Ces emballages qui nuisent à votre santé
Par Olivier Dessibourg , le 2 mars 2017 - Le Temps
Les films plastiques, cartonnages et autres boîtes qui conditionnent nos aliments contiennent des substances chimiques nocives, dont certaines se retrouvent dans la nourriture. Quels sont les risques pour les consommateurs?
Ils servent à contenir des vivres et à les protéger de toute dégradation ou d’une contamination extérieure. Or pour ce faire, les emballages alimentaires sont constitués de matériaux dont certains composants chimiques peuvent migrer dans la nourriture. Pire, sur ces boîtes, cartons et autres films plastiques sont imprimés des logos colorés, certes attirants pour les consommateurs, mais dont les encres peuvent aussi se diffuser dans le contenu.
Une étude du Food Packaging Forum (FPF) détaille ce phénomène. Publiée le 28 février dans la revue Packaging Technology and Science, elle pointe certaines substances dont des phtalates, couramment utilisés pour assouplir les plastiques, et dont les effets sur certaines affections neurologiques sont redoutés. Surtout, elle souligne à quel point les règlements européens ou nationaux peinent à réguler ce sujet.
Un phénomène qui «prend de l’ampleur»
«La problématique n’est pas nouvelle mais prend de l’ampleur, commente le chimiste cantonal genevois Patrick Edder. Dans bien des cas, on doit avouer notre ignorance quant au danger que peut représenter la présence de certaines substances dans les aliments, et cela me gène.» En 2012, celles pouvant passer de l’emballage au produit étaient estimées à 100 000 selon Tabula, la revue de la Société suisse de nutrition; 1500 d’entre elles à ce jour ont été certifiées comme toxiques.
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«Chercheurs, contrôleurs des denrées, législateurs, fabricants d’emballages, imprimeurs et conditionneurs ont bien conscience de la nécessité d’agir. Mais les connaissances et des solutions techniques réalistes et durables manquent encore», résumait la diététicienne Muriel Jaquet dans la même publication.
En 2014, le FPF a donc passé au crible les listes existantes des substances possiblement concernées. Ces scientifiques ont identifié 175 composants chimiques, impliqués dans la fabrication des emballages, et connus soit pour avoir des effets cancérogènes ou mutagènes, soit pour impacter le système reproductif ou endocrinien; 21 sont qualifiées de substances à très haut degré d’inquiétude («substances of very high concern», ou SVHC, en anglais), selon la régulation européenne des produits chimiques REACH.
«A l’époque, ce constat avait pour but d’ébranler les consciences», dit Jane Muncke, du FPF. Depuis, plusieurs études ont été menées dans le monde. L’une des plus récentes a été publiée le 1er février dans les Environmental Science&Technology Letters: dans un tiers des 400 emballages de fast-food américains collectés, les chercheurs du Silent Spring Institute ont retrouvé des composés fluorés persistants, utiles pour fabriquer des surfaces antiadhésives, mais aussi cancérogènes.
«La critique émise envers notre étude de 2014 était que nous ne démontrions pas la migration des substances incriminées dans les vivres», poursuit Jane Muncke. La même remarque a été émise envers l’étude américaine précitée. Les chercheurs du FPF ont alors replongé dans la littérature scientifique pour se focaliser sur dix SVHC. Résultat: cinq se diffusent bel et bien des emballages dans la nourriture. «Or si ces substances sont classées dangereuses selon REACH, à cause de leur impact sur l’environnement, elles ne sont pas forcément bannies selon la Régulation européenne sur les matériaux en contact avec la nourriture, qui prévaut dans leur cas», résume Jane Muncke.
Substituts tout aussi décriés
Trouver des composés alternatifs aux substances les plus nocives a jusqu’alors constitué la piste à suivre. «Dès qu’une substance est sujette à caution, on tend à la remplacer par une autre, aux effets aussi méconnus», dit Patrick Edder. Exemple: le bisphénol A (BPA), un perturbateur endocrinien naguère présent dans les plastiques alimentaires, aujourd’hui largement banni. Or une étude publiée ce 28 février dans Nature Communications montre que des substituts du BPA induisent, eux, des problèmes de gestation, du moins chez les souris. «Il est toujours préférable de mieux connaître son ennemi et qu’il soit bien réglementé qu’être confronté à des substances mal connues», conclut Patrick Edder.
Les entreprises de conditionnement ne sont de loin pas inactives, car c’est aussi dans leur intérêt.
Sachant que près de 90% des denrées alimentaires vendues en supermarchés sont conditionnées, faut-il tomber dans le fatalisme? «En Suisse du moins, on a réellement identifié le problème, dit le chimiste cantonal genevois. Et nous mettons notre énergie pour appliquer la législation en vigueur ou repérer de nouveaux soucis. Par exemple en contrôlant que les aliments ne contiennent pas trop de contaminants provenant des encres utilisées dans les emballages en carton.» Mais changer toute la chaîne de production du papier recyclé est très difficile, voire impossible, car il faudrait remonter jusqu’aux premiers producteurs d’imprimés.
«Cela dit, les entreprises de conditionnement ne sont de loin pas inactives, car c’est aussi dans leur intérêt», atteste Patrick Edder. Pour Jane Muncke, mettre des régulations en place peut beaucoup aider, à l’image de celles sur les phtalates, qui ont permis de bien réduire leur utilisation. «Il s’agirait aussi de mieux rendre cohérentes les différentes régulations européennes concernées. Et d’abord, au moins, d’interdire plus strictement les substances à très haut degré d’inquiétude.»
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Les détaillants au défi de la lutte contre le suremballage
De nombreux efforts sont entrepris dans le commerce de détails pour limiter le recours aux emballages, notamment alimentaires. La tâche ne s’avère cependant pas si facile qu’on peut l’imaginer
Critiqués du fait de leur impact sur l’environnement, les emballages sont aussi montrés du doigt pour leurs potentiels effets sur la santé. Une nouvelle raison de lutter contre le suremballage. Coop et Migros se réclament tous les deux d’objectifs ambitieux dans la matière. Certains emballages sont repensés pour contenir moins de matière, comme les bouteilles d’eau Aproz de la Migros qui utilisent 10% de PET en moins que les anciennes. La part de matériaux recyclés est également en progression. «Certains efforts importants ne sont pas visibles pour les consommateurs: par exemple, Migros a remplacé les cartons de transport des bananes, qui étaient jetés, par des caisses réutilisables, ce qui permet d’économiser 75 000 tonnes de carton chaque année», souligne Tristan Cerf, porte-parole de la Migros.
Autre piste, la vente en vrac. De nombreuses boutiques ont vu le jour en Suisse où es acheteurs apportent leurs propres contenants pour se fournir en céréales, légumineuses et autres fruits secs. Dans les supermarchés généralistes, la tendance a encore du mal à s’imposer, à part dans le rayon traditionnel des fruits, légumes et noix. «De nouvelles possibilités d’étendre la vente en vrac sont régulièrement évaluées, mais il y a des restrictions pour des raisons d’hygiène, indique Ramon Gander, porte-parole de la Coop. Par ailleurs, nos clients peuvent apporter leurs récipients pour emballer des produits des rayons boucherie ou fromage, à condition que ces récipients ne soient pas susceptibles de se briser.»
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On pourrait juger les efforts entrepris un peu timorés, alors que les enjeux environnementaux et sanitaires sont importants. «Un réarrangement d’emballage ne se passe du jour au lendemain, car tout emballage doit répondre à différentes normes. Sa fonction centrale est de protéger le mieux possible le produit d’une altération précoce ou d’une pollution, mais il doit aussi donner des renseignements sur le produit», fait-on valoir chez Migros. Quant à savoir pourquoi les fruits et légumes bio se retrouvent quasi-systématiquement emballés dans un film plastique, quand ceux issus de l’agriculture traditionnels sont vendus en vrac, cela viendrait d’abord des directives bio, qui obligent les détaillants à séparer scrupuleusement ces deux types de produits.
(Pascaline Minet)
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