présence de la Russie était réduite à sa portion congrue. Sept ans après, elle dispose d’une importante base aérienne, à Hmeiymine, sur le littoral syrien, la première au Moyen Orient depuis l’époque des Tsars, doublée d’une base navale à Tartous; La Chine, d’un point d’escale à Tartous jouxtant la base navale russe, première percée militaire chinoise en Méditerranée depuis la nuit des temps.

En crise avec l’Otan dont elle a été un membre fondateur, la Turquie s’est considérablement rapprochée de l’Iran et de la Russie, les chefs de file de la contestation à l’hégémonie israélo-occidentale au Moyen Orient, alors que l’Iran est désormais militairement présente en Syrie, frontalier d’Israël, que l’État Hébreu a perdu la maîtrise absolue du ciel comme tend à le démonter la destruction d’un chasseur bombardier F16 israélien dans l’espace aérien syrien, et que le Hezbollah libanais aguerri par les combats de Syrie, s’est hissé au rang de grand décideur régional. La faute à qui ?

Source : Madaniya, René Naba, 28-02-2018


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