Le ministre allemand des finances veut que la Grèce soit exclue de l’euro pour effrayer les Français
Par Yanis Varoufakis, le 11 juillet 2015
Le sommet EU de demain va sceller le sort de la Grèce dans l’Eurozone. Alors que ces lignes sont écrites, Euclid Tsakalotos, mon cher ami, camarade m’ayant succédé au poste de ministre grec des finances se rend à la réunion de l’Eurogroupe qui va déterminer si un ultime accord entre la Grèce et nos créanciers peut être trouve et si cet accord contient assez d’éléments concernant un allègement de la dette permettant à l’économie grecque de devenir viable dans la zone euro. Euclide a emporté avec lui un plan de restructuration de la dette, à la fois logique, modéré et bien-pensé, qui est sans aucun doute dans l’intérêt de la Grèce et de ses créanciers. (Je publierai les détails de ce plan ici une fois que les choses se seront calmées).
Si ces modestes propositions de restructuration de la dette sont rejetées, comme en a menacé le ministre allemand des finances, le sommet EU de dimanche devra décider entre exclure maintenant la Grèce de l’Eurozone ou la garder pour un certain temps, dans un profond état d’appauvrissement, jusqu’à ce qu’elle s’en aille. La question qui se pose est : pourquoi le ministre des finances allemand, Dr Wolfgang Schäuble, s’oppose à une restructuration de dette modérée et bénéfique aux deux parties ? L’éditorial suivant, publié récemment dans le Guardian, répond a ma question. [Je tiens à dire que le titre du Guardian n’était pas mon choix. Le mien était, comme celui au-dessus: Derrière le refus allemand d’accorder un allégement de la dette grecque]
Le drame des finances grecques a dominé les gros titres des médias Durant 5 ans pour une raison: le refus obstiné de nos créanciers d’accepter un allègement de la dette. Pourquoi, alors que cela est un non-sens, que cela va contre l’avis du FMI et les pratiques habituelles des banquiers faisant face à des emprunteurs ruinés, refusent-ils une restructuration de la dette ? La réponse n’est pas d’origine économique, mais est profondément inscrite dans le labyrinthe politique européen.
En 2010, l’État grec est devenu insolvable. Deux options, toutes deux impliquant un maintien dans l’Eurozone, se présentèrent d’elles-mêmes : l’option logique, que tout bon banquier recommanderait, était de restructurer la dette et redynamiser l’économie ; et l’option néfaste était de prêter encore plus d’argent a une entité en faillite en prétendant qu’elle demeurait solvable.
Les officiels européens ont choisi la seconde option en plaçant le sauvetage des banques françaises et allemandes exposées à la dette grecque au-dessus de la viabilité socio-économique de la Grèce. Une restructuration de la dette aurait engendré des pertes pour les banquiers sur leurs parts de la dette grecque. Résolus a ne pas avouer aux parlements que les citoyens devraient encore renflouer les banques du fait de leurs prêts inconsidérés, les officiels européens ont présenté l’insolvabilité de l’État grec comme un manque de liquidité, et ont justifié le ‘sauvetage’ de la Grèce comme nécessaire solidarité envers le peuple grec.
Pour transformer le transfert cynique de pertes privées irrécupérables sur les épaules des citoyens en un cas “d’amour vache”, une politique d’austérité a été impose à la Grèce, dont le revenu national (qui sert à payer les anciennes et nouvelles dettes) a en conséquence diminué de plus d’un quart. Il faut l’expertise mathématique d’un enfant de 8 ans pour comprendre que cette approche ne peut que mal finir.
Une fois que cette opération sordide fut achevée, l’Europe a automatiquement trouvé une autre raison pour refuser de discuter d’une restructuration de la dette : celle-ci affecterait maintenant directement les citoyens européens ! Et ainsi des doses d’austérité de plus en plus importantes ont été administrées tandis que la dette enflait, forçant les créanciers à accorder plus de prêts en échange de plus d’austérité.
Notre gouvernement a été élu sur la proposition d’en finir avec cette boucle infernale ; de demander une restructuration de la dette et d’arrêter cette austérité néfaste. Les négociations ont atteint une impasse pour une raison simple : les créanciers continuent de refuser toute restructuration de dette tout en insistant pour que notre énorme dette soit remboursée ‘’paramétriquement ‘’ par les Grecs les plus faibles, leurs enfants et leurs petits-enfants.
Durant ma première semaine en tant que ministre des finances, j’ai reçu la visite de Jeroen Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe (les ministres des finances de l’Eurozone), qui m’a mis face à un choix impossible : « accepte cette forme de sauvetage et oublie toute demande de restructuration de de dette ou tes accords de prêt vont être annulés » (la conséquence non-dite étant que les banques grecques devraient mettre la clé sous la porte).
S’en sont suivis cinq mois de négociations effectuées dans des conditions d’asphyxie monétaire et d’un bank-run supervisés et administrés par la BCE. La suite logique était évidente : à moins que nous capitulions, nous nous retrouverions très vite à faire face à des contrôles de capitaux, une fermeture des banques et au final un Grexit.
La menace d’un Grexit a provoqué quelques frayeurs ces dernières années. En 2010, il a effrayé les financiers car leurs banques étaient remplies de dette grecque. Même en 2012, quand le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, a déclaré que le coût d’un Grexit était un investissement rentable en tant que moyen de discipliner la France et d’autres États, l’idée d’un Grexit a continué à effrayer quasiment tout le monde.
Avant même que Syriza arrive au pouvoir en janvier dernier, et que cette élection ait confirmé notre opinion que ces ‘renflouements’ n’avaient pas pour but de sauver la Grèce (mais plutôt de renforcer l’Europe du nord), une vaste majorité au sein de l’Eurogroupe, sous la tutelle de Schäuble, avait adopté le Grexit soit comme leur solution préférée soit comme arme de choix contre notre gouvernement.
Les Grecs, à raison, ont frissonné à l’idée d’être coupés de l’union monétaire. Sortir d’une monnaie commune n’est en rien comparable à la sortie d’une parité de change fixe, comme le firent les Britanniques en 1992, quand […] la livre sterling a quitté le Système Monétaire Européen (SME). Hélas, la Grèce n’a pas de monnaie dont le taux de change avec l’euro peut être découple. Elle a l’euro, une monnaie étrangère entièrement administrée par un créancier insensible au besoin de restructurer notre dette nationale intenable.
Pour sortir, nous aurions à créer une nouvelle monnaie à partir de rien. En Irak occupé, l’introduction d’une nouvelle monnaie papier a pris près d’un an, a peu près 20 Boeings 747, la mobilisation des forces armées américaines, 3 entreprises d’impression et des centaines de camions. En absence d’un tel support, un Grexit équivaudrait a annoncer une large dévaluation plus de 18 mois en avance : une recette parfaite pour liquider la Grèce et transférer les avoirs a l’étranger par tout moyen.
Avec [la menace d’]un Grexit amplifiant le bank-run induit par la BCE, nos tentatives pour remettre un plan de restructuration de la dette sur la table des négociations tombent dans l’oreille d’un sourd. Encore et toujours, on nous a dit que cette question serait abordée après que le programme d’austérité ai été terminé avec succès, ce qui constitue une prodigieuse farce dans la mesure ou le ‘’programme’’ ne pourrait jamais réussir sans restructuration de dette.
Ce week-end nous amène au firmament des discussions où Euclid Tsakalotos, mon successeur, s’efforce, encore, de remettre les choses en ordre : de convaincre un Eurogroupe hostile que la restructuration de la dette est un prérequis au succès des reformes grecques et non une récompense accordée après-coup. Pourquoi cela est-il si difficile à comprendre ? J’y vois 3 raisons.
Une raison est que l’inertie institutionnelle est dure à combattre. Une seconde raison est qu’une dette insoutenable donne aux créanciers un immense pouvoir sur les emprunteurs, et le pouvoir, comme nous le savons, corrompt même les meilleurs. Mais c’est la 3eme raison qui me semble la plus pertinente et, de fait, plus intéressante.
L’euro est un hybride entre un régime de taux de changes fixes, comme le SME des années 80, ou l’étalon or des années 30, et une monnaie étatique. Le premier compte sur la peur d’une expulsion pour garder sa cohésion, tandis que la monnaie étatique implique des mécanismes de redistribution des surplus entre États membres (par exemple, un budget fédéral, des bons du Trésor communs). Mais l’Eurozone n’est en réalité aucun de ces 2 concepts : c’est plus qu’un régime taux de changes fixes et moins qu’une monnaie étatique.
Et voilà bien le hic. Après la crise de 2008/9, l’Europe ne savait pas comment répondre. Devait-elle se préparer à au moins une expulsion (c’est le Grexit) pour renforcer la discipline? Ou se diriger vers une fédéralisation ? Jusqu’à présent cela n’a été ni l’un ni l’autre, et son angoisse existentialiste augmente sans fin. Schäuble est convaincu qu’étant donné la situation, il a besoin d’un Grexit pour faire retomber la pression, d’une façon ou d’une autre. Soudainement, une dette publique grecque perpétuellement insoutenable, sans laquelle le risque d’un Grexit s’évaporerait, a trouvé une nouvelle utilité auprès de Schäuble.
Que veux-je dire par là ? Basée sur des mois de négociations, ma conviction est que le ministre allemand des finances veut que la Grèce soit exclue de l’euro pour effrayer les Français et amener ces derniers à accepter son modèle d’une Eurozone disciplinée.
Source : Yanis Varoufakis / Les Crises (trad.)
« On assiste à la 3e autodestruction de l’Europe sous direction allemande »,
Interview de Emmanuel Todd par William Bourton, le 10 juillet 2015 - Le Soir
Pour Emmanuel Todd, l’Europe est en train de se scissionner par le milieu: nord contre sud
Si son intransigeance insupporte une partie des opinions publiques européennes, Alexis Tsipras s’est gagné en retour la sympathie de nombreux supporters par-delà ses frontières nationales. Par empathie pour le petit peuple grec, qui ploie sous des mesures d’austérité jugées scélérates? Sans doute. Mais n’incarnerait-il pas, aux yeux de ceux qui l’admirent, quelque chose de plus vaste, qui ressemblerait au combat d’un David, fort de son histoire et de sa culture, face au géant froid de Bruxelles, convaincu que la Raison est la faculté de l’unité?
Nous avons questionné l’historien, démographe et anthropologue français Emmanuel Todd, auteur, notamment, de L’Invention de l’Europe (Seuil): essai dont il espérait «qu’il permettra à certains européistes de sonder l’épaisseur anthropologique des nations».
Comment analysez-vous le psychodrame grec ?
Ce qui me frappe, c’est que l’Europe à laquelle on a affaire n’est plus celle d’avant: c’est une Europe contrôlée par l’Allemagne et par ses satellites baltes, polonais, etc. L’Europe est devenue un système hiérarchique, autoritaire, «austéritaire», sous direction allemande. Tsipras est probablement en train de polariser cette Europe du nord contre l’Europe du sud. L’affrontement, il est entre Tsipras et Schäuble (le ministre allemand des Finances, NDLR). L’Europe est en train de se scissionner par le milieu. Au-delà de ce que disent les gouvernements, je suis prêt à parier que les Italiens, les Espagnols, les Portugais… mais aussi les Anglais ont une immense sympathie pour Tsipras.
Un clivage nord-sud plutôt que gauche-droite?
Observez l’attitude des sociodémocrates allemands: ils sont particulièrement durs envers les Grecs. Tout le discours des socialistes français, jusqu’à très récemment, consistait à dire: «On va faire une autre Europe, une Europe de gauche. Et grâce à nos excellents rapports avec la social-démocratie allemande, il va se passer autre chose»… Je leur répondais: «Non, ça va être pire avec eux!» Les sociodémocrates sont implantés dans les zones protestantes en Allemagne. Ils sont encore plus au nord, encore plus opposés aux «cathos rigolards» du sud… Ce qui ressort, ce n’est donc pas du tout une opposition gauche-droite, c’est une opposition culturelle aussi ancienne que l’Europe. Je suis sûr que si le fantôme de Fernand Braudel (grand historien français: 1902-1985) ressortait de la tombe, il dirait que nous voyons de nouveau apparaître les limites de l’Empire romain. Les pays vraiment influencés par l’universalisme romain sont instinctivement du côté d’une Europe raisonnable, c’est-à-dire d’une Europe dont la sensibilité n’est pas autoritaire et masochiste, qui a compris que les plans d’austérité sont autodestructeurs, suicidaires. Et puis en face, il y a une Europe plutôt centrée sur le monde luthérien – commun aux deux tiers de l’Allemagne, à deux pays baltes sur trois, aux pays scandinaves – en y rajoutant le satellite polonais – la Pologne est catholique mais n’a jamais appartenu à l’empire romain. C’est donc quelque chose d’extraordinairement profond qui ressort.
On n’entend guère la France dans ce débat nord-sud…
C’est la vraie question: est-ce que la France va bouger? La France est double. Il y a la vieille France maurrassienne reconvertie en France socialiste, décentralisatrice, européiste et germanophile, qui bloque le système. Mais il est clair que les deux tiers de la France profonde sont du côté de l’Europe du sud. Quelque part, le système politique français – qui n’en finit pas de produire ces présidents ridicules, où l’asthénique succède à l’hystérique – ne joue pas son rôle. Le système est bloqué. Jusqu’à présent, la France jouait le rôle du bon flic quand l’Allemagne faisait le mauvais… Pour Hollande, c’est la minute de vérité. S’il laisse tomber les Grecs, il part dans l’Histoire du côté des socialistes qui ont voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Si les Grecs sont massacrés d’une façon ou d’une autre avec la complicité et la collaboration de la France, alors on saura que c’est la France de Pétain qui est au pouvoir.
Un Grexit précipiterait-il la fin de l’euro, que vous prophétisez depuis longtemps?
A terme, la sortie de la Grèce amènerait de manière quasi certaine la dissolution de l’ensemble. Il est vraisemblable que l’Allemagne constituera une zone monétaire avec ses satellites autrichiens, scandinave, baltes, avec l’appui de la Pologne – qui n’est pas dans la zone euro. De l’autre côté, on pourrait assister à un retour d’un partenariat franco-britannique pour équilibrer le système.
Ce qu’on a vu depuis 2011, c’est l’incroyable obstination des élites européennes – et notamment des élites françaises néovichystes (laissez «néovichystes»!) : mélange de catholiques zombies, de banquiers et de hauts fonctionnaires méprisants – à faire durer ce système qui ne marche pas. L’euro est le trou noir de l’économie mondiale. L’Europe s’est obstinée dans une attitude d’échec économique incroyable qui évoque en fait un élément de folie. On est dans l’irrationnel et la folie: une sorte d’excès de rationalité qui produit un irrationnel collectif. D’un côté, ça peut encore durer très longtemps. Mais d’un autre côté, ce que j’ai senti, et pas seulement chez les Allemands et chez les Grecs, c’est le début d’un vertige, d’une attirance par la crise. Personne n’ose dire que ça ne marche pas, personne n’ose prendre la responsabilité d’un échec – car c’est un échec ahurissant, l’histoire de l’euro! – mais on sent aussi chez les acteurs une sorte de besoin d’en finir. Plutôt une fin effroyable qu’un effroi sans fin. Dans ce cas, la Grèce serait le détonateur. Les gens sont au bord d’une prise de conscience du tragique réel de la situation. Le tragique réel de la situation, c’est que l’Europe est un continent qui, au XXe siècle, de façon cyclique, se suicide sous direction allemande. Il y a d’abord eu la guerre de 14, puis la deuxième guerre mondiale. Là, le continent est beaucoup plus riche, beaucoup plus paisible, démilitarisé, âgé, arthritique. Dans ce contexte ralenti, comme au ralenti, on est en train sans doute d’assister à la troisième autodestruction de l’Europe, et de nouveau sous direction allemande.
Et quid de la Grèce?
Est-ce que ça prendra 5 ans?, est-ce que ça prendra 10 ans? – mais la Grèce va commencer à se sentir mieux à l’extérieur de la zone euro. Les Grecs sont des gens remarquablement intelligents et adaptables, et qui auront de plus le soutien du patriotisme comme facteur de redressement. Et c’est à ce moment-là que la situation deviendra insupportable sur l’euro. Laisser sortir la Grèce, c’est prendre le risque d’administrer la preuve qu’on est mieux à l’extérieur de la zone que dedans.
Quand on est dans l’Europe folle, on a l’impression que les forces anti-grecques sont majoritaires de façon écrasante. Mais quand on lit la presse internationale, on se rend compte que les Grecs ont tout le monde avec eux! Lisez simplement la presse américaine: elle considère que les gens de Bruxelles, de Strasbourg et de Berlin sont complètement fous! Il y a énormément de gens qui auront intérêt à retaper la Grèce, à commencer par les Américains, qui ne peuvent pas permettre que ce pays parte en lambeaux, compte tenu de sa position stratégique. Plein de gens vont aider la Grèce, c’est ça le problème…
Source : Le Soir / Les Crises
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L’Allemagne, les Etats-Unis et la France
Par Jacques Sapir, le 11 juillet 2015
Les propositions qui ont été soumises par le gouvernement grec le jeudi 9 juillet, on le sait, ont été en grande partie rédigées avec l’aide de hauts fonctionnaires français. Même si cela a été démenti par Bercy, c’est une pratique courante des administrations de déléguer des fonctionnaires « à titre personnel », s’assurant ainsi en cas d’échec de la possibilité de nier toute implication. Ceci témoigne, en réalité, de l’intense travail de pressions qui a été exercé tant sur la Grèce que sur l’Allemagne par les Etats-Unis depuis ces derniers jours. Nous verrons sous peu si ces pressions ont été efficaces. Mais, il est clair d’ores et déjà qu’elles ont eu des effets collatéraux.
Le rôle de la France
Car, ces pressions ont aussi mobilisé la France qui a cru pouvoir jouer le rôle d’un intermédiaire entre l’Allemagne et ses alliés d’une part et la Grèce d’autre part. Ce rôle d’intermédiaire n’a été possible qu’en se rangeant dans le camp des Etats-Unis. Il faut donc noter ici que la France a délibérément choisi le camp des Etats-Unis contre celui de l’Allemagne. Cela ne sera pas sans conséquences pour la suite, et ceci que l’Allemagne impose le « Grexit » où qu’un accord de dernière minute soit trouvé. En effet, si le gouvernement français n’a pas eu nécessairement tort de choisir d’affronter l’Allemagne sur ce dossier, la manière dont il le fait jette un doute sur la survie à terme non seulement de la zone Euro mais, au-delà, de l’Union européenne. Le gouvernement français a en effet choisi de s’appuyer sur une puissance non-européenne pour tenter de faire fléchir l’Allemagne. Ce faisant, il reconnaît de par son action, que c’est la politique allemande qui constitue aujourd’hui un problème pour la zone Euro. C’est une évidence, et on l’a écrit à de nombreuses reprises dans ce carnet.
Mais alors, que reste-t-il du mythique couple franco-allemand, dont beaucoup se rincent la bouche et qui constitue, en un sens, l’un des piliers de l’Union européenne ? N’est-ce pas reconnaître qu’avec la réunification de l’Allemagne, le « couple franco-allemand » est mort et enterré ? Dans ce cas, plutôt que de se jeter dans les bras d’une puissance non-européenne, ne devrait-on pas se rapprocher de la Russie ? Ce qui frappe quand on analyse l’attitude du gouvernement français c’est l’amateurisme qui a prévalu sur des questions absolument fondamentales.
Une vision essentiellement idéologique
Qui plus est, le gouvernement français s’est engagé dans cette voie pour des raisons essentiellement idéologique. En réalité, ce que veut par dessus tout M. François Hollande c’est « sauver l’Euro » et éviter de voir l’Allemagne exclure de fait la Grèce de la zone Euro. François Hollande est ici bien l’un des fils spirituel de Jacques Delors, la vision en moins et la rigidité idéologique en plus. Mais, il risque de voir très rapidement le prix qu’il aura payé pour cela, et pour un résultat qui ne durera probablement que quelques mois. Car, les propositions avancées par le gouvernement grec, si elles devaient être acceptées, ne règlent rien. Si ces propositions sont finalement rejetées, comme semble le laisser présager la réunion du l’Eurogroupe de la nuit du 11 au 12 juillet, il deviendra clair que l’action des Etats-Unis et de la France a été inefficace. Par contre, la rupture entre la France et l’Allemagne perdurera, elle. Et l’image d’une Union européenne divisée, obligée d’appeler une tierce puissance pour résoudre ses conflits internes, va s’imposer rapidement.
La seule signification possible de l’Union européenne, et avant elle de la Communauté économique européenne, consistait à montrer que les européens étaient capables de prendre leurs affaires en mains sans aucune ingérence d’une tierce puissance. Or, en appuyant les pressions américaines, en se joignant à elles, c’est très précisément à cela que François Hollande, tout à la poursuite de son rêve quant à l’Euro, vient de renoncer. Le prix politique à payer sera donc très lourd.
Le problème allemand et l’Union européenne
Au-delà, il y a aujourd’hui très clairement un « problème allemand » au sein de l’UE et surtout de la zone Euro. On voit bien comment l’Allemagne utilise à son profit exclusif les institutions qui ont été mises en place. Mais, au lieu de le reconnaître, et de comprendre que dans ces conditions l’Euro ne peut plus fonctionner, François Hollande s’entête. Il refuse d’en tirer les conséquences. En fait, François Hollande est tombé dans le piège tendu par les Etats-Unis. Alors qu’une confrontation entre la France et l’Allemagne sur les questions européennes, même si elle aurait pu faire tanguer les institutions européennes, serait restée essentiellement une affaire intra-européenne, en jouant la carte des Etats-Unis pour un problème conjoncturel François Hollande a probablement porté le coup de grâce à ce à quoi il tient le plus : l’Union européenne.
Source : RussEurope
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Les conditions d’un “Grexit”
Par Jacques Sapir, le 11 juillet 2015
La question d’un possible « Grexit » a été à nouveau évoquée lors de la réunion de l’Eurogroupe ce samedi 11 juillet. Il s’apparenterai dans les faits à une expulsion de la Grèce, à moins que son Premier ministre ne consente à présenter sa émission, et ce en dépit d’un vote de confiance massif au Parlement dans la nuit de vendredi à samedi, et en dépit du succès remporté par le « non » au référendum du dimanche 5 juillet. Les conditions d’une sortie de la Grèce de l’Euro dans l’urgence doivent être étudiées très sérieusement compte tenu des positions de l’Allemagne à l’Eurogroupe. Si le blocage des négociations à l’Eurogroupe persiste, et devant la mauvaise fois désormais évidente de certains interlocuteurs, au nombre desquels il faut compter M. Schäuble, le Ministre allemand des finances ou M. Dijsselbloem, le Président de l’Eurogroupe, on ne peut exclure un « Grexit » dans l’urgence dès le début de la semaine prochaine. Confrontée à cette éventualité la Grèce serait dans une situation certes difficile, car les banques sont à cours de liquidités, avec des problèmes de bilans très sérieux, et la Banque Centrale (ou BofG) n’a pas de réserves. Mais cette situation est loin d’être insoluble et ne doit pas effrayer outre mesure le gouvernement grec. Si donc un « Grexit » en urgence doit être envisagé il faudra traiter les problèmes suivants, qui vont des réserves de la Banque Centrale aux liquidités en passant par la question de la dette :
La question des réserves de la Banque Centrale
On admet qu’un taux de réserves par rapport au PIB de 1/30 à 1/20 suffit pour un pays dont le compte courant (balance des exports-imports de biens et services) est à l’équilibre. Le PIB de la Grèce est aujourd’hui de 200 milliards d’Euros, soit approximativement 220 milliards de dollars. Un rapport de 1/20 donnerait donc 11 milliards de dollars. Portons à 20 milliards cette somme pour se prémunir contre tout imprévu. Cette somme pourrait venir de plusieurs sources :
Le gouvernement pourrait gager une partie des ressources du tourisme, qui représente 17% du PIB actuellement. Si on applique un taux de TVA à 23% sur ce secteur (hôtels et restaurants), les revenus fiscaux gagés vont représenter 8,5 milliards de dollars. Le gouvernement pourrait émettre des certificats gagés sur cette somme.
Les grecs ont sortis ces derniers mois plus de 35 milliards d’euros (équivalents à 39 milliards de dollars). Ils devront les réintroduire dans la circulation monétaire ne serait-ce que pour payer les impôts. Dans ces conditions 20% de cette somme pourrait être affectée aux réserves de la Banque Centrale, soit 7 milliards de dollars.
La Grèce pourrait demander à des pays avec lesquels elle entretient de bonnes relations un prêt complémentaire de 5 milliards de dollars.
Cet argent irait abonder un fonds de réserve de la nouvelle monnaie. Compte tenu de l’équilibre de la balance courante, il serait suffisant pour stabiliser cette monnaie. En fait, et compte tenu du quasi-équilibre de la balance courante, on peut penser que ce fonds de réserve serait très peu utilisé. Le contrôle des capitaux déjà en vigueur permet de limiter les prises de positions spéculatives sur la future monnaie grecque.
La question des liquidités
La Grèce est aujourd’hui étranglée par le manque de liquidités. C’est un fait bien établi. Cet étranglement, la version moderne du lacet des assassins ottomans, est entièrement lié à la politique de la Banque Centrale Européenne. Face à cela, le gouvernement grec peut émettre des reconnaissances de dette à trois ou six mois auxquelles il confèrerait le cours légal et qu’il accepterait en paiement des impôts. Ceci permettrait à l’économie de retrouver de la liquidité.
Mais, comme on l’a dit dans une précédente note, la solution qui s’impose serait en réalité une réquisition de la Banque Centrale. Cette réquisition doit être faite dans le cadre des pouvoirs d’urgence que le gouvernement grec ne manquerait pas d’invoquer si un « Grexit » était constaté. Cette réquisition permet, de manière temporaire et en attendant qu’une nouvelle loi précisant l’organisation bancaire ne soit votée, de placer la BofG sous le contrôle direct du Ministère des finances et de remplacer son directeur actuel. Cette opération permettrait au gouvernement de libérer les réserves détenues soit à la BofG soit sous contrôle de la BofG dans les banques commerciales. De toute manière, dans le cas d’une sortie de l’Euro, la réquisition de la Banque Centrale s’impose. En combinant ces deux méthodes, le gouvernement grec desserrerait le lien qui aujourd’hui l’étrangle. Il montrerait aussi à tous les agents, qu’ils soient grecs ou étranger, sa résolution à reprendre en main sa monnaie et son destin.
la question de la dette
Le problème de la dette grecque se pose ensuite. Cette dette est importante par rapport au PIB, représentant 341 milliards d’euros. En cas de dépréciation de la nouvelle monnaie, il est clair que le poids de cette dette, qui pèse déjà très lourdement sur la Grèce, serait accru. Cette dette a été émise de Bruxelles et de Francfort dans le cadre des plans d’aide qui furent en réalité des plans de transfert des créances détenues par des banques privées vers les Etats de la zone Euro. Cela constitue une importante différence avec la dette de la France ou de l’Italie, dette qui est émise dans des conditions bien plus normales et qui est majoritairement (à plus de 97% dans le cas de la France) émise dans le droit national. Dans le cas de la Grèce le problème est que – dans ces conditions particulières – la lex monetae ne s’applique pas. Il n’y a donc pas de solution autre que le défaut sur la dette, comme le fit la Russie en 1998. Une fois ce défaut réalisé, la condition de reconnaissance de la dette (à 20% ou 30 de sa valeur faciale) pourra être discutée. Mais, il est très important que le gouvernement grec annonce le défaut sur sa dette en même temps qu’il constatera que l’Euro ne peut plus avoir cours légal sur son territoire. En fait, la question du changement de monnaie et du défaut sont étroitement liées.
La question des banques commerciales
Les banques commerciales grecques, dans le cas d’un défaut sur la dette et d’une rupture avec la BCE, se trouveront en faillite. Le montant nécessaire pour leur recapitalisation est évalué actuellement à 25 milliards d’euros par le FMI. C’est une somme considérable. Ces banques commerciales doivent donc être nationalisées, mais, s’inspirant de l’exemple islandais, le gouvernement grec ferait bien de ne pas chercher à les recapitaliser entièrement. En fait la partie « banque d’investissement » doit être laissée à elle-même et doit faire faillite. Par contre la partie banque de circulation doit elle être sauvée. Cette partie pouvant opérer sous le contrôle de l’Etat, avec une garantie des dépôts de la population à travers une aide exceptionnelle apportée par la Banque Centrale, la BofG, qui aura été au préalable réquisitionné ». Cette partie devra être recapitalisée et le gouvernement devrait pour cela déclarer un emprunt obligatoire sur tous les ménages gagnant plus de 60 000 euros par an, emprunt dont les intérêts seraient égaux à l’inflation.
Telles sont les mesures qui s’imposeraient si la Grèce devait se faire expulser de la zone Euro, mesure inouïe, et qui libérerait la Grèce de l’obligation de respecter les traités, du moins dans le domaine monétaire. Ceci n’épuise pas le sujet. Il est clair que les responsabilités de l’Allemagne seraient alors immenses, et que d’autres pays pourraient très sérieusement songer à quitter l’Euro, provoquant de fait sa dissolution. Mais, aujourd’hui, l’urgence est de montrer le chemin que la Grèce peut suivre afin que ce « Grexit » se passe le mieux possible, quitte à par la suite attaquer en justice la BCE et l’Allemagne.
Source : RussEurope
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L’Europe aux périls de l’Euro
Par Jacques Sapir, le 12 juillet 2015
La crise grecque est devenue désormais une crise de l’Union européenne. Quelle que soit son issue, les fondements mêmes de l’UE ont été durablement ébranlés. La prolongation de la réunion de l’Eurogroupe, censée se terminer samedi 11 juillet et qui a été étendu au dimanche 12, l’annulation du sommet européen des chefs d’Etats et de Gouvernements, sont des signes évidents de l’ampleur et de la profondeur de cette crise. Elle n’aura probablement pas de vainqueur, à moins que l’on en passe par les conditions posées par l’Allemagne, mais les vaincus seront nombreux. Et, au premier plan, les fanatiques de la construction européenne, les talibans de l’Euro. Car, la cause réelle, la cause évidente, de cette crise ce n’est pas le problème de l’endettement de la Grèce, mais c’est le fonctionnement de la zone Euro, qui dresse les peuples les uns contre les autres et qui ranime les pires des souvenirs de l’histoire européenne. Si l’Union européenne et l’Europe sont deux choses différentes, aujourd’hui, ce qui se joue à Bruxelles n’est plus seulement la Grèce ou l’Euro, c’est l’avenir de l’Europe et l’existence même de l’Union européenne.
La responsabilité de l’Euro
Il est désormais évident pour l’ensemble des observateurs que la cause profonde de cette crise est à chercher dans le fonctionnement de la zone Euro. On l’a déjà écrit à de multiples reprises dans ce carnet. Le projet de création d’une monnaie unique, sans assurer dans le même temps les conditions tant économiques qu’institutionnelles de la viabilité de cette monnaie, ne pouvait qu’entraîner un désastre. Il fallait se résoudre à une « union de transfert ». On ne l’a jamais fait. Si, dans des pays fédéraux comme l’Inde, l’Allemagne ou les Etats-Unis une même monnaie fonctionne en dépit des divergences parfois extrêmes qui existent entre les territoires composant ces pays c’est avant tout parce qu’existent des flux de transfert importants. Ceci n’a pu être mis en place au sein de la zone Euro, en raison de l’opposition de nombreux pays mais, par dessus tout, en raison de l’opposition totale de l’Allemagne.
Beaucoup de ceux qui écrivent en faveur de l’Euro se lamentent alors sur ce qu’ils appellent « l’égoïsme allemand »[1]. Ils ne prennent jamais la peine de chercher à mesurer ce que coûterait à l’Allemagne le financement de ces flux de transfert. Le calcul a été présenté dans ce carnet[2]. Il se montait alors autour de 260 milliards d’euros par an, sur une période de dix ans, et ce uniquement pour aider les 4 pays du « Sud » de la zone que sont l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Grèce. Sur cette somme, on peut penser qu’environ 85% à 90% serait fourni par l’Allemagne. On aboutit alors à un prélèvement sur la richesse produite en Allemagne compris entre 8% et 9% du PIB. Une autre source estimait même ce prélèvement à 12%[3]. Il est clair qu’imposer un tel prélèvement à l’Allemagne détruirait son économie. La question donc n’est pas que l’Allemagne ne veuille pas (ce qui est un autre problème) mais avant tout qu’elle ne peut pas supporter de tels prélèvements.
Confrontés à l’impossibilité de mettre en place une union de transfert, les gouvernement de la zone Euro ont cru trouver leur salut dans une combinaison de cures d’austérité dont les effets récessifs ont fragilisé les économies européennes, et de politique monétaire relativement expansionniste, telle qu’elle a été menée par la Banque Centrale Européenne. Mais, cette politique monétaire, si elle a permis de faire baisser les taux d’intérêts n’a pas résolu le problème. C’est comme de vouloir soigner une pneumonie avec de l’aspirine. L’aspirine fait un effet bénéfique en permettant à la fièvre de baisser, ce que fit la politique de la BCE à partir de septembre 2012, mais elle ne soigne pas.
Dès lors, l’Euro a entraîné les économies des pays membres de la zone dans une logique de divergence de plus en plus forte. Cette logique a conduit à des plans d’austérité de plus en plus violent, qui exaspèrent les populations et qui dressent celles des pays ayant moins de problèmes contre celles des pays souffrant le plus. Loin d’être un facteur d’unité et de solidarité, l’Euro entraîne le déchaînement des égoïsmes des uns et des autres et la montée des tensions politiques au sein de l’Union européenne. L’Euro, de par son existence même est bien la source de la crise dont les péripéties bruxelloises de cette fin-de-semaine sont l’illustration.
La responsabilité des politiques
Si la responsabilité première de cette crise incombe à l’Euro, et au système institutionnel que l’on a construit pour le faire perdurer, cela ne vaut pas non-lieu pour le personnel politique. Au contraire ; leur comportement a tendu à exacerber cette crise en provoquant une perte massive de confiance des peuples de l’Union européenne dans cette dite union.
Il est de bon ton de se déchaîner à présent contre Mme Merkel et M. Schäuble. Leur responsabilité est immédiatement engagée. Le plan présenté par M. Schäuble ce samedi 11 juin, et qui prévoit soit l’expulsion de la Grèce soit la mise en gage d’une partie du patrimoine industriel de ce pays, est parfaitement scandaleux. Ces deux dirigeants se comportent comme des petites frappes cherchant à terroriser le quartier. Mais, il faut ici dire qu’ils ne sont sans doute pas les pires. De plus, il faut reconnaître à M. Schäuble une certaine cohérence dans sa position.
Parmi ceux dont les responsabilités sont certainement plus importantes il faut citer le président de l’Eurogroupe, M. Dijsselbloem. Ce triste personnage a ainsi exercé des menaces et un véritable chantage sur le ministre grec des finances, M. Yanis Varoufakis. Ce dernier l’a décrit de manière très explicite[4]. Il montre que ces détestables pratiques ne sont pas le produit de la crise (ce qui sans les justifier le moins du moins du monde pourrait les expliquer) mais ont commencé dès les premières réunions datant du mois de février 2015. Ces pratiques, ainsi que celles de M. Jean-Claude Juncker, le Président de la Commission européenne, témoignent d’un esprit profondément anti-démocratique qui règne dans les instances de l’Union européenne. Les pratiques de ces dirigeants, et avant eux de personnes comme M. Barroso, ont largement contribué à la perte de crédibilité des peuples dans ces institutions. En novembre 2012, un sondage réalisé sur l’ensemble des pays européens montrait que le pourcentage de personnes disant ne pas faire confiance dans l’Union européenne était de 42% en Pologne, de 53% en Italie, de 56% en France, de 59% en Allemagne et de 72% en Espagne[5].
Mais, les bons apôtres de la construction européenne, comme M. François Hollande, ne peuvent – eux non plus – espérer sortir indemne de cette crise. Leur responsabilité est en réalité tout autant engagée que celle des autres politiciens. Si M. Hollande avait été fidèle à ses engagements de la campane présidentielle du printemps 2012, il aurait affronté immédiatement et directement la chancelière allemande. Au lieu de cela, il a accepté d’entrer dans la logique austéritaire qu’elle proposait et il a cédé, en tout ou partie, à ce qu’elle exigeait. Il est alors logique que Mme Merkel se soit sentie confortée dans ses choix et les ait poussés jusqu’au bout de leur absurde et funeste logique concernant la Grèce. M. Hollande cherche depuis quelques jours à faire entendre une musique différente. Mais, il n’est que trop visible que l’homme est déjà en campagne pour sa réélection. Sur le fond, il est un bon représentant de ces fanatiques de la construction européenne, de ces « eurobéats », dont l’attitude va aboutir à faire éclater l’Union européenne.
Il faut agir
Au point où nous sommes dans cette crise, il faut prendre ses responsabilités. Ce qui est en jeu n’est pas seulement le sort de 11 millions de personnes, ce qui est déjà beaucoup. C’est en réalité le sort des 510 millions d’habitants de l’Union européenne qui est aujourd’hui jeté dans la balance. Derrière le sort de la Grèce, que l’on laisse seule pour gérer un flux de réfugiés de 1000 personnes/jour, c’est la réalité de l’Union européenne qui est en jeu.
Il faut aujourd’hui admettre que l’Euro n’est pas viable dans le cadre actuel, et que changer de cadre, passer au « fédéralisme » comme l’invoquent certains, est impossible. Dès lors, il faut en tirer les conséquences et procéder à un démontage coordonné de la zone Euro. Réfléchissons-y bien ; ce démontage, s’il est réalisé de manière coordonnée, sera un acte d’union. Il n’y a aucune honte à reconnaître que les conditions nécessaires n’ayant pas été remplies, la monnaie unique ne peut être viable. Il n’y a aucune honte à cela, sauf à faire de l’euro un fétiche, une nouvelle idole, une religion. Et c’est bien ce qui est inquiétant. Pour de nombreux dirigeants dans les pays de l’union européenne l’Euro n’est pas un instrument, c’est une religion, avec ses grands prêtres et ses excommunications. Car, l’alternative à cela, c’est le « Grexit », soit en réalité l’expulsion de la Grèce hors de la zone Euro, acte inouï de violence, mais dont tout le monde comprendra qu’il n’est que le début d’un processus. Une fois la Grèce mise dehors, les regards se porteront sur le prochain, puis sur le suivant. On aboutira, alors, à une lente implosion de la zone Euro, dans un vacarme de récriminations et d’accusations réciproques, dont l’Eurogroupe du samedi 11 aura été une timide annonciation. L’Union européenne, il faut le savoir, ne résistera pas à cela. Elle pourrait certainement résister au démontage coordonné, sous le contrôle du Conseil européen, et avec la participation des institutions européennes. Mais, il en ira tout autrement si on s’abandonne à la facilité et si l’on laisse la zone Euro se déliter à la suite d’une expulsion de la Grèce.
Aujourd’hui, le temps presse. Les dirigeants de l’Union européenne peuvent faire le choix salvateur d’une solution coordonnée. S’ils reconnaissent que la zone Euro n’est pas viable, tout est possible. Si, par contre, ils s’enferrent, que ce soit par idéologie ou par intérêt de court terme, dans des tentatives désespérées pour tenter de faire survivre cette zone Euro, en y sacrifiant un pays, puis un second, puis un troisième, ils mettront en marche la machine infernale de l’explosion de l’Union européenne, et ils porteront devant l’Histoire la responsabilité de futures affrontements intereuropéens. L’Union européenne peut périr, ou se transformer. L’important est de sauver l’esprit européen, un esprit de fraternité et de solidarité. C’est cela que menace désormais l’existence de l’Euro.
[1] Voir Michel Aglietta, Zone Euro : éclatement ou fédération, Michalon, Paris, 2012.
[2] Voir Sapir J., « Le coût du fédéralisme dans la zone Euro », note publiée sur le carnet RussEurope, 10 novembre 2012, http://russeurope.hypotheses.org/453
[3] Patrick Artus, « La solidarité avec les autres pays de la zone euro est-elle incompatible avec la stratégie fondamentale de l’Allemagne : rester compétitive au niveau mondial ? La réponse est oui », NATIXIS, Flash-Économie, n°508, 17 juillet 2012.
[4] VAROUFAKIS: POURQUOI L’Allemagne REFUSE D’ALLÉGER LA DETTE DE LA GRÈCE, http://blogs.mediapart.fr/blog/monica-m/120715/varoufakis-pourquoi-lallemagne-refuse-dalleger-la-dette-de-la-grece
[5] Sondage EUROBAROMETER
Source : RussEurope
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Grèce : où Alexis Tsipras veut-il en venir ?
Par Romaric Godin, le 10 juillet - La Tribune
Que cherche le premier ministre grec avec sa proposition ?
En acceptant les anciennes propositions des créanciers, le premier ministre grec tente un coup de dés. Quelles sont ses ambitions ?
Avec la reprise des propositions des créanciers qui s’apparente à une victoire par procuration du « oui » au référendum du 5 juillet, Alexis Tsipras donne l’impression de renoncer à beaucoup de ses objectifs. Mais dans quel but le premier ministre hellénique a-t-il accepté ces concessions majeures ?
1. Faire repartir l’économie
L’objectif premier de l’hôte de Maximou, le Matignon grec, c’est évidemment de mettre fin à l’asphyxie économique et financière dont son pays est victime. La Grèce est presque coupée désormais du reste du monde en termes économiques. Les importations deviennent presque impossibles et les exportations très difficiles. Le règne de l’argent liquide menace par ailleurs les recettes publiques. La situation ne pouvait continuer. Un accord rapide vise à rétablir le fonctionnement normal du système bancaire. Si la Commission accepte de débloquer les 35 milliards d’euros bloqués pour « raison politique » en en faisant un usage massif et rapide, Alexis Tsipras peut compter sur une bonne dynamique d’ici à la fin de l’année qui s’accompagnera d’un effet « rattrapage » après 6 mois de gel de l’activité économique. Ceci pourrait faire passer en partie les premières mesures d’austérité.
2. Gagner du temps pour les “vraies” réformes
En laissant mourir le programme du 30 juin et en demandant un troisième plan, la Grèce sort de la politique des « plans à court terme. » Jusqu’au 30 juin, on négociait des financements de quelques mois au mieux, cette fois, le gouvernement grec demande un plan de trois ans. Ceci couvre une grande partie du mandat d’Alexis Tsipras et permet de réaliser les « vraies » réformes, celles pour lesquelles les Grecs ont porté ce gouvernement au pouvoir : amélioration des recettes fiscales, meilleure justice sociale et lutte contre l’oligarchie. S’il réussit à mettre en place ces réformes, les éléments « punitifs » du plan ne seront alors plus forcément nécessaires. Alexis Tsipras sera alors celui qui aura mis fin à la logique purement comptable de la troïka. On comprend alors mieux l’importance du référendum : il a permis de mettre fin à ce « nœud coulant » financier lié au maintien depuis février d’une logique de court terme.
3. Mettre les créanciers face à leurs responsabilités
En reprenant les mesures des créanciers, Alexis Tsipras les contraint en réalité à accepter sa proposition de restructuration de la dette à long terme. Si les créanciers refusent, leur intransigeance éclatera au grand jour et il sera difficile de tenir le discours habituel fustigeant des Grecs pas sérieux. Dès lors, la sortie de la zone euro, si elle a lieu, sera une expulsion politique et sa gestion sera justifiée face aux Grecs. S’ils acceptent, alors Alexis Tsipras pourra se vanter d’avoir réussi là où le gouvernement Samaras a échoué : obtenir une remise de dette à partir de 2022 qui va permettre de redonner de la visibilité aux investisseurs et aux agents économiques grecs. Il pourra aussi renforcer ainsi sa stature d’homme d’Etat travaillant pour la Grèce à long terme en étant celui qui a fait céder en Europe, pour la première fois Angela Merkel et Wolfgang Schäuble.
4. Renforcer sa position politique
Le référendum du 5 juillet a été une défaite politique cuisante pour l’opposition centriste et conservatrice qui sont apparues comme des forces aveuglément suivistes des ordres des créanciers. Aujourd’hui, Alexis Tsipras les prend au piège à nouveau en reprenant le texte pour lequel ils avaient fait campagne. Il détruit donc toute opposition sur sa droite. Sur sa gauche, c’est évidemment plus délicat, mais là encore, la victoire au référendum a tellement renforcé la position d’Alexis Tsipras et la tension économique est si forte, que la gauche de Syriza ne peut prendre le risque de renverser le gouvernement. Sans doute y aura-t-il de la mauvaise humeur, mais il est actuellement très difficile de prétendre faire campagne contre Alexis Tsipras. Comme Angela Merkel en Allemagne, le premier ministre grec renforce donc sa position politique avec cette proposition. Il serait donc parvenu, grâce au référendum, à échapper au « coup d’Etat financier » souhaité par Bruxelles et Berlin. Face à l’opinion, il peut prétendre incarner à la fois la rupture avec l’austérité unilatérale du passé, la résistance face à la dureté des créanciers et la responsabilité. C’est finalement le cœur de son mandat du 25 janvier : infléchir la politique sans sortir de l’euro.
5. Garantir les acquis
Si la proposition grecque est une capitulation au regard du « non » du référendum et même des propositions grecques du 1er juillet. Mais ce n’est pas une capitulation au regard de la situation de départ du gouvernement. Il est faux d’affirmer que le gouvernement grec aurait obtenu la même chose sans lutter. D’abord, parce que, comme on l’a dit, on parle désormais d’un plan de trois ans. Ensuite, parce que le gouvernement a obtenu de vrais succès : acceptation d’une réforme du marché du travail conforme aux standards de l’OCDE et de l’OIT, pas de baisses de salaires ni de réductions d’effectifs dans la fonction publique, des retraites en partie préservées, un effort socialement mieux réparti en dépit de la hausse de la TVA (mais l’électricité reste à 13 %). Alexis Tsipras a estimé qu’une sortie de la zone euro aurait mis en danger ces acquis.
Au final, le plan d’Alexis Tsipras semble plus élaboré qu’il n’y paraît au premier regard. La fonction du référendum ne semble pas non plus si futile qu’on pourrait le croire. Mais le premier ministre grec prend néanmoins un risque majeur, car les Grecs vont à nouveau devoir accepter des sacrifices importants et douloureux. Le risque, c’est aussi que le gouvernement Tsipras ne soit dépendant des « revues » de la troïka et ne devienne qu’un fondée de pouvoir des créanciers comme ses prédécesseurs. Au-delà de l’accord, son application sera donc un élément à surveiller de près…
Source : La Tribune
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« Les peuples, contre les bureaucrates et l’ordre européen »
Par Cédric Durand, le 5 juillet 2015 - Ballast
Dimanche 5 juillet 2015. Nous retrouvons l’économiste Cédric Durand (auteur du Capital fictif et directeur de l’ouvrage collectif En finir avec l’Europe) dans l’après-midi. Les premiers résultats tombent au cours de notre entretien. La soirée confirmera ces chiffres : les Grecs balaient d’un écrasant revers de la main (61,31 %) les oukases de leurs créanciers. « Le non au référendum est un grand oui à la démocratie », s’empressera d’avancer le ministre Varoufakis avant de « donner » sa démission. Si ce résultat apparaît aux yeux de Cohn-Bendit comme « une catastrophe », si Laurence Parisot lance un « Aïe » historique, si Éric Brunet, l’auteur d’Être riche : un tabou français, peste aussitôt contre « l’immaturité » profonde des Grecs, Durand lance et tranche : « Les Grecs s’apprêtent à écrire une nouvelle page de l’histoire de l’émancipation humaine. Leurs victoires seront nos victoires. » Décryptage.
Après le « non » au référendum, quelles sont les perspectives pour la Grèce, dans les jours et les semaines à venir ?
Cette victoire extrêmement large est un événement politique majeur : c’est la première fois qu’un gouvernement dénonce la légitimité de l’Europe et en appelle à son peuple. Ce précédent démontre qu’on peut se référer à la légitimité des peuples contre la légitimité des bureaucrates et de l’ordre européen. Les conséquences de ce « non » sont avant tout politiques : un « oui » aurait rendu très difficile pour Tsipras de rester Premier ministre et aurait représenté une cassure de sa majorité. Lorsqu’il a décidé d’annoncer ce référendum, son parti était quasiment coupé en deux : l’aile gauche était vent debout, refusant d’endosser l’accord proposé aux créanciers le 23 juin (il comportait des concessions importantes sur la TVA et les retraites). Dans ces conditions, Tsipras risquait de se retrouver devant l’alternative suivante : démissionner ou s’allier avec Potami, le Pasok et des forces du centre-gauche néolibéral. Le référendum a permis de sortir de cette impasse et de réunifier son camp face à un adversaire commun. C’était très habile. Aujourd’hui, son capital politique est plus fort que jamais ; il a ressoudé son camp et dispose d’une légitimité populaire immense.
Toutefois, les désaccords qui préexistaient ne sont pas résolus. Beaucoup de choses ne dépendent pas de la Grèce et l’on peut se demander jusqu’à quel point les Européens vont accepter de donner satisfaction à Athènes – il ne faut pas se faire d’illusions à ce sujet. S’il y a des concessions en faveur des Grecs, elles seront minimales. L’accord esquissé sera un accord de restructuration de la dette (même le FMI et les États-Unis sont pour) en échange des réformes que Tsipras avait acceptées. La victoire politique de ce dernier serait alors d’obtenir une restructuration partielle de la dette, tandis que les Allemands pourront dire que les Grecs ont pris des engagements très fermes dans le sens de l’austérité… La victoire du « non » aurait un goût amer si elle devait se traduire par la poursuite des politiques d’austérité. Ce sur quoi Tsipras était prêt à s’engager avant le référendum, ce sont 8 milliards d’euros de coupes budgétaires et de taxes supplémentaires — ce qui ne manquerait pas d’aggraver de la dépression et d’accroître le niveau de chômage.
Que retenez-vous du rapport de force qui a opposé la Grèce à ses créanciers au cours des dernières semaines ?
« C’était très habile. Aujourd’hui, le capital politique de Tsipras est plus fort que jamais. Il a ressoudé son camp et dispose d’une légitimité populaire immense. »
Ce que les Grecs sont parvenus à faire est spectaculaire. La Grèce ne représente rien en terme de poids économique, pour l’Union européenne : c’est 2 % du PIB européen. Et c’est le seul pôle de gauche radicale dans une Europe majoritairement à droite. Les différents pays d’Europe sont gouvernés par une grande coalition permanente – comme en en Allemagne ou, implicitement, en France, puisque les cadres de la politique économique du gouvernement entrent dans une matrice définie en commun avec la droite, par le biais de l’échelon européen. En cela, la Grèce est spécifique : ce tout petit pays ne rentre pas dans cette grande coalition, ne souhaite pas y entrer et dispose même d’un gouvernement élu pour ne pas y rentrer. Dès lors, la situation est extrêmement difficile. Ces derniers mois, le gouvernement grec a adopté un positionnement assez ambivalent. D’un côté, une posture de combat, en permanence, avec un discours sur lequel il n’a jamais cédé : l’austérité ne marche pas et la dette grecque est insoutenable, il faut la restructurer. De l’autre, le gouvernement Tsipras a toujours adopté une posture de négociation qui l’a amené à reculer sur des questions essentielles. Si on fait le bilan, les Européens ont reculé sur le niveau d’excédent primaire qu’ils exigeaient – c’est un recul substantiel, mais qui a été effectué très tôt et qui, par ailleurs, tenait à l’insoutenabilité des objectifs fixés. Pour le reste, les Grecs se sont petit à petit alignés sur les exigences des créanciers, jusqu’à la fin du mois de juin, où Tsipras était prêt à signer ce qu’il avait refusé la semaine d’avant, grillant toutes ses lignes rouges — notamment sur la réforme des retraites et les privatisations.
Les reculs du gouvernement grec reflètent la puissance du chantage auquel celui-ci est soumis. La Banque centrale européenne [BCE] a, ces derniers mois, resserré à deux reprises le nœud coulant financier. D’abord, lors de l’accord du 20 février : elle a fermé l’accès aux mécanismes standards de refinancement, ne leur laissant l’accès aux procédures d’urgences plus coûteuses. Le gouvernement grec s’est alors résolu à signer un agenda de négociations plus qu’éloigné de son mandat électoral. Néanmoins, dans la période qui suivit, il a temporisé, n’ayant de cesse de remettre la question de la restructuration de la dette et du niveau d’excédent primaire sur la table… mais finissant par lâcher sur l’essentiel. Jusqu’au coup de tonnerre de la convocation du référendum ! Une décision prise, rappelons-le, par le fait que bien que le niveau d’austérité exigé soit accepté par la partie grecque, le contenu de celle-ci (notamment une taxe exceptionnelle sur les gros bénéfices) ne leur convenait pas. Ensuite, le 30 juin, Tsipras recula une nouvelle fois. Il craignait que la BCE ne rendît encore plus difficile l’accès au refinancement d’urgence. Ces derniers étaient déjà plafonnés – ce qui a conduit à la fermeture des banques –, mais, là, la BCE risquait d’appliquer une décote sur les titres qu’elle acceptait pour donner accès au refinancement d’urgence. Cela signifie que dans les deux jours qui allaient suivre, une banque fermerait — imaginez une banque qui ferme à la veille du référendum…
Quelle est la position du gouvernement Tsipras sur l’euro ? Faut-il souhaiter une sortie de la monnaie unique pour la Grèce ?
D’après les enquêtes d’opinion, les Grecs ne sont majoritairement pas favorables à une sortie de l’euro. Cependant, le résultat du referendum montre que cette perspective ne les effraie pas. La position la plus partagée est sans doute celle d’un « oui à l’euro » à condition de sortir de l’austérité. Tsipras fait de la politique et conserve à ce sujet une ambiguïté qui recoupe celle de la gauche de la gauche sur la question européenne. Il défend l’idée que, malgré tout, il faut se battre au sein des structures européennes pour faire changer l’Europe. D’autres personnes, dont je suis, pensent que la perspective internationaliste ne doit bien évidemment pas être abandonnée, que même la perspective européenne peut, toujours, être une perspective, mais que celle-ci ne peut se faire que par une désobéissance aux institutions européennes, et en particulier par une sortie de l’euro. Sans sortie de l’euro, il n’y a pas de marge de manœuvre pour une politique de gauche. C’était vrai avant le référendum ; cela le restera après.
Dans la bataille menée en Grèce, il est intéressant d’observer un clivage très net entre l’élite (qui s’est uniformément mobilisée en faveur du « oui » — en particulier via les organisations patronales et les médias privés) et le reste de la population, majoritairement du côté du « non ». Dans l’Union européenne, le grand capital transnational et financier est du côté de l’euro. Refuser les règles du jeu de cette monnaie unique, c’est se donner les moyens de les changer et, en particulier, d’en finir avec une politique économique dont les marges de manœuvre se limitent à baisser le coût du travail et à réduire la dépense publique. En tant qu’économiste hétérodoxe, je n’ai pas de doute sur le fait que reprendre la main sur leur monnaie permettrait aux Grecs d’obtenir de meilleurs résultats socio-économiques, à moyen terme. C’est une sortie qui devrait être négociée, pour limiter le choc initial — ils pourraient en particulier négocier un régime de change contrôlé avec la BCE, afin d’empêcher un effondrement de la monnaie au cours des premiers mois. N’oublions pas que la partie grecque a une carte maîtresse en main : leur dette qui pourrait être, purement et simplement, annulée.
Une restructuration de la dette permettrait-elle à la Grèce de rester dans l’euro ?
Oui. Pour rester dans l’euro, il faut que la Banque centrale européenne continue à financer le système bancaire grec. Pour qu’elle accepte de le faire, la BCE pose comme condition que les Grecs bénéficient d’un programme d’assistance financière. La question qui se pose aujourd’hui concerne les mesures qui s’imposeront aux Grecs pour qu’ils puissent bénéficier d’un tel programme.
Et quels seraient, plus précisément et à courts termes, les effets d’une sortie de l’euro sur l’économie grecque ?
Une dévaluation se traduit par un appauvrissement du pouvoir d’achat en biens produits à l’étranger ; il y aurait donc un renchérissement sur les produits importés. Mais l’économie grecque est l’une des économies les plus fermées d’Europe : elle est très largement autocentrée. Décrocher de la monnaie unique serait la possibilité d’avoir une politique de relance keynésienne (qui s’avérerait plutôt efficace). Ensuite, cela restaurerait brutalement la compétitivité de l’économie, permettant de réutiliser des capacités de production aujourd’hui oisives. De nombreuses personnes n’ont pas de travail, des usines et des établissements ne fonctionnent pas, des agriculteurs ne peuvent cultiver leurs champs. Il y a ici un vivier qui peut se remettre en ordre de marche très vite. Dans les cas de la Russie, en 1998, et de l’Argentine, en 2001, la reprise s’est jouée en l’espace de quelques mois : cinq à six mois pour la Russie, un peu plus pour l’Argentine — dans le contexte d’un chaos politique. Dans ces deux cas, les dévaluations ont un effet très puissant, remettant les pays sur une trajectoire de croissance forte pour une dizaine d’années (même si d’autres facteurs ont, bien entendu, joué un rôle).
Le plus important demeure qu’une sortie de l’euro représente la possibilité de sortir d’un agenda d’austérité, d’un côté, et de réformes structurelles, de l’autre. Le pari que l’on peut faire, c’est qu’une Grèce sortant de l’euro, avec une politique internationaliste et menant une politique alternative, ferait une démonstration politique. Dans deux ou trois ans, une Grèce reconstruite avec un chômage qui a diminué, imaginez l’impact que cela aurait sur les débats européens ! À l’inverse, si la Grèce, après avoir gagné ce référendum, consent finalement à des mesures d’austérité, cela pèsera sur l’ensemble de la gauche radicale européenne.
Mais la Grèce a-t-elle des structures économiques et industrielles sur lesquelles une relance de l’économie pourrait s’appuyer en cas de dévaluation ?
Elle a une base industrielle très faible, mais qui existe et qui pourrait jouer un rôle. Elle a un potentiel d’export et le tourisme bénéficierait massivement d’une dévaluation. Elle a un secteur agricole qui pourrait se reconstruire et jouer un rôle plus important — d’abord en satisfaisant la demande interne et, secondairement, en contribuant aux exports. En ce qui concerne les machines et les équipements, les Grecs n’ont pas investi pendant cinq ou six ans, mais, même si une « vieille » machine s’avère moins performante, elle redevient rentable face aux importations lorsque la monnaie est dévaluée.
Quel pourrait-être le nouveau régime de change de la Grèce si elle sortait de l’euro ?
Ce qui serait souhaitable serait un régime de change fixe ajustable. Un accord avec l’Union européenne pourrait permettre de s’ancrer sur la valeur de l’euro afin d’échapper aux vents de la spéculation sur les marchés des changes, mais aussi de procéder politiquement à des réajustements en cas de nécessité. Les marchés ne détermineraient pas les taux de change et il faudrait déterminer un niveau compatible avec l’équilibre extérieur de la Grèce. Cela constituerait une expérience pour l’ensemble de la gauche radicale. Si l’on veut mener une politique de gauche, il faut une autonomie financière, il faut donc des comptes équilibrés ; c’est une question centrale. La difficulté que rencontre, par exemple, le Venezuela renvoie à une stratégie économique entièrement dépendante des exports de pétrole (une stratégie à présent très vulnérable). La Bolivie, à l’inverse, a réussi à avoir des comptes plus équilibrés, avec une politique un peu plus conservatrice, mais qui lui donne des marges de manœuvre pour tenir.
Est-il vraiment impossible, comme certains le proposent encore à gauche, d’imaginer une reprise en main de la BCE, avec un objectif de lutte contre le chômage et en contraignant l’Allemagne à sortir de son obsession monétaire autour de l’euro fort et de la lutte contre l’inflation ?
Sur le papier, rien n’interdit les États-Unis socialistes d’Europe. Cela serait formidable. Mais cela n’aura pas lieu – pour deux raisons principales. La première, c’est qu’il y a aujourd’hui des gagnants et des perdants de la zone euro. À commencer par le capital allemand, qui bénéficie de la zone euro sous forme d’un taux de change sous-évalué par rapport à la compétitivité du pays gagnée sur l’écrasement des salaires, dans les décennies 1990 et 2000. Cette sous-évaluation équivaut à une subvention massive à l’industrie du pays. Bref, l’économie de ce pays bénéficie très largement de l’euro tel qu’il existe et ses classes dominantes feront tout pour ne pas en changer les règles. La position du Ministre des Finances allemandSchaüble est cohérente et consiste à dire qu’il est hors de question que l’union monétaire devienne une union de transferts entre différents pays, c’est-à-dire d’une zone où des flux financiers d’une région à une autre permettre de faire tenir l’entité politique (comme il en existe, par exemple, entre Paris et la Corrèze).
La deuxième raison est plus historique, plus longue, et c’est celle qui est explorée dans En finir avec l’Europe. Au fur et à mesure du temps, il y a une cristallisation de certains types de rapports sociaux au niveau des structures étatiques. La zone euro est un proto-État dont la construction s’est faite au moment où le mouvement ouvrier était en pleine déconfiture, dans les années 1980, avec le choc du chômage et le bloc de l’Est qui se fissure. Les forces du mouvement ouvrier sont complètement absentes de ce processus. De la même manière que la Sécurité sociale est un héritage des grandes grèves de l’après-guerre et de la Résistance (dans lesquelles il y avait un Parti communiste extrêmement fort), la zone euro cristallise l’absence d’un mouvement ouvrier. Quatre champs sont des domaines exclusifs de l’UE : la pêche, le commerce, la concurrence et la monnaie. Ces trois dernières questions sont centrales pour l’organisation du Capital, mais le mouvement ouvrier n’intervient pas dessus, ou seulement de manière subordonnée (il aborde les sujets de la protection sociale, de la qualité des produits, de la structure du marché du travail, de l’emploi et des services publics). Par conséquent, l’intégration européenne se fait en positif sur les premières questions, qui déterminent les problèmes légitimes à traiter. Les secondes questions sont uniquement subordonnées aux premières : c’est ce que Hayek appelle, de manière assez lucide, l’« intégration négative ». Ce concept très puissant permet d’expliquer comment l’Europe, aujourd’hui, s’occupe en réalité de politique sociale. Tout le temps. Des politiques de réformes structurelles menées en France et ailleurs, comme la loi Macron, sont bel et bien élaborées au niveau européen — mais elles ne sont pas élaborées en tant que telles, elles le sont au nom d’autre chose : les principes de compétitivité et de concurrence libre et non faussée.
Et quid de la viabilité de la zone euro, à long terme ?
Les pronostics sont toujours très dangereux, mais il existe bel et bien un mouvement historique long, en matière d’intégration européenne. Et la Grèce est intéressante en cela. Au début des années 1980, lorsqu’elle rentre dans l’UE, elle a valeur de modèle pour tous les États post-autoritaires et post-fascistes (le Portugal, l’Espagne…). L’UE leur propose alors une certaine stabilité politique, celle de la démocratie libérale. Et, actuellement, ce qu’il se passe en Grèce – et qui se déroulera, peut-être, en Espagne – marque le refus des corps sociaux de se soumettre aux lois comme aux principes établis et orchestrés par Bruxelles. Il existe un paradoxe : les classes dominantes ont à ce point réussi dans leur projet qu’elles vont échouer dans sa mise en œuvre. Je m’explique. Les institutions européennes sont une grande victoire pour les classes dominantes et le capital financier transnational, en ce qu’elles contournent les compromis sociaux réalisés dans le cadre des États. Mais cet espace européen ne permet plus d’encaisser les chocs sociaux comme le permettaient encore les États : il existe, dans ces derniers, toute une série de micro-couches et de micro-institutions (à commencer par l’administration) qui amortissent et digèrent les conflits, permettant de maintenir l’édifice politique en garantissant une certaine cohésion. Au niveau européen, en revanche, il n’y a pas d’amortisseurs puisque l’Union est une pure structure au service des classes dominantes : lorsqu’un refus fort se manifeste, il n’existe donc rien pour négocier la cohésion du corps social. C’est ce que l’on voit actuellement en Grèce. Je ne dis pas qu’elle va sortir, demain, de la zone euro, mais cela fait partie des possibilités – en tout cas, ce n’est pas exclu (si le système bancaire tombe et que la BCE refuse de refinancer, cela peut aller très vite). En revanche, c’est très clair, pour moi, qu’une tendance longue à la dislocation est aujourd’hui à l’oeuvre.
Vous parlez de la situation de « quasi protectorat » que l’UE impose à certains pays, dans une logique presque coloniale.
Vous avez tout à fait raison d’insister sur ce point. On a beaucoup dit, ces derniers jours, qu’un conflit entre démocratie et non-démocratie se jouait en Grèce : c’est absolument vrai, mais ce n’est pas que cela. Il y a un autre conflit : celui des créanciers face aux débiteurs – ceux qui sont en droit d’exiger des autres qu’ils travaillent pour eux pendant X temps. Que demande-t-on aux Grecs ? De dégager un excédant primaire de 3,5 % à partir de 2018. En clair, cela induit qu’il doit y avoir 3,5 % du PIB grec destiné à l’étranger. Cela instaure un rapport fondamentalement inégal. C’est un peuple qui travaille pour un autre – et, en disant cela, je n’efface pas les rapports de classes : sous régimes coloniaux, il y a bien sûr une bourgeoisie locale, comme en Grèce. La zone euro permet à l’Allemagne de dégager des excédents considérables (de 7 à 9 % du PIB par an). Chaque année, elle accumule donc des droits de tirages sur la production future du reste du monde sous la forme d’investissements ou de prêts : cette dynamique, lorsqu’elle devient aussi importante, génère des rapports inégaux structurels — et, en réaction, une demande de libération.
Lorsque Frédéric Lordon affirme que l’euro n’est pas un simple instrument d’échange mais un instrument de coercition, doublé d’une clé de l’architecture institutionnelle du néolibéralisme, êtes-vous d’accord ?
Absolument. L’euro est une monnaie sans budget. Donc sans politique. Seules les règles uniformes du Capital s’y imposent – avec deux variables d’ajustement en fonction des pays : le prix du travail et le niveau de prélèvement des impôts. Dans les années 2000, on a eu une Europe à deux vitesses : un centre, où le prolétariat allemand a subi une grande défaite (ce sont les années Gerhard Schröder, avec une stagnation totale des salaires et l’apparition d’une masse de travailleurs pauvres), et une périphérie au sein de laquelle existait une hausse des salaires modérée mais réelle (et même une consolidation de l’État social dans certains cas : le Portugal, la Grèce ou l’Espagne). Mais la progression et le rattrapage de ces derniers se sont avérés être un trompe-l’œil : ils ont été rendus possibles par des flux financiers massifs (essentiellement des prêts au secteur privé, un peu au public) qui ont soutenu une demande en partie satisfaite par les importations, tandis que le secteur industriel se délitait. La crise a mis à nu ce mécanisme : une fois que les marchés financiers en ont pris acte, les dettes et les exigences de remboursement ont surgi. Regardez les courbes de PIB par habitant : c’est spectaculaire. Rattrapage dans les années 2000 et tout se casse la figure juste après la crise. Aujourd’hui, la Grèce et l’Italie sont deux pays dans lesquels le PIB par habitant est inférieur à celui de 1999. Pour ces pays, c’est une crise extrêmement forte : pire que celle de 1929. En Europe, la dette publique ne devrait pas être un problème. Au Japon et aux États-Unis, elle est, en proportion du PIB, bien plus importante que dans la zone euro prise dans son ensemble.
Au sein de la gauche critique, un argument parfois avancé contre la sortie de l’euro est celui du « coût du capital » : en France, les revenus distribués par les entreprises à leurs actionnaires seraient tellement importants qu’ils pénaliseraient les PME et entraveraient l’innovation. Cette prise de pouvoir du capital empêcherait l’augmentation des salaires et une dévaluation ne changerait rien de ce point de vue. La question de l’euro ne serait pas l’enjeu central. Qu’en pensez-vous ?
Tout dépend de l’horizon dans lequel on se place. Si on regarde ce qu’il se passe depuis les années 1980, on assiste en effet à la montée en puissance de la création de valeur pour l’actionnaire, l’affirmation du pouvoir de la finance – mais il faut saisir que tout ceci n’est pas déconnecté de la construction européenne. L’unification des marchés boursiers européens, dans les années 1990, va permettre au capital financier de renforcer son emprise en accroissant sa liquidité. La constitution de la zone euro également. Il faudrait examiner cette question pays par pays et secteur par secteur, mais concentrons-nous donc sur la France : on observe depuis le lancement de l’euro un recul de l’industrie et des déficits croissants liés à cette perte de compétitivité, du fait d’un taux de change réel trop élevé pour notre économie. À l’inverse, dans des secteurs comme les télécommunications ou la grande distribution, la logique de la financiarisation joue à plein. Ce ne sont donc pas des arguments contradictoires.
Le Royaume-Uni a dévalué de manière significative depuis 2008 : ça a permis de relancer son économie, mais la condition des salariés reste la même…
Ils ont un gouvernement de droite, qui mène une politique de droite – donc défavorable aux salariés et finançant massivement une bulle immobilière. Il n’empêche que la dévaluation a permis au pays d’obtenir une certaine croissance. Sortir de l’euro, ça ne signifie pas entreprendre une politique de gauche : il peut y avoir des sorties de droite et de gauche. Mais ce qui est certain, c’est qu’il ne peut y avoir de politique de gauche au sein de l’euro.
On parle toujours de « saut dans l’inconnu » pour évoquer cette sortie. Comment aborder la phase de transition ?
À court terme, il y aurait des coûts de transition (de la même façon qu’il y en eut pour rentrer dans l’euro). Tout dépend du contexte dans lequel cela s’effectuerait : en cas de grande conflictualité et de profonds désaccords entre les différents partenaires, cela peut en effet créer un choc violent ; si c’est préparé et négocié, la transition, en terme de coûts, serait tout à fait envisageable. L’essentiel est de mettre en place des mécanismes de garantie pour les ménages les plus modestes (en terme d’accès aux services publics et de biens de consommation courante), de manière à s’assurer qu’ils ne payent pas le coût de la dévaluation. Il faut aussi prioriser les importations pour s’assurer que les besoins essentiels du pays passent avant les produits de luxe. Une sortie de l’euro, outre les gains de compétitivité qui en découleraient, permettrait, et c’est le plus important, de regagner en autonomie politique : avoir sa propre monnaie, financer ses déficits publics en interne, etc. Il faut vraiment se rendre compte de la fonction, à l’heure qu’il est, de la BCE. Depuis la crise, elle a mobilisé plus de 2 000 milliards en faveur de la finance (via, en 2012, des prêts aux banques à taux particulièrement réduits, et, cette année, le programme de rachats de titres). 2 000 milliards ! C’est-à-dire 70 millions d’emplois au SMIC durant un an. On pourrait très bien embaucher ces personnes pour, par exemple, entamer la transition énergétique. Il faut également mettre les choses en perspective politique — admettons que Podemos l’emporte cette année et que Tsipras se maintienne : cela va changer les rapports de force. Constituer un projet à deux et sortir de l’euro à deux, ce n’est pas pareil que d’avancer en solitaire. En France, malheureusement, la question ne se pose pas…
Sauf si vous prenez le pouvoir avec Lordon.
(rires) Il y a peu de signes qui l’indiquent ! Imaginons que le champ politique voie émerger une orientation de gauche d’affrontement à l’euro-libéralisme ; vu la position de la France dans l’Europe, le pays serait en mesure de faire des propositions à l’ensemble des autres Européens afin de refonder les bases d’une intégration européenne et, probablement, serait amené à mettre en œuvre ce projet avec seulement certains d’entre eux… Que l’on se comprenne bien : je n’exalte en rien un espace national particulier qui, en tant que tel, serait le mieux à même de développer la démocratie.
Justement, Philippe Corcuff estime que votre pensée désarme la gauche critique en ce qu’elle prête le flanc aux dérives nationalistes.
Corcuff, et la mouvance politique de gauche dans laquelle il s’inscrit, ne se rend pas compte que l’Europe n’est pas seulement un espace, mais un appareil politique. Et cet appareil cristallise les rapports de force sociaux. On ne peut pas le regarder in abstracto. Il y a un internationalisme du Capital et l’Union européenne en est l’une de ses émanations : on ne peut pas dire que « c’est bien » car cela relève de l’internationalisme mais « c’est mal » car ça tient du Capital. On ne peut pas dissocier les deux. Il ne faut pas accepter ce cadre, au prétexte qu’il dépasserait les nations. Si Bernier et Sapir font de l’État un fétiche, ce n’est pas ma position. Je n’ai pas cette volonté ni cette préoccupation. J’estime seulement que c’est une position de repli nécessaire dans la mesure où un pays en a, contextuellement, les moyens : par nos temps, c’est la Grèce. Au lendemain d’un référendum gagné et porté par un gouvernement de gauche, il faudra m’expliquer en quoi ce serait « nationaliste » de défendre la sortie de l’euro. Je dirais même que ce serait authentiquement internationaliste puisque cela proposerait à l’ensemble des peuples européens une nouvelle voie.
Vous aviez débattu avec Étienne Balibar, dans Regards, et il soutenait que la réflexion que vous développiez dans votre ouvrage En finir avec l’Europe était « au mieux équivoque, au pire criminelle ». Vous avez pourtant en commun le même héritage marxiste. Comment expliquer un tel décalage ?
J’ai beaucoup d’estime pour lui (c’est un grand théoricien), mais il voit l’Europe, là encore, comme une idée. Negri est sur la même position, à la percevoir comme la possibilité de dépasser les États-Nations. Je partage avec eux cet affect mais je ne vois vraiment pas comment on peut livrer une bataille de classe en investissant de nos désirs de gauche l’espace de l’ennemi.
Vous écrivez, en rebondissant sur Lénine, que le processus d’intégration européenne est très probablement « contre-révolutionnaire » dans sa « nature » même. Concluons là-dessus ?
Lénine expliquait en effet que l’Europe ne se fera pas, à moins de se faire contre les peuples. C’est ce que l’on observe aujourd’hui. Depuis les années 1980, les autorités européennes ne sont plus mues par la peur des États socialistes mais, de façon très nette, par le contournement des compromis sociaux : voilà comment Mario Draghi, président de la BCE, a pu déclarer que « le modèle social européen est mort ».
Source : Ballast
* * *
Les propositions de la Grèce pour mettre un terme à la crise : mon intervention à l’Euro-groupe,
Par Yanis Varoufakis, le 18 juin 2015
Chers collègues,
Il y a cinq mois, lors de ma toute première intervention à l’Euro-groupe, je vous ai dit que le nouveau gouvernement grec devait faire face à un double enjeu :
Nous devions créer une monnaie précieuse sans dépouiller notre patrimoine.
Cette monnaie précieuse que nous devions créer était un sentiment de confiance, ici, parmi nos partenaires européens et au sein des institutions. Battre cette précieuse monnaie nécessitait un ensemble de réformes significatives, ainsi qu’un plan de stabilité financière crédible.
Le patrimoine important que nous ne pouvions pas nous permettre de dépouiller était la confiance du peuple grec qui aurait à se ranger derrière n’importe quel programme de réformes accepté qui mettrait un terme à la crise grecque. Afin de ne pas dépouiller ce patrimoine, le pré requis était – et demeure – unique : l’espoir tangible que l’accord que nous rapporterions à Athènes :
soit le dernier qui soit forgé en condition de crise ;
comprenne un ensemble de réformes qui mette un terme à six ans de récession ininterrompue ;
ne frappe pas sauvagement les pauvres comme le firent les précédentes réformes ;
rende notre dette soutenable et donc crée des perspectives réelles d’un retour de la Grèce sur les marchés financiers, mettant un terme à notre dépendance indigne vis à vis des partenaires auxquels nous remboursons les prêts qu’ils nous avaient accordés.
Cinq mois se sont écoulés depuis, et le bout de la route est proche, mais cet accord finement équilibré ne s’est pas matérialisé. Certes, au Groupe de Bruxelles nous en avons été proche. A quel point ? Sur le plan fiscal, nos positions sont vraiment proches, particulièrement pour 2015. Pour 2016, il reste un écart s’élevant à 0,5% du PIB. Nous avons proposé des mesures paramétriques à hauteur de 2% du PIB au lieu des 2,5% sur lesquels insistent les institutions. Nous proposons de combler cet écart de 0,5% par des mesures administratives. Cela serait, et je vous prends à témoin, une erreur majeure de permettre à un écart si minuscule de briser radicalement l’unité de la zone euro. Un grand nombre de sujets ont aussi atteint un point de convergence.
Néanmoins, je ne nierai pas que nos propositions ne vous ont pas inspiré la confiance dont vous avez besoin. Et, dans le même temps, les propositions des institutions que M. Juncker a communiquées à M. Tsipras, premier ministre, ne peuvent pas susciter l’espoir dont nos citoyens ont besoin. Ainsi, nous sommes proches de l’impasse.
Dans cet ultime tour des négociations, et avant que des événements incontrôlables ne nous submergent, nous avons un devoir moral, sans parler des devoirs politique et économique, de sortir de cette impasse. Le temps n’est pas aux récriminations et aux accusations. Les citoyens européens nous tiendront collectivement pour responsables si nous ne trouvons pas une solution viable.
Même si certains, influencés par des rumeurs selon lesquelles un Grexit ne serait pas si dramatique ou que cela pourrait même être bénéfique au reste de la zone euro, se sont résignés à un tel évènement, c’est un évènement qui libérerait des forces destructrices que plus personne ne pourrait contrôler. Les citoyens de toute l’Europe ne s’en prendraient pas aux institutions, mais aux ministres des finances, à leurs premiers ministres et aux présidents. Après tout, ils nous ont élus afin de promouvoir une prospérité européenne partagée et d’éviter les écueils qui peuvent nuire à l’Europe.
Notre mandat politique est de trouver un compromis honorable qui fonctionne. Est-ce si difficile ? Nous ne le pensons pas. Il y a quelques jours, l’économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, a publié un article intitulé « Grèce : un arrangement réaliste nécessitera des décisions difficiles pour toutes les parties. » Il a raison, les mots clés sont : « pour toutes les parties ». Le Pr Blanchard a ajouté qu’« il y a une question simple au cœur des négociations. Dans quelle mesure la Grèce doit-elle s’adapter et dans quelle mesure ses créancier institutionnels doivent-ils s’adapter ? »
Il ne fait aucun doute que la Grèce doit procéder à des ajustements. Cependant, la question n’est pas de savoir combien d’ajustements sont nécessaires en Grèce, mais plutôt quelle est la nature de ces ajustements. Si par “ajustements” nous pensons à une consolidation budgétaire, à une coupe dans les salaires et les retraites, et à une élévation du niveau de taxation, il est clair que nous en avons faits bien plus que n’importe quel autre pays en temps de paix.
Le déficit budgétaire structurel, ou ajusté cycliquement, du secteur public s’est transformé en excédent grâce à un ajustement de 20%, « nouveau record mondial »
Les salaires ont chuté de 37%
Les retraites ont été réduites de 48%
La masse salariale de l’état a diminué de 30%
La consommation a baissé de 33%
Même le déficit chronique du compte des transactions courantes du pays a chuté de 16%
Personne ne peut affirmer que la Grèce ne s’est pas adaptée au nouvel environnement économique de l’après 2008. Mais ce que nous pouvons dire, c’est que ces ajustements colossaux, qu’ils fussent nécessaires ou pas, ont créé plus de problèmes qu’ils n’en ont résolus :
Le PIB réel consolidé a chuté de 27% tandis que le PIB nominal a continué de chuter chaque trimestre et cela depuis 18 trimestres sans interruption
Le taux de chômage s’est propulsé à 27%
La proportion de travail non déclaré a atteint 34%
Les banques sont grevées de prêts non productifs qui excèdent 40% en valeur
La dette publique a dépassé les 180% du PIB
Les jeunes diplômés abandonnent la Grèce en masse
La pauvreté, la faim et la privation des énergies ont atteint des niveaux habituellement associés à une période de guerre
L’investissement en capacité productive s’est évaporé
Donc, à la première partie de la question du Pr Blanchard « combien d’ajustements sont nécessaires en Grèce ? » doit être répondu : La Grèce a besoin de nombreux ajustements. Mais pas du même genre que ceux que nous avons effectués par le passé. Nous avons besoin de plus de réformes, pas de faire plus d’économies. Par exemple,
Nous avons besoin de nous conformer à une nouvelle culture du paiement des taxes, mais nous n’avons pas besoin d’une augmentation des taux de TVA qui encourage la fraude et aggrave la pauvreté des citoyens respectueux des lois
Nous avons besoin de créer un système de retraite pérenne en éradiquant le travail non rémunéré, en réduisant les départs en retraite anticipés, en éliminant la fraude aux caisses de retraite et en stimulant l’emploi – et non pas en supprimant la tranche solidarité des retraites les plus faibles parmi les basses retraites, comme cela a été exigé par les institutions, ce qui a poussé les plus pauvres vers une plus grande pauvreté et qui a généré une hostilité populaire massive contre un nouveau train de prétendues réformes
Dans nos propositions aux institutions nous avons offert :
Un agenda de privatisations étendu (mais optimisé) pour la période 2015-2025
La création d’une Autorité pour les Taxes et les Douanes complètement indépendante (sous l’égide et sous la supervision du Parlement)
Un conseil fiscal qui contrôle le budget de l’état
Un programme à court terme pour restreindre les saisies et pour gérer les prêts en souffrance
Une réforme du code de procédure civil et du code de procédure judiciaire
La libéralisation de plusieurs marchés de produits et services (en sauvegardant les valeurs et les professions de la classe moyenne qui est une partie intégrante du tissu social)
L’élimination de nombreux coûts de nuisances
Une réforme de l’administration publique (en introduisant des systèmes d’évaluation du personnel, en réduisant les coûts non-salariaux, en modernisant et en unifiant les traitements dans le secteur public)
En plus de ces réformes, les autorités grecques ont sollicité la participation de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) au projet d’Athènes pour mettre en place et contrôler une seconde série de réformes. J’ai rencontré hier le secrétaire général de l’OCDE, M. Angel Guirria et son équipe, pour présenter ce programme de réformes conjoint, complété par un plan de route détaillé :
Un plan de lutte contre la corruption audacieux, et les institutions pour l’appuyer, particulièrement dans le domaine de passation des marchés
La libéralisation du secteur de la construction, y compris le marché et les normes des matériaux de construction
La libéralisation du commerce de gros
Un code de conduite pour les médias (électronique et papier)
Un centre d’affaires universel pour supprimer les tracasseries administratives qui empêchent de faire des affaires en Grèce
Une réforme du système des retraites – où l’accent est mis sur une étude actuarielle sur le long terme, sur la suppression des retraites anticipées, sur la réduction des coûts de fonctionnement des caisses de retraites, sur la consolidation de ces caisses – plutôt que sur de simples réductions des retraites.
Oui, chers collègues, les Grecs doivent encore s’adapter. Nous avons désespérément besoin de réformes profondes. Mais je vous exhorte à prendre sérieusement en considération la différence entre :
Des réformes qui s’attaquent aux comportements de parasite, de rentier, ou à l’inefficacité, et
Des modifications paramétriques qui augmentent les taxes et réduisent les revenus des plus faibles.
Nous avons bien plus besoin de vraies réformes et bien moins de réformes paramétriques.
Il a beaucoup été dit et écrit au sujet de notre « retour en arrière » sur la réforme du marché du travail et notre détermination à réintroduire une protection pour les salariés à travers la négociation de conventions collectives. Est-ce notre orientation à gauche qui met en péril l’efficacité ? Non, chers collègues, ce n’est pas le cas. Prenez par exemple la situation critique de jeunes travailleurs qui, dans plusieurs chaînes de magasins, sont licenciés à la veille de leur 24e anniversaire pour que leurs employeurs puissent les remplacer par des travailleurs plus jeunes, afin de ne pas payer le salaire minimum normal qui est plus bas pour les salariés de moins de 24 ans. Ou prenez le cas des salariés qui sont engagés à temps partiel pour 300 euros par mois, qui travaillent à plein temps et sont menacés de licenciement s’ils se plaignent. Sans négociations collectives, ces abus abondent et ont des effets néfastes pour la compétitivité (les employeurs corrects sont en concurrence déloyale avec des employeurs sans scrupules), mais ont également des effets néfastes pour les caisses de retraite et les recettes de l’état. Est-ce que quelqu’un pense sérieusement que l’introduction de conventions collectives équilibrées, en collaboration avec l’OMT et l’OCDE, puisse constituer une « contre-réforme », un exemple de « retour en arrière » ?
Pour revenir brièvement sur le sujet des retraites, on a beaucoup parlé du fait que les retraites coûtent plus cher que par le passé ; jusqu’à 16% du PIB. Mais considérez ceci : les retraites ont été réduites de 40% et le nombre de retraités est stable. Donc les dépenses de retraite ont diminué, elles n’ont pas augmenté. Ce taux de 16% du PIB n’est pas lié à une augmentation des dépenses, mais au contraire à la chute dramatique du PIB qui entraîne avec lui une réduction tout aussi dramatique des contributions, liée à la baisse de l’emploi et à l’augmentation du travail non déclaré.
Notre prétendu recul sur la « réforme des retraites » est que nous avons suspendu toute réduction supplémentaire des retraites qui ont déjà perdu 40% de leur valeur, quand les prix des biens et des services dont les retraités ont besoin, par exemple les produits pharmaceutiques, n’ont presque pas bougé. Prenez aussi en compte ce fait relativement méconnu : à peu près un million de familles survivent aujourd’hui grâce à la maigre retraite d’un grand-père ou d’une grand-mère, puisque les autres membres de la famille sont au chômage dans un pays où seulement 9% des chômeurs reçoivent des allocations de chômage. Réduire cette retraite, unique source de revenus, revient à jeter la famille entière à la rue.
C’est pourquoi nous répétons aux institutions que, oui, nous devons réformer les retraites mais, non, vous ne pouvez pas réduire de 1% la proportion des retraites dans le PIB sans causer une nouvelle misère et un nouveau cycle de récession, si ce 1,8 milliard multiplié par un grand multiplicateur fiscal (jusqu’à 1,5) est retiré du flux circulaire des revenus. Si de grosses retraites subsistaient, dont la réduction entrainerait une différence fiscale, nous le ferions. Mais la répartition des retraites est si compacte que pour faire des économies de cet ampleur, il faudrait rogner les retraites des plus pauvres. C’est pour cette raison, je suppose, que les institutions nous demandent d’éliminer les suppléments de solidarité des retraites versés aux plus pauvres parmi les pauvres. Et c’est pour cette raison que nous proposons à la place des réformes adaptées : une réduction drastique, presque une suppression, des retraites anticipées, la consolidation des caisses de retraite et des interventions sur le marché du travail qui réduiront le travail non déclaré.
Les réformes structurelles favorisent le potentiel de croissance. Mais de simples coupes budgétaires dans une économie comme celle de la Grèce favorisent la récession. La Grèce doit s’adapter en introduisant d’authentiques réformes. Mais dans le même temps, pour revenir à la réponse du Pr Blanchard, les institutions doivent revoir leur définition de réformes favorisant la croissance – pour reconnaître que les coupes paramétriques et l’augmentation des taxes ne sont pas des réformes, et que, au moins dans le cas de la Grèce, elles minent la croissance.
Certains collègues nous ont fait remarquer par le passé, et pourraient le faire à nouveau, que nos retraites sont trop élevées comparées à celles de leurs propres retraités, et qu’il est inacceptable que le gouvernement grec espère que leurs retraités paient nos retraites. Laissez-moi être clair sur ce point : nous ne vous demanderons jamais de financer notre état, nos salaires, nos retraites, nos dépenses publiques. La Grèce vit selon ses moyens. Durant les cinq derniers mois, nous avons même réussi, sans avoir accès aux marchés et sans déblocage de fonds, à payer nos créanciers. Nous avons l’intention de continuer à le faire.
J’entends les inquiétudes, la crainte que notre gouvernement renoue avec un déficit primaire, et pour cette raison les institutions nous pressent d’accepter une importante augmentation de TVA et d’importantes coupes dans les retraites. Alors que nous pensons que l’annonce d’un accord viable stimulera suffisamment l’activité économique pour produire un excédent primaire sain. Je comprends parfaitement bien que nos créanciers et partenaires aient des raisons d’être sceptiques et de vouloir des garde-fous ; une police d’assurance contre une éventuelle frénésie dépensière de notre gouvernement. C’est ce que veut dire le Pr Blanchard lorsqu’il appelle le gouvernement grec à proposer « des mesures vraiment crédibles ». C’est une idée. Une « mesure vraiment crédible ».
Plutôt que de se disputer sur des mesures pour un demi-point de pourcentage (ou sur le fait que ces mesures fiscales devraient ou non être de type paramétrique), pourquoi ne pas mettre en place une réforme permanente plus intelligente et plus complète ? Un frein automatique au déficit inscrit dans la loi et surveillé par le conseil fiscal indépendant que les institutions et nous-mêmes avons d’ores et déjà accepté. Toutes les semaines, le conseil fiscal surveillerait l’exécution du budget de l’état, et s’il s’avérait que l’objectif d’un excédent primaire minimum ne peut pas être atteint, il donnerait des avertissements et, à un certain stade, déclencherait automatiquement des réductions générales de dépenses de façon à prévenir le glissement sous un seuil convenu au préalable. De cette manière, un système de sécurité garantit la solvabilité de la Grèce, et le gouvernement grec conserve l’espace politique dont il a besoin pour rester souverain et être capable de gouverner démocratiquement. Considérez ceci comme une proposition ferme que notre gouvernement mettra en place immédiatement après qu’un accord sera obtenu.
Étant donné que notre gouvernement n’aura plus jamais besoin d’emprunter à vos contribuables ou aux contribuables que représente le FMI, un débat entre états membres pour savoir qui a les retraités les plus pauvres, engendrant par là un nivellement par le bas, n’a pas de sens. Le débat doit se recentrer sur le remboursement de la dette. Quel sera le volume de notre excédent primaire ? Quelqu’un croit-il sérieusement que le taux de croissance est indépendant de l’objectif d’excédent primaire fixé ? Le FMI sait parfaitement que les deux chiffres sont intrinsèquement liés, et c’est pour cette raison que la dette publique grecque est une priorité.
Notre importante dette doit être considérée comme un gros passif d’impôt non consolidé. Alors qu’il est vrai que les tranches de notre dette auprès des FESF et GLF est ancienne, et ont des taux d’intérêt pas trop élevés, le passif d’impôt non consolidé de l’état grec, notre dette, inclut une “tumeur” irrégulière qui entrave l’investissement et la reprise aujourd’hui. Je fais référence ici aux 27 milliards d’obligation du SMP (Security Market Program) qui sont toujours détenus par la BCE. Ceci est un passif non capitalisé à court terme que les investisseurs potentiels en Grèce regardent avant de tourner les talons, car ils peuvent voir le déficit de financement que cette partie de la dette crée instantanément, et parce qu’ils reconnaissent que ces 27 milliards dans les livres de comptes de la BCE empêchent la Grèce de profiter de l’assouplissement quantitatif de la BCE au moment même où ce programme se déroule et atteint sa capacité maximale à venir à l’aide des pays secoués par la déflation. Il est cruellement ironique que le pays le plus affligé par la déflation est celui qui est exclu du remède anti-déflation de la BCE. Et il est exclu en raison de ces 27 milliards forfaitaires.
Notre proposition sur ce front est simple, efficace et mutuellement bénéfique. Nous ne vous proposons pas de nouvelles sommes d’argent, pas un seul nouvel euro, pour notre état. Imaginez l’accord suivant, composé de trois parties, qui sera annoncé dans les prochains jours :
Partie 1 : De profondes réformes, y compris le coup de frein automatique sur les dépenses en cas de déficit prévisible, que j’ai mentionné.
Partie 2 : Une rationalisation du calendrier de remboursement de la dette de la Grèce comme suit : Tout d’abord, pour effectuer un rachat des SMP, la Grèce acquiert un nouveau prêt du MES, puis rachète les obligations SMP à la BCE et les annule. Pour étayer ce prêt, nous sommes d’accord que le programme de profondes réformes est la condition commune pour mener à bien le programme actuel et pour sécuriser le nouvel arrangement avec le MES, qui se met en marche immédiatement après et continue en parallèle avec le programme du FMI jusqu’à fin mars 2016. Le financement à court terme repose sur le décaissement exceptionnel du programme et le financement à moyen et à long terme est complété par le retour des profits du SMP, jusqu’à 9 milliards sur les 27 milliards restants, qui vont dans un compte séquestre pour être utilisés afin de répondre aux remboursements de la Grèce au FMI.
Partie 3 : Un programme d’investissements pour relancer l’économie grecque financé par le plan Juncker, la Banque européenne d’investissement – avec lesquels nous sommes déjà en pourparlers – la BERD et d’autres partenaires qui seront invités à participer également en collaboration avec notre programme de privatisation et l’établissement d’une banque de développement qui vise à développer, réformer et garantir les actifs publics, y compris l’immobilier.
Quelqu’un doute-t-il vraiment que cette annonce en trois parties changerait radicalement l’ambiance, donnerait aux Grecs l’envie de travailler dur dans l’espoir d’un avenir meilleur, inviterait les investisseurs dans un pays dont les prix des actifs ont baissé de façon spectaculaire, et donnerait confiance aux Européens en montrant que l’Europe peut, même à la 11e heure, prendre la bonne décision ?
Chers collègues, à ce stade, il est dangereusement facile de penser que rien ne peut être fait. Ne tombons pas en proie à cet état d’esprit. Nous pouvons forger un bon accord. Notre gouvernement est debout, avec des idées et déterminé à cultiver les deux formes de la confiance nécessaires pour mettre fin à la tragédie grecque : votre confiance en nous et la confiance de notre peuple dans la capacité de l’Europe à produire des politiques qui travaillent pour, et non contre, eux.
Source : Yanis Varoufakis / Les Crises (trad.)
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