Dernier grand poète classique de l’Iran, Djâmi (1414-1492) fut aussi un savant et un mystique. Auteur de plusieurs traités en prose, il est surtout connu pour son œuvre poétique, notamment un Haft Awrang composé de sept œuvres. Trois d’entre elles sont des histoires d’amour à caractère mystique et initiatique : Yussuf et Zuleikhâ, Madjnun et Leylâ, Salâman et Absâl. Le premier de ces trois romans versifiés, Yussuf et Zuleikhâ, comprend un prologue remarquable, qui compte parmi les plus beaux textes de la poésie persane. Djâmi y développe la relation de l’amour et de la beauté, leur origine en Dieu, puis leur déploiement et leur jeu dans la création. Il s’inspire de deux hadiths célèbres pour renfermer une clef du mystère de la création, de l’amour et de la beauté. Le premier établit la relation de la Beauté et de l’Amour divins : « Dieu est beau et Il aime la beauté ». Le second, dans lequel Dieu parle à la première personne, est une allusion au « pourquoi » de la création : « J’étais un Trésor caché, j’ai voulu être connu, et donc j’ai créé le monde ». Le texte de Djâmi se présente comme une illustration et un commentaire poétiques de ces deux hadiths. (...)
Patrick Ringgenberg La beauté et l'amour chez Djami
Source du texte : moncelon
Autre biographie : universalis / wikipedia
Bibliographie (en français) :
- Les jaillissement de Lumière, Ed. Les Deux Océans, 2000.
- Divers extraits dans : Eva de Vitray-Meyerovitch, Anthologie du Soufisme, Ed. Sindbad, 1978.
Etudes :
Patrick Ringgenberg, « La beauté et l'amour chez Djâmi », Les Cahier d'Orient et d'Occident, in revue Aurora, automne-hiver 2006.
En ligne : moncelon
Dans cette retraite solitaire, où l’existence était dépourvue de signes,
Et où l’univers était caché dans le coin du néant,
Il y avait un Être loin de toute dualité,
Loin de tout dialogue entre « Moi » et « Toi ».
La Beauté, absolue et libre des limites des apparences,
Ne se manifestait qu’à elle-même et par sa propre lumière.
Belle ravissante dans la chambre nuptiale du Mystère,
Sa robe était pure de toute atteinte de l’imperfection.
Ni le miroir n’avait reflété son visage,
Ni la main peigné ses cheveux.
Le zéphyr n’avait détaché aucun fil de ses boucles.
Son œil n’avait jamais vu la poussière du khôl.
Aucun rossignol ne voisinait avec sa rose.
Son duvet n’avait jamais été orné de fleurs.
Son visage était libre de lignes [de maquillage] et de grain de beauté.
Aucun œil, jamais, n’avait eu une image d’elle.
Elle composait de la musique pour se charmer elle-même
Et jouait avec elle seule au jeu de hasard de l’Amour.
Mais la beauté, par nature, ne supporte pas d’être voilée,
Le beau visage ne peut endurer le voilement,
Et si tu fermes la porte à la belle face, elle se montrera par une autre ouverture.
Regarde la tulipe dans la montagne,
Comment elle se montre joyeuse et verdoyante au printemps,
Fendant la pierre dure
Et révélant alors sa beauté.
S’il te vient une idée dans ton âme,
Une idée brillante de rareté parmi les idées,
Tu ne peux pas renoncer à elle,
Tu l’exprimes par la parole ou par l’écriture.
Lorsqu’il y a la beauté quelque part, telle est son exigence [de manifestation].
Pour la première fois, ce mouvement apparut dans la Beauté prééternelle,
Qui dressa sa tente dans les régions saintes,
Puis se manifesta aux horizons et aux âmes,
Se révéla dans chaque miroir [des créatures et des mondes].
Partout, alors, on parlait d’elle.
De la Beauté rayonna un éclair sur la terre et les anges,
Qui d’éblouissement les fit tourner comme le ciel.
Tous les chanteurs de louange de Dieu, cherchant sans cesse à Le louer,
A force d’être hors d’eux-mêmes, ne chantaient que la louange de Dieu.
C’est de ces plongeurs de l’océan céleste
Que s’éleva un cri : « Loué soit le Seigneur des mondes ! »
De l’éclat de la Beauté jaillit une lumière qui tomba sur la rose,
Et la rose enflamma la passion du rossignol.
La bougie a allumé son visage à ce feu [de la Beauté]
Et partout la bougie a brûlé des centaines de papillons.
De cette Lumière, un seul rayon embrasa le soleil
Et le nénuphar sortit de l’eau.
La face de Leylâ emprunta à la face de la Beauté l’ornement de son visage
Et à chacun de ses cheveux Madjnun attacha son cœur.
La Beauté a sucré les lèvres de Shirin [la Douce]
Qui a charmé le cœur de Parviz
et l’âme de Farhâd.
La Beauté a sorti sa tête du col de la « lune de Canaan »
Qui a complètement ruiné l’âme de Zuleikha.
C’est cette Beauté qui partout s’est manifestée [dans les beautés des mondes],
Bien qu’Elle-même se soit retirée derrière un voile aux yeux de tous les
amoureux.
Quel que soit le voile [de beauté] que tu voies, c’est Elle [la Beauté].
Quel que soit le mouvement d’amour, c’est Elle qui le meut.
L’amour [de cette Beauté] est la source de la vie du cœur,
Et par cet amour l’âme est comblée de bonheur.
Tout cœur amoureux des beautés charmantes
Qu’il le sache ou l’ignore n’aime au fond que la seule Beauté.
Trad. Anna Ringgenberg dans : Patrick Ringgenberg La beauté et l'amour chez Djami, Les cahiers d'Orient et d'Occident.
Source du texte : moncelon
Avant propos.
Je ne suis rien et bien moins que rien.
Rien n'advient de rien et de moins que rien.
Sinon du dire lui-même je n'ai aucun mérite
Chaque fois que je dis l'un des mystère de la Réalité.
En terre de dénuement, mieux vaut passer inaperçu.
En affaire d'amour, mieux vaut être muet.
Pour qui n'est pas initié à la mystérieuse saveur de l'Etre.
Mieux vaut en parler comme un simple interprète.
(...)
Huitième illumination
Pour celui dont l'anéantissement est la méthode et la pauvreté la règle.
Il n'y a plus ni vision ni certitude, ni mystique, ni religion.
Celui-là a disparu : ne reste que Dieu, Dieu !
Voilà ce que veut dire "la pauvreté parfaite c'est Dieu !"
(...)
Dixième illumination
L'unicité selon le soufisme, o toi qui chemines,
C'est de libérer son coeur de l'attention qu'il porte à d'autre (que Dieu)
Je te livre ici un secret de haut degré dans la spiritualité des oiseaux
A condition bien sur que tu comprennes le "Langage des oiseaux"...
(...)
Quinzième illumination
O Toi dont l'essence est pure de tout défaut à tous les niveaux.
Dans Ta réalité on ne peut trouver ni "comment" ni "ou".
Par l'abstraction de l''intellect, les attributs sont tout autres (que l'essence)
Mais avec Ton essence, en réalité, ils sont identiques.
(...)
Vingt cinquième illumination :
Toi qui n'as pas encore osé rayé tel ou tel mot (du langage commun).
(Sache que) le dualisme t'éloigne (de Dieu) et provoque sa colère.
Regarde sans te tromper dans toute la création :
Tu n'y verras qu'une seule entité individuelle et une Essence unique.
(...)
Vingt sixième illumination :
Si tu n'es pas (tout-à-fait) dénué de jugement, sache
Que le monde est comme un fleuve au cours capricieux
Et dans tous les détours de ces eaux qui s'écoulent,
Il y a un mystère : la Réalité des réalité qui coule.
(...)
Le Sophiste, qui a perdu la raison,
Dit que le monde est une illusion qui passe.
Oui, le monde est une illusion, mais
Éternellement en elle une Réalité se manifeste.
(...)
L'Etre qui n’apparaît pas deux instant selon le même mode
Se montre à chaque instant sous un mode nouveau.
Tu peux tirer cette vérité du verset "chaque jour sous un mode nouveau"
S'il te faut une preuve dans la parole du Vrai.
(...)
Efforce-toi de supprimer des voiles, non d'accumuler des livres !
Car l'entassement des livres ne supprime pas les voiles.
Parmi les livres, où est cette fontaine d'amour ?
Plie-les tous, tourne-toi vers Dieu et repens-toi !
Vingt neuvième illumination :
L'Etre est l'Essence du Seigneur bien aimé :
Toutes choses sont en Lui, et Lui en toutes choses.
C'est cela l'explication du dire du gnostique
Que toute chose est contenue en toute chose.
(...)
Trentième illumination :
Tout ce qu'on peut nous demander c'est l'impuissance et le néant :
On nous dénie l'Etre et ce qui en découle.
C'est Lui qui est apparu sous la forme qui est la nôtre,
Et on nous attribue cette puissance et ce acte qui sont les Siens.
(...)
Extraits de : Les Jaillissements de Lumière, Ed. Les Deux Océans, 2000.
Ouvrage épuisé.
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