Vreneli or
par Liliane Held-Khawam (15.01.2015)
Coup de tonnerre sur les places boursières mondiales. La BNS vient de quitter le PEG, son taux-plancher de 1.20 franc suisse pour un euro. Des pertes titanesques -75 milliards- sur ses placements en euro sont devenues d’un coup réalité!
« La BNS est virtuellement en faillite »
Le peuple suisse ne sait probablement pas que sa banque nationale a perdu TOUS ses fonds propres dans cette mauvaise aventure. En effet, ceux-ci s’élevaient à fin novembre à 73 milliards de francs (cf tableau ci-dessous). Les fonds propres sont comme on le voit inférieurs aux pertes supposées de 75 milliards… La réalité est probablement pire puisque nous n’avons pas la valeur exacte des fonds propres au 15 janvier, jour où la BNS estimait –enfin !- que la situation n’était plus tenable.
Fonds propres de la BNS
Source : SNB (PDF, page 7)La BNS est donc virtuellement en faillite. Ce serait le cas avec l’entreprise de M et Mme tout le monde. Mais pas la BNS, entreprise privée mais soutenue de manière illimitée par l’argent public et celui du patrimoine (épargne, trafic de paiement, assurance-vie, LPP,…) peuple…
« La BNS a épousé le sort de la zone euro »
Pourtant, la question essentielle demeure à ce stade la suivante : la BNS peut-elle ou veut-elle dissocier son destin de celui de la zone euro? La réponse est : Non. Tout simplement elle ne le peut pas ! Pourquoi ? Son bilan l’en empêche.
La BNS s’est engagée clairement dans un processus systémique avec et pour la zone euro. Elle l’a fait de concert avec les autorités fédérales qui, de leur côté n’ont cessé de transférer des pouvoirs politiques à l’Union Européenne. La politique monétaire n’est qu’une pièce du puzzle qu’est devenue la Suisse de plus en plus démantelée…
Taux-plancher ou pas, la réalité –taille, structure- du bilan de la BNS la solidarise de manière durable, problématique et imposante avec l’euro et avec l’eurozone. Elle ne peut plus disposer librement de sa politique monétaire. Les manettes de la BNS sont donc entre les mains de la BCE mais aussi du lobby bancaire international et de ses sous-traitants –SIX Group SA- du Swiss Interbank Clearing (SIC) qui lui prêtent plus de 300 milliards de francs suisses pour faire ses emplettes en devises et autres dettes publiques.
« La Suisse a déjà adhéré à l’Union européenne via les accords bilatéraux »
Il est impossible de comprendre la stratégie de la BNS et autre FINMA sans mettre en perspective le psychodrame helvétique qui se joue depuis 1992. C’est l’histoire d’un peuple qui ne veut pas d’une adhésion à l’UE qui semble pourtant ardemment voulue par les dirigeants du pays. Un nœud gordien!
Ron Paul, influent politicien américain, résumait la chose de la manière suivante: « (…) Tout comme les États-Unis et l’UE, la Suisse au niveau fédéral est dirigée par un groupe d’élites qui est plus préoccupé par son propre statut, sa réputation internationale que du bien-être du pays… » http://ronpaulinstitute.org/archives/featured-articles/2014/september/14/will-the-swiss-vote-to-get-their-gold-back.aspx
La Suisse est certes un petit pays mais ses avantages comparatifs sont excessivement importants voire indispensables à la construction de l’Union européenne. Rappelons à ce stade que la Suisse est championne du monde de compétitivité, dotée d’une économie et technologie de pointe. A ceci s’ajoute une position géographique stratégique soutenue par une infrastructure routière, autoroutière, fluviale et ferroviaire centrale et indispensable au projet européen. Cet inventaire sommaire de ses atouts ne doit pas omettre le véritable trésor helvétique qu’est sa réserve d’eau. Celle-ci représente 8% de l’eau potable du continent européen… Enfin, au milieu de cette richesse industrielle et naturelle se trouvait dans les années 2000 une banque centrale forte, dotée d’une monnaie de référence internationale et riche d’environ 2’500 tonnes d’or.
Mais voilà, une adhésion silencieuse très avancée est en cours depuis la votation en 1992. Les dirigeants successifs ont signé plus d’une centaine d’accords de toute sorte avec Bruxelles. Ce faisant, ils lui ont transféré toujours plus de souveraineté dans d’innombrables secteurs dont celui de la politique monétaire.
Ce sont des autorités fédérales qui n’ont pas hésité à mettre systématiquement le droit communautaire en primauté par rapport au droit suisse dans l’ensemble des domaines abordés dans le cadre des accords bilatéraux avec l’Union européenne https://lilianeheldkhawam.wordpress.com/integration-suisse-ue/. Il ne manque plus que la validation populaire pour légaliser le tout. Plus le peuple sera sous pression financière et économique et plus l’obtention du blanc-seing sera possible…
C’est dans ce contexte global que la problématique de la BNS (sa politique et son bilan) et l’avenir du franc suisse doivent être étudiés.
« La zone euro exige la soumission de la politique monétaire et économique des Etats »
Il est important de rappeler à ce stade que l’Union européenne est une union douanière soumise au marché unique dont l’objectif ultime est le suivant: la fusion de tous ses Etats-membres en un vaste marché unique appelé le « marché intérieur » réparti en régions (NUTS)
Le démantèlement des Etats Par Liliane Held-Khawam
Le marché intérieur est défini par 4 libertés: la libre circulation des marchandises, des capitaux, des services et des personnes qui sont en priorités les personnes morales (entreprises) et les travailleurs.
Or, la finalité de tout marché unique est d’être dotée d’une banque centrale unique (la BCE) et d’une monnaie unique (l’euro) qui correspond en tout au concept de l’Union économique et monétaire européenne (UEM) conçu par M Jacques Delors en 1989. Elle est l’ancêtre de la zone euro telle que connue aujourd’hui. http://www.ecb.europa.eu/ecb/history/emu/html/index.en.html
Le processus qui mène à la création de l’UEM se décline en 3 étapes (cf tableau ci-dessous) :
Source : ECP
« La BNS peut-elle forcer l’entrée de la Suisse dans la zone euro ? »
Pour adhérer à la zone euro, il faut donc répondre aux 3 étapes de la feuille de route décrites dans le tableau ci-dessus. Regardons si la BNS travaille dans ce sens, mettant de ce fait le pays entier et sa démocratie au pied du mur.
La phase I ou la libre circulation des capitaux.
La liberté pour rentrer et sortir des capitaux de Suisse est acquise. En revanche, on constate que les produits financiers qui circulent en Suisse sont émis principalement par le Luxembourg y compris par UBS supposée suisse. La réciproque semble moins évidente. http://www.europarl.europa.eu/aboutparliament/en/displayFtu.html?ftuId=FTU_3.1.6.html
On constate aussi que bon nombre d’instituts bancaires réputés suisses se sont domiciliés au Luxembourg et sont soumis à la surveillance prudentielle de la… BCE. Quant aux petites entreprises de gestionnaires indépendants, elles sont en train d’agoniser sous le ciel helvétique.
De manière générale, on peut dire que cette phase I est plus qu’atteinte puisque la place financière suisse semble avoir cédé son leadership à celles de Francfort, de Londres et du Luxembourg.
La phase II ou la mainmise sur les banques centrales nationales :
Cette phase consiste à détacher les banques centrales des pays membres de la zone de l’autorité publique étatique. Les gouvernements sont obligés de traiter avec les banques commerciales comme intermédiaires.
La BNS a une interdiction formelle depuis 2003 –tout comme la Banque de France depuis 1973- d’accorder des crédits à la Confédération. En cas de besoin, celle-ci doit emprunter au marché financier privé. Pourtant la même banque centrale a le droit voire l’obligation de racheter les dettes publiques du pays voisin.
La France qui s’inquiète régulièrement du coût et des conditions de renouvellement de sa dette publique, participe au financement -via sa banque de France- aux déficits des pays voisins… Un ingénieux mécanisme systémique se met en place forçant la création obligatoire d’une destinée commune avec transfert des richesses des uns vers les autres.
En résumé, cette phase II oblige les banques centrales de la zone euro à se coordonner étroitement avec la BCE et le lobby bancaire privé globalisé. On peut dire que cette collaboration bat son plein avec une BNS qui travaille à plein régime depuis la crise de 2007 avec –voire pour?- la BCE.
La phase III ou la fixation irrévocable des taux de conversion :
Concernant la BNS, on ne peut aborder cette phase III qui implique la fixation d’un taux irrévocable avec l’euro sans revenir sur son fameux taux plancher mais aussi sur sa politique d’investissement.
« La fixation du taux plancher est un acte politique sans lien avec le mandat de la BNS défini par la Constitution ou la loi sur la BNS de 2003. »
1. Le 6 septembre 2011 la direction de la BNS avait clairement outrepassé ses prérogatives légales. Aucun mandat connu émanant des chambres fédérales ne lui avait été attribué officiellement. Rien qu’à ce niveau, on peut supposer que le peuple suisse demandera un jour une enquête. Habituellement, la fixation d’un taux de ce style émane d’un gouvernement et non de la banque centrale.
« L’annonce solennelle et publique d’un « arrimage à la zone euro » -dixit le président de l’époque- avait un objectif Marketing évident en faveur de la zone euro »
2. On annonçait le 6 septembre 2011 que la richesse de la BNS (qui appartient à ses citoyens), de la Suisse et des suisses serait misée sur les marchés financiers pour soutenir l’euro et les dettes publiques européennes. Il est facile de voir comment à ce moment-là les taux ont évolué favorablement. Les marchés ont été inondés de liquidités qui ont permis aux mêmes établissements financiers dits too big to fail de faire des bénéfices jamais égalés.
« Le taux-plancher est un taux fixe qui soumet la BNS à la BCE et l’empêche de gérer sa politique monétaire »
3. Le taux plancher euro/franc suisse à 1.20 introduit du 6 septembre 2011 au 15 janvier 2015 fut considéré comme un taux de change fixe. Durant cette période, le rapport euro/franc n’a plus dépassé le 1.25. Ce faisant, la BNS ne pouvait plus remplir sa mission. Pourquoi ? A cause d’un triangle appelé triangle des incompatibilités.
Si a est la libre circulation des capitaux, b est un taux-plancher, c qui devrait être l’indépendance de la politique monétaire devient impossible. Ce triangle est connu de tous les économistes et ne pouvait être ignoré. Voilà pourquoi la BCE demande un taux de change fixe au sein de la zone euro. Mais voilà aussi pourquoi la décision du 6 septembre 2011 était vouée à l’échec. La prédictibilité était de 100%. Rien à voir avec le pseudo jeu du chat et de la souris avec les marchés financiers.
« A côté du taux-plancher la politique d’investissement de ces 10 dernières années de la BNS la contraint à soutenir l’euro et la zone euro pour un bon bout de temps »
Le franc suisse retrouve une liberté plombée par une gestion suicidaire
4. Par ses investissements massifs en euros et en dettes européennes, on peut oser affirmer que la BNS a joué un rôle déterminant dans le sauvetage de la zone euro et de l’euro en 2011. Pour cela, elle a mis la force du franc suisse, ses richesses actuelles et futures et celles de la Suisse en gage.
Durant cette période, la BNS aurait pu investir dans les entreprises suisses d’exportation pour les soutenir. Non seulement elle ne l’a pas fait mais elle s’est massivement désinvestie de ses actifs suisses mettant encore plus en danger son bilan investi en monnaies étrangères…
5. On peut dire tout simplement que la BNS se comporte comme une succursale de la BCE .
Pour revenir à la phase III de l’adhésion à la zone euro, on peut dire ceci, même si la BNS a aboli le taux-plancher avec l’euro, les 45% d’actifs de son bilan hypertrophié libellés en euros fortement investi en dettes publiques européennes reviennent à un engagement dans le marbre de la Suisse envers la zone euro.
« La BNS va sans doute continuer d’investir dans la zone euro et soutenir la BCE dans son assouplissement quantitatif de 1000milliards d’euros. Elle pourra bénéficier d’un rabais de 20% grâce à l’ajustement de son taux de change »
On peut conclure en disant que les autorités fédérales ont octroyé à la BNS une liberté qui dépasse le cadre constitutionnel. Rien n’empêche aujourd’hui la BNS – de par le mandat élargi qui lui a été attribué- d’adopter soit un nouveau plancher plus favorable à ses emplettes à venir, soit à adopter l’euro. Les deux options possibles figeront les variations de son bilan….
« Seules les autorités politiques pourraient stopper le processus d’adhésion »
Le 6 septembre 2011, la BNS s’est autorisée à « s’arrimer » à la zone euro. Le silence des politiques valait un acquiescement à un transfert de son indépendance à la BCE, selon l’exact modèle des autres banques centrales européennes voulu par le modèle de l’UEM de M Delors.
Par ailleurs, si l’on considère les dizaines et dizaines de contrats – doublés de financements conséquents – qui permettent de considérer la Suisse de facto en tant qu’Etat-membre et important contributeur de l’UE, l’adoption de l’euro serait une juste logique qui viendrait compléter l’idéologie européiste.
Par conséquent taux-plancher ou pas, la BNS lie la Suisse de facto à tous les risques systémiques et à l’avenir de la zone euro.
Liliane Held-Khawam
Source : Liliane Held-Khawam
Voir aussi les articles : Le nouveau-taux-plancher 1euro=1franc est posé ! (Liliane Held-Khavam) / Nuno Fernandes: «la BNS a perdu sa crédibilité » / Taux plancher: la BNS n’avait pas le choix (Myret Zaki)
Et la page : Le prédateur politique affaiblit pour mieux dominer (Liliane Held-Khavam)
Chappatte
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