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vendredi 16 novembre 2018
Hollywood, la machine à propagande
Matthew Alford, Hollywood la machine à propagande (Le Média, 2 nov. 2018)
La grande interview : Matthew Alford (RT, nov. 2018)
Examinant le fonctionnement interne de l’industrie hollywoodienne, cet ouvrage révèle les liens étroits entre le cinéma et les forces politiques américaines les plus réactionnaires.
Ses analyses détaillées de nombreux films démontrent qu’Hollywood, loin d’être le lieu d’expression de la gauche américaine, n’est que le versant culturel d’une politique impérialiste.
Alors que des films comme Transformers, Terminator ou La Chute du faucon noir, ouvertement financés par l’armée, glorifient l’hégémonie américaine dans le monde, des films prétendument critiques comme Les Rois du désert, Hôtel Rwanda ou Avatar, n’en remplissent pas moins la même fonction.
Au-delà des tendances progressistes affichées par certaines célébrités, Alford met en évidence leur totale intégration à un système encourageant la suprématie mondiale américaine et le recours à la violence.
Quatrième de couverture
Source : Editions critiques
Lire : Hollywood propaganda, de Matthew Alford
Par Michael Parenti - Acrimed
Les travaux récents sur le pouvoir idéologique d’Hollywood sont rares en français, en particulier pour les films qui traitent – plus ou moins explicitement – de la politique étrangère des États-Unis. C’est pourquoi il est heureux que le livre (paru en 2010) de l’universitaire britannique Matthew Alford sur les rapports entre l’industrie du cinéma et l’hégémonie américaine ait fait l’objet d’une traduction. Hollywood propaganda a été publié en septembre aux Éditions Critiques, avec une préface inédite de l’auteur.
Passant en revue des dizaines d’œuvres sorties depuis le début des années 1990, de la superproduction au film indépendant, Alford examine la façon dont celles-ci représentent les actions des États-Unis dans le monde ainsi que leurs autorités civiles et militaires. Hollywood propaganda analyse aussi le fonctionnement interne de cette « industrie politisée » souvent bien disposée à l’égard des préoccupations de Washington, du Pentagone et de Wall Street. L’auteur applique à Hollywood le « modèle de propagande » exposé par Edward Herman et Noam Chomsky dans leur livre de référence sur les médias La Fabrication du consentement (Agone, 2008 ; 1988 pour la 1re édition en anglais).
Nous reproduisons ci-dessous, avec l’accord de l’éditeur, l’avant-propos de l’historien et politologue Michael Parenti, un dissident américain qui a beaucoup travaillé sur la question de l’impérialisme. À noter qu’il a également une œuvre dans le domaine de la critique des médias, malheureusement méconnue en France car très peu traduite.
Chaque année lors de la cérémonie de remise des Oscars, Hollywood invite le monde entier à venir partager l’illusion qu’une noble industrie œuvre pour le bien de l’humanité en lui offrant des divertissements magnifiques, émouvants, qui vont susciter chez lui joie, tendresse, chagrin, des films riches à la fois en scènes d’action époustouflantes et en promesses réconfortantes. Devant cette autocélébration festive, on a tendance à oublier que « le monde du cinéma » est une industrie motivée par le profit — comme toutes les grandes industries —, qu’elle est assez fermement centralisée et qu’elle se préoccupe bien plus de nous faire les poches que de créer un art qui viendra nourrir nos rêves.
On néglige tout autant le fait qu’Hollywood fonctionne selon des paramètres idéologiques bien arrêtés. Si l’industrie du cinéma recherche en permanence gloire et dollars, elle n’en est pas moins une industrie culturelle. Les produits qu’elle commercialise sont constitués de personnages, d’images, d’histoires, d’expériences et, à leur manière, d’idées, des éléments qui affectent directement la conscience du public. Et si le premier objectif des grands studios est de faire de copieux profits, ils en ont un autre — que celui-ci soit explicitement assumé ou non : le contrôle idéologique. Ils l’exercent en ne s’aventurant jamais au-delà du cadre du système de croyances dominant, tout en le présentant comme une représentation naturelle et authentique de la vie. Il serait peut-être donc plus approprié de décrire l’industrie du cinéma comme engagée, non seulement dans le contrôle idéologique, mais aussi dans le self-control idéologique.
Les dirigeants de cette industrie contesteraient pareilles affirmations. Ils avanceraient que notre société est une démocratie culturelle dont les produits finis ne sont pas déterminés par l’idéologie mais engendrés par de nombreux choix libres au sein d’un marché libre. À leurs yeux, c’est la main invisible d’Adam Smith qui part du cœur d’Hollywood pour atteindre les centres villes. Pour rapporter de l’argent à ses actionnaires, l’industrie doit toucher les plus grands marchés possibles, c’est-à-dire qu’elle doit donner aux gens ce dont ils ont envie.
Ainsi, d’après les nababs du cinéma, la culture populaire est le produit de la demande populaire. Si le monde du cinéma propose des films nuls, disent-ils, c’est parce que c’est ce que le public apprécie ; c’est ce qui se vend. Les gens préfèrent être divertis et distraits plutôt qu’informés et tirés vers le haut. C’est ce qu’ils affirment, et à n’en pas douter c’est souvent le cas.
Mais bien plus que le goût des spectateurs, n’est-ce pas plutôt la puissance du marketing et de la distribution dont bénéficient les films qui détermine la taille de leur public ? Des millions de gens ont vu les suites de Rambo, des productions extravagantes à la gloire d’actes de bravoure militaristes et sanguinaires. Chacun des épisodes de Rambo est sorti dans plus de deux mille salles aux États-Unis à la suite de campagnes publicitaires de plusieurs millions de dollars. Un autre exemple : en aout 2001, malgré des critiques catastrophiques méritées, Disney a décidé, à la surprise générale, de prolonger la durée d’exploitation nationale de Pearl Harbor a sept mois au lieu des deux à quatre mois ordinaires, ce qui signifiait que ce blockbuster « estival » allait finalement être projeté jusqu’en décembre. Bénéficiant d’une distribution aussi massive et envahissante, il était impossible que Pearl Harbor n’atteigne pas un très grand nombre de gens. En revanche, seuls quelques milliers de personnes ont jamais pu voir Le Sel de la terre (1954) [1], un film à petit budget traitant des luttes menées aux États-Unis par des syndicalistes d’origine mexicaine. Ce film vibrant et saisissant, conservé des décennies après par la Bibliothèque du Congrès et le Musée d’art moderne de New York, a été soumis à toutes sortes de contraintes au cours de sa production et de sa distribution, et a dû se contenter d’une courte vie en salle, avec seulement onze petits exploitants.
Si des films dissidents comme Le Sel de la terre ne parviennent pas à toucher un large public, ne serait-ce pas parce qu’ils en sont tenus à l’écart du fait de la distribution minimale et de la publicité limitée qu’ils reçoivent ? Faute de fonds suffisants, ils doivent compter sur le bouche-à-oreille et sur les critiques qui leurs sont souvent politiquement hostiles. Le contraste est saillant avec les campagnes publicitaires de plusieurs millions de dollars qui favorisent la création de marchés de masse pour les films censément plus populaires. Si un Rambo ou un film tel que Pearl Harbor dispose vraiment d’un grand public « naturel » et est attendu par des millions de spectateurs, en ce cas pourquoi est-il nécessaire de dépenser des fortunes en publicité avec pour seul objectif de constituer une audience massive ?
En résumé, ce n’est pas simplement une question de demande qui va créer l’offre. C’est souvent l’inverse : l’offre crée la demande. La première condition nécessaire à toute consommation est la disponibilité du produit. Qu’il s’agisse de films, d’émissions de télévision ou de boissons sans alcool, la consommation dépendra largement de la distribution et de la visibilité du produit. Un film qui va sortir dans tous les multiplexes d’Amérique va toucher un grand public, non pas parce qu’il y a une vague spontanée de demande émanant de la base de l’ordre social, mais parce qu’il est commercialisé avec fracas à partir du sommet.
Avec le temps, les gens sont conditionnés à accepter des films faciles, superficiels, médiocres et politiquement biaisés. Les images standardisées et les scénarios cousus de fil blanc sont prédigérés. Avec un conditionnement suffisant, les consommateurs iront voir même ce qui ne suscite pas grand enthousiasme chez eux. Rarement exposés à autre chose, ils sont d’autant plus enclins à chercher la distraction dans ce qui se trouve offert.
Mais il ne faut pas exagérer cet argument. Le public n’est pas malléable à volonté. L’offre ne crée pas toujours la demande. Certaines offres d’Hollywood sont des échecs cuisants, malgré une publicité abondante et une distribution offensive. Malgré leurs déclarations sur l’importance de donner au public ce qu’il veut, les dirigeants des studios se trompent souvent. Les préférences du public peuvent être difficiles à prédire, surtout quand la perception qu’on en a est elle-même influencée par ses propres inclinations sociopolitiques.
Ainsi, durant une période s’étalant sur plus de deux décennies, et qui comprenait toutes les années 1970 et 1980, les commentateurs et experts des médias dominants n’ont eu de cesse de répéter que le public américain était gagné par une « humeur conservatrice », soit exactement la direction qu’ils espéraient. Les patrons des chaînes de télévision et des grands studios ne se sont pas fait prier pour se joindre au chœur, dans ce qui a fini par devenir l’une des tentatives de prophétie autoréalisatrice les plus longues de l’histoire. Puisqu’ils avaient décidé que la nation se laissait envahir par une humeur conservatrice, ils se sont mis au travail pour favoriser à la fois cette évolution et cette humeur. Les huiles de la télévision ont produit tout un tas de séries sur la justice et l’ordre telles que Walking Tall, Strike Force et Today’s FBI (1981-1982). Tous ces programmes étaient émaillés de sous-textes conservateurs ; ils ont tous souffert d’audiences lamentables et ont vite été interrompus. Cela s’est reproduit dans les années 2000 avec des séries telles qu’Agence Matrix (2003-2004), Spy Girls (2002-2004) et Espions d’État (2001-2003), cette dernière bénéficiant du soutien de la CIA.
Idem avec l’industrie du cinéma. L’Étoffe des héros (1983), un film à la gloire des aventures spatiales des États-Unis, a fait un bide au box-office. Des films d’action tels que Cobra (1986), Rambo III (1988) et L’Inspecteur Harry est la dernière cible (1988) s’en sont mal sortis eux aussi. Grâce à des campagnes publicitaires se chiffrant à plusieurs millions de dollars, ils ont fait un bon départ lors de leur premier week-end, mais ils se sont rapidement effondrés ensuite. Inchon (1982), un autre film de guerre droitier, dont le budget était de 48 millions de dollars auxquels il faut ajouter entre 10 et 20 millions de dollars de publicité, avait tout ce dont le public est censé avoir envie : un casting prestigieux, une production spectaculaire, une histoire d’amour, des scènes de bataille sanglantes, un patriotisme exacerbé, une réécriture simpliste de l’histoire politique et une intrigue écervelée à propos d’agresseurs communistes prêts à tuer qui se font dégager par un héros de guerre de droite. Pourtant Inchon a été un désastre au box-office. Cela laisse penser que même les spectateurs conditionnés pour cela en ont parfois marre de consommer toujours les mêmes âneries.
En résumé, dire que l’industrie du cinéma « donne aux gens ce qu’ils veulent » est une explication trop simple. Les grands studios nous imposent ce qu’ils pensent que nous voulons, et font souvent la promotion de films que nous n’avons jamais demandés et qui ne nous plaisent pas particulièrement. Mais avec une publicité et une distribution suffisantes, même ces bides sont destinés à atteindre bien plus de gens que des films dissidents aux financements exsangues, auxquels on n’accorde ni distribution, ni publicité de masse dignes de ce nom.
* * *
Les commentateurs et éditorialistes conservateurs ne cessent de donner d’Hollywood l’image d’un repaire de gauchistes. Divers propagandistes de droite nous disent que « les élites culturelles » d’Hollywood (et d’autres endroits tels que New York, San Francisco et Washington) véhiculent des valeurs qui visent à saper le patriotisme et d’autres « vertus américaines » du même ordre.
L’impressionnante critique que propose Matthew Alford dans les pages qui suivent terrasse ces incantations à propos d’un dessein gauchiste de nature élitiste. Implicitement, la dissection des films de guerre hollywoodiens proposée par l’auteur lève le voile sur les représentations déformées de la politique impérialiste américaine elle-même et les mythes politiques dominants qui la soutiennent.
Ce livre détaillé dévoile comment les agences de l’empire américain jouent un rôle actif jusque dans l’écriture et la production des films à propos des manœuvres politico-militaires des États-Unis à l’étranger. Ce débat étouffé sur les politiques (pas toujours si) cachées de l’empire se manifeste dans la production des films elle-même, dans ce qui est atténué, ce qui est glorifié, et ce qui ne quittera pas le banc de la salle de montage.
Après un passage en revue de quasiment tous les films importants de ces dernières années, Alford conclut que tandis qu’« il y a [certainement] des progressistes importants à Hollywood », il n’y a pas d’« establishment de gauche » poursuivant un dessein politique. Il nous rappelle également qu’il y a de « nombreuses stars, censeurs et professionnels de l’industrie situés à droite » qui œuvrent activement au sein d’Hollywood. Des représentants du Pentagone et des agences de sécurité nationale suivent à la trace certains scénaristes, monteurs et producteurs. Et avant toute chose, il y a les patrons et les banquiers — riches et conservateurs — qui travaillent dans l’industrie, ceux-ci opérant « à l’intérieur d’un système entrepreneurial rigide ».
Grâce à un examen minutieux des véritables intrigues, dialogues et personnages de dizaines de films grand public, non seulement Alford nous dit, mais en plus il nous démontre que le cinéma dominant ne propose aucune critique des « principales prémisses postulant la bienveillance des États-Unis sur la scène internationale ». Au point que lorsque l’on concède des remarques critiques dans tel ou tel film, elles ne sont fondées sur rien de tangible. Les héros se contentent de corriger le tir lorsque se produisent des bourdes opérationnelles, des accidents malencontreux et des erreurs individuelles. Il est possible de critiquer certains cas d’excès du pouvoir militaire, mais pas la puissance militaire des États-Unis à proprement parler, étant entendu que les forces américaines ont le droit absolu de mener des opérations militaires dans n’importe quelle « zone à problème » de la planète. Alford décrit des films qui propagent l’idée que la guerre est une « tragédie regrettable, qui découle de ce que l’idéalisme des États-Unis se heurte à une situation qu’ils n’ont pas entièrement comprise et n’ont pas pu maîtriser ».
Dans le monde du cinéma, les interventions de l’armée américaine sont toujours bien intentionnées même si, parfois, ces entreprises tournent mal. On ne nous dit rien des intérêts globaux transnationaux qui se cachent derrière de telles expéditions, sur qui paie et sur qui tire profit de ce qui se passe. De telles questions nous mèneraient au cœur de la façon dont le pouvoir politique et économique est exercé aux États-Unis et dans une grande partie du monde.
En résumé, les cinéastes (à quelques notables exceptions près) n’iront pas bien loin dans leurs critiques, ayant à l’esprit — de façon plus ou moins consciente — qu’ils ne peuvent se permettre de faire un film véritablement radical ; ils sont incapables de remonter à la racine et d’exposer les intérêts colonialistes de l’empire mondial ou la nature dangereuse et antidémocratique de l’État de sécurité nationale. S’y essayer, ce serait attirer des ennuis au film qu’on essaie de produire et de distribuer. Il s’ensuivrait une perte de financements, une exposition de moindre envergure, et un jeu de massacre pour les critiques de cinéma des médias dominants qui se gardent bien d’oublier pour le compte de qui ils travaillent. Il suffit de demander à Oliver Stone ce qu’il en pense, lui qui n’a cessé de recevoir des attaques pour sa tentative de s’aventurer en zone interdite à propos de l’assassinat de Kennedy avec son film JFK (1991).
On peut donc dire que l’on ne se contente pas de nous divertir. Les cinéastes grand public ont une capacité innée à traiter des sujets brûlants de façon à neutraliser leur impact et à atténuer leur signification. On intègre des réalités contradictoires dans le scénario, mais sous une forme prédigérée. L’injustice et la corruption au sein des institutions ne sont plus que les actes de quelques rares francs-tireurs ou brebis galeuses. La guerre n’est alors pas grand-chose d’autre qu’une expérience dure et amère pour les soldats concernés. Comme le dit Alford : « C’est monnaie courante à Hollywood, comme parmi les élites américaines [dans le domaine de la vie politique réelle], de partir du principe que les étrangers ne comptent pas, que les ennemis des États-Unis sont implacablement vils, et que la puissance américaine est par essence bonne et désintéressée. »
Dans le monde du grand écran, les dirigeants politiques doivent faire des choix difficiles portant sur l’intégrité et l’équité, mais ils se prononcent rarement sur des problèmes économiques concrets. La résistance face à l’injustice s’exprime à travers la courageuse opposition d’un individu. (« Un seul et unique homme s’est levé pour affronter la menace… »). Grâce à son alchimie cinématique, Hollywood produit des films qui peuvent sembler d’actualité et socialement pertinents, sans avoir à composer avec les divers aspects de la réalité sociale conflictuelle, des films dans lesquels on « combat le terrorisme » sans approcher la réalité de trop près.
* * *
Si tout ceci est vrai, si les films sont implicitement conservateurs dans leur représentation avantageuse de l’État de sécurité national, de l’impérialisme et de la supériorité morale présumée des États-Unis, alors pourquoi les conservateurs se plaignent-ils de « partis pris progressistes » à Hollywood ? Ils adressent aussi ce reproche aux médias d’information américains, essentiellement pour les mêmes raisons, alors que ceux-ci penchent à droite et sont toujours plus soumis et timorés.
Les films n’ont de cesse de restreindre leur attention critique à une sphère étroite et superficielle et proposent rarement une critique véritablement radicale. Pourtant même cette timide démarche est considérée comme une entreprise de dénigrement, menée par les progressistes, du système politico-économique américain et de sa domination mondiale. Montrer un soldat sans pitié qui tue un civil innocent, dans ce qui est par ailleurs présenté comme une entreprise militaire noble contre le terrorisme, c’est déjà trop pour les idéologues de droite. La moindre critique — aussi édulcorée, fortuite et innocemment décontextualisée soit-elle — sera toujours choquante aux yeux des réactionnaires intransigeants.
En outre, à sa manière, Hollywood a vraiment été culturellement « subversive », avec ses scènes sexuellement explicites, ses jurons, sa tolérance pour les modes de vie déviants (dont l’homosexualité), et son dédain supposé pour les valeurs familiales. Pour les réactionnaires, de telles inclinations apparemment décadentes sont les preuves à brandir pour démontrer que l’industrie du cinéma est aux mains des ennemis de l’Amérique.
Dire qu’Hollywood est gouvernée par des gauchistes est aussi un moyen d’exercer en permanence une certaine pression qui aide à faire bouger le centre de gravité politique vers la droite, pour maintenir l’industrie dans l’inconfort, et ainsi l’obliger à prouver sa bonne foi patriotique. L’industrie du cinéma revêt donc constamment les atours qui plaisent à la droite sans jamais oser se déplacer trop fermement vers la gauche sur la moindre question fondamentale.
L’essentiel du processus de contrôle idéologique se fait implicitement. Alford nous rappelle que les gens qui œuvrent au sein des systèmes de pouvoir ne sont pas toujours pleinement capables « d’identifier les frontières idéologiques fixées par les forces étatiques et économiques à l’intérieur desquelles ils travaillent ». Et s’ils s’aventuraient à soulever des points de vue fâcheux quant aux dangers d’un système de pouvoir antidémocratique et ploutocratique, ajoute-t-il, cela compromettrait sérieusement leurs carrières.
Nous pourrions nous rappeler que les formes de contrôle social les plus répressives ne sont pas toujours celles que nous vouons consciemment aux gémonies, mais celles qui s’insinuent d’elles-mêmes dans le tissu de notre conscience afin de ne pas être remises en cause, et qui sont alors acceptées comme faisant partie de la nature des choses. Il y a sans doute des progressistes et des gens de gauche à Hollywood qui ne se sont toujours pas rendu compte à quel point ce qu’ils entreprennent sert la cause des pouvoirs en place.
Alford conclut ce livre par un appel dont nous devrions tous tenir compte, un appel en faveur d’un système de propriété et de production plus libre, moins concentré, dans lequel les cinéastes créeraient des récits novateurs et captivants et « auraient moins peur de questionner la façon dont la puissance des États-Unis dépend des firmes privées. » En résumé, dans le but de faire de meilleurs films et donc des soirées de remise des Oscars au service de la démocratie plutôt que de la ploutocratie.
Michael Parenti
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