DEUXIÈME PARTIE (22-50) : La Loi.
(V)(22-28) Tension, équilibre.
La loi, qui a son origine dans la conscience sans objet (22), est définie comme une force qui tend toujours vers l'équilibre (23). Sous entendu que les objets (de la conscience ordinaire) sur quoi elle s'exerce sont dans un état de déséquilibre permanent ou de tensions. Déjà dans la CSO (Conscience sans objet), les objets existent en tant que tensions (24), non pas séparément de ce vers quoi ils tendent mais comme une sorte de champs de possibles.
Les objets tendent d'abord vers leur existence séparée (ou leur apparence d'existence séparée), en possédant des caractéristiques propres pour aussitôt (de manière plus ou moins rapide) les perdre ou les échanger contre d'autres (24). Les objets s'annulent mutuellement, dans un état d'équilibre complet, lorsque tous passent à leurs pôles complémentaires (25). Comment le comprendre ? Si l'homme est définit comme un animal raisonnable, son contraire serait une chose inanimée et inconsciente, sans possibilité de ressentir et de penser, autrement dit un cadavre. Mais le pôle complémentaire n'est pas ce contraire là. L'état d'équilibre complet n'est pas un état de mort universelle pour tous les objets, car la conscience de cet équilibre est le nirvana (27). Le pôle complémentaire (à la tendance à exister séparément) est la reconnaissance de la vacuité des tensions. La conscience (ordinaire) est le champs des tensions dans l'univers (27) parce que tout ce jeu de déploiement et de retour (26), ne s'effectue pas ailleurs que dans la conscience.
A nouveau on réaffirme que la CSO est au delà de ce jeu (28).
Dans tous les aphorismes le parti-pris de l'auteur est de garder le même terme pour une chose qui est dans la CSO et après projection. Non pas par un souci de confusion (car il ne faut pas entendre le terme de la même manière) mais pour marquer que tout s'origine dans la CSO. Autrement dit que la vérité, ou la réalité, de l'apparence dans chaque aspect de sa diversité, sans le moindre reste, se réduit entièrement à la CSO.
(VI)(29-34) Agonie, béatitude.
Les objets ne sont donc pas des substances indépendantes (et matérielles), mais des tensions (dans le champs de la conscience) : ce qui tend vers. Nous sommes dans un devenir permanent (29), qui est non seulement un mouvement vers un accroissement mais aussi une diminution, une mort sans fin (30). On peut le comprendre de deux manières différentes, tout ce qui nait va se développer pour atteindre une apogée, et décliner ensuite jusqu'à mourir. Mais l'ensemble de ce processus est aussi une mort lente pour l'objet par rapport à ce qu'il était (ou ce qu'il est, car il est toujours) dans la CSO.
Lorsque la promesse est tenue, ou le désir accompli, elle cesse aussitôt d'exister (car on ne peut vouloir ce que l'on possède déjà), mais dans la conscience ordinaire, les promesses sont toujours renouvelées (31). Tant que la conscience est attachée aux objets, ce stress de la naissance et de la mort du désir n'aura de cesse (un désir chasse l'autre)(32). Mais lorsque la vacuité des objets est reconnue, dans cet état d'équilibre atteint, ou d'absence de tensions, la naissance (à ce nouvel état) annule la mort, la béatitude du nirvana est alors sans fin (33). Mais la CSO n'est ni agonie (conscience attachée aux objets), ni béatitude (conscience affranchie des objets)(34).
(VII)(35-40) Créativité, résistance.
Pour dire l'origine de l'univers, l'auteur emploie l'expression de grande vacuité à la place de la CSO (34). Le paradoxe n'est qu'apparent, car ce n'est pas l'être (l'ensemble des objets formant l'univers) qui vient du non-être (la grande vacuité), mais l'apparence (l'univers) de l'être (la grande vacuité). La proposition suivante fait partie des plus originales : l'univers est expérimenté (par la conscience ordinaire) comme une négation ou une résistance sans fin (36). Cette résistance est une insatisfaction résiduelle, ou un mal sans remède, alors que l'acte créateur lui-même, qui a aussi créé cette négation, est béatitude sans fin (37). La résistance incessante (à ce qui est), est l'univers de l'expérience, l'agonie de la crucifixion (38). Non pas la crucifixion elle-même (qui est béatitude) mais l'agonie qui ne l'atteint jamais. La béatitude de la créativité est inconcevable, puisqu'elle est antérieur à la conscience objectivante, c'est le nirvana (39). La création des objets est donc identifiée à la reconnaissance de leur vacuité puisque les deux sont béatitude ou nirvana, c'est un même mouvement. Ce jaillissement incessant n'a pas lieu dans le temps ou l'espace (le temps et l'espace apparaissent en lui), mais au sein même de la CSO.
Mais encore une fois la CSO est au-delà de la dualité, en l’occurrence, créativité et résistance (40).
Nous pouvons donc compléter le schéma précédent :
A) Conscience sans objet : au delà de la béatitude et de l'agonie.
B) Conscience créatrice (création) : béatitude.
C) Conscience attachée aux objets : agonie.
D) Conscience de la vacuité des objets (destruction) : béatitude.
Ce qui détruit l'illusion de la séparation des objets (D) crée de la béatitude, tout comme ce qui crée cette illusion (B).
(VIII)(41-45) Action, repos.
L'action sans fin est double, devenir et mourir incessant (41). Inexorablement, tout ce qui est dans le devenir se rapproche de son terme, la mort. Lorsque le toujours-devenir annule le toujours-cesser-d'être, le repos est reconnu (42), autrement dit, lorsque le devenir est vu dans sa transparence comme étant la créativité incessante qui n'a pas de contraire. L'action incessante (dans la conscience attachée aux objets) est l'univers (43), et le repos sans fin, le nirvana (44). Mais la conscience est au delà des deux (44).
(IX)(46-50) Esclavage, liberté.
"Lorsque la conscience est attachée aux objets, elle est réduite par les formes imposées par l'espace contenant le monde, par le temps et par la loi" (46). Autrement dit il n'y a pas plusieurs consciences mais une seule, ce qui différencie la CSO de la conscience attachée aux objets n'est rien d'autre que cet attachement. Lorsque la conscience se déprend des objets, elle se libère aussi des conditions d'apparition de ces objets, que sont l'espace, le temps et la loi (47). L'attachement est la conscience confinée à l'univers (48) et sa libération, l'état de liberté (puisque la loi est caduque) nirvanique illimitée (49). Mais la CSO n'est ni l'esclavage ni la liberté (50).
ÉPILOGUE (51-56) : Grand espace.
(X)(51) Conclusion.
Dans la proposition (51) Franklin Merrell-Wolff récapitule l'ensemble des conclusions pour égrener un chapelet de double négation. La CSO peut être symbolisée par un espace indifférent à la présence ou à l'absence d'objet, pour elle il n'y a ni temps, ni intemporalité (...)(51). Voir le tableau ci-dessous.
Pour la Conscience sans objet il n'y a :
ni présence ni absence d'objet (II)(11)
ni temps ni intemporalité (III)(16)
ni espace plein ni espace vide (IV)(21)
ni tension ni équilibre (V)(28)
ni résistance ni créativité (VII)(40)
ni souffrance ni félicité (VI)(34)
ni action ni repos (VIII)(45)
ni limitation ni liberté (IX)(50)
Dans la conclusion de la proposition (II) 11, il est question de l'univers et du nirvana, ici de la présence (univers) et de l'absence (nirvana) d'objet. La conclusion du thème VII (40) est énoncée avant celle du thème VI (34). Enfin un des termes du dernier couple contraire IX (50) est changé, l'esclavage fait place à la limitation.
Remarquons aussi la manière dont chaque couple de contraire est nié par ailleurs. Dans la première partie, consacrée à l'attention, les contraires se trouvent dans la CSO (11) tout en étant identique, ou bien sont identiques (16, 21) pour la CSO, ou de son point de vue. Dans la seconde partie, traitant de la loi, soit la CSO ne s'identifie à aucun contraire (34, 45), soit pour elle, ou de son point de vue, les contraires n'existent pas (28, 40). Ces formulations sont équivalentes, car des contraires identiques, ou sans différences, ne sont plus des contraires. Idem, le fait que des contraires soient autres que la CSO les disqualifie également puisque seule existe la CSO.
(X)(52-56) Grand espace.
La CSO reçoit un second synonyme, après la grande vacuité, le grand espace (GE). Ce dernier n'étant pas identifiable à l'univers, ne peut pas non plus être identifié au moindre soi (52), car les objets formant l'univers, tout comme le sujet connaissant ces objets, ne sont que des projections. Le GE n'est pas un Dieu créateur, la création des objets n'est pas un acte réfléchi ou délibéré, mais ressemble plus à une projection spontanée et naturelle, bien qu'illusoire; il englobe tous les dieux ainsi que toutes les autres créatures (53). Sous entendu que les dieux eux-mêmes ont été créé par cette projection, tout comme les autres soi. Le GE, ou la CSO, est la seule réalité dont tous les objets et tous les soi dépendent et tirent leur existence (54). En effet sujets et objets ne deviennent pas autonome une fois créé, parce qu'ils sont créé à chaque instant, tout en demeurant dans la CSO (puisque cette création est illusoire) mais de manière indifférenciée ou incompréhensible.
Le grand espace englobe à la fois la voie de l'univers et la voie du nirvana (55). Pour la première fois il est question de voie et au nombre de deux. La voie de l'univers est celle de l'attachement aux objets, celle du nirvana, de la reconnaissance de leur vacuité. Englober ne veut pas dire que ces deux voies sont distinctes dans le grand espace, mais qu'il n'y a rien en dehors de lui. Ce que réaffirme la dernière proposition (56), rien ni personne, aucun objet et aucun sujet, n'existe, hormis le grand espace. La boucle est bouclée. Comme le prologue (5) l'épilogue s'achève sur l'unicité (56) de l'être (1).
Résumé.
La conscience sans objet est. D'elle on ne peut rien dire car elle est antérieur à la distinction sujet-objet. Des jaillissement semblent en sortir, et apparaître des objets distinct de la conscience lorsque l'attention se porte sur eux (et se cristallise en sujet ou soi). Le temps et l'espace se déploient alors pour recevoir ces objets, divers et toujours changeant, soumis à une loi d'équilibre. S'attacher aux objets est source d'insatisfaction mais reconnaître leur vacuité (et celle de tout ce qui en dépend, y compris le sujet), c'est atteindre la libération.
Mais tout cela n'est qu'un jeu, en réalité il n'existe que la conscience sans objet.
Pour relire les 56 aphorismes et les laisser infuser :
Franklin Merrell-Wolff
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