vendredi 8 juin 2018

Fake news : La grande peur…

Un marche vers... un Ministère de la Vérité ?




Rgis de Castelnau, "On est en train d'essayer de construire ou de nous faire accepter un monopole de vérité par l'Etat" (avril 2018)

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Fake news : La grande peur…
Par Richard Labévière, le 4 juin 2018 - Proche et Moyen-Orient

En juin 2017, après la rupture diplomatique de l’Arabie saoudite, d’autres pays du Golfe et de l’Egypte avec le Qatar – au motif d’une proclamation pro-iranienne de ce dernier -, l’émirat proteste, expliquant que c’est un faux fabriqué par un… pirate informatique ! Procédé dont les services américains ne tardent pas à attribuer la paternité au… Kremlin, accusé aussi d’avoir aussi tordu la dernière élection présidentielle américaine au profit de Donald Trump ! Une conclusion s’impose aussitôt : les Russes peuvent déstabiliser les élections partout dans le monde et quand ils le veulent. Il faut donc absolument contrôler Internet ; les « réseaux numériques » vont tuer la démocratie !

Essentiellement propagées par la Russie – selon les belles âmes occidentales – les Fake News expliqueraient alors le Brexit, l’élection de Trump et la disparition des éléphants. Par conséquent, l’Allemagne et la France préparent une loi pour contrer ces maudits Fake News, la Commission européenne y travaillerait aussi. Dans son dernier livre [François-Bernard Huyghe, Fake news, la grande peur, Ed. VA Press, 2018] – autant nécessaire que salutaire – notre médiologue préféré François-Bernard Huyghe remet les pendules à l’heure ! Son principal constat : il ne faudrait pas que la grande peur, dont il décrit scientifiquement les mécanismes, ne justifie une réinstallation de guillotines propices à neutraliser toutes espèces de contestation, de critique et d’opposition.

Grand est le risque de voir se reproduire les pires atteintes aux libertés civiles et politiques, les Patriot Act et autres lois d’exception justifiées par la chasse aux Ben Laden du moment. Au nom de la lutte contre le terrorisme, la corruption et la prolifération des armes de destruction massive, on a bien compris, désormais comment les Etats-Unis imposent au monde entier leurs normes juridiques (en toute unilatéralité et extraterritorialité) afin d’avantager leurs entreprises et fonds de pension. America First, c’est d’abord « par ici la monnaie », mais toujours au nom de la morale et des droits de l’homme pour le bien de la planète. Mais dans toutes ces affaires consubstantielles à la mondialisation, de quoi parle-t-on au juste ?

François-Bernard Huyghe : « nous avons tendance à traduire par fausse nouvelle, récit d’événements qui ne se sont pas déroulés (ou le déni de faits qui sont avérés). Initialement, Fake News désigne plutôt un contenant : des pages ou des sites qui se présentent comme d’authentiques outils d’information et qui ne le sont pas. Il y a d’ailleurs une ambivalence dans l’expression de Fake News. Elle peut vouloir dire que l’on donne pour des nouvelles – contenus, événements dignes d’être rapportés – des faits non avérés, inventés, faux. Mais elle peut aussi signifier que l’on présente comme « nouvelles » (au sens de : destinées à informer le public suivant un régime de vérification) des discours militants ou des démonstrations idéologiques qui ne visent qu’à persuader de valeurs et de visions du monde ». Un peu plus loin notre médiologue ajoute : « on peut presque définir le Fake comme une rumeur assistée par ordinateur ».

A ce stade, on peut oser trois remarques : 1) le combat de l’erreur et de la vérité est le plus vieux métier du monde, aussi vieux que le meurtre d’Abel par Caïn, en tout cas bien antérieur aux conversations de Socrate dans l’Académie ; 2) cette confrontation a constitué le fil rouge de toute l’histoire de la raison occidentale et il n’est qu’à relire La Formation de l’esprit scientifique de Gaston Bachelard ou Le Normal et le pathologique de Georges Canguilhem pour comprendre qu’on peut difficilement légiférer en la matière ; 3) enfin, les évolutions du médium n’arrangent pas l’affaire et la révolution numérique qui généralise des « progrès disruptifs », c’est-à-dire imposés sans concertation aucune, annonce une République qui sera encore plus tyrannique que celle de Platon !

Mais le plus grave est ailleurs… dans notre monde où la majorité des grands médias (traditionnels et numériques, ceux qu’on appelle « les réseaux sociaux ») sont maintenant dans les mains de grands patrons. Ces derniers exercent un pouvoir absolu sur les industries de l’information et du divertissement qui touchent et forment nos cerveaux. Sans sombrer dans le délire ou la paranoïa du complot, force est de reconnaître que ces décideurs ne lésinent pas sur les moyens pour transformer les citoyens en consommateurs dociles, conformes, moins autonomes et satisfaits du monde tel qu’il est ! Comme le répète souvent le linguiste Noam Chomsky, « derrière la production de nouvelles, de spectacles et de publicités, le projet d’anesthésier toute forme de critique ou de révolte est bien à la manœuvre… C’est une question d’argent et de reproduction des marges de profit ».



La conséquence organique de ces différentes évolutions nous ramène à l’efficience de l’idéologie – des idées au logis -, celles des passions immédiates et dominantes qui mettent l’huile nécessaire au bon fonctionnement des rouages sociaux. Et ces « idées » ne tombent pas du ciel par une corde à foin, mais sont les strictes représentations des rapports économiques, sociaux et culturels nécessaires au maintien et à la reproduction de l’ordre ; un ordre au bénéfice de quelques élus et bénéficiaires n’hésitant pas à utiliser les moyens les plus violents pour rester aux affaires, leurs affaires !

La description de ce terrible dispositif est parfaitement effectuée dans L’Idéologie allemande de Karl Marx et Friedrich Engels : les idées de la classe dominante sont les idées dominantes. La puissance matérielle dominante est donc aussi la puissance spirituelle dominante. Les pensées dominantes ne sont rien d’autre que l’expression en idées des conditions matérielles dominantes.

Dans cette perspective, il est bien clair qu’on peut difficilement légiférer afin de différencier les analyses produites par l’idéologie dominante de celles qui le seraient par les sciences ou tout au moins par une quelconque quête opiniâtre de la vérité. Dans l’absolu, chaque diseur de bonne aventure cherchera à neutraliser ses concurrents pour faire triompher sa seule parole, donc ses intérêts. C’est toute l’histoire du Sophiste de Platon : bien parler pour séduire la jeunesse et conforter son influence sur celle-ci !

Depuis toujours, c’est aussi le rôle de la presse – notre grand sophiste : vérifier et hiérarchiser les faits afin de proposer une lecture du monde, afin de favoriser l’émission d’un jugement ! Et en la matière, on est très loin des sciences exactes. Il n’est qu’à voir l’évolution d’un journal – qui fut de référence – comme Le Monde. Après avoir été démantelé par le triumvirat Colombani-Minc-Plenel dans les années 1980, ce titre moribond – qui survit comme une « marque » -, donne de plus en plus dans la communication, le trafic d’influences, sinon la propagande pure et simple. Non content de s’être transformé en courroie de transmission de l’idéologie dominante, Le Monde d’aujourd’hui prétend – en plus – faire la police !

Ainsi, les Décodeurs du Monde prétendent-ils enquêter sur les « usines à fausses informations ». Les plus grands fabricants de Fake News de la presse parisienne, les chiots de garde de l’idéologie dominante osent ainsi s’auto-proclamer gardiens, contrôleurs et aiguilleurs des « bonnes informations ». On croit rêver ! Cette toute puissance de l’idéologie n’est pas une nouveauté, mais elle aspire désormais à occuper toute la place, à marginaliser, sinon à criminaliser tous celles et ceux qui n’accepteraient pas cette règle du jeu.

Plus lucidement, force est de constater que le 1984 de George Orwell n’est qu’un conte enfantin au regard des montages actuelles de l’idéologie dominante. Dans tous les cas de figures – et pour tenter d’y voir plus clair – on lira avec la plus grande attention l’indispensable manuel de résistance de François-Bernard Huyghe : Fake News – La grande peur. C’est court, clair, nerveux et incisif. Après une telle lecture, on se sent mieux, comme si on venait de tirer la queue du monstre…

Richard Labévière

1 François-Bernard Huyghe : Fake News – La grande peur. VA-Editions, janvier 2018.
2 Hervé Juvin : La guerre du droit pénal américain aura-t-elle lieu ? Cap sur le nouveau système de corruption mondialisé. Editions de l’Observatoire EUROGROUP-CONSULTING, mai 2016.




François-Bernard Huyghe, Loi sur les Fake news : "Le vrai pouvoir appartient à Facebook et Google" (RT, avril 2018)




François-Bernard Huyghe, Fake News : quels sont les enjeux de ce phénomène ? (Iris, 2018)

François-Bernard Huyghe, Fake news, la grande peur, Ed. VA Press, 2018
Les « fakes » (fausses nouvelles), les théories du complot, l’intoxication en ligne ou la prolifération des faits dits alternatifs ou de révélations imaginaires..., tout cela mobilise des vérificateurs et dénonciateurs dans la presse, dans les gouvernements et même chez les grands du Net. La montée du faux est sensée expliquer des votes irrationnels (Brexit, Trump), voire annoncer une ère de la « post-vérité » où les masses deviendraient comme indifférentes aux faits vérifiés. Au final, ce seraient autant de menaces pour la démocratie. Chacun peut-il choisir les versions de la réalité conformes à ses préjugés et les communautés en ligne vont elles s’isoler de plus en plus dans des univers imaginaires partagés ? Au détriment de la vérité commune. Si tel est le cas, il faut se demander pourquoi une fraction de la population est devenue si rétive aux évidences que professent médias ou experts, d’où vient ce scepticisme de masse et comment se propage l’affabulation. Prolongeant ses travaux sur la désinformation, l’auteur montre les ressorts culturels, psychologiques et technologiques de la prolifération des impostures et délires. Il analyse aussi la coupure politique entre des élites convaincues que leurs convictions raisonnables ne peuvent être remises en cause que par volonté de manipulation et, d’autre part, des communautés « anti-système » insensibles au pouvoir des médias classiques. Le livre pose la question de l'impuissance idéologique à maintenir un consensus sur le réel. Mais il analyse aussi le pouvoir inédit des technologies de communication et le conflit entre les médias, les vieilles machines à faire-croire et les nouveaux réseaux du croire ensemble. Un monde où personne ne croit plus rien, où chacun croit ce qui lui plaît ou une crise de confiance dans les anciennes machines à faire croire ?
Quatrième de couverture


  

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