lundi 6 décembre 2010

Poème de Parménide - fragments 2 à 8




Ce poème écrit en vers épique (tout comme l'Iliade ou l'Odyssée) ne nous est malheureusement pas parvenu en entier, mais sous forme de fragments éparses, ce qu'on lira est donc le fruit d'une reconstitution à partir de différents manuscrits en plus ou moins mauvais état. En outre chaque fragments, sinon chaque vers, possède des variantes, et leur place est parfois douteuse. L'établissement du texte relève donc d'une suite de choix. 

Sur cette base incertaine s'ajoute le problème de la traduction. 
Le grec ancien est une langue subtile et compliquée, sa traduction dans une langue moderne relève parfois de l'interprétation.  

Un excellent travail a été fourni par Denis O'Brien et Jean Frère (pour la traduction française), dans le premier tome des Etudes sur Parménide, publié sous la direction de Pierre Aubenque, avec le concours du CNRS, aux éditions Vrin, en 1987. 
Ce sera la source des traductions (fr.1-8) ci-dessous, à noter que dans l'ouvrage cité sont aussi présents le texte grec, une traduction anglaise et de nombreuses notes de bas de page, avec les variantes des vers et des explications. Après le poème se trouvent des essais sur telle ou telle problématique soulevée par le texte. Si le sujet vous intéresse, et pour lire l'ensemble des fragments (fr.1-19), c'est donc un livre à consulter en bibliothèque universitaire - car l'ouvrage est malheureusement épuisé. 

La confrontation d'au moins deux traductions (il en existe de nombreuses, par exemple celle de Barbara Cassin en livre de poche dans la collection Points aux Editions du Seuil) permet de se rendre compte de la difficulté rencontrée par les traducteurs et de leur choix. Peut-être
 permet-elle aussi de mieux orienter le regard, de le rendre plus attentif, pour apercevoir, toujours aussi présente, la fulgurance du poème. 

Ci-dessous les fragments 2 à 8 (concernant le discours sur l'être). Pour le premier fragment voir : Proème du Poème



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FRAGMENT II

Viens donc; je vais énoncer - et toi, prête l'oreille à ma parole et garde-là bien en toi - quelles sont les voies de recherche, les seules que l'on puisse concevoir. 
La première voie (énonçant) : "est", et aussi : il n'est pas possible de ne pas être, est chemin de persuasion, car la persuasion accompagne la vérité. 
L'autre voie (énonçant) : "n'est pas", et aussi : il est nécessaire de ne pas être, celle-là, je te fais comprendre, est un sentier dont rien ne se peut apprendre. 
En effet, le non-être, tu ne saurais ni le connaitre - car il n'est pas accessible - ni le faire comprendre.


FRAGMENT III

C'est en effet une seule et même chose que l'on pense et qui est. 


FRAGMENT IV

Bien que (de telles choses) soient absentes, contemple-les comme étant fermement présentes à l'intelligence. 

Car l'intelligence ne scindera pas l'être de façon qu'il ne s'attache plus à l'être, - qu'il se disperse partout, de tous côtés, dans le monde, ou qu'il se rassemble. 


FRAGMENT V

Où que je commence, cela m'est indifférent, car je retournerai à ce point de nouveau. 


FRAGMENT VI

Il faut dire et penser ceci : l'être est; car il est possible d'être, et il n'est pas possible que (soit) ce qui n'est rien. Voilà ce que je t'enjoins de méditer. 
Car de cette première voie de recherche (la mention du non-être) je t'écarte, et ensuite de cette autre aussi, celle que façonnent les mortels, qui ne savent rien, créatures à deux têtes. 
Car l'impuissance guide dans leur poitrine un esprit égaré; ils se laissent emporter, à la fois sourds et aveugles, bouche bée, foules incapables de décider, pour qui "être" ainsi que "ne pas être" sont estimés le même - et non le même; leur chemin, à eux tous, fait retour sur lui-même. 


FRAGMENT VII

Jamais, en effet, cet énoncé ne sera dompté : des non-êtres sont. Mais toi, détourne ta pensée de cette voie de recherche. 


FRAGMENT VII ET VIII

Qu'une habitude, née d'expériences multiples, ne t'entraine pas en cette voie : mouvoir un oeil sans but, une oreille et une langue retentissantes d'échos; mais par la raison, décide de la réfutation que j'ai énoncée, réfutation provoquant maintes controverses. 


FRAGMENT VIII

« Il ne reste plus qu’une seule parole celle de la voie <énonçant> : est.
Sur cette voie se trouvent des signes fort nombreux, montrant que, étant inengendré il est aussi impérissable, - unique et entier en sa membrure, sans frémissement et sans terme.
Il n’était pas à un moment, ni ne sera <à un moment>, puisqu’il est maintenant tout entier ensemble, un continu.
Quelle origine en effet chercheras-tu pour lui ? Vers où, à partir d’où se serait-il accru ?
Je ne permettrai pas que tu dises qu<’il vient> du non-être, ni que tu le penses ; voici en effet qui n’est pas dicible, qui n’est pas pensable non plus : « n’est pas ».
Quel besoin, d’ailleurs, l’eut poussé, après avoir pris son départ du néant, à naître plus tard, plutôt qu’<à naître> auparavant ?
Aussi faut-il, ou bien qu’il soit entièrement, ou bien qu’il ne soit pas du tout.
La force de la conviction n’admettra pas non plus qu’à aucun moment, de l’être, viennent au jour quelque chose à côté de lui.

C’est pourquoi la Justice, n’ayant point relâché de ses chaînes, n’a concédé, ni de parvenir au jour ni de disparaître, mais elle maintient.
La décision à cet égard repose sur ceci : « est » ou « n’est pas ».
Or, il a été décidé, ainsi que nécessité il y a, de laisser l’une sans la penser et sans la nommer, car ce n’est pas une voie véritable, en sorte que c’est l’autre qui est et qui est vraie.
Comment pourrait-il être par la suite, lui qui est ? Et comment serait-il venu à l’être ?
Car s’il est venu à l’être, il n’est pas, non plus, s’il doit être un jour. Ainsi est éteinte la genèse, éteinte aussi la destruction, disparue sans qu’on en parle.
Il n’est pas non plus divisible, puisque, tout entier, il est semblable <à lui-même>.
Il n’y a pas à un endroit quelque chose de plus, qui l’empêcherait de se tenir uni, ni <à un endroit> quelque chose de moins, au contraire, tout entier il est plein d’être.
Ainsi tout entier est-il continu, car l’être se juxtapose à l’être.
De plus, sans mouvement, dans les bornes de liens énormes, il est sans commencement, sans fin, puisque genèse et destruction tout au loin ont été repoussées et que la conviction vraie les a écartées.
Restant et le même et dans un même , il demeure par lui-même et reste ainsi fermement au même endroit.
Car une puissante Nécessité le retient dans les liens d’une limite qui l’enferme de toute parts, aussi est-ce règle établie que ce qui est ne soit pas dépourvu d’achèvement.
En effet il est sans manque ; s’il était sujet au manque, il manquerait de tout.
C’est une même chose que penser, et la pensée : « est ».
Car tu ne trouveras pas le penser sans l’être, dans lequel est exprimé.
Rien d’autres en effet, n’est ni ne sera, outre ce qui est, puisque lui, le Destin l’a enchaîné de telle façon qu’il soit entier et qu’il soit sans mouvement.
Seront donc un nom, toutes les choses que les mortels, convaincues qu'elles étaient vraies, ont supposés, venir au jour, et disparaître, être et ne pas être, et aussi changer de place et varié d'éclatante couleur.
De plus, puisqu’il y a une limite extrême, il est de tout côtés achevé, semblable à la masse d’une sphère à la belle circularité, étant partout également étendu à partir du centre.
Car il est nécessaire qu’il ne soit ni plus grand que quoi que ce soit, ni de quelque façon que ce soit plus petit, ici plutôt que là.
Il n’y a pas en effet de non-être l’empêchant de parvenir à la similitude , ni non plus il n’y a d’être tel qu’il y aurait plus d’être ici, moins ailleurs, puisqu’il est, tout entier, à l’abri des atteintes.
Car étant de tout côté égal à lui-même, c’est semblablement, qu’il touche à ses limites.
En ce point, je termine mon discours digne de confiance qui s’adresse à toi, ainsi que ma pensée sur la vérité ».






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