Toute conscience est conscience de quelque chose. Parler de "conscience sans objet" est-ce alors parler pour ne rien dire ?
vendredi 19 janvier 2018
Sergiù Celibidache ou La musique comme méditation
Sergiu Celibidache explique sa philosophie de la musique (Munich, 1983)
Que fait l'auditeur d'une symphonie ? A chaque seconde il « transcende une monade en se l'appropriant pour être libre de recevoir la prochaine ». Après la répétition de la Symphonie n° 4 de Bruckner qu'il dirige à Munich en 1983, Sergiu Celibidache donne une leçon de phénoménologie à Eve Ruggieri. Dans un français immaculé, le maître s'acharne sur un critique imaginaire, déchiquette son confrère Georges Tzipine « qui enseigne la musique au Conservatoire pour détruire la jeunesse », mais surtout donne la clef du tempo (« condition pour que la multitude de renseignements que le son nous donne puissent être réduits à une unité ») et ausculte avec la loupe d'Edmund Husserl la nature même de la musique. Phénoménal.
Source du texte : Diapason
Sergiù Celibidache [/ˈserdʒʲu tʃelibiˈdake/] (dont le nom véritable, d'origine grecque est Celebidachi ; Roman, 28 juin 1912-La Neuville-sur-Essonne, près de Pithiviers, 14 août 1996) est un chef d'orchestre roumain puis apatride.
Source (et suite) du texte : wikipedia
Menuhin and Celibidache rehearsal Brahms Violin Concerto (1946)
Sergio Celibidache, Georges Enescu, Rapsodia Romana in La Major (2011)
Sergiu Celibidache, La musique n'est rien : Textes et entretiens pour une phénoménologie de la musique, Ed. Actes Sud, 2012
Extrait :
C’est par la musique que, d’une certaine façon, je suis venu au yoga, et non l’inverse. Mais ensuite, lorsque j’ai vu que la musique ne peut pas être un jeu de sensations, que jamais de la vie elle ne saurait être cela, je me suis rendu compte que rien de ce qui est dans la musique ne peut être réalisé par la volonté propre, par l’ego. Et ainsi, la musique est pour moi, lorsque les conditions matérielles brutes me le permettent, une méditation. C’est-à-dire que je ne pense pas du tout que je dois maintenant faire ceci ou cela, mais tout a lieu. Et ce n’est pas moi qui fais la musique, mais je crée les conditions pour qu’elle puisse surgir. Ce n’est pas nous qui la faisons. Nous créons les conditions pour que Dieu, qui est vérité et beauté, se manifeste à nous. Mais nous n’y réussissons pas toujours.
Pendant huit ans, j’ai fait de la musique d’une façon tout à fait insensée, c’est-à-dire sans faire de la musique. J’ai transmis des sensations et des impressions. Le monde, cette Maya, est infini, et j’ai produit des illusions et des déceptions, avec du son naturellement. Jusqu’à ce que je me sois rendu compte : mon Dieu, ça ne peut pas être cela. Un jour, j’ai rencontré un homme qui était passé par l’école du yoga, et il m’a dit : tout ce que vous faites est faux. — Et j’ai suivi cet homme. Et je n’ai pas fait une carrière mondiale, comme me l’ont proposé les Américains. Ils cherchaient un successeur pour Toscanini. Pour un homme de trente-cinq ans, c’est intéressant, mais je n’ai pas pris le chemin de l’argent. L’homme instruit en matière de yoga me montra que ce ne sont pas les notes, qui ne sont que le matériau brut, qui constituent le morceau. À présent nous savons qu’il y a une autre discipline, intérieure. L’intérieur est le kurukshetra, le champ de notre combat permanent. C’est le combat qui a été décrit dans la Bhagavad-gîtâ. Ce combat [1] n’a pas eu lieu voici cinq mille ans avec Krishna ; il a lieu chaque jour.
C’est ainsi que j’ai continué à devenir attentif à ce qui, dans la musique, n’est pas si matériellement brut. Et cela m’a beaucoup aidé de me séparer du son et de parvenir à la transcendance du son. Car le yoga est transcendance, et la musique est transcendance. Le yoga [non plus] n’est pas matériellement brut.
Pourquoi recommandez-vous à vos élèves des pratiques de yoga ?
Je ne fais pas cela à la légère, car je suis convaincu que, dans l’état d’esprit qui nous caractérise actuellement, on ne peut venir à bout du yoga tout seul. Je suis également convaincu qu’il y a très peu de maîtres capables d’introduire [à cette pratique]. Les écoles de yoga que je connais, je les récuse. Sans avoir le sentiment de faire mieux ou de savoir mieux. À coup sûr, je ne saurais faire mieux moi-même. Je dis aussi à chacun de bien réfléchir avant de commencer – la décision est-elle prise en votre propre âme et conscience ou pour d’autres ? Dans cette vie, j’ai atteint le nishkâma karma, c’est-à-dire : l’action dépourvue de désir. Je ne veux pas donner un concert fantastique, mais je fais des efforts fantastiques pour que ce concert nous rende nos forces spirituelles. Peu importe que cela soit bon ou mauvais. Je n’attends pas que les gens applaudissent ou qu’ils disent : vous êtes le plus grand de tous, ou : vous êtes le plus grand des idiots. Cela ne m’intéresse pratiquement pas. C’est là une différence par rapport à jadis, jadis je me sentais fort maltraité par les gens qui n’avaient absolument rien compris. Comme aujourd’hui, ils ne comprennent pas. Mais le plus admirable est le fait du public qui n’a aucune formation du tout, pas comme les gens qui, parce qu’ils connaissent deux sonates et demie de piano, s’imaginent qu’ils peuvent aussi comprendre nos conditions.
Ce qui est si grandiose dans un phrasé, c’est d’abord que cette phrase, si elle est réussie, si le phrasé est effectivement complet, est à l’unisson de toutes les disciplines universelles et humaines possibles. C’est un rapport de proportions (beaucoup-moins, aigu-grave, clair-obscur, rapide-lent), c’est quelque chose qui fait vibrer l’homme dans son intégralité. Si vous y parvenez, par les correspondances entre le son et le monde affectif, tous les chakras (centres énergétiques) s’ouvrent, ils sont verticaux, et tout ce qui constitue en général ce cosmos et sa force vitale coule à travers eux.
Notes
[1] Il s’agit d’un combat intérieur. Arjuna, le héros de la Bhagavad-gîtâ, commande une armée qui doit livrer bataille contre une armée dans laquelle il a reconnu des membres de sa famille et des amis ; il est en proie au doute quant au sens de son devoir et, dans son désarroi, s’adresse à Krishna.
Source du texte : Résonance
Le jardin de Sergiù Celibidache de Serge Ioan Celibidachi (1996)
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire