Premier fragment du poème de Parménide (fin du VIe - milieu du Ve siècle avant J.C.) intitulé "De la Nature", il s'agit d'un prologue ou proème au discours qui fera suite.
Vous pourrez lire plus bas deux traductions - parues dans deux (excellents) ouvrages.
- Première traduction par Denis O'Brien et Jean Frère.
(Etudes sur Parménide. Tome 1. Ed. Vrin, 1987. - Ce premier tome comporte les traductions de tous les fragments du poème ainsi que des notes complémentaires).
- Seconde traduction par Peter Kingsley et H.D. Saffrey.
(Dans les antres de la sagesse. Etude parménidienne. Ed. Les Belles-Lettres, 2007. - Ce livre propose une nouvelle interprétation de ce fragment à la lumière de récentes découvertes archéologiques).
En deux mots, le jeune Parménide effectue un voyage au terme duquel il rencontre une déesse (anonyme) lui annonçant qu'elle va lui apprendre toute chose. La suite du poème de Parménide est donc (présenté comme) la transcription des dires de la déesse.
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1
Les cavales qui m'emportent me conduisaient aussi loin que puisse parvenir mon désir, lorsqu'elles vinrent et m'amenèrent sur la voie riche en paroles, de la divinité, voie qui mène ... l'homme qui sait.
C'est par là que j'étais porté; car c'est par là que les cavales en leur sagesse m'emportaient, tirant le char, alors que des jeunes filles montraient la voie.
L'essieu en s'embrasant dans les moyeux, faisait jaillir de l'écrou un son flûté, car il était pressé par les deux roues tourbillonnant de chaque côté. Les jeunes filles, enfants du Soleil, se hâtaient alors en leur escorte, ayant délaissé les demeures de la nuit pour se rendre vers la lumière, - ayant, des mains, écarté les voiles qui couvraient leurs têtes.
Là se dressent les portes ouvrant sur les chemins de la nuit et du jour; un linteau et un seuil de pierre les enserrent en haut et en bas; et les portes elles-mêmes, tout éthérées, sont remplies par d'énormes battants. De ces deux battants, la Justice, prodigue en maintes peines, détient les clés qui les ouvrent.
La suppliant par de douces paroles, les jeunes filles la persuadèrent avec habileté de retirer des portes, prestement, devant elles, la barre munie de sa cheville.
Révélant l'abîme béant des battants ouverts, les portes s'envolèrent, faisant tourner l'une après l'autre dans leurs écrous les tiges garnies d'airain, munies de clous et d'agrafes.
C'est par là, à travers les portes, que les jeunes filles guidaient, tout droit sur la grand'route, le char et les cavales.
Et la déesse m'accueillit avec bienveillance, saisit en sa main ma main droite, prit la parole et s'adressa ainsi à moi :
Jeune homme, compagnon de conductrices immortelles, toi qui parviens à notre demeure grâce aux cavales qui t'emportent, soir le bienvenu : ce ne fût point en effet un destin funeste qui t'envoya cheminer en cette voie - car assurément cette voie est à l'écart des hommes, loin du chemin qu'ils fréquentent, - mais c'est le droit et la justice.
Il faut que tu sois instruit de toutes choses, à la fois du coeur de la vérité persuasive, coeur sans frémissement, et des opinions des mortels, où ne se trouve pas de conviction vraie.
Mais toutefois tu apprendras encore ceci : comment il faudrait que les apparences fussent réellement, traversant toutes choses dans leur totalité.
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2
Les cavales qui m'emportent, aussi loin que mon coeur le désire
M'ont conduit, puisqu'elles m'ont mis et me mènent sur la fameuse route,
La route de la déesse qui, par les profondeurs de l'inconnu, emporte l'homme qui sait.
Sur cette route j'étais emporté, car elles savaient où elles allaient, les cavales
Qui traînaient le char : et des jeunes filles guidaient ma route.
L'essieu dans les moyeux jetait un cri sifflant comme celui d'un pipeau,
Il lançait des étincelles : le couple des roues tournait à toute vitesse
De chaque côté; elles se précipitaient pour me conduire,
Les filles du Soleil délaissant les demeures de Nuit pour me mener
Vers Lumière en rejetant avec leurs mains les voiles de leur tête.
Là se trouvent les portes où le chemin de Nuit et le chemin de Jour se séparent,
Toutes deux solidement établies entre un linteau et un seuil de pierre;
Elles s'élevaient jusqu'au ciel, fermées par d'énormes battants.
Et Justice, qui demande vengeance, en garde les verrous qui ouvrent et qui ferment.
C'est elle que les jeunes filles séduisirent en flatteuses paroles;
Fort habilement la persuadèrent d'ôter rapidement des portes
La barre verrouillée. Elles ouvrirent tout grands les battants :
Ce fut un gouffre béant lorsqu'elles eurent fait tourner
Dans les tuyaux l'un après l'autre les pivots de bronze
Bien ajustés par des pièces et des chevilles. Par là donc, franchissant les portes,
Tout droit sur la grand-route, les jeunes filles menaient les chevaux et le char.
Voici que la déesse m’accueillit avec empressement; dans sa main droite
Elle prit ma main droite et, s'adressant à moi, prononça ces paroles :
"O jeune homme, escorté d'immortels cochers qui te guident,
Les cavales qui t'emportent t'ont fait gagner ma demeure,
Salut ! Car ce n'est pas une méchante Destinée qui t'a inspirée de prendre
Cette route si éloignée des chemins où les hommes piétinent,
Mais c'est Loi et Justice. Il te faut donc apprendre toutes choses,
Aussi bien le coeur inébranlable de la Vérité incontestable
Que les opinions des mortels, en lesquelles il n'est pas de vraie certitude,
Même, il te faudra apprendre encore comment les croyances fondées sur l'apparence
Devraient être crédibles quand elles passent à travers tout ce qui existe.
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