mercredi 2 mars 2016

Pillage de la Grèce

« L’aspiration de la Tyrannie est que les citoyens fassent faillite, premièrement pour consolider avec leur argent la garde du régime et deuxièmement, pour les tenir occupés de sorte qu’ils n’aient pas le temps pour conspirer. Pour ce faire, il ne suffit pas seulement de leur imposer de lourdes taxes, mais aussi de viser l’absorption de leurs propriétés et la construction d’immenses projets, lesquels épuisent les finances publiques. » (Aristote, Politique)




Sur les docks par Irène Omélianenko
Grèce, 1/2 Le coût de la dette, à Athènes (29 février 2016)
Le gouvernement d’Alexis Tsipras doit en 2015 appliquer les mesures qu’il condamnait quelques mois plus tôt. A Athènes la résistance s’organise.
Un documentaire de Nedjma Bouakra et Vincent Decque
En 2010, la Grèce est victime d’attaques spéculatives sur les marchés financiers. Le pays est au bord de la cessation de paiement : il ne parvient pas à refinancer sa dette à des taux raisonnables. Les mémorandums successifs ont asséché les bourses de la classe moyenne et entrainé la Grèce dans la spirale du surendettement. Le salaire minimum est passé de 750 à 480 euros, baisse générale des retraites et retraite minimum de 384 euros.
Les Grecs cet hiver n’ont pas d’autre choix que de tenir bon et trouver des solutions concrètes. Mieux que la simple solidarité, des utopies concrètes organisent une vie nouvelle faite d’audaces et d’initiatives : la circulation des savoirs, la solidarité remettent du courant là ou l’apathie aurait pu gagner les cœurs.
Source (et suite) du texte : FC


MAJ de la page : Les richesses de la Grèce attisent la convoitise des marchés / Extractivisme



Sur les docks par Irène Omélianenko
Grèce, 2/2, Le scandale des mines d’or à Ierissos (1 maris 2016)
La Chalcidique au bord de la mer Egée se trouve menacée d’une destruction environnementale irrémédiable. La crise économique en Grèce semble accélérer l’exploitation minière low cost.
Sur les Docks s’est rendu à Ierissos, une bourgade du Nord où s’incarnent les débats qui agitent la Grèce : permis d’exploitation bradés, vente à la découpe du littoral, corruption des institutions. Sur une population de 3000 personnes il faut compter 370 inculpations.

Edolrado Gold a décidé d’ouvrir une mine à ciel ouvert de 700 mètres de diamètres. 317 km2 de sous-sol ont été acquis par cette multinationale canadienne qui espère extraire quelques milliers de tonnes d’or… un immense magot enfoui sous la montagne qui plonge sous la mer au pied d’Ierissos. L’extraction prévoit, outre de nombreuses galeries sous-marines, de percer cette faille sismique par un canal en dépit du souvenir des anciens : « En 1932, un séisme a détruit la ville, 10 000 personnes se sont trouvées sans abri : il ne faut pas toucher à la faille sismique, cela fait gronder les dieux de l’Olympe ». A l’inverse, Kostas Georgantzis d’Eldorado Gold déclare : « En 2016, la Grèce pourrait devenir le premier producteur d’or de l’Union Européenne, dépassant la Finlande, si la Cour Suprême nous autorise à opérer ! »
Depuis 2013, intimidations, lynchages, pressions policières sévissent à Ierissos et la valse des procès continue, tandis que le site se creuse sous les yeux des habitants. Des déchets sortis des sites d’extraction continuent à être exportés vers la Chine via Thessalonique avec l’accord des administrations concernées.
Source (et suite) du texte : FC


A Skouries, la quête de l’or détruit la nature
Par Marie Astier, le 19 janvier 2015 - Reporterre

En Grèce, l’entreprise Hellas Gold détruit la montagne pour ouvrir la mine d’or de Skouries. Des habitants luttent pour contrer ces firmes toutes-puissantes. La possible victoire de Syriza, dimanche 25 janvier, pourrait leur redonner espoir. C’est notre premier reportage d’une semaine où Reporterre va accompagner le peuple hellène.

Au volant de sa vieille Fiat jaune, Maria Kadoglou parle, parle, parle. Direction Megali Panagia, le village le plus proche de la forêt de Skouries, celui où la contestation contre la mine a commencé. Dans ce petit bout de Chalcidique, l’exploitation minière existe depuis plus de deux mille ans. « Mais ils veulent creuser une mine à ciel ouvert. C’est nouveau ici. Et ils veulent la mettre au sommet de la montagne d’où vient toute l’eau de la région ! »
L’automobile s’éloigne de Thessalonique pour s’avancer dans le paysage de basses montagnes. Les départementales sont de plus en plus cabossées. « Ils ont commencé à couper les arbres en mars 2012. A partir de là, ils ont mis des barrières et des gardes partout dans la forêt. » Son ton est doux, parfois déterminé, parfois désabusé. « Ayez toujours en tête qu’il y a un peu plus de deux ans, tout n’était que forêt à Skouries », insiste-t-elle.

Son engagement dans la lutte anti-mine remonte à 1997. A l’époque, elle protestait contre l’expansion industrielle de la mine souterraine d’Olympias, un peu au nord de la forêt de Skouries. Un premier combat remporté. En 2002, le gouvernement refuse le permis environnemental à la compagnie de l’époque, TVX Gold, qui quitte la Grèce. L’État rachète la concession pour la revendre 11 millions d’euros à Hellas Gold, alors qu’elle est évaluée à plus de 400 millions d’euros.
La compagnie appartient à 95 % à Eldorado Gold, une entreprise minière canadienne et à 5 % à AKTOR, la principale entreprise de Bâtiment et Travaux Publics en Grèce. Hellas Gold promet la création d’au moins 1.600 emplois directs, 5.000 en indirect. C’est le plus gros investisseur étranger en Grèce. En pleine production, le pays deviendrait le principal producteur d’or en Europe, la valeur de ce trésor souterrain serait de 20 milliards d’euros.

Village divisé

La petite voiture stoppe sur la coquette place principale de Megali Panagia. A la fois village minier et agricole, la population est divisée. « Il y a des cafés pour et des cafés contre la mine », décrit Yiorgos Tarazas, apiculteur et habitant du village. On monte dans son fourgon rouge bringuebalant. « Ici, ça a toujours été comme ça. Les jeunes se disent qu’il n’y a pas besoin de faire des études, la mine donne du travail, regrette-t-il. Quand les parents sont contre la mine, ils ne le disent pas, de peur que leurs enfants perdent leur travail. »

Lui-même a été contacté par Hellas Gold : « Ils ont d’abord proposé du boulot aux opposants, les meilleurs postes, avec de gros salaires. Certains ont accepté, d’autres non. Ils ont beaucoup d’argent, ils ont le pouvoir. »
La fourgonnette emprunte une artère au bitume tout neuf, construite par la mine. Au bout, la forêt a été arrachée pour laisser place à une immense clairière. Tout autour, des barrières de deux mètres de haut délimitent la zone. Les murs de béton d’une usine commencent à s’élever. C’est là que la terre extraite du puits sera traitée.

Bois de chauffage

Le puits, justement, se dessine déjà quelques centaines de mètres plus loin. La forêt a laissé place à une immense étendue de terre brune et stérile parcourue par les pelleteuses. Impossible de la saisir d’un seul regard. Cet immense trou fera 700 mètres de diamètre sur 220 mètres de profondeur. « Pour le construire, ils pompent toute l’eau sous la montagne ! », s’insurge l’apiculteur. Dans la forêt alentour, sur le chemin, des tas de bois s’empilent, résultat des nombreuses coupes de la mine. Il est vendu jusqu’à Thessalonique comme bois de chauffage.
Chantier de la mine d'or de Skouries, en Grèce

Troisième étape, le lieu où seront jetés les déchets de la mine. Seuls 2 % de la roche extraite seront gardés, c’est la pierre qui contient le mélange d’or et de cuivre. 98 % seront jetés, entreposés dans deux immenses barrages. Le rapport technique du projet de Skouries indique que les conséquences sur le paysage seront « majeures, permanentes et irréversibles ». (p.93)
« Tout cela pour sortir moins d’un gramme d’or par tonne... » déplore Yiorgos. 0,83 grammes par tonne, indique exactement le site internet d’Hellas Gold.

« Ici c’est la guerre »

Enfin, le fourgon rouge arrive à la maison de Yiorgos Kalivas, dernier habitant de la forêt de Skouries. « Kalivas, cela signifie cabane », explique-t-il dans un sourire. Ses cheveux sont gris, ses gestes lents mais précis. Sa petite maison blanche apparaît au milieu des châtaigniers. Devant, en plein soleil, de grandes bâches sont recouvertes de noix. Yiorgos les retourne soigneusement pour les faire sécher. Le paysan a planté ses noyers il y a bientôt trente ans. « Ici, mon père et mon grand-père ont travaillé et vécu », raconte-t-il.
Un peu plus loin, sur le bord du chemin, une petite source coule doucement. « Elle est en train de se tarir, déplore Elli, une amie de Yiorgos venue le visiter. Ils assèchent la montagne. »

« Sous la dictature [1967-1974], une loi nous a classés territoire minier, explique-t-elle. Si un sous-sol contient des ressources naturelles, on ne peut pas installer d’autres activités dans la zone. Nous vivons pour une utopie, on espère pouvoir redévelopper l’agriculture ici. Environnement cela signifie ’ce qu’il y a autour de nous’ : ne peut-on pas apprendre à le respecter ? »

Le visage fermé, Yiorgos poursuit : « Ici, c’est la guerre... Une guerre contemporaine d’un nouveau genre avec des machines, de l’argent. Cette entreprise et l’État viennent chez nous pour tout détruire. Une fois, quarante mineurs ont battu deux femmes, dont Elli. Une autre fois à la fin d’une manifestation, la police a attaqué et cassé les jambes d’une femme de soixante-deux ans. »

« Traités comme les Indiens d’Amérique »

Vingt kilomètres plus loin, quelques heures plus tard, rendez-vous à Lerissos. Ce village sur la côte est le plus fortement opposé à la mine. « Ici, 99 % des gens sont contre », affirme Mary, l’une des représentantes du collectif d’habitants. La cité balnéaire vit du tourisme, de l’agriculture et de la pêche. « Qui aura encore envie de venir en vacances ici avec cette énorme mine à quelques kilomètres ?, s’interroge Mary. Tout cela pour que dans vingt ans ils repartent et nous laissent leurs déchets et leur pollution. »

- Sur le site de la mine -

Fin 2012, plus de 15.000 personnes défilaient à Thessalonique contre la mine. A part sur quelques sites internets alternatifs, l’écho médiatique a été nul. Par surprenant, selon les opposants : AKTOR, qui possède 5 % d’Hellas Gold, appartient à la famille Bobolas, qui est aussi actionnaire de la première chaîne de télé grecque et propriétaire de nombreux journaux et sites internet d’information.
Alors certains en sont venus à la violence. Une nuit de février 2013, un petit groupe d’hommes s’introduit sur le chantier et brûle tout. Le gouvernement réagit immédiatement, saisit la brigade antiterroriste. Les médias nationaux sont forcés de s’emparer du sujet. La police débarque à Lerissos, prend les empreintes de quasiment tout le village. Entre les manifestations et cette action, plus de 350 personnes ont été inculpées pour des motifs divers, allant d’entrave à la circulation à organisation terroriste.

« On a l’impression que cet État ne sert que les intérêts des multinationales et des gros investisseurs. L’État, l’Europe, les businessmen ont créé cette crise, pour que l’on ne se batte plus pour notre dignité et que l’on accepte la destruction de notre environnement », lâche Melachrini, autre habitante du village.
« Le Premier Ministre a affirmé que ce projet serait mené à bout, quel qu’en soit le prix. Dans un certain sens, nous sommes traités comme les Indiens d’Amérique par les colons, ajoute Lola, qui vit ici depuis ses seize ans. Mais nous devons continuer, Hellas Gold doit vivre sous la pression des citoyens. »
Mères de famille dans ce village conservateur, elles ne s’attendaient pas à se retrouver un jour dans un tel combat.

« Ces gens-là... »

« Ah oui, ces gens-là… Il faut bien en parler », déplore Eduardo Maura, vice-président d’Eldorado Gold. Son bureau athénien est situé dans son grand immeuble vitré à deux pas de l’Assemblée nationale grecque. Avant la visite prévue à Skouries et sur les autres sites miniers, il veut nous rencontrer. « Sur les seize villages de la municipalité d’Aristoteles, onze sont favorables à notre projet, affirme-t-il. Les autres ont une position idéologique. S’il pensent que l’on devrait retourner vivre dans la forêt, nous ne pouvons plus rien pour eux. »
Le directeur de la communication, Kostas Georgantzis, joue les guides, rendez-vous un matin à Stratoni. Ce village créé par l’industrie minière abrite le siège local d’Hellas Gold en Chalcidique. On embarque dans un 4x4 blanc immaculé.
Stratoniki, Neochori, Paleochori… La route jusqu’à Skouries traverse une série de villages de tradition minière. Kostas désigne fièrement les trottoirs neufs, les jeux pour enfants et les plantations de jeunes arbres le long des rues : « Vous voyez, nous avons une politique de responsabilité sociale d’entreprise. Les mairies nous demandent et nous leur donnons l’argent pour les travaux. L’année dernière, cela représentait 5 millions d’euros. »

« Il n’y a plus d’obstacle »

Première étape, l’usine au sommet de la montagne. Elle est déjà bien avancée, malgré le fait qu’Hellas Gold n’ait pas de permis de construire. « On peut tout construire sauf le toit, c’est légal », affirme Kostas. L’obstacle, c’était la loi de protection des forêts, qui interdit d’y construire des usines. Mais elle a été modifiée par le parlement cet été. « Maintenant, il n’y a plus d’obstacle », se félicite le communiquant. Le WWF Grèce, qui suit le projet de près, accuse lui le gouvernement d’avoir fait passer une loi spécialement pour Eldorado Gold et le projet de Skouries.
Kostas ne se départit presque jamais de son sourire affable.
L’eau ? Si elle est pompée, c’est que comme pour toute construction, il faut bien drainer autour du futur puits de mine. La pollution ? Pas de risque, les usines sont en circuit fermé, l’eau est nettoyée. « Ce que nous rejetons, c’est plus propre que ce que nous pompons », affirme-t-il. Le barrage contenant les déchets de la mine ? Il est construit pour résister aux tremblements de terre, bien sûr. Et les déchets qui y seront rejetés sont « inertes », assène-t-il.
Le cyanure pour extraire l’or ? « Nous n’en utiliserons pas, promet-il. Nous userons d’un procédé qui s’appelle le flash smelting, ’cinquante autres mines dans le monde l’utilisent. » Pas de quoi convaincre les opposants, qui rappellent que le flash smelting est utilisé pour extraire le cuivre, son efficacité n’est pas encore prouvée pour les mélanges cuivre-or comme à Skouries…
Quant à la forêt : « Tout sera replanté ! » Pour preuve, il nous emmène à la « nursery » : à perte de vue, les jeunes pousses s’alignent dans des pots de plastique noir. « Il y a quatre millions de plants. Uniquement des essences locales », explique un employé.

Seul moment où il hausse le ton pour prendre un air coléreux : quand on évoque les violences policières. « La guerre c’est dans leurs têtes, qui parle de guerre ? Nous sommes les victimes. Ils ont brûlé notre usine, nos voitures. Je ne peux plus mettre les pieds à Lerissos depuis deux ans et demi parce que c’est dangereux pour moi. Les personnes qui travaillent pour nous et vivent à Lerissos ne peuvent plus mettre les pieds dehors. Nous avons toujours été ouverts à la discussion, ce sont eux qui ne veulent pas négocier. »

L’homme des montagnes

En face, les opposants l’admettent, leur contestation faiblit depuis quelque temps. Les villages sont moins unis qu’au plus fort de la lutte. « Yiorgos sent cela et il est perdu », raconte Francesco. Le jeune italien est photojournaliste. Ému par l’histoire du vieux résistant, il revient le voir pour la deuxième fois. « Ils traitent la Grèce comme un pays du tiers monde, lâche-t-il dégoûté, en évoquant l’État et les investisseurs. Vous n’avez plus de ressources humaines, vous n’avez plus d’industrie, alors il vous reste vos ressources naturelles... »
Il observe Yiorgos qui s’allume une cigarette. « Il pense à s’en aller. Les villageois poussent beaucoup pour qu’il reste. S’il s’en va, cela sonnera comme le début de la retraite », constate-t-il l’air abattu. Le vieil homme chantonne des chansons italiennes romantiques accompagné par ses vieux disques grésillants.
Va-t-il partir ? Yiorgos rit. Il évoque un western américain des années 70, Jeremiah Johnson. Robert Redford y joue le rôle d’un ancien militaire, faisant le choix de vivre retiré dans les Rocheuses. « Je suis comme lui, un homme des montagnes. Rester ici, c’est ma façon de résister. »


Depuis le passage de Reporterre en octobre, Yiorgos a dû quitter sa maison. Les travaux dans la montagne, alliés à de fortes pluies, ont permis à l’eau de raviner et de détruire la route qui mène jusque chez lui.
La possible victoire de Syriza donne de l’espoir aux militants anti-mines. Parmi eux, il y a d’ailleurs plusieurs membres du parti. Des députés se sont prononcés contre l’ouverture de la mine de Skouries. « Ce sera donc toujours mieux qu’actuellement, estime Maria Kadoglou. Mais c’est à nous de maintenir la pression, rien ne viendra spontanément du gouvernement. Si Syriza arrive au pouvoir, on sera peut-être juste un peu plus écoutés. »

* * *

Mine d'or de Skouries. Quand le gouvernement Syriza refuse le chantage d'une multinationale
Par Pavlos Kapantais, le 22 janvier 2016 - L'Humanité

C'est l'histoire d'une mine d'or grecque que les gouvernements libéraux avaient offerte à la compagnie canadienne eldorado Gold. une mine dont l'exploitation cause un désastre environnemental, sanitaire et social au mépris des populations locales. depuis l'arrivée au pouvoir de syriza, la donne a changé. le nouveau gouvernement a décrété la suspension de l'exploitation. la compagnie a été condamnée à une amende de 1,7 million d'euros. Mais eldorado Gold n'a pas encore lâché l'affaire et s'appuie sur la droite grecque pour accuser le gouvernement tsipras de supprimer des centaines d'emplois.

«La répression quotidienne n'avait d'égale que le viol perpétré contre la nature. Les CRS étaient ici quotidiennement ; tous les jours il y avait des arrestations qui s'apparentaient plus à des enlèvements qu'à des opérations policières. À deux reprises, ils sont même venus chercher des habitants à 4 heures du matin chez eux ! Ce fut un choix délibéré. Casser des portes à 4 heures du matin ! Même s'il y avait un procureur qui était présent pour que cela reste dans le cadre de la légalité, le but était clair : ils voulaient nous terroriser ! »

Ioanna (1) a encore du mal à y croire. Cela pourtant n'est pas si vieux. Ce qu'elle raconte a eu lieu en 2013, sous le gouvernement d'Antonis Samaras et de son dogme « d'investissement à tout prix », façon détournée d'utiliser la crise économique pour faire de la servitude aux grands intérêts financiers et aux multinationales en tous genres le modus operandi permanent de l'État grec. L'histoire de Skouries est emblématique de tout cela. Concédées par l'État grec sous le gouvernement de technocrates de Loukas Papadimos, en 2011, les conditions de vente sont tellement scandaleuses qu'elles mobiliseront même la... Commission européenne.

Celle-ci condamnera, en effet, les conditions d'exploitation du site par la compagnie canadienne Eldorado Gold, les jugeant tellement favorables à cette société qu'elles constituent, selon Bruxelles, une aide d'État (2) !

UN DÉSASTRE ÉCOLOGIQUE MAJEUR

Plus important encore que l'aspect économique, le projet d'extraction de l'or (3) sur le site est une véritable catastrophe écologique. Pour Dimitris Ibrahim, directeur de campagnes à Greenpeace Grèce, la question des mines d'or de Chalcidique-Skouries ne devrait même pas être posée car « il est évident que ce projet ne peut pas être accompli sans un désastre écologique majeur. À cause des substances toxiques utilisées pour l'extraction, dont l'arsenic, qui empoisonneront la nappe phréatique, l'air et le sol ». Rien que ça. Tout cela avait évidemment conduit Syriza à s'opposer au projet depuis de nombreuses années. En 2013, en tant que chef de l'opposition, Alexis Tsipras avait dénoncé la volonté du gouvernement Samaras de « terroriser la population locale ».

Arrivé au pouvoir, Syriza a changé la donne : en août 2015, le ministère de l'Environnement et de l'Énergie décrète la suspension des travaux sur le site de Skouries, pour « diverses violations des conditions techniques du projet » préjudiciables à l'environnement. Après des mois de tractations au cours desquels elle essaye de faire pression sur le gouvernement, Eldorado Gold passe à l'offensive médiatique en ce début janvier.

« AUCUNE COMPAGNIE, GRECQUE OU ÉTRANGÈRE, NE PEUT FAIRE DU CHANTAGE À L'ÉTAT GREC ET IGNORER LES LOIS ! » PANOS SKOURLÉTIS,MINISTRE GREC DE L'ENVIRONNEMENT ET DE L'ÉNERGIE.

Lors d'une conférence le 12 janvier, son PDG, venu expressément du Canada pour l'occasion, décide de politiser la question à outrance : « Au moment même où les ministres du gouvernement grec supplient, à Londres et à New York, les investisseurs de venir en Grèce (...), le comportement ouvertement conflictuel de ce même gouvernement nous oblige à arrêter nos opérations. » Cela signifie la perte immédiate de 600 emplois. Pour l'opposition grecque, c'est du pain bénit, et la caricature du gouvernement de gauche qui détruit l'économie et chasse les emplois et les investissements joue ad nauseam sur les chaînes de télévision privées grecques.

LE BRAS DE FER CONTINUE

Pourtant, le gouvernement ne recule pas d'un pouce. En réponse au PDG d'Eldorado, Panos Skourlétis, ministre de tutelle en charge du dossier, déclare : « Aucune compagnie, grecque ou étrangère, ne peut faire du chantage à l'État grec et ignorer les lois. »

Quelques heures plus tard, son ministère, celui de l'Environnement et de l'Énergie, annonce des amendes à hauteur de 1,7 million d'euros pour la compagnie canadienne, pour diverses violations de la législation de la protection environnementale. Le bras de fer est engagé.

La compagnie canadienne comptet-elle réellement partir du site de Skouries ? Pour Foteini Evangelidou, sage-femme à la retraite, qui milite contre le projet depuis de nombreuses années, rien n'est moins sûr. « C'est très probablement une nouvelle stratégie mise en oeuvre pour mieux repartir de l'avant. Malgré ces déclarations, l'activité sur la mine ne s'est pas vraiment arrêtée depuis une semaine. Je ne croirai vraiment à l'abandon du projet que quand la mine sera fermée et qu'ils seront réellement partis. » Si elle reste sur ses gardes, c'est aussi parce qu'elle a vu de ses propres yeux de quoi la compagnie est capable. Militant contre la mine bien avant son rachat par Eldorado, elle se souviendra longtemps de « l'entrée en matière » de la compagnie canadienne.

ELDORADO GOLD NE RECULE DEVANT RIEN

« Depuis quelques années, nous avions créé avec les autres habitants un poste de garde pour pouvoir surveiller ce qui se passait sur la montagne. En mars 2012, quelques semaines à peine après le rachat du site, Eldorado a envoyé plus de 500 personnes, avec des bus de la compagnie, dont certaines étaient ses salariées et d'autres celles qui souhaitaient le devenir et à qui on avait promis une embauche si elles nous chassaient et nous terrorisaient... Une trentai ne d'entre nous, qui s'étaient réunis au poste de garde justement parce qu'on avait vu soudain du mouvement sur le chantier, se sont retrouvés face à 500 personnes en furie. Et tout ça s'est fait sans que la police ne daigne intervenir, alors qu'on l'avait prévenue en voyant les bus arriver ! Résultat : elles ont incendié et brûlé notre poste de garde, et certains d'entre nous se sont retrouvés à l'hôpital. Elles étaient comme enragées. »

Eldorado Gold a donc fait ses preuves : elle ne recule devant rien pour arriver à ses fins. Est-elle réellement prête à se retirer ou souhaite-t-elle juste donner des munitions aux adversaires d'un gouvernement qui lui tient tête ? Affaire à suivre. Quoi qu'il en soit, au lendemain de sa conférence de presse du 12 janvier, son action perdait 18 % à la Bourse de Toronto. Une drôle de victoire pour ses opposants...

(1) Le prénom a été changé à la demande de la militante. (2) La Cour de justice européenne a ensuite validé la décision de la Commission en décembre 2015. (3) Le début du projet d'extraction de l'or à Skouries date de 1995, la compagnie Eldorado Gold devient propriétaire du site en 2011 après maintes péripéties.


Compagnie basée à Vancouver et fondée en 1991, Eldorado Gold est active dans le secteur minier et spécialisée dans l'or. Elle est la première compagnie nordaméricaine à construire et à faire opérer des mines d'or en République populaire de Chine. Elle opère aussi au Brésil, en Turquie et, évidemment, en Grèce. En 2015, elle a réalisé 890 millions de dollars de chiffre d'affaires et 125 millions de dollars de bénéfice d'exploitation.

    

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