mardi 7 avril 2015

France - Le gouvernement légalise la surveillance de masse

MAJ de la page : Vers un Patriot Act à la française



Conférence Commune "Loi Renseignement" (28 mars 2015) - Playlist 7 parties
par différentes organisations (Amnesty International France, L'Observatoire des Libertés et du Numérique, CREIS-Terminal, La Ligue des Droits de l'Homme, La Quadrature du Net, Le Syndicat de la Magistrature, Le Syndicat des avocats de France, Le CECIL, Reporters sans frontières) ayant exprimé leur inquiétude face au projet de loi sur le Renseignement présenté par le gouvernement.


Le projet de loi relatif au Renseignement met en danger les libertés fondamentales.

Quels problèmes pose-t-il ?
Surveillance de masse des citoyens
Le projet de loi Renseignement contient deux articles qui permettent une interception de l'ensemble des données de tous les citoyens français en temps réel sur Internet, dans le but de faire tourner dessus des outils de détection des comportements « suspects ». Cette surveillance massive de l'ensemble de la population est inadmissible : c'est une pratique dangereuse pour la démocratie et les libertés d'expression, de réunion, de pensée, d'action.
Nous ne voulons pas d'une copie de la NSA en France !

Pas de contrôle des services de renseignement
Le projet de loi était prévu pour être une « loi d'encadrement du Renseignement ». En réalité, sur bien des points le contrôle est inexistant : la commission de contrôle n'a qu'un avis consultatif, le recours effectif des citoyens contre les services de renseignement sont inapplicables, aucune sanction n'est prévue pour les agents qui abuseraient de leur pouvoir.
Notre démocratie doit garantir des contre-pouvoirs forts pour protéger les citoyens !

Légalisation des pratiques illégales
Le gouvernement a décidé de légaliser sans argument et sans contrôle les pratiques illégales des services de renseignement. L'étude d'impact du projet de loi et la communication du gouvernement ne justifient jamais cette légalisation massive, extra-judiciaire et quasiment sans contrôle de la surveillance.
Nous ne pouvons accepter sans contrôle une légalisation massive des pratiques des services de renseignement !
Source (site dédié au projet de loi sur le Renseignement) : Sous-surveillance


Le gouvernement légalise la surveillance de masse
Par Pierric Marissal, le 1 avril 2015

Examiné à partir d’aujourd’hui en commission à l’Assemblée nationale, le projet de loi sur le renseignement, censé être une arme antiterroriste, confère à l’exécutif des pouvoirs de surveillance exorbitants, 
sans contrôle judiciaire. Décryptage.

Un Patriot Act à la française ? Sous couvert de lutter contre le terrorisme, le projet de loi sur le renseignement, présenté à partir d’aujourd’hui en commission à l’Assemblée nationale, et examiné en séance le 13 avril, risque d’entraîner la France dans une véritable dérive sécuritaire. C’est en tout cas la crainte de multiples associations et syndicats qui dénoncent depuis plusieurs semaines ce texte, initié dans la foulée des attentats de Paris et pour lequel le gouvernement a décrété la procédure d’urgence, gage d’un examen à grande vitesse et d’un débat public sacrifi é. Une précipitation coupable, tant les mesures imaginées par le député PS Jean- Jacques Urvoas, rapporteur du projet, marquent un véritable tournant dans le droit français. Il offre l’impunité aux agents du renseignement, légalise la surveillance de masse, ou encore confère au premier ministre un pouvoir de contrôle exorbitant.

Le champ d’action de cette loi, tout comme la nature des outils intrusifs désormais autorisés nécessiteraient une large consultation de la société civile. Le ministre de l’Intérieur, lui-même, en avait, semble-t-il, conscience en septembre dernier lorsqu’il s’était fermement opposé à la légalisation des nombreuses technologies que le gouvernement veut, pourtant, mettre désormais en place…

1. Des outils intrusifs 
qui menacent les libertés

En légalisant la surveillance de masse en France, ce projet de loi met à mal plusieurs droits fondamentaux. Ne serait-ce, s’il fallait en citer qu’un, que l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme : « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance… » Or, ce texte prévoit de doter les services de renseignements de dispositifs techniques très intrusifs. Ils pourront scruter et analyser en temps réel le trafic Internet en plaçant des « boîtes noires » directement chez les fournisseurs d’accès (FAI), sonoriser des espaces privés, voitures ou domiciles, capter des images, géolocaliser des objets ou véhicules, pirater des ordinateurs ou téléphones portables…

Jusqu’ici, filant sa métaphore, le renseignement français expliquait qu’il pêchait au harpon tandis que la NSA (l’agence de renseignement américaine), elle, pêchait à large filet. Avec cette loi, la technique du harponnage est bel et bien révolue. Preuve en est, les agents pourront utiliser des IMSI catchers, sortes d’antennes téléphoniques qui permettent d’« aspirer » autour d’elles l’intégralité du trafic mobile (conversations, SMS, trafic Internet…) comme de suivre les mouvements des propriétaires de ces téléphones. En septembre dernier, un projet de loi entendait autoriser l’administration pénitentiaire à utiliser des IMSI catchers pour surveiller les conversations de certains détenus. Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, s’y était… opposé. « Il ne faudrait pas que les technologies prévues pour intercepter les communications d’individus que l’on a intérêt à surveiller permettent, du même coup, d’écouter d’autres personnes qui ne devraient pas l’être. » Belle intention aujourd’hui oubliée. Ce projet de loi balaye toute protection du citoyen contre les abus de la puissance publique, son droit à la vie privée, l’inviolabilité du domicile, le secret des correspondances… « Dans le droit français, on peut priver quelqu’un de certains de ses droits, comme de son droit à la liberté, si on le met en prison. Mais cela se fait sous l’autorité indépendante d’un juge, en cas d’infraction pénale, et on a droit à un recours. Là, on n’est même pas en cas d’infraction pénale, on devrait prendre encore plus de précaution… », estime Laurence Blisson, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature (SM).

Il faut également penser à l’effet produit sur les citoyens. Pour Maryse Artiguelong, coordinatrice de l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN), « il est évident que si vous pensez être surveillé, vous allez vous-même vous autocensurer. Cela reste une atteinte énorme à la liberté d’expression, à la vie privé ». Ce projet de loi ne garantit pas, non plus, que le secret des sources des journalistes sera préservé. Pire : révéler qu’une personne ou une organisation est surveillée par le renseignement sera puni par le droit ! Et tant pis pour les Edward Snowden et autres lanceurs d’alerte. « Nous exigeons que cette loi protège le droit des journalistes à travailler sans être espionnés, faute de quoi, elle constituerait une grave violation de la liberté de la presse et des médias. Le gouvernement doit rétablir la protection de la confidentialité des sources des journalistes », s’insurge ainsi Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières.

2. Un champ d’application 
très large

Les ministères qui pourront ordonner de telles écoutes sont la Défense, l’Intérieur, mais aussi l’Économie et les Finances, avec l’accord du premier ministre. Le champ d’application de la loi prévoit notamment la « prévention de la criminalité et de la délinquance organisée » et la « prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ». Un périmètre bien trop flou et susceptible de dérives. « Qui va décider de ce qu’on doit considérer comme “violences collectives”? interroge la CGT police. Une simple manifestation ne pourrait-elle pas être classée dans cette catégorie, vu le “risque” inhérent de ce genre de rassemblement ? Toute personne y participant pourrait être mise sur écoute ? » Pour les associations et syndicats, on ne peut pas parler d’une loi antiterroriste. « En incluant les violences collectives dans ce texte, on autorise l’utilisation de pouvoirs intrusifs dans le champ politique et des mobilisations collectives, dénonce Laurence Blisson, du SM. Les centrales syndicales, les organisations politiques devraient vraiment s’en inquiéter. L’autre dérive possible de ce texte consisterait à renforcer les pouvoirs des agents de renseignement dans les quartiers populaires pour surveiller les initiatives politiques qui y naissent, au nom de la prévention des émeutes de banlieues. » Le périmètre d’action s’étend également pour préserver les « intérêts économiques et scientifiques majeurs ». « On voit se nicher des mesures de surveillance touchant des personnes qui remettraient en cause les intérêts du patronat, comme dénoncer des pratiques illégales d’entreprises nationales de l’armement ou de l’énergie », souligne Laurence Blisson. Autant de points susceptibles d’entraîner des dérives.

3. Peu de contrôles
 et aucune garantie

Le projet de loi supprime la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) et la remplace par une Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Cette dernière est composée de seulement neuf membres dont quatre parlementaires, deux magistrats de la Cour de cassation, deux magistrats du Conseil d’État et une personne recrutée pour ses compétences techniques. « Cette composition n’est pas satisfaisante, mais ce qui nous préoccupe surtout ce sont ses pouvoirs », estime Laurence Blisson. La CNCTR devra étudier les requêtes d’interception et d’écoutes émises par le premier ministre – au minimum 3 000 par an – mais n’aura qu’un pouvoir consultatif. Matignon enverra à la commission chaque demande et celle-ci aura vingt-quatre heures pour décider si elle se saisit, un silence équivalant à une approbation. Si la commission décide de débattre, elle aura trois jours pour émettre un avis… que Matignon ne sera pas obligé de suivre. En dernier recours, et à condition qu’elle le vote à la majorité absolue, la CNCTR pourra saisir le Conseil d’État. Ce dernier pourra alors ordonner la fin de la surveillance et la suppression des informations recueillies. « C’est la seule avancée du texte, estime Laurence Blisson. Les personnes qui se pensent surveillées pourront également saisir le Conseil d’État, mais elles n’auront accès à aucun document, ne pourront pas être défendues par un avocat, ni ne sauront pourquoi ni comment elles ont été placées sur surveillance. Ni ce qui a été récolté. » Pour Pierre Tartakowsky président de la Ligue des droits de l’homme, c’est un projet de loi qui organise l’impunité des agents de l’État, inscrit dans une logique purement sécuritaire. « On veut bien d’une loi sur le renseignement, mais une loi qui donne des garanties, que les agents aient des comptes à rendre. Pour cela, il faut une mobilisation de la société civile, comme il y en a eu pour le tristement célèbre fichier Edvige. »

4. Une surveillance 
sous-traitée au privé

Ce projet de loi entend placer chez les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) des « boîtes noires », des dispositifs de traitement automatisé et en temps réel des données, dans le but de « révéler une menace terroriste ». Un algorithme sera chargé de scruter en profondeur le trafic Internet des Français et des étrangers en contact avec notre pays, et de déterminer, selon les comportements, si une personne est suspecte, avant de transmettre son identité à l’exécutif. L’État pratiquera ainsi des interceptions massives comparables à celles de la NSA, mais en s’appuyant sur les opérateurs privés. Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, dénonçait pourtant, en septembre dernier, cette pratique dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale : « Cette technique est très onéreuse – son coût pour les fournisseurs d’accès serait de l’ordre de 140 millions d’euros – et peut considérablement perturber le trafic. Très intrusive, elle peut présenter des risques importants ; nous ne souhaitons donc pas l’utiliser. » Le rappellera-t-il au cours des débats ? Pour Sylvain Steer, du Centre d’études sur la citoyenneté, l’informatisation et les libertés (Cecil), les opérateurs ne seront pas en mesure de refuser ces dispositifs et cela permettra de surveiller intégralement toutes les communications. « On est vraiment dans de la surveillance algorithmique, relève-t-il. On délègue à la technique le fait d’analyser les pratiques de nos concitoyens. La machine va repérer des signaux faibles, comme des recherches, des connexions à un site identifié, le fait de ne faire que des brouillons dans une boîte mail… Autant de choses qui pourraient être analysées comme des comportements déviants. » Toutes ces données, il va falloir les traiter. Pour Maryse Artiguelong de l’OLN, l’État va certainement déléguer beaucoup de compétences au privé, dès l’installation de ces boîtes noires. « L’État en a l’habitude. Par exemple, la plate-forme nationale des interceptions administratives, qui s’occupe des écoutes téléphoniques, a été directement installée chez Thales. Forcément, des intervenants privés, même habilités secret défense, vont intervenir. » Des dispositifs seront également envisagés chez les moteurs de recherche et les hébergeurs de contenus. « Un des porteurs du projet a clairement évoqué son souhait d’avoir une personne habilitée secret défense chez Google », raconte Sylvain Steer.

La France parmi les « Neuf Yeux ». Vous connaissez les « Five Eyes » – « Cinq Yeux » en français ? L’expression désigne l’alliance conclue entre les services de renseignement et d’espionnage de l’Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni et des États-Unis afin de partager les millions d’informations que chacun de ces pays collecte chaque mois. À la base de la surveillance de masse, ces Five Eyes ont été rejoints par quatre autres États – le Danemark, la Norvège et les Pays-Bas et la France –, formant ainsi le groupe des Nine Eyes.
Source : L'Humanité


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