La centralisation méconnue de la Suisse.
Par Liliane Held-Khawam, le 18 janvier 2018
La carte des régions suisses selon Bruxelles
Les régions suisses selon les NUTS de l’Union européenne
Le citoyen suisse est attaché à son canton. Il est particulièrement jaloux d’appartenir à un peuple dit souverain.
Il est supposé être consulté pour certains sujets qui relèvent des affaires de la Confédération, des cantons et des communes.
Mais voilà, bien de réformes sont passées par là, et la fameuse démocratie directe (ou même semi-directe) n’est plus que l’ombre d’elle-même. Plus grave est le malentendu entretenu sciemment sur la structure de l’Etat.
L’Etat suisse, appelé à l’occasion Confédération, a perdu le sens confédéral depuis un petit bout de temps. Voici la preuve.
Confédération veut dire selon le Larousse: « Association d’États indépendants qui ont délégué l’exercice de certaines de leurs compétences à un pouvoir central, constitué par un organisme de coordination dont presque toutes les décisions doivent être prises à l’unanimité des États membres. »
Si l’on transposait à la Suisse cette définition, les Etats indépendants correspondraient, en théorie, aux cantons. D’ailleurs même la réforme de la Constitution de 1999 a préservé la place essentielle des cantons dans la définition du périmètre de la Confédération. Son article premier dit:
« Le peuple suisse et les cantons de Zurich, de Berne, de Lucerne, d’Uri, de Schwyz, d’Obwald et de Nidwald, de Glaris, de Zoug, de Fribourg, de Soleure, de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne, de Schaffhouse, d’Appenzell Rhodes-Extérieures et d’Appenzell Rhodes-Intérieures, de Saint-Gall, des Grisons, d’Argovie, de Thurgovie, du Tessin, de Vaud, du Valais, de Neuchâtel, de Genève et du Jura forment la Confédération suisse. »
C’est si vrai que pour pouvoir modifier certaines lois d’importance, il faut l’approbation des cantons ET des votants.
Maintenant regardez bien le tour de passe-passe qui a été opéré dans cette nouvelle Constitution. La souveraineté n’est plus signalé qu’au niveau des cantons (le peuple souverain n’y est plus) dans l’article 3 qui leur est dédié. Il est dit :
« Les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n’est pas limitée par la Constitution fédérale et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération. »
Par conséquent, un paquet de droits ont été « délégués » à Berne. Quelle en est la portée ? Impossible pour nous de le dire. Aux spécialistes de s’intéresser au sujet. Nous pouvons simplement dire que des compétences exclusives ont été par exemple attribuées au Conseil Fédéral. Voici un exemple qui nous montre comment par la grâce d’une tournure de phrase, nous apprenons que le CF a certaines compétences qui lui reviennent exclusivement…. Exit certains champs de la démocratie populaire n’est-ce pas ?
« Art. 166 Relations avec l’étranger et traités internationaux
1 L’Assemblée fédérale participe à la définition de la politique extérieure et surveille les relations avec l’étranger.
2 Elle approuve les traités internationaux, à l’exception de ceux dont la conclusion relève de la seule compétence du Conseil fédéral en vertu d’une loi ou d’un traité international.«
Le même Conseil fédéral est décrit à l’image d’un conseil d’administration et de direction d’une entreprise. Il est dit:
« Art. 174 Rôle du Conseil fédéral
Le Conseil fédéral est l’autorité directoriale et exécutive suprême de la Confédération. »
Mais alors quid de nos cantons puisque nous parlions d’Etats indépendants réunis en Confédération?
Eh bien, ils ont été unifiés dans une interface qui porte le nom de Conférence des gouvernements cantonaux (CdC).
Le fait est que le monde auquel adhère pleinement la Suisse ne supporte pas le temps nécessaire à convaincre 26 cantons…. Sans parler du besoin d' »efficacité » de nos conseillers fédéraux. Bref, la solution de la CdC répond à tous les besoins de performance d’un Etat-entrepreneur.
Nous pouvons imaginer une organisation matricielle selon le modèle des entreprises qui favorise les interactions Confédération-Cantons avec:
Une structure verticale au plan fédéral autour des Départements des Conseillers fédéraux.
Une structure transversale qui part de la Conférence des Cantons et de ses subdivisions autour des divers thèmes et qui va traverser les départements fédéraux.
L’intégration structurelle « Confédération »- « Cantons » devient opérationnelle au quotidien. Les temps des palabres est ainsi réduit au maximum.
Voici quelques infos prises sur le site de CdC.
« Bases de la CdC:
À partir des années 70, il est apparu clairement que les cantons ne parviendraient à préserver leur autonomie, leur liberté d’appréciation et leur marge d’action qu’à travers une collaboration plus étroite. L’internationalisation de la politique et l’intégration européenne en particulier ont incité les gouvernements cantonaux, au cours des années 90, à améliorer la collaboration horizontale et verticale au sein de l’État fédéral et, ce faisant, à participer au processus de décision sur le plan fédéral.
La Conférence des gouvernements cantonaux (CdC) a été fondée le 8 octobre 1993. Selon la Convention portant sa création, la CdC a pour but de favoriser la collaboration entre les cantons dans les domaines qui relèvent de leur compétence propre et d’assurer, dans les affaires fédérales touchant les cantons, la coordination et l’information essentielles des cantons. Elle fait office d’interface entre la Confédération et les cantons pour les dossiers importants de politique nationale et les dossiers de politique extérieure.
Les membres de la CdC sont les 26 cantons. Par l’intermédiaire de la CdC, ils se font entendre à l’échelon fédéral chaque fois que les intérêts cantonaux sont en jeu, renforçant ainsi la position des cantons au sein des institutions politiques nationales. »
Bon alors, nous nous réjouissons tous que la CdC renforce la position des cantons au sein de la politique nationale (nous aurions dit fédérale,… mais bon). Cela signifierait-il que ce qui a été « délégué » à la « Confédération » est si important que les cantons auraient besoin de cette interface pour se faire entendre? Possible… Pas sûr…
Voici un passage que l’on peut relever qui donne un sens particulier à tout ce qui précède:
« La Conférence des gouvernements cantonaux (CdC) a été fondée le 8 octobre 1993. Elle sert de plate-forme politique dédiée à la formation de l’opinion entre les cantons. Via la CdC, les 26 gouvernements cantonaux parlent d’une même voix à l’échelon fédéral, renforçant ainsi la position des cantons dans l’Etat fédéral. «
Former l’opinion, l’unifier pour parler d’une même voix, voici quelques expressions qui nous éloignent drastiquement de la démocratie participative, et même de la démocratie tout court. Il faut avouer que le chemin décisionnel doit être drastiquement réduit.
La performance est ainsi la grande gagnante de cette centralisation des pouvoirs.
Liliane Held-Khawam
La Conférence gouvernementale et ses subdivisions
Vous pouvez aller sur ce lien http://www.kdk.ch/fr/actualite/agenda/, et découvrir l’Agenda de la CdC et des diverses subdivisions… Voici quelques thèmes relevés:
- Les rencontres de la CdC,
- Les conférences régionales des gouvernements, dont les découpages sont basées sur les NUTS prévues par Bruxelles pour la Suisse
- Les Conférences des Directeurs regroupées autour des principaux thèmes politiques. En voici quelques-unes:
DTAP (Conférence des directeurs des travaux publics, de l’aménagement du territoire et de l’environnement)
CDIP (Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique)
CDEn (Conférence des directeurs cantonaux de l’énergie)
CDF (Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances)
CDS (Conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la santé)
COPMA (Conférence en matière de protection des mineurs et des adultes)
CDA (Conférence des directeurs cantonaux de l’agriculture)
CFP (Conférence pour forêt, faune et paysage)
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