MAJ de la page : Trading Haute Fréquence (THF)
L’Europe a renoncé à réguler le trading haute fréquence
Par Benoît Lallemand, le 5 août 2016 - Finance Watch
L’histoire
La Commission européenne a publié le 25 avril 2016 son projet de règlement délégué complétant la directive 2014/65 sur les Marchés d’instrument financiers (MIF 2). La directive elle-même avait mis la barre très bas en ce qui concerne la régulation du trading haute fréquence (HFT, pour « High Frequency Trading »). Le règlement y ajoute une définition du HFT tellement large qu’elle interdit pour (très) longtemps toute régulation plus ambitieuse de ces pratiques. Une belle réussite, en deux temps donc, pour les lobbys du HFT et des banques d’investissement.
Pourquoi un tel silence face à ce texte ?
Le sujet reste très technique pour beaucoup d’observateurs non avisés, notamment les élus amenés à se prononcer, qui ont aussi d’autres priorités. Les traders traditionnels, « lents », qui seront désormais considérés comme HFT, ne sont pas impactés par des mesures minimalistes qui sont déjà leurs pratiques.
Les intéressés, quant à eux, se gardent bien de parader, tandis que se ferme un lourd couvercle sur un débat qui aura souvent été trop populaire à leur goût. Seul reste le bruit feutré des portes tournantes : le responsable du HFT pour le superviseur des Pays-Bas (berceau historique de la pratique), en première ligne des négociations sur les textes techniques donc, est nommé secrétaire général du principal lobby HFT.
Le texte
Premièrement, donc, on a vidé la réglementation MIF 2 de sa substance. Le texte de la directive se borne à la perspective prudentielle : exit la question de l’utilité du HFT. On pouvait tout à fait se passer de définir le HFT en modifiant les règles du jeu du trading (la microstructure des marchés) afin d’empêcher tout comportement parasite ou malveillant : en renforçant les obligations de tenue de marché, en imposant un prix (même très faible) à toute modification ou annulation d’ordres (ce qui casse le modèle économique des stratégies d’abus de marché), en réformant sérieusement le régime des « pas de cotation » (« tick size ») des plates-formes de marché.
Deuxièmement, les lobbys sont parvenus à obtenir une définition très large, qui considère comme HFT plus de 90% des intermédiaires financiers ! Trois critères ont été retenus pour cela. Les deux premiers étaient déjà prévus par la directive adoptée le 15 mai 2014 : une proximité physique avec les plates-formes afin de minimiser les latences ; et une exécution des ordres sans intervention humaine mais via l’usage d’algorithmes.
Le règlement délégué est venu figer le critère quantitatif, ou débit considéré comme « élevé » à partir de la transmission d’au moins 2 messages/seconde sur un instrument donné ou d’au moins 4 messages/seconde sur une plate-forme donnée. Alors qu’experts et universitaires s’accordent sur le fait qu’on entre dans le HFT à partir de 1.000 messages/seconde !
Les grandes banques françaises, en particulier, n’ont pas oublié que le HFT a été pointé du doigt par le législateur lors de la négociation de la loi bancaire et de la taxe sur les transactions financières (TTF) nationale. Or maintenant que tout le monde est considéré comme faisant du HFT, il sera impossible de légiférer sur le vrai HFT : ces mesures s’appliqueraient à la grande majorité des acteurs sur le marché et pénaliseraient donc les acteurs traditionnels.
Désormais, c’est au Parlement européen d’adopter ou de rejeter le règlement délégué dans son ensemble, c’est-à-dire sans pouvoir rejeter seulement tel ou tel article comme celui sur le HFT...
L’enjeu : investir, et non pas spéculer. Les opérateurs HFT ont réussi à propager l’idée selon laquelle ils sont apporteurs de liquidité. Mais ils oublient de préciser qu’ils n’apportent de la liquidité que sur les titres déjà parmi les plus liquides ! Ceci peut laisser persister un doute, chez les décideurs politiques, sur le besoin de limiter cette pratique.
L’ambition de la MIF originale – ré-inventée aujourd’hui par l’Union des Marchés de Capitaux – était de faciliter l’accès des petites et moyennes entreprises (PME) à un marché européen des capitaux comme complément au crédit bancaire. Or, en mettant les bourses en concurrence, on a fragmenté la liquidité plutôt que de la centraliser et, surtout, on a permis l’explosion d’une ultra-liquidité spéculative totalement déconnectée de l’économie réelle au détriment d’une liquidité patiente, locale, utile.
Les textes de loi qu’on continue de nous servir sont ainsi à rebours de la rhétorique politique qui les soutient.
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