James Woosley, ancien directeur de la CIA, 1993-1995 (FoxNews, février 2018)
- Avons-nous déjà essayé de nous immiscer dans les élections d'autres pays ?
- Oh, probablement, mais c'était pour le bien du système (...)
- Mais nous ne nous amusons plus à intervenir dans les élections des autres, James ?
- Eh bien... mmmh, mmmh, mmmh, mmmh [sourire, rire partagé]. Uniquement pour une très bonne cause (...) Uniquement pour une très bonne cause dans l'intérêt de la démocratie [grand sourire].
Lire aussi : Le sourire de Woolsey, le 19 février 2018 - DeDefensa
Manipulation d’une élection ? Les USA l’ont fait dans 45 pays
Par Shane Dixon Kavanaugh, le 30 décembre 2016 - Vocativ / Les Crises (trad.)
La tentative russe d’influer sur les élections de 2016 continue de consumer la politique américaine d’autant que l’administration Obama a contre-attaqué avec une série de punitions visant les agences d’espionnage et les diplomates russes. La Maison-Blanche ce jeudi (29 décembre 2016) a expulsé 35 russes suspectés d’être des agents de renseignement, et imposé des sanctions contre les deux principales agences de renseignement du Kremlin en réponse à ce que les USA considèrent comme des cyberattaques conduites par les Russes pendant la campagne électorale. Pour le moment, le Président russe Vladimir Poutine a indiqué qu’il n’entendait pas répliquer, mais que cela pourrait changer.
Ce bouillonnant “œil pour œil” a entretenu la question de l’ingérence électorale au niveau national, alimentée plus encore par la croyance, parmi les services de renseignement américains, que la Russie voulait aider Donald Trump à ravir la présidence. Cependant, aucun des deux pays n’est étranger à ce type de manœuvres électorales à l’encontre d’autres nations. En fait, de récentes recherches du politologue Dov Levin montrent que les USA ont une longue et stupéfiante expérience de tentatives d’influencer des présidentielles de pays étrangers.
Levin, un enseignant post-doctorat à l’Institut de Politique & Stratégie de l’Université Carnegie-Mellon, a trouvé que les USA ont tenté d’influencer au moins 81 élections étrangères entre 1946 et 2000. Bien souvent pratiquées dans l’ombre, ces tentatives incluent aussi bien la conduite réussie des présidentielles aux Philippines dans les années 50 par des agents de la CIA, que la divulgation préjudiciables d’informations sur les Sandinistes marxistes pour influencer les électeurs nicaraguayens en 1990. En tout, les USA auraient tenté d’influencer les élections de plus de 45 nations au niveau mondial pendant cette période, ce que démontre Levin. Dans le cas de pays comme l’Italie ou le Japon, les USA auraient tenté d’intervenir dans au moins 4 élections différentes.
Les chiffres avancés par Levin ne comprennent pas les tentatives de coups d’État militaires ou les renversements de régime suivant l’élection d’un candidat non agréé par les USA, comme par exemple quand la CIA a aidé à renverser le premier ministre iranien Mohammad Mossadegh, démocratiquement élu en 1953. Levin définit une “immixtion électorale” comme “une opération financière conçue afin de déterminer le résultat d’une élection en faveur d’un des deux camps.” Selon les recherches de Levin, cela inclut : divulgation de fausses informations ou de propagandes, création de matériau électoral pour le candidat ou le parti favori, la fourniture ou le retrait d’aides étrangères, diffusion publique de déclarations menaçant ou favorisant un candidat. Souvent, cela comprend aussi le transfert secret de larges sommes d’argent, comme par exemple lors d’élections au Japon, au Liban, en Italie, et dans d’autres pays.
Pour construire sa base de données, Levin a utilisé des documents déclassifiés des services secrets US ainsi que des rapports du Congrès sur l’activité de la CIA. Il a aussi creusé des histoires qu’il a considérées comme fiables provenant de la CIA et des activités secrètes américaines, ainsi que des recherches universitaires sur les services d’espionnages US, des histoires diplomatiques de la Guerre froide et des mémoires d’anciens fonctionnaires de la CIA. La plupart des interventions américaines dans des élections étrangères ont été bien documentées, le Chili dans les années 60 ou Haïti dans les années 90 notamment. Qu’en est-il de Malte en 1971 ? Selon Levin, les USA auraient tenté de “booster” l’économie de cette minuscule île méditerranéenne dans les mois précédant l’élection.
Les recherches montrent que la plupart des ingérences américaines eurent lieu pendant la Guerre froide et avaient pour but de contenir l’influence soviétique à travers des mouvements locaux gauchistes. Et pour être clair, les USA n’étaient pas les seuls à s’immiscer dans des élections étrangères. Selon Levin, la Russie a tenté près de 36 fois d’influencer des élections entre la fin de la seconde guerre mondiale et la fin du 20ème siècle, ce qui, combiné avec les tentatives américaines, constituent 117 ingérences pendant cette période.
Et même après la chute de l’Union soviétique en 1991, Levin a découvert que les USA continuèrent leurs opérations à l’étranger, notamment en Israël, dans l’ancienne Tchécoslovaquie et même en Russie en 1996. Depuis 2000, les USA se sont immiscés dans les élections en Ukraine, au Kenya, au Liban, et en Afghanistan, entre autres.
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Une base de données retrace l’historique des ingérences américaines dans des élections étrangères
Le 22 décembre 2016 - NPR / Les Crises (trad.)
Ari Shapiro du NPR discute avec Dov Levin, le chercheur de l’Université Carnegie Mellon au sujet de la base de données historique qui révèle les ingérences américaines dans les élections étrangères au fil des années.
ARI SHAPIRO, HOST : Ce n’est pas la première fois qu’un pays a tenté d’influencer le résultat des élections d’un autre pays. Les USA l’ont fait, également, selon le décompte d’un expert, plus de 80 fois à travers le monde, entre 1946 et 2000. Cet expert est Dov Levin de l’Université Carnegie Mellon. Je lui ai demandé de nous raconter des élections où l’intervention américaine a probablement entraîné une différence dans les résultats du vote.
DOV LEVIN : Un exemple est notre intervention en Serbie, Yougoslavie, lors de l’élection de 2000. Slobodan Milosevic était candidat à sa réélection et nous ne voulions pas qu’il reste au pouvoir à la suite de sa tendance, vous savez, à perturber les Balkans et ses violations des droits de l’Homme.
Aussi, nous sommes intervenus de différentes manières au bénéfice du candidat de l’opposition, Vojislav Kostunica. Et nous avons financé l’opposition, nous l’avons aidée et participé à la campagne. Et selon mes calculs, cette aide a été cruciale pour permettre à l’opposition de l’emporter.
SHAPIRO : A quelle fréquence ces interventions sont-elles rendues publiques ou restées secrètes ?
LEVIN : C’est environ un tiers d’interventions publiques et deux-tiers qui sont secrètes. En d’autres mots, elles ne sont pas connues des électeurs visés avant l’élection.
SHAPIRO : Votre décompte ne comprend pas les coups d’État, les tentatives de changement de régime. Il semble que, selon les définitions prises en compte, le total pourrait être en fait bien plus important.
LEVIN : Vous avez raison. Je ne comptabilise pas les coups d’État secrets comme celui mené par les USA en Iran en 1953 ou au Guatemala en 1954. J’ai comptabilisé les cas uniquement quand les USA ont tenté directement d’influencer une élection au bénéfice d’un seul des candidats. Les autres cas d’interventions, je n’en discute pas. Mais si devions compter ces derniers, bien sûr le total serait plus élevé, oui.
SHAPIRO : Combien de fois d’autres pays, comme la Russie par exemple, ont tenté d’infléchir une élection par comparaison avec les États-Unis ?
LEVIN : Eh bien, d’après ma base de données, les USA sont le pays le plus adepte de cette technique. La Russie ou l’Union soviétique depuis 1945 l’a utilisé moitié moins. Mon estimation indique 36 cas entre 1946 et 2000. Nous savons que les Chinois ont également utilisé cette technique et les Vénézuéliens quand feu Hugo Chavez était encore au pouvoir et aussi d’autres pays.
SHAPIRO : Les USA sont probablement plus bruyant que tout autre pays pour tenter de promouvoir la démocratie et les valeurs démocratiques dans le monde Est-ce que cela ne vous frappe pas comme incohérence dans ce message ?
LEVIN : Cela dépend si vous souhaitez aider le côté pro-démocrate – ce qui pourrait être le cas pour l’exemple évoqué précédemment sur Slobodan Milosevic. Je pense que cela pouvait être positif pour la démocratie. Si cela aide des candidats ou partis moins “sympathiques”, alors évidemment c’est moins bénéfique.
SHAPIRO : Évidemment, votre étude sur les tentatives réalisées au 20e siècle pour influencer des élections ne prend pas en compte les attaques informatiques car les ordinateurs n’étaient pas aussi nombreux auparavant.
LEVIN : Oui.
SHAPIRO : De votre point de vue, la technologie – comme nous l’avons vu lors de l’élection de novembre – change-t-elle spectaculairement les règles du jeu ? Ou est-ce juste la dernière évolution d’un effort qui utilise tous les outils mis à sa disposition ?
LEVIN : Je dirais que c’est plutôt ce dernier cas. Je pense que les Russes, ou les Soviétiques auparavant, faisaient rarement ce type d’intervention en l’absence des outils de piratage informatique – vous savez, les rencontres de personnes à la mode ancienne, dans un parc, en secret, donnant ou recevant des informations, dans ce style…
SHAPIRO : Dov Levin travaille au sein de l’Institute for Politics and Strategy de l’Université Carnegie Mellon. Merci de nous avoir rejoint.
LEVIN : Merci beaucoup.
Source : NPR, le 22/12/2016
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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