mardi 8 février 2011

Sengcan, Seng-ts'an ou Sosan (3e patriarche)


Du troisième patriarche du Chan, on sait véritablement bien peu de chose. Atteint de la lèpre selon les "Annales de la transmission de la lampe", il serait allé trouver Huike

"Je souffre de la lèpre, lave-moi de mes souillures, je te prie ! implora-t-il. 

- Apporte ici tes souillures et je t'en laverai", rétorqua Huike. 
Après un silence, Sengcan répondit : "Cherchant mes souillures, je les trouve impossibles à atteindre ! 
- J'ai donc achevé de t'en laver, prends donc à présent refuge dans le triple joyau sans plus t'en départir !"
Prenant refuge en lui, Sengcan dit finalement : "Quand bien même mon corps est malade, l'esprit d'un malade ne diffère pas du vôtre !"

Ordonné moine par Huike, il aurait disparu en simulant la folie pour échapper aux persécutions de 574, et on perd sa trace jusqu'en 592, où il découvre en Daoxin le disciple digne de détenir la succession. Selon les même "Annales", il mourut en 606. Un poème chan célèbre, le Xinixinming, "Inscrit sur l'esprit de foi", lui a longtemps été attribué. Mais on sait maintenant que ce texte ne peut être antérieur au VIIIe s. 

Source du texte : Dictionnaire encyclopédie du Bouddhisme, de Philippe Cornu. Ed. du Seuil. 
Autre biographie : wikipedia


Bibliographie et étude :
- Sin Sin Ming, dans Tch'an, zen, racines et floraisons,p. 205-209, trad. L.Wang et J. Masui.
- Hsin Hsin Ming, traité de spiritualité Ch'an du VIe siècle, trad. Daniel Giraud. Ed. Paris, 1992.

Taisen Deshimaru, L'esprit du Ch'an, le Shin Jin Mei, aux sources chinoises du zen. Ed. Albin Michel, Spiritualité vivante.
Arnaud Desjardin, Zen et Vedanta, commentaire du Sin Sin Ming. Ed. de la Table Ronde.
Etudes générales :
voir sous Bibliographie (post Bodhidharma)



SIN SIN MING ("Inscrit sur l'esprit de foi")
La grande Voie n’a rien de difficile,
Mais il faut éviter de choisir !
Soyez  libéré de la haine et de l’amour :
Elle apparaîtra alors dans toute sa clarté !

S’en éloigne-t-on  de l’épaisseur d’un cheveu,
C’est comme un gouffre profond qui sépare le ciel et la terre.
Si vous désirez la trouver,
Ne soyez ni pour ni contre rien !

Le conflit entre le pour et le contre,
Voici la maladie de l’âme !
Si vous ne connaissez pas la profonde signification des choses,
Vous vous  fatiguerez en vain à pacifier votre esprit.

Aussi parfaite que le vaste espace,
Rien ne manque à la Voie, rien ne reste hors d’elle.
A accueillir et à repousser les choses,
Nous ne sommes pas comme il faut.

Ne pourchassez pas le monde soumis à la causalité,
Ne vous attardez pas dans une Vacuité excluant les phénomènes !
Si l’esprit demeure en paix dans l’Un,
Ces vues duelles disparaissent d’elles-mêmes.

Quand l’activité cesse et que la passivité prévaut,
Celle-ci à son tour n’en est que plus active.
Demeurant dans le mouvement ou la quiétude,
Comment pourrions-nous connaître l’Un ?

A ne pas comprendre l’unité de la Voie,
Le mouvement et la quiétude conduisent à l’échec.
Si vous vous arrachez au phénomène, celui-ci vous engloutit ;
Si vous poursuivez le vide, vous lui tournez le dos.

Plus nous parlons et plus nous spéculons,
Plus nous nous éloignons de la Voie.
Supprimant tout discours et toute réflexion,
Il n’est point de lieu où nous ne puissions aller.

Retournez à la racine : vous obtiendrez le sens ;
Courez après les apparences vous vous éloignerez du principe.
Si, pour un bref instant, nous retournons notre regard introspectivement,
Nous dépasserons le vide des choses de ce monde.

Si ce monde nous paraît sujet à des transformations,
C’est en raison de nos vues fausses.
Pas besoin de chercher la vérité ;
Il suffit de mettre fin aux vues fausses.

Ne vous attachez pas aux vues duelles ;
Évitez soigneusement de les suivre.
S’il y a la moindre trace de oui ou de non,
L’esprit se perd dans un dédale de complexités.


La dualité existe en raison de l’unité,
Mais ne vous attachez pas à cette unité.
Quand l’esprit s’unifie sans s’attacher à l’un,
Les dix mille choses sont inoffensives.

Si une chose ne nous offense pas, elle est comme inexistante ;
Si rien ne se produit, il n’est point d’esprit.
Le sujet disparaît à la suite de l’objet ;
L’objet s’évanouit avec le sujet.

L’objet, c’est par le sujet qu’il est objet ;
Le sujet, c’est par l’objet qu’il est sujet.
Si vous désirez ce qu’ils sont dans leur dualité illusoire,
Sachez qu’ils ne sont rien d’autre qu’un vide.

Dans ce vide unique, les deux s’identifient ;
Et chacun contient les dix mille choses.
Ne faîtes pas de distinction entre le subtil et le grossier ;
Comment prendre parti pour ceci contre cela ?

L’essence de la grande Voie est vaste ;
En elle rien n’est facile, rien n’est difficile.
Les vues mesquines sont hésitantes et irrésolues :
Plus on pense aller vite, plus on va lentement.

A nous attacher à la grande Voie, nous perdons toute mesure ;
Nous nous engageons sur un chemin sans issue.
Laissez-la aller et les choses suivront leur propre nature ;
Dans l’essence rien ne se meut ni ne demeure en place.

Obéissez à la nature des choses : vous serez en accord avec la Voie,
Libre et délivré de tout tourment.
Lorsque nos pensées sont enchaînées nous tournons le dos à la vérité ;
Nous sombrons dans le malaise.

Le malaise fatigue l’âme :
A quoi bon fuir ceci et accueillir cela ?
Si vous désirez prendre le chemin du Véhicule unique,
N’entretenez aucun préjugé contre les objets des six sens.

Lorsque vous ne les détesterez plus,
Alors vous atteindrez l’illumination.
Le sage est sans rien faire ;
Le fou s’entrave lui-même.

Les choses ne connaissent pas de distinctions ;
Celles-ci naissent de notre attachement.
Prendre son esprit pour s’en servir,
N’est-ce pas là le plus grave de tous les égarements ?

L’illusion produit tantôt le calme, tantôt le trouble ;
L’illumination détruit tout attachement comme toute aversion.
Toutes les oppositions
Sont fruits de nos réflexions.

Visions en rêve, fleurs de l’air :
Pourquoi devrions-nous nous mettre en peine de les saisir ?
Le gain et la perte, le vrai et le faux,
Qu’une fois pour toutes ils disparaissent !

Si l’œil ne dort pas,
Les rêves s’évanouissent d’eux-mêmes.
Si l’esprit ne se perd pas dans les différences,
Les dix mille choses ne sont plus qu’une identité unique.

Quand nous saisissons le mystère des choses en leur identité unique,
Nous oublions le monde de la causalité.
Lorsque l’arrêt se met en mouvement, il n’y a plus de mouvement ;
Lorsque le mouvement s’arrête, il n’y a plus d’arrêt.

Les frontières de l’ultime
Ne sont gardées ni par des lois ni par des règlements.
Si l’esprit est harmonieusement uni à l’identité,
Toute activité s’apaise en lui.

Quand les doutes sont balayés,
La foi véritable réapparaît, confirmée et redressée.
Plus rien ne demeure,
Rien qu’il faille se remémorer.

Tout est vide, rayonnant et lumineux par soi-même :
Ne fatiguez pas vos forces spirituelles !
L’absolu n’est pas un lieu mesurable par la pensée,
La connaissance ne peut la sonder.

Dans le monde de la vraie identité,
Il n’est autrui ni soi-même.
Si vous désirez vous accorder à elle,
Il n’est que de dire : non-dualité.

Dans la non-dualité toutes choses sont identiques,
Il n’est rien qui ne soit contenu en elle.
Les sages en tous lieux
Ont accédé à ce principe cardinal.

Le principe est sans hâte ni retard ;
Un instant est semblable à des milliers d’années :
Ni présent, ni absent
Et cependant partout devant mes yeux.

L’infiniment petit est comme l’infiniment grand,
Dans l’oubli total des objets.
L’infiniment grand est pareil à l’infiniment petit,
Lorsque l’œil n’aperçoit plus de limites.

L’existence est la non-existence,
La non-existence est l’existence.
Aussi longtemps que vous ne l’aurez pas compris,
Votre situation demeurera intenable !

Une chose est à la fois toutes choses,
Toutes choses ne sont qu’une chose.
Si vous pouvez saisir cela,
Il est inutile de vous tourmenter au sujet de la connaissance parfaite.

L’esprit de foi est non-duel,
Ce qui est duel n’est pas l’esprit de foi.
Ici les voies du langage s’arrêtent.
Car il n’est ni passé, ni présent, ni futur.

Trad. L.Wang et J. Masui, dans : Tch'an, zen, racines et floraisons.
Autres traductions : Buddhaline  / Omalpha
 

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